Chapitre 6 : Duel

Par Notsil

Lucas retrouva le domicile familial avec un plaisir inattendu. Les derniers jours s’étaient écoulés à une vitesse folle ; il lui tardait déjà de retrouver Arcal. Le Messager était une source inépuisable de réponses - et d’exercices.

Ce soir, Lucas se contenterait d’étirements sommaires pour soulager ses courbatures.

Aioros devrait arriver demain ; il avait promis à Lucas un duel lors de leur prochaine rencontre. Lucas lui avait arraché la promesse que s’il le touchait, Aioros devrait l’entrainer. Si son ainé avait affiché un air moqueur avant d’acquiescer, certain de sa supériorité, Lucas était bien déterminé à mettre tous les atouts de son côté pour remporter cette joute.

Il s’était levé tôt le lendemain pour mieux se préparer. Les jumeaux étaient en mission, seul Dorian occupait la demeure familiale. Un peu intimidé, Lucas alla frapper à la porte de sa chambre.

–Qui est-ce ?

–C’est moi, Lucas.

Un bruit lui indiqua que son frère se levait pour ouvrir lui-même la porte.

–Entre donc, petit frère. Que veux-tu ?

Dorian était bien différent d’Aioros, décida Lucas. Certes, ils partageaient les mêmes yeux gris et le sens du devoir – Lucas n’avait pas choisi Valérian au hasard pour falsifier le sceau de son père – mais il se montrait bien plus aimable.

–Il faut que je batte Aioros. Une idée ?

Dorian éclata de rire.

–Tu crois vraiment y arriver ? Aioros est un Émissaire du Quatrième Cercle. Jamais il ne perdra face à un simple Envoyé.

Lucas soupira, déçu.

–Il doit bien y avoir un moyen, pourtant.  N’a-t-il pas une faiblesse, un défaut, quelque chose que je pourrais exploiter ? S’il-te-plait, Dorian, il faut que tu m’aides !

Avec un sourire, le jeune homme de vingt-deux ans lui ébouriffa les cheveux.

–Ceci a l’air de tenir très à cœur, dis-moi.

–Oui. Il a promis de m’entrainer si je réussis à le battre.

–Oh. Ton Messager ne s’occupe pas assez de toi ?

–Ce n’est pas ça, se renfrogna Lucas. Mais je veux apprendre d’autres techniques. Aioros est très fort, c’est le seul à réussir à battre père.

–Pas tout le temps, nuança Dorian. Aioros n’est pas souvent là, tu sais. Il a beaucoup d’obligations, entre ses missions d’Émissaires et les devoirs que Père lui confie.

–Je sais, je sais.

–Si tu souhaites simplement passer plus de temps avec lui, pourquoi ne pas lui demander ?

–Tu crois qu’il accepterait ?  J’ai l’impression qu’il ne m’aime pas.

Le sourire de Dorian s’effaça d’un coup.

–Ne dis pas de sottises, voyons. Il te faut comprendre que ça a été des moments très difficiles, pour Aioros plus que pour n’importe qui.

–La mort de maman ? s’enquit Lucas.

–Entre autres, nuança son ainé. Demande-lui directement.

–Il fera comme père ou comme toi, il changera de sujet. Je ne suis plus un enfant, ajouta Lucas en remarquant la surprise de son frère.

Dorian rit doucement.

–C’est vrai. Et ce n’est pas facile pour nous de l’entendre. Alors je vais te donner ce que tu es venu chercher.

–Une botte secrète ? s’enthousiasma Lucas.

–Non. Je doute que tu réussisses à apprendre une nouvelle technique avant ton combat. Mais n’oublie pas : Aioros tient à toi bien plus que tu ne peux l’imaginer. Sers-toi de ça.

Songeur, Lucas médita ces paroles.

–Je ne sais pas trop si tout ça va m’aider mais… merci quand même, Dorian.

–Avec plaisir, petit frère.

–Je ne suis pas petit !

–Tu le resteras toujours à nos yeux.

L’Émissaire esquissa un sourire à la vue de sa moue boudeuse.

****

Aioros avait à peine eu le temps d’atterrir dans l’enceinte de leur demeure que Lucas lui avait sauté dessus.

–Non, je n’ai pas oublié, grimaça-t-il. Laisse-moi le temps de souffler un peu, tu veux bien ?

Le jeune Envoyé croisa les bras.

–Je t’attends.

Son jeune frère était impatient d’en découdre, réalisa Aioros.

–Je me change et j’arrive, soupira-t-il.

Trois jours de mission, deux jours de trajet, un rapport à rédiger, son père qui l’attendait sur Sagitta dans deux jours… Aioros se serait bien passé de cette corvée supplémentaire. Enfin, une promesse était une promesse. Un Massilien ne revenait pas sur sa parole.

