Chapitre 5 - Conséquences

Visiblement, sa Maison était bien plus connue qu’elle ne le pensait. Elle se retourna pour constater l’effet de cette information sur les trois hommes. Leur béatitude fit alors place à une idolâtrie intense.

- Vous êtes donc venue nous délivrer du mal ! s’écria Mirel. 

L’autre, lui, semblait avoir perdu toute prise avec la réalité.

- Un ange ! Un ange ! 

Bubbline n’était jamais sortie de son royaume. Son pèlerinage d’amour, telle était la façon dont elle nommait sa pérégrination impromptue, l’avait menée vers une contrée éloignée et inconnue à ses yeux. Elle était donc à mille lieux de savoir que sa famille avait une réputation au-delà de leurs propres terres. Hélas, ces réactions surprenantes s'accompagnaient aussi d’une grande amertume en la personne de Thomas. 

- J’aurais dû m’en douter. Il n’y a que les nobles de ton espèce pour avoir la prétention de faire le bien. 

La biche prise au piège des loups n’avait plus rien d’une victime. Thomas lui faisait face et fixait ses yeux comme s’il était prêt à les lui arracher d’un moment à l’autre. Jamais elle n’avait pensé inspirer cette émotion répugnante : la haine. Le regard de cet homme lui faisait perdre sa contenance. Elle qui s’était toujours forcée à afficher un sourire étincelant en toute circonstance n’y parvenait que difficilement. À la place, ses lèvres tremblaient légèrement. 

- Mais, je… À peine eut-elle le temps de s’expliquer que Thomas reprit la parole.

- Tu viens redorer leur blason, et tu aurais voulu que je cours vers la ville pour vanter les exploits des Rosvaren. Je vois clair dans ton jeu… Et dans celui de ces deux troubadours sûrement grassement payés par ta famille. fit-il, en lançant un regard méprisant aux deux bandits à genoux. 

- Il y a méprise, je n’ai pas été envoyée pour redorer le blason de ma famille. 

Il était difficile d'imaginer qu’une peau aussi pâle puisse le devenir davantage. Pourtant, Bubbline semblait être vidée de tout son sang. Figée par l’effroi, elle ne comprenait pas comment un simple regard pouvait lui permettre de tirer de telles conclusions. 

- Je vais contrecarrer tes plans, la rose. Tout le monde saura quelle méthode vous utilisez ! lui répondit-il en s'éloignant vers la route boueuse. 

Elle n’avait aucune idée à quel point sa Maison avait une réputation aussi exécrable. Comment semer l’amour avec un regard qui récoltait la haine ? Difficile de les cacher sans se priver de la vue… Bubbline n’avait pas le choix, elle devait assumer ses décisions. Assumer ses actions, aussi maladroites puissent-elles être. Assumer son héritage familial. Assumer d’exister. 

Sur cette décision, elle leva lentement le bras en direction de Thomas. Ferma les yeux. Inspira profondément. Sous les yeux ébahis de Mirel et Roffin, une grosse bulle apparut devant les doigts fins de Bubbline. 

- Je suis désolée. chuchota-t-elle

En un clin d'œil, l’unique bulle de taille anormale se dirigea vers Thomas. Déformée au contact de l’air, elle était bien plus menaçante que ses petites sœurs. Sans un bruit, elle éclata au contact du dos de sa cible. Il s’immobilisa et un long silence s’installa. 

- Gente dame aux pouvoirs divins, voulez-vous que nous nous occupions de lui ? 

- Non, Mirel. Laissons-le et partons en ville avant que votre docilité ne se dissipe. Passez devant. 

Ses compagnons asservis ne discutèrent pas et regagnèrent la route sans prononcer un mot. Toujours sous l’effet de la myriade de bulles, ils n’avaient même pas eu un regard curieux envers Thomas qu’ils venaient de dépasser. 

Bubbline se laissa quelques secondes pour reprendre ses esprits. Elle aurait voulu que les choses se passent différemment. Au moins, aucune taverne n’avait brûlé, et il n’y avait eu aucun mort. Après un long soupir, elle se mit en marche pour arriver à côté de Thomas. Ce dernier avait les yeux vitreux et marmonnait des phrases incompréhensibles. Seuls quelques mots sortaient ponctuellement, tel que “papa” ou “non !”. Elle lui posa une main sur l’épaule, le regarda dans les yeux. “

- J’espère que ce souvenir n’est pas trop douloureux.  Nous nous reverrons en ville !

Elle le contempla quelques secondes, culpabilisant de l'avoir laissé revivre peut-être les pires instants de sa vie. Décidément, Thomas n’avait pas eu de chance en cette belle journée ensoleillée.  Il resta figé, le regard perdu quelque part entre le présent et un passé qu’elle ne connaissait pas. Même si elle n’osait imaginer ce que cette pauvre âme pouvait ressentir, Bubbline ne pouvait se laisser abattre. D’autres épreuves plus importantes l’attendaient.