Chapitre 5 - Douceurs et confettis

Il y a encore soixante-douze heures qui me séparent de son regard. Me fais-je des idées ? Devrais-je me calmer, arroser de tempérance mon excès d'espérance ?

 

Le fond de l'air porte jusqu'à mon nez l'odeur de mon dîner préparé en solitaire. Ma taie d'oreiller a imprimée la marque de ma nuque sans être bousculée depuis longtemps. Je me remémore son sourire et dehors, à la fenêtre, je sens sa présence. Dans ma peau, en mon for intérieur je rappelle à moi nos moments complices.

 

Darshan cavale sur le marché d'Aluva avec Jivan sur ses talons. Chacun vaque à ses occupation sans prêter attention au phénomène qui se tient à côté d'eux. Le guilleret soupirant présente de splendides fossettes aux marchands en leur détaillant sa commande. Darshan fait l'acquisition des thés les plus délicats, de curcuma, d'encens, de jarres et de tapisseries aux couleurs chatoyantes. Le soleil d'orient les baignent d'une chaleur qui agrémente leurs rencontres, mais quelques pas en arrière, Jivan s'essouffle.

 

 

 

 - Lève le pied, je te prie. J'entends que tu sois saisi d'une fougue irrépressible, mais je n'ai pas tes jambes ni tes genoux, lance Jivan en s'appuyant sur l'étal de fruits à sa porté.

 

 - Je ne puis calmer mes ardeurs, nous sommes à l'aube d'un monde nouveau qui se verrait doté d'une boussole. Julie est mon nord, mon étoile du matin et moi, pauvre fou perdu sur l'océan, je lui tends de fades possessions matérielles sur l'autel du grand, du beau, de l'authentique affection.

 

 - Oui... Oui... Tu... Elle... s'essouffle Jivan.

 

 - Elle, dis-tu ? « Elle » est un pronom trop commun pour celle qui anime mes nuits. Celle qui emporte la vacuité du monde et la remet à sa place dans la boîte de pandore par sa simple présence ne pourrait se contenter d'être désignée de la sorte. Je vois néanmoins la divine créature autour de laquelle tu veux discutailler.

 

 

 

-Je te laisse discutailler, tergiverser et palabrer à loisir, pour ma part j'aurais aimé simplement savoir où tu comptais accueillir ta dulcinée ? Le toit du monde est celui de ta maison comme le content les chansons et légendes, mais je doute que tu souhaites la recevoir à la belle étoile.

 

 - Pour ne rien te cacher tout est finement programmé, je n'ai point laissé le soin à mon père de jouer aux dés, répond malicieusement Darshan.

 

 - Ceci change des précédentes conquêtes pour lesquelles tes égards se limitaient à leur présenter ta personne.

 

 - Tu ne suis rien, ce n'est pas une conquête dont il est question, tu parles de ma belle. Permets-moi de te conter ce qui l'attend. Elle va passer la porte marbrée d'une splendide demeure du quartier Foch dont la façade a la couleur du lait pour pénétrer dans une maison de maître du Triangle d'or à proximité de l'Élysée et de la Seine.

 

 

 

 - Je ne te demande pas où tu as trouvé cette merveille, souffle Jivan d'un ton péremptoire.

 

 - Tu devrais pourtant, il s'agit de la demeure d'un artiste peintre en vue qui ne passe que rarement à son pied à terre parisien. Il a bon goût en ce qui concerne la décoration, ses bibelots mêlés à ses chiffons rendent du plus bel effet.

 

Jivan lève les yeux au ciel comme s'il y cherchait un secours, puis ils poursuivent ensemble les emplettes nécessaires à l'événement. Darshan surexcité s'enthousiasme pour un paquet de confettis qui rejoint promptement ses fournitures.