Ça ne devrait pas l’occuper longtemps. Lucas était certes doué, et il avait passé son enfance une épée à la main, à batailler contre ses frères et sœurs ou des ennemis imaginaires, mais il n’était qu’Envoyé. Ce combat serait une formalité. Peut-être qu’ensuite il arrêterait de lui coller aux basques.  Sa seule vue lui rappelait de mauvais souvenirs.

Il lui ressemblait trop.

Ce n’était pas sa faute, et quelque part, Aioros s’en voulait. Mais si Lucas possédait les yeux bleu-acier de leur père, il avait hérité des traits de sa mère. Chaque fois qu’il posait les yeux sur son frère, il se remémorait sa douceur et son sourire. Et la douleur qui étreignait son cœur gagnait en intensité. Eraïm, après tout ce temps, cette souffrance aurait dû s’estomper !

Aioros ôta sa veste et se rafraichit rapidement le visage pour enlever la poussière du voyage. Bon, ça devrait suffire. Il était temps d’aller coller une raclé au gamin pour avoir la paix sur le reste de la journée.

Lucas l’attendait dans la cour d’entrainement, épée au clair. L’acier brillait à la lueur du soleil. Aioros se plaça à quelques pas de son cadet avant de tirer à son tour la lame en Ilik. Sa teinte rougeâtre ne laissait planer aucun doute sur la nature de sa dernière mission.

Aioros espéra que Lucas se maitrise suffisamment pour qu’il n’ait pas à le blesser par erreur. La dernière des choses qu’il lui manquait, c’était un sermon de leur père sur le sujet.

–Prêt ? demanda-t-il en se plaçant en garde.

–Prêt, confirma son cadet en l’imitant.

–Je te laisse commencer.

Lucas fronça les sourcils. Lui laisser un tel avantage ? Aioros ne prenait pas leur combat au sérieux. Il s’en était douté.

Eh bien, il lui ferait comprendre qu’il avait progressé et que le sous-estimer était une erreur.

Lui avait parfaitement conscience de la supériorité de son frère ; il n’allait pas se défiler pour autant. À son niveau, presque tous ses opposants étaient meilleurs que lui. Et depuis que Syrcail lui avait donné l’astuce de camoufler la blancheur uniforme de ses ailes, on ne le laissait plus gagner par favoritisme.

Chaque défaite lui apprenait énormément.

Sa discussion avec Dorian l’avait fait réfléchir. Aioros lui était supérieur en tout. Lucas n’avait qu’une seule solution pour le battre.

Il porta une attaque rapide qu’Aioros détourna sans aucune difficulté ; il s’y attendait. Malgré son manque d’intérêt, son ainé restait concentré. Il était un Mecer, après tout.

Lucas ne devait pas faire trainer le combat. Dès qu’Aioros prendrait la main, c’en serait fini de lui. Alors il l’obligea à rester sur la défensive, avec un jeu agressif qui le laissait vulnérable à la moindre contre-attaque.

Le jeune Envoyé réprima un sourire. Aioros se contentait de dévier ses coups, parce qu’y répondre risquait de le blesser. Dorian avait eu raison.

D’un pas, il rompit pour reprendre son souffle. À son tour, Aioros baissa légèrement son épée.

–Tu as progressé, je l’admets, convint l’Émissaire.

–Je te l’avais dit.

–Mais il te reste encore tant à apprendre…

Lucas se raidit. Il lui fallait juste un peu de chance, juste espérer qu’Aioros porte son attaque préférée, juste prier pour qu’Eraïm soit avec lui.

Le jeune Envoyé fut sidéré par la vitesse d’attaque ; sa parade réalisée en un réflexe éclair. Il s’était longuement entrainé pour cet instant, et l’étonnement sur le visage d’Aioros valait tout l’or du monde.

Maintenant, c’était à lui d’agir.

Lucas se précipita en avant, au mépris de toutes les règles du combat en duel. Surpris, Aioros lâcha son arme pour éviter de le blesser et Lucas se jeta dans ses bras.

Aioros récupéra de justesse son équilibre et considéra le visage souriant de son cadet, tout proche du sien.

–Je t’ai touché ! J’ai gagné ! exulta Lucas.

–Tu as gagné, acquiesça Aioros. Bien que de façon peu orthodoxe. Par Eraïm, j’aurais pu te tuer !

–Mais tu ne l’as pas fait. Dorian avait raison, finalement.

–Un pari risqué, nota son ainé. Soit. Je reconnais ma défaite, ajouta-t-il en lui ébouriffant les cheveux.

–Mais qu’est-ce que vous avez tous avec ça ? s’agaça Lucas qui bondit en arrière.

Aioros sourit.

–Alors, tu vas m’entrainer ? On commence quand ?

