Chapitre 5 : Le banquet

Par Bleiz
Notes de l’auteur : Bonne lecture

Les Serza s’étaient surpassés. Illuminée par deux rangées de flambeaux, la villa ouvrait sa gueule comme celle d’un fauve : un longue langue de velours rouge était déroulée jusqu’aux grilles de fer qui bordaient le domaine. Les invités s’y avançaient dans un murmure de satin. Par moments, le vent déposait des pétales de jasmin sous leurs pieds. Chidera en récupéra une sur le dos de sa main : elle s’en alla aussi rapidement qu’elle était venue.

Deux pas derrière sa mère, la jeune femme pouvait observer tout son saoul. Elle nota entre autres, non sans une pointe de frustration, que les Ruzdorn avaient été plus rapides qu’eux : leur chef de famille plaisantait bruyamment avec l’ambassadeur et son entourage. 

Le pan de sa robe bruissait doucement contre le tapis. La longue étoffe bleu ciel était drapée autour de sa taille, venant enserrer son épaule gauche grâce à une broche en forme de lune. Ses servantes avaient piqué son épaisse chevelure de minuscules épingles en forme d’étoiles. Ainsi parée, Chidera faisait écho à la tenue de sa mère : les bras de celle-ci étaient parsemés d’astres argentés, peints à même la peau, contrastant avec le bleu nuit qui tombait le long de son dos. Arrivées dans le hall, faussement absorbée par les tapisseries écarlates qui recouvraient les murs, Léonide Volindra dit à sa fille :

—Ils n’ont pas fait les choses à moitié… Je croyais que c’était censé être un petit banquet.

—Je ne savais pas qu’une telle chose existait, murmura Chidera.

Léonide claqua la langue, sans pouvoir toutefois s’empêcher de lui jeter un regard amusé. Chidera haussa les sourcils avec innocence avant de lui emboiter le pas. Des danseurs masqués rôdaient dans le couloir, menant les invités ébahis jusqu’à la grande salle. Ils tournaient mollement autour d’eux, cachés sous des effigies de lièvres ou de diables fleuris. Mais leurs yeux bien humains perçaient l’argile peint. L’un d’entre eux se glissa jusqu’aux Volindra. Il se fendit d’une profonde révérence. Chidera se prêta au jeu. Pinçant le pli de sa robe, elle plia le genou. Alors le danseur, se frappa le cœur et tomba à la renverse, au plus grand plaisir des convives. Il arracha un bourgeon en papier mâché de son corset et le lui tendit, avant de s’enfuir en une pirouette. La jeune femme le glissa dans sa manche.

—Viens, Chidera, l’appela sa mère. Il est temps.

 La salle de bal les attendait. Au centre de la pièce, face aux tables abondamment fournies, jouaient la lyre et le tambour. Le hautbois et la syrinx rejoignirent leur chœur. Le sieur Serza les conduisit à leurs places. Le banquet pouvait commencer. 

Par calcul politique ou simple malchance, Chidera se trouvait placée à côté du sieur Bellerezh, encore vêtu de velours malgré la chaleur, et à sa gauche s’installait la jeune épouse du troisième fils Serza. Sa mère avait été assise à côté de l’ambassadeur, à la table principale. Au moins celle-ci ne s’ennuierait pas. Sauf si leur hôte monopolisait l’invité d’honneur toute la nuit :

—M. l’ambassadeur, vous devez absolument goûtez ceci, dit-il en désignant un plat fumant. Vous ne trouverez pas de meilleurs anchois !

Le brouhaha des conversations s’éleva petit à petit. Chidera fut dûment mise au courant des dernières péripéties des enfants Serza et de l’envolée du prix du grain. Entre deux bouchées de viande à moelle, Chidera se trouva à parler de la musique, d’étoffes, de ses lectures. La poésie intéressait Bellerezh. Ce petit homme nerveux se lança alors dans un long discours, entrecoupé d’explications étymologiques dont elle finit par perdre le compte. Il était si absorbé par ses explications qu’il en oubliait d’aborder le léger dédain qui ne l’avait pas quitté jusqu’ici. Chidera l’écoutait d’une oreille, en faisant signe à un valet de remplir son verre.

