Les zefs s’enchaînèrent pour Ien, dans la Songerie. Tous les proches, il passait des constellations entières à décrire les lieux, puis toujours la même question sur les lèvres de Jessamyn : « Que sais-tu de ta guilde Ien ? Que sais-tu des Tisseurs ? ».
Quand, le deuxième zef, elle l’interrogea, il parla des voyages qu'entreprenaient les Tisseurs pour créer des rêves inédits, voyageant au gré des vents à travers tout Sioltà. Il fut cependant congédié de la même manière. Au troisième zef, Ien, agacé, choisit de répéter son récit de la veille. Il n'eut pas plus accès à la Bibliothèque des rêves, et quand sa maistre lui donna congé, il lut sur ses doigts pâles une certaine déception. Cette fin de zef-là, Ien la passa à étudier dans les livres tout ce qu'il pouvait trouver sur la fondation de la Guilde. Il fut étonné d'apprendre qu'elle était à l'origine composée de conteurs itinérants. Ce n'est que bien plus tard que la Guilde avait commencé à utiliser l’exhalt, se fermant définitivement aux Ogaris et aux Îliens. Mais cela ne suffit pas à Jessamyn, qui, dans un frôlement de bienveillance, le renvoya à son étude.
Il consacra intégralement son cinquième zef à l’exhalt, cette substance qui fait la particularité des Kamirs. Il parla de sa sécrétion sur la peau des gens de son peuple qui leur donnait ce teint laiteux si reconnaissable. Il expliqua comment un simple contact avec l’exhalt d'un Kamir permettait de connaître ses états d'âme, et il lui raconta comment lui même réussissait à transmettre ses émotions. Mais encore une fois, Jessamyn lui fit signe de repartir. De zef en zef, Ien étudiait plus dur, il explorait des étages de plus en plus profonds dans la Bibliothèque. Il découvrait de sombres histoires d’Ogaris drogués à l’exhalt et de Guerre des Songes, il lut les descriptions détaillées des mille et un rêves créés par une femme pour se protéger de son mari jaloux, il chercha à retenir les noms de tous les hommes et toutes les femmes qui s’étaient succédés à la tête de la Guilde. Mais chaque zef, d’un signe de la main, Jessamyn le renvoyait à ses livres
Il fallut à l’élève une soufflante entière avant de comprendre enfin le but de ces exercices. Quand Jessamyn demanda à Ien de décrire une nouvelle fois la Songerie, le jeune Kamir réalisa qu’il n’avait même plus besoin de la regarder pour en citer les moindres détails. Les jeux d’ombre et de lumière, les couleurs de la pierre, chaque aspérité dans les étagères de bois. Plus étrange encore, il pouvait retracer les moindres allées-venues dans la bibliothèque des Songes. C’est à ce moment là qu’Ien sentit que quelque chose n’allait pas. Au cours du zef, Ien guetta le passage des Tisseurs. Un après la constellation de l’Aonyx, deux entre le Ruban et le Jouy, un dernier quand l’Aiguille arriva au Zéphyr. Comme le zef précédent, et ceux qui le précédaient encore. Comme le premier zef où il était arrivé, inquiet et impressionné dans les tréfonds de la Bibliothèque. La Songerie n’avait jamais changé.
Luttant contre fébrilité qui le traversait tout entier, le Kamir patienta jusqu’à la fin de ses leçons. Vint le temps de la question. Il répondit avec empressement, récitant un passage appris par cœur d’un récit sur Mirzhel, la plus grande Tisseuse que la guilde ait connue. Comme il s’y attendait, Jessamyn le congédia. L’ordre des choses ne se rompt pas aisément. Ignorant l’ordre intimé, Ien ne se dirigea pas vers la cage d’ascenseur. Il resta debout, face à sa maistre et, plongeant ses yeux clair dans son regard d’eau, lui saisit les mains.
« La Songerie ne ressemble qu’à ce qu’elle contient, n’est-ce pas ? »
Il n’eut pas de réponse, à vrai dire il n’en attendait pas vraiment. L’exhalt sous ses doigts parlait à la place de sa maistre.
