Chapitre 5 : Arcal

Par Notsil

La semaine s’écoula comme dans un rêve. Le matin, les Envoyés servaient tour à tour le petit-déjeuner ; Lucas s’y était retrouvé avec Syrcail, ravi d’avoir l’occasion de discuter. Suivre les cours théoriques, se battre dans la cour d’entrainement sous la houlette de Mecers expérimentés, accomplir les corvées quotidiennes… Le tour de Lucas revint plus souvent qu’à l’habitude, mais le jeune homme ne s’en plaignit pas. Hors de question de montrer la moindre faiblesse ; il leur prouverait qu’il réussirait.

Si la majorité de leur promotion était âgée de quinze ans, ils étaient plusieurs à ne pas les avoir. A tout juste douze ans, Lucas restait le plus jeune ; un cas rarement vu. L’émulation était présente au sein des Envoyés, et Lucas avait bien conscience que certains prenaient plaisir à le confronter régulièrement dans l’arène. Ils espéraient s’assurer une victoire facile, sauf que Lucas n’était pas une victime consentante. Il ne gagnait peut-être pas tous ses duels, mais il en remportait.

Grâce à l’idée ingénieuse de Syrcail de glisser des plumes colorées dans ses ailes, Lucas passait de plus en plus inaperçu. Il savait que certains n’appréciaient pas sa décision et tentaient de lui faire payer. Lucas leur avait pourtant expliqué qu’il ne cherchait pas à renier sa famille, juste à ne pas bénéficier de ses privilèges.

Mais quoi qu’il fasse, Lucas s’aperçut que le ressentiment envers la Seycam était bien réel chez plusieurs de ses camarades. Notamment pour les membres des Clans des Montagnes du Sud, et il aurait bien aimé savoir pourquoi. Peut-être devrait-il en toucher un mot à son père, lors de leur prochaine rencontre ?

Plus la fin de semaine approchait, plus Lucas doutait. À son soulagement, il n’était pas le seul. Et si aucun Messager ne les acceptait ?

Syrcail l’avait rassuré. Il avait réussi les tests, il était digne d’être Envoyé. Lucas aurait aimé avoir sa confiance.

Le jour venu, Lucas ne put avaler davantage que quelques bouchées, l’estomac noué. Triturant son pain, il jeta un coup d’œil à l’extérieur. Le temps s’était couvert, les nuages d’un gris sinistre annonçaient la pluie et bouchaient l’horizon. Un vent glacé s’était levé.

Difficile de croire qu’ils n’étaient qu’au début du printemps.

Le Messager Tsyro appela au rassemblement dans la cour, et les jeunes Envoyés se réunirent pour l’écouter.

Puis l’appel commença et les noms s’égrenèrent les uns après les autres.

–Envoyé Lucas !

Le jeune homme se redressa d’un coup.

–Vas-y, l’encouragea Syrcail en le poussant du coude.

Ils n’étaient plus qu’une vingtaine.

D’un pas hésitant, Lucas s’avança vers le Messager Tsyro qui l’attendait, bras croisés, un air contrarié sur le visage. À ses côtés se tenait un autre Messager. De taille moyenne, des cheveux plus gris que noirs, des ailes d’un gris clair qui se mouchetait de roux, le fourreau de son arme pendait à sa hanche droite. Un gaucher, comme lui. Son visage était marqué par l’expérience et la vie au grand air. Les yeux clairs qui se posèrent sur lui le jaugèrent en un instant.

–Je te présente le Messager Arcal. À partir de maintenant, tu es à ses ordres.

–Enchanté, Messager, répondit poliment Lucas en s’inclinant, le poing droit fermé sur le cœur.

–De même, Envoyé. Viens, nous devons parler.

Lucas jeta un dernier coup d’œil à Syrcail avant de lui emboiter le pas, le cœur serré. Il espérait qu’ils puissent se revoir rapidement ; quitter son seul ami lui était douloureux.

*****

Cinq jours avaient passé. Cinq jours où Lucas n’avait fait que s’entrainer, sous la houlette impitoyable de son mentor. Le jeune homme comprenait maintenant le gouffre qui séparait les Envoyés du reste des Mecers, et pourquoi ils étaient autant encadrés.

Il avait tant appris. Et ce n’était qu’un début.

Au départ, Lucas s’était montré méfiant, sur ses gardes. Après sa mésaventure avec le Messager Tsyro, il avait compris que tous les Messagers ne se valaient pas. Son père était-il réellement intervenu comme il le lui avait annoncé ? Si oui, il avait bien choisi.

Arcal était certes exigeant, mais aussi juste. Avec quelques exercices, il avait immédiatement cerné les forces et les faiblesses de son Envoyé.

Chaque soir, Lucas s’endormait, exténué par une longue journée. Arcal le levait à l’aube, pour une longue course dans les montagnes. Le relief accidenté demandait une concentration sans faille. Jamais Lucas n’aurait cru les forêts si riches de vie ; jusque-là, il s’était contenté de les survoler. C’était étonnant comme il découvrait de nouvelles choses rien qu’en changeant son point de vue.