Le visage de son ainé se ferma brusquement.

–Lucas, je…

–Tu m’as fait une promesse, Aioros !

Dans les yeux bleu-acier couvait un ciel d’orage. Lucas croisa les bras, silencieux et circonspect.

–C’est quoi, ton problème avec moi, Aioros ?

Son frère se raidit aussitôt en fuyant son regard, confirmant ses soupçons.

–Dorian dit que tu m’aimes bien, poursuivit-il. Moi, je n’ai pas cette impression-là. Tu me fuis dès que possible. Qu’ai-je donc fait pour mériter ton courroux ?

Il entendit distinctement le soupir de son frère, qui fit quelques pas pour récupérer son arme et rengainer.

–Ce n’est pas vraiment ta faute, énonça Aioros, paraissant choisir ses mots avec soin. Mais tu vis.

–Et ? sourcilla Lucas sans comprendre.

–Et elle non.

–Je ne comprends pas… commença Lucas, surpris par la tristesse qu’il avait perçue dans la voix de son frère.

–Demande à Père. Il t’expliquera peut-être ce que tu aurais dû savoir depuis longtemps.

Un grand froid descendit sur le jeune Envoyé. Voilà ce qu’il avait gagné à pousser Aioros dans ses retranchements. Sans lui accorder un regard, il rentrait déjà.

Lucas frissonna. L’attente allait être longue.

*****

 

 

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Nathalie
Posté le 07/06/2023
Bonjour Notsil

« seul Dorian occupait la demeure familiale »
J’ose espérer que Lucas sous-entend que Dorian était le seul membre de sa famille à la maison, mais qu’il y a bien des serviteurs sur place (rien que les gardes du corps, par exemple, présents au chapitre 1 mais qui ont totalement disparu depuis sans raison explicite). Au risque de me répéter : on ne laisse pas un enfant de 12 ans seul dans une maison toute une journée voire deux jour.

Il est difficile de gérer les points de vue dans une histoire. Tu peux choisir un narrateur omniscient, qui sait tout, afin de permettre à tous les points de vue de s’exprimer mais cela rend difficile le suspens. Afin de garder des secrets (du style, au départ : pourquoi Aioros est froid avec Lucas), il faut choisir, pour chaque scène, dans la tête de qui tu es. Tu peux l’indiquer clairement au lecteur (il m’arrive de le dire en tête de chapitre, par exemple) ou de manière plus subtile (dans un autre de mes romans, je mets des séparateurs visibles et chaque entrée dans une nouvelle tête est saluée par son prénom « Machin alla à la boulangerie »). Là, ça saute sans prévenir, c’est troublant. Tu sembles ne pas vouloir rester dans la tête de Lucas alors essaye de voir comment d’autres plumes s’y prennent. Mon conseil : reste dans la tête de Lucas. Retire tout le reste. La raison pour laquelle Aioros est froid avec Lucas apparaîtra en son temps, si besoin, au détour d’une conversation, ou bien jamais et alors ? L’auteur en sait toujours beaucoup plus que le lecteur sur ses personnages et il n’a pas à tout développer. Ce n’est pas grave. Le fait que tu en saches davantage va donner un cœur et une âme à ton roman. Le lecteur va le sentir et te suivre volontiers. Ne t’oblige pas à tout dévoiler. Ce n’est pas nécessaire.

« L’acier brillait à la lueur du soleil. Aioros se plaça à quelques pas de son cadet avant de tirer à son tour la lame en Ilik. »
Quand on fait un combat amical, on n’utilise pas de vraies lames. Déjà parce que c’est dangereux pour que dalle. On prend des armes factices en bois et on se protège avec des tissus et des casques (parce que oui, même un coup avec une arme en bois, ça fait super mal. Ça peut même briser des os). Ensuite, des vraies lames nécessitent d’être aiguisées, huilées, bref, qu’on s’en occupe. Les tirer au clair nécessite ensuite d’en reprendre soin. Aucun combattant n’a envie de passer des heures à bichonner l’arme dont il vient juste de prendre soin. Peut-être que Lucas a des serviteurs qui le font à sa place (mais dans ce cas, ils sont sacrément absents de ton récit).

« Sa teinte rougeâtre ne laissait planer aucun doute sur la nature de sa dernière mission. »
J’espère que tu ne sous-entends pas qu’il y a du sang sur la lame car sinon, c’est grave. Aioros est censé être un soldat d’élite. Or le sang, c’est acide. Ça attaque l’acier, détruisant les lames. Donc, un combattant nettoie sa lame au plus vite après qu’elle ait été en contact avec du sang. Qu’il puisse encore y en avoir dénote un sacré laisser aller assez peu compatible avec son rang.