 

 

Allongée sur son lit, Julie navigue sur son téléphone, elle se perd dans ses photos qui mêlent la légèreté et la maladresse d'un duo d'hurluberlus qui se bousculent naïvement. Darshan grimaçant, surpris par des bonbons piquants est plaisant à regarder. Il découvre la chimie de ces petites sphères bariolées et sucrée, il côtoie sur le cliché voisin Darshan qui patine avec grâce et fend la glace avec vélocité. Darshan et Julie qui partagent un croque-monsieur ont fière allure, l'une dans sa tenue d'hiver tandis que Darshan arbore son gilet jaune qu'il ne quitte pas. L'angle du téléphone les rapetisse et met en valeur le regard couleur terre qui perce les lunettes du révolu don Juan. Des lunettes avec lesquelles il se montre bien coquet, elles changent assez régulièrement, remarque Julie en parcourant les photos. Sur l'une d'entre elles, Darshan est représenté face à un chevalet le long de la Seine, il peint en pleine rue pourvu de ses petits tubes qu'il a apportés pour l'occasion. Plus loin dans la galerie du téléphone, une vidéo montre Darshan chanter à contre jour de la lune une ballade romantique en italien.

 

 

 

Julie rougit, elle revoit tous les regards qui étaient portés sur eux. Elle tenait péniblement son téléphone pour filmer la scène. Malgré l'heure, les passants se rassemblaient, se fondre dans la foule était son souhait, mais il marchait, il s'avançait vers elle en déclamant ses vers sans qu'aucun regard ne l'atteigne dans sa démonstration vocale.

 

Il est incroyable. Pourquoi tu ne trouves pas de garçons normaux hein ? Juste un peu plus commun ce serait parfait, pouvoir sortir simplement ce n'est pas trop demander ?

 

 

 

L'air électrique d'une mélodie trotte dans la tête de Julie. Une rythmique légère, un chant interprétable par des onomatopées battues par un pied leste. Difficile de distinguer les moments qu'elle a préférés, lesquels chérir, cultiver en son sein à l'abri de l'érosion du temps.

 

La fille que tu étais n'a-t-elle pas toujours voulu un amour exceptionnel au risque d'être déçue ? Oui c'est vrai, j'ai toujours rêvé de lui. Le voir et me tenir à son bras me dépasse, mais je dois être honnête avec moi-même. Je l'aime et je vais lui dire.

 

La foudre est une caresse qui soulage Julie de sa détresse, de l'incertitude cruelle. Le bourdonnement qu'elle avait dans un coin de la tête s'est mué en clairon clair et limpide. Une flopée de caresses flattent son palpitant qui n'aspire qu'a quitter l'arythmie d'une vie suffisante. Il choisit la synchronie d'une dépendance à deux. Devenir la locomotive de l'autre et ensemble tirer le wagon de l'amour, c'est là le souhait porté à la lune, témoin de leur amour que brandit Julie.

 

Elle se lève, s'habille, rejoint la rue et part en direction de la pâtisserie. La rue se fait floue, Julie ne voit que les mets qu'elle pourrait choisir comme autant de bouteilles qu'elle pourrait jeter à la mer emplies de messages répondant au langage bien particulier propre aux affects de l'âme. Quel serait son meilleur ambassadeur ? L'éclair a-t-il la carrure de porter ses sentiments : quel devrait-être son parfum ? Le chocolat, le café sont-ils des arômes dignes de l'amour ? Il faut peut-être chercher du côté d'autres rivages pour trouver un digne représentant. Un baba au rhum et son parfum d'Antilles seraient plus à même de faire chavirer son c?ur ?

 

 

Julie s'égare dans ses songes. Son imagination l'amène à considérer au travers d'une vitrine embuée un cercle rouge de framboises cerclé de boudoirs. À sa surface se perdent trois feuilles de sucres, et sur elles perle une fine condensation due à l'espace réfrigéré.

Les sentiments de Julie se voient trouver leur habit de soirée. Cette Charlotte sera leur étendard, la matérialisation de leurs aspirations.

Julie repart avec son ticket, la pâtisserie qui sera sienne verra lejour dans la nuit précédant son rendez-vous. Elle l'attendra, sans quoi elle nese sentirait pas pleinement pourvue pour aller à la rencontre de son aimé. Ellele récupérera à onze heures et son rendez-vous est à treize heure.

 

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