Parfois, ils longeaient des ruisseaux au courant calme, ou des torrents bondissants ; d’autres jours ils contournaient d’immenses lacs.

Lucas s’était toujours cru endurant, mais le Messager l’avait poussé jusqu’à ses limites ; pour mieux les repousser ensuite. Tout en courant, il lui enseignait le nom des plantes et des animaux qu’ils rencontraient ; comment les utiliser et quel usage en faire, leurs points forts et leurs faiblesses. Lucas s’efforçait de retenir un maximum d’information ; plutôt difficile quand sa respiration hachée semblait vouloir s’emballer.

La pause de midi était une bénédiction. Le Messager connaissait tous les recoins des montagnes alentour ; les prairies cachées entre deux bosquets, les grottes nichées dans les falaises, les vallées oubliées aux coins enchanteurs, tapissées de fleurs que le jeune Massilien n’avait jamais vues.

L’après-midi était consacré au combat. Lucas avait vite découvert que le Messager Arcal ne se limiterait pas à lui enseigner le maniement de l’épée. Il était reparti des bases, lui enseignant le combat à mains nues. Chaque leçon était le prétexte pour lui montrer les points vitaux ; les gestes pour tuer efficacement ; ceux qui entrainaient une mort lente, ou douloureuse. Arcal lui apprenait aussi comment soulager les douleurs dues aux contusions ; via les herbes notamment. Lucas doutait de devenir un guérisseur chevronné, et ne rêvait même pas d’arriver à la cheville des spécialistes de Soctoris, mais il serait capable de nouer correctement un bandage ou de réparer une épaule luxée, et saurait reconnaitre les signes d’une blessure empoisonnée.

Le Messager lui avait aussi détaillé les premiers mouvements de la première séquence d’échauffement ; rituel des Mecers. Lucas avait passé son enfance à admirer les mouvements fluides de ses ainés ; maintenant il entrevoyait la masse de travail derrière ce résultat. Arcal corrigeait impitoyablement la moindre erreur. Seule la perfection du geste trouvait grâce à ses yeux.

Alors Lucas recommençait, encore et encore, plus déterminé que jamais. Il ne se plaignait pas, ne rechignait pas à la tâche. Qu’il vente ou qu’il pleuve, il s’acharnait à réussir ce qu’on lui demandait. Toujours mieux, toujours plus loin.

–Tu es persévérant, remarqua Arcal. Je ne m’attendais pas à ce que tu mettes autant de cœur à l’ouvrage.

–Je veux prouver ma valeur, répondit Lucas. Je ne veux pas être jugé sur la seule couleur de mes ailes.

–Compréhensible. Pourtant tu n’as que douze ans. Souhaites-tu vraiment basculer si jeune dans le monde des adultes, dans la cruelle réalité de la guerre ?

–Pourquoi ouvrir le recrutement si tôt alors ? rétorqua Lucas. Pourquoi aurais-je dû attendre davantage ? Rester seul, à attendre que d’autres meurent pour moi ? Je ne veux plus me cacher dans l’ombre des ailes de mon père.

–Nous verrons bien comment tu te comporteras au combat. C’est une chose que de réussir des passes d’armes lors d’un duel amical ; c’est autre chose de le réussir lorsque la peur paralyse ton bras.

Lucas ne répondit pas, la gorge nouée. Il avait déjà affronté des ennemis ; des assassins. Mais s’il en croyait ses frères, le charnier d’un champ de bataille était tout autre chose. Serait-il à la hauteur ? Il l’espérait. La crainte d’échouer, la crainte de faire honte à sa famille était fort présente en lui.

–L’entrainement des Mecers te poussera bien au-delà de tes limites, poursuivit Arcal. Nous sommes une unité d’élite. Parfois, les Envoyés comprennent que leur destin est ailleurs. Tout le monde n’est pas voué à devenir Messager. Certains Émissaires ne le seront jamais. Il n’y a aucune honte à emprunter un autre chemin.

–Je veux pouvoir compter sur ma propre force, dit Lucas, sa détermination plus forte que jamais.

Arcal esquissa un sourire. Le Djicam ne lui avait pas menti. Ce jeune homme avait un potentiel immense. Mais aussi une impulsivité naturelle capable de causer sa perte. Il fonçait tête baissée. Le Messager était à peu près certain qu’il accepterait tout ordre de sa part, quitte à mettre sa vie en jeu. Se cacher derrière l’obéissance pour éviter de réfléchir aux conséquences n’était pas souhaitable. Dans un premier temps, Arcal devait lui enseigner la patience. Le premier acquis de tout Envoyé, souvent le plus difficile pour des jeunes gens impatients de livrer bataille avec leurs nouvelles compétences.

Un talent pourtant essentiel pour rester en vie. Personne n’aimait attendre que l’ennemi tombe dans l’embuscade soigneusement préparée, mais se dévoiler trop tôt entrainait l’échec de la mission. Ce serait au cours de missions de routine que les Envoyés apprendraient tout cela.