« Aioros espéra que Lucas se maitrise suffisamment pour qu’il n’ait pas à le blesser par erreur. La dernière des choses qu’il lui manquait, c’était un sermon de leur père sur le sujet. »
Sermon totalement mérité : « Oh pardon, papa, oui, j’ai tué mon frère, ton fils, mais c’était censé être juste une joute amicale ». Ben dans ce cas, pas avec de vraies armes quoi…
Notsil
Posté le 13/06/2023
Coucou !

Tu as totalement raison sur le point de vue et je n'avais pas vu que je n'avais pas mis à jour ici alors que c'est le cas sur mon doc de travail. Vrai qu'au départ je voulais seulement avoir le point de vue de Lucas et au final j'en ai quelques-uns qui se glissent çà et là... mieux délimités normalement, je vais MAJ ici. Comme toi je mets des séparateurs et/ou j'indique avec le prénom du perso en début de chapitre pour savoir dans quelle tête on est.
Je vais peut-être tester de me faire un doc avec juste les PDV de Lucas et voir si ça se lit bien malgré les trous, aussi.

La lame est rouge parce qu'elle est en Ilik, un cristal plutôt jaune pâle mais qui devient rouge si tu blesses quelqu'un avec et dont la couleur s'affadit pour revenir vers le jaune. Après, si je le précisais au moins une fois dans le texte, ça serait mieux, aussi ^^

Le sermon c'était plutôt au cas où il le blesse mais d'un autre côté, quand on se bat même amicalement, on gagne au moins des bleus...

Et oui pour les serviteurs, sans compter les gardes, il faut que j'en parle un peu plus :) Ou alors pour Lucas ils font tellement partis du paysage qu'il ne les voit plus ? ^^

Merci de tes retours en tout cas, ça va m'aider pour retravailler tout ça (et me faire un objectif pour le camp Nano de juillet ^^).
Lohiel
Posté le 15/05/2021
Ah, sympa la fin sur ce petit mystère dont on a déjà entendu parler.
Qu'est-ce qu'on cache donc à Lucas, bon sang ? Rien de mieux pour faire monter la tension.

Sinon, tu galopes un peu, là, ma belle... alors que tu tiens un bon sujet - et que tu maîtrises ton outil.

Un roman, c'est un marathon, pas un sprint. Je chausse mes lunettes de casse-pieds pour te rappeler le principe :
l'insertion de notations / rapides descriptions permet au lecteur de se créer une image mentale et donc de s'ancrer dans le récit. De le vivre.

Bien sûr, il ne faut pas l'accabler de détails et de circonlocutions interminables (sauf si tu es payée à la ligne, comme Balzac 😁, CQFD) mais dans une scène, certaines peuvent en plus créer une ambiance qui renforce le propos :
🔹 déplacements des personnages (souvent l'occasion de "penser", pratique !)
🔹 quel temps fait-il ? (peut renforcer ou contraster avec l'ambiance recherchée... sans tomber dans le syndrome "dark and stormy night" bien sûr 😉)
🔹 comment est la lumière / l'obscurité ?
🔹 est-ce qu'il y a des odeurs ?
🔹 des bruits de fond ?
🔹 et bien sûr, les bruits liés à l'événement en cours ?
🔹 quel est le décor de la pièce ?
🔹 comment est ce bâtiment ?
🔹 à quoi ressemble cette ville ? cette campagne ?
🔹 parfois : vêtements des personnages ? (permet de mieux les comprendre)
🔹 composition du repas (j'adorais les descriptions de cuisine italienne dans les polars de Patricia Cornwell, quand l'héroïne se retrouvait chez elle, le soir, après une autre journée épouvantable... c'était un intermède délicieux)
🔹 etc, etc, bref : tout détail externe significatif OU produisant un "effet de réel" (◀️ voir définition Wikipédia)
Même si elles sont sommaires, les notations ne font pas partie du superflu. Etre "à l'os", ça n'est pas la même chose qu'un "texte fil de fer".

Bisou, à bientôt 💖
Notsil
Posté le 15/05/2021
Coucou !

Ah ah oui merci, les descriptions parfois je m'y plonge parfois... je les zappe :) Les fringues, ouais, je les décris trop peu déjà, parce que bizarrement je les visualise pas trop (c'est pas faute d'avoir un mur pinterest avec ça pourtant !).

Bon, je note d'étoffer. Merci ! 😊

Lohiel
Posté le 15/05/2021
Je suis partie pour te faire bosser, hein, désolée 😁 (eh oui, c'est ma passion secrète d'embêter les auteurs... c'est tellement plus facile d'analyser quand c'est les textes des autres 🤭)
Notsil
Posté le 15/05/2021
Ah mais clairement pas de souci, ça m'aide ! C'est des choses que je prends en compte pour mes en-cours, et que je note pour la grosse correction qui attend ce texte :p
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