« Des milliers de Rêves concentrés dans un même lieu on forcément un impact sur les mur qui les contiennent. »
Sur la peau contre la sienne, il sentit de la fierté mêlée à de la curiosité.
« La vapeur de Songes sortie de vos alambics s’échappent par instant et imprègne tout objet présent. Où que je pose les yeux ou la main, quelqu’odeur que je hume, quelque bruit de verre qui tinte. Tout à mes sens n’est qu’illusion. »
Une explosion de joie et de compréhension jaillit de son être en une magnifique aura exhaltée. L’espace d’un instant, Ien sembla briller.
Puis soudainement plus rien. Ien retira prestement ses mains et se redressa.
« Toi aussi peut-être n’es-tu qu’un Rêve. Quand tout cela a-t-il commencé ? »
Un Rêve, tout ceci n’était qu’un Rêve. Il fit un pas à reculons et, tandis que panique arrivait à son derme, il perdit connaissance.
Lorsqu’Ien se réveilla, il était installé dans un lit confortable et inconnu. Il se redressa et regarda le cadran de sa montre : il s’était écoulé moins d’une constellation. Dans un coin de la pièce, Jessamyn se leva et s’approcha de son élève.
« Il semblerait que je te doive quelques explications… »
Ien eut un geste de recul devant la main tendue de sa maistre. S’il n’était pas encore dans un Rêve, il voulait éviter d’y replonger.
« Je voudrais tout d’abord te féliciter. La Songerie que tu as visité ces derniers jours était bel et bien un Songe, assez réussi je dois dire, Jessamyn marqua une pause pensive et reprit, cependant tu as tort sur certains points. Ton Rêve n’était pas dû aux effluves de Songes échappé des flacons, mais à l’application intentionnelle de quelques gouttes de la solution sur le bouton de l’ascenseur menant ici. Cette Songerie a été créée par Sil, ma maistre, sans quoi je n’aurai pas pu pénétrer dans le Rêve. Car, tu l’auras compris je l’espère, je suis moi-même bien réelle. »
Ce coup-ci, Ien ne retira pas ses doigts lorsque Jessamyn vint le frôler de sérénité et d’amusement.
« Je te dois certainement des excuses, Ien. Si tu les acceptes et si tu veux toujours continuer ton apprentissage, je te souhaite la bienvenue parmi les Tisseurs. »
La Kamire se leva et, dans un froissement de tissus, quitta la petite pièce, laissant sur un guéridon un ruban de couleur violette. Ien attrapa le passement brillant qui entre ses doigt s’imprégna de contentement et reposa sa tête sur l’oreiller de plume. Il se leva bientôt, serrant dans son point l’attribut de sa guilde.
Sortant de la petite chambre, il arriva dans un couloir où l’attendait Jessamyn. Elle lui frôla le coude, transmettant à sa peau joie, soulagement et un soupçon de culpabilité et lui indiqua une porte. Elle était magnifiquement ouvragée. Des entrelacs de bois sombre encadraient une fiole, sculptée en bas relief par un maître en la matière. Ien poussa la porte, fit quelques pas et s’arrêta subjugué. En retrait, il entendit murmurer sa maistre : « J’ai pensé que tu aimerais voir la Songerie avant de rentrer. »
Honnêtement, de ces cinqs chapitres que j'ai lu, je trouve que le rythme est bien choisi. Le fait de ne pas le faire trop concentre le récit, de la même manière que l'exahlt possède une concentration donné.
Pour le moment, il n'y a pas d'action, mais cette petite surprise et coup de maître de ta part permet de conserver l'intérêt du lecteur, et ça c'est un gros plus !
Il y aura un peu plus d'action du côté de Nathiel dans les prochains chapitres, mais c'est un roman qui va rester assez calme. J'espère réussir à garder quand même l'intérêt des lecteurs !
Merci de ta lecture Xendor !