Arcal avait d’ailleurs prévu de rejoindre les Messagers Daram et Sulio pour leur proposer une petite excursion. Les jeunes aimaient se retrouver, et il était important qu’ils tissent des liens. L’esprit de corps était fort chez les Mecers. Les Émissaires ne dépendaient plus d’un mentor et se réunissaient de fait plus facilement ; mais Arcal aimait encourager les Envoyés à se fréquenter. Les escarmouches contre l’Empire ou des mercenaires engendraient des pertes. Pouvoir se reposer sur des amis pour surmonter cette épreuve à laquelle tout Mecer était confronté tôt ou tard était essentiel, notamment pour éviter des quêtes vengeresses suicidaires.

Le Messager se leva. Le soleil se couchait dans le lointain, et les nuages s’auréolaient de mauve et de rose autour des pics aux sommets enneigés. Il était temps de rentrer.

–Prends quelques minutes pour t’échauffer, puis montre-moi ta vitesse maximale. Je te suivrai.

–Nous allons où, Messager ? s’enquit Lucas.

–Nous rentrons. Tu l’as peut-être oublié, mais tu as droit à deux jours de congés. Dès ce soir.

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Nathalie
Posté le 07/06/2023
Bonjour Notsil

Je trouve dommage de ne pas décrire davantage le contenu de ses entraînements, quitte à le faire succinctement , via une douleur le soir, des courbatures vite oubliées le matin. De même, ce n'est qu'un môme. Ses frères et sœurs ne lui manquent pas ? Quel lien développe-t-il avec son mentor ? Froid ou chaleureux ? Je trouve que ça avance trop vite sans passer assez de temps sur le côté emotionnel (mais ce n'est que mon avis).
Notsil
Posté le 13/06/2023
Coucou !
Tu soulèves des points intéressants, et comme c'est un texte sur lequel je veux passer une dernière touche de corrections, ça me donne à réfléchir.
Il a l'habitude que ses frères/soeurs soient souvent en mission mais il y a quand même souvent au moins 2-3 de présents... et je n'y avais même pas pensé ^^
Merci :)
Edouard PArle
Posté le 27/10/2021
Coucou !
Lucas poursuit son apprentissage et va devoir changer s'il veut être à la hauteur. Il a hérité d'en mentor apparemment plutôt discret dont on sait peu. J'espère que les prochains chapitres permettront d'étoffer leur relation et le personnage d'Arcal.
Sinon, je trouve que c'aurait été intéressant d'avoir la première conversation entre Lucas et son nouveau mentor, l'ellipse m'a un peu déçu^^
Etrange l'impopularité du djicam au vu de ses apparentes qualités entrevues dans les chapitres précédents. Bien envie d'en savoir plus...
Une petite coquille :
"de retenir un maximum d’information" -> informations
Toujours un plaisir de te lire,
A bientôt !
Notsil
Posté le 27/10/2021
Coucou !

Vrai que j'ai une certaine tendance à l'ellipse facile... je note, effectivement ça permettrait de mieux cerner Arcal et puis je pourrai continuer sur Lucas qui se posera la question de où il est tombé.

Je n'avais pas l'impression que le Djicam soit impopulaire, par contre ^^
Et merci pour la coquille, je corrigerai ça :)

A une prochaine !
Edouard PArle
Posté le 27/10/2021
j'ai lu trop vite alors^^
A bientôt !
Lohiel
Posté le 03/05/2021
Coucou... Bon je sors de mon tunnel, du coup j'avais vu passer ta publication, et je suis venue lire. J'aime toujours, bien sûr... c'est une histoire prometteuse, pleine de belles images mystérieuses... même si je me demande encore ce que tu trafiques avec les points de vue 😁 Un coup, on connaît les pensées du mentor, un coup on ne les connaît pas -- oui, je suis casse-pied 😇 avec ça, mais je t'assure que c'est grâce à une gestion bien contrôlée du pdv que se construit l'ossature du texte. Quand tu veux faire passer les pensées d'un perso qui est en externe, tu peux toujours : 1) les montrer en décrivant son expression, vue par un "interne" - 2) l'amener à se confier à quelqu'un (un collègue qui passe, là, et qui lui demande des nouvelles de sa recrue, par exemple, pendant qu'il le regarde s'entraîner de loin)

Une petite répétition sensible :
ceux qui entrainaient une mort lente, ou douloureuse*. Arcal lui apprenait aussi comment soulager les douleurs* dues...

Un enchaînement de deux, ou l'une semble voulue et l'autre pas... mais, à mon humble avis, le tout est un peu lourd (et le premier "premier", pas forcément utile) :
Le Messager lui avait aussi détaillé les (*)premiers *mouvements de la (*)première séquence d’échauffement ; rituel des Mecers. Lucas avait passé son enfance à admirer les *mouvements fluides de ses ainés

Bisous 💙
Notsil
Posté le 05/05/2021
Coucou !

Merci de ton passage, je vais corriger les répé ^^

Oui, les points de vue me posent encore souci, pourtant, j'essaie d'y faire attention ^^ Mais vrai qu'il pourrait parler à un collègue, tiens, ça serait logique. Enfin, petit à petit je cerne le problème, faudra que je reprenne ce texte en profondeur sur ces points.

Merci tout plein pour ces conseils, ça m'aide ;)
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