Les plats s’enchaînaient. La jeune Volindra était partagée entre son admiration pour l’endurance des cuisines des Serza, et une exaspération grandissant à chaque nouveau bouillon et entremets. Il fallait qu’elle se rende à l’évidence : rien d’intéressant ne serait dit ou fait ce soir. Quoiqu’en entendant le rire sucré de Séléné, à la table en face de la sienne, peut-être était-elle la seule à s’ennuyer.

La fille Bellusuk était pendue aux lèvres d’un jeune homme brun, que Chidera finit par reconnaître comme le fils de l’ambassadeur. Son nom finit par lui revenir : Alistair. Il avait troqué sa tenue continentale pour une chemise galatéenne plus légère, aux col et aux poignets brodés de pissenlits. Chidera manqua de lever les yeux au ciel. Comme si une fleur jaune pouvait en remplacer une autre ! Tout en gardant son regard sur son voisin de table qui n’en finissait pas de parler ni de boire, elle chercha à saisir ne serait-ce qu’un mot de leur conversation. En vain : la musique, les bavardages assourdissaient ses efforts. Au moins lui restait-il le spectacle qu’ils offraient. À chaque fois que le jeune homme s’interrompait pour reprendre son souffle, Séléné riait à gorge déployée. Sa coiffure, un savant assemblage de chignons, menaçait de s’effondrer à chaque hochement de tête, chacun plus vigoureux que le précédent. Chidera regardait la structure capillaire vaciller avec intérêt quand son regard croisa celui du jeune Duad-Govel. Il sourit à demi, sans cesser de parler, et la salua d’un bref signe de tête. Elle fit de même. Il avait l’air de s’amuser. Était-il si satisfait de ce qu’il racontait ? Ou peut-être l’avait-il vu essayer de les écouter. Le rouge lui monta aux joues. Elle se détourna aussitôt pour dire à son voisin de table : 

—Vous disiez être spécialiste des légendes des Landes, n’est-ce pas ?

L’homme écarquilla les yeux et se dépêcha de finir son verre. La bouche encore rouge, il se pencha vers elle avec empressement :

—Mais tout à fait, demoiselle Volindra. D’ailleurs, je suis actuellement en pleine recherche-

—Ah, celle-là, il faut que tout le monde l’entende ! rugit soudainement l’ambassadeur.

Les conversations s’arrêtèrent. La lyre pinça une dernière corde. Le comte Duad-Govel se leva de sa chaise. Bras étendus, regardant tour à tour les invités, il dit :

—Mes chers amis, permettez-moi de vous interrompre. Je me dois de vous raconter une histoire incroyable qui m’est parvenue peu avant notre départ pour Galatéa. Croyez-moi : elle en vaut la peine.

Tous le regardaient. Il s’éclaircit la gorge et commença :

—Vous n’êtes pas sans savoir que la belle capitale de l’Empire, notre bonne Kalon, est à la croisée de trois fleuves…

Les sourcils froncés de plusieurs convives tendaient à dire le contraire.

—Il n’y a pas un jour où un bateau ne vienne livrer sa cargaison. Vous imaginez un peu le nombre de marins en vadrouille dans la ville ! Eh bien j’en ai rencontré un, un vieil ami à moi, qui a décidé d’arpenter les quatre océans dès qu’il est devenu un homme. Cela faisait des années que je ne l’avais pas vu. Dès que j’ai eu vent de sa venue, j’ai envoyé un valet pour l’inviter à dîner le soir même. Tout était prêt et à vingt heures, le voilà. Je m’en vais le serrer dans mes bras ; il me rend faiblement mon étreinte. Je m’écarte, je l’observe. Quel visage changé je lui trouve ! Il faisait vingt ans de plus que son âge. Ses joues étaient creusées, ses boucles grises cachaient tant bien que mal la pâleur de son visage. Surtout, ce fut ses yeux hagards qui me frappèrent. On aurait dit un fantôme. Je lui en dis autant et il me répond : « Ah, Brewenn, mon ami, tu n’as pas idée des choses que j’ai vues. Mon dernier voyage a manqué de me tuer. » Je croyais tout d’abord qu’il parlait de la mer – vous autres Galatéens êtes bien placés pour savoir à quelle point elle est dangereuse…

Son public acquiesça avec force murmures et hochements de tête.

—Mais il ne s’agissait pas de cela. Ce n’est qu’après manger qu’il me révéla la vérité. En revenant d’une excursion le long des côtes d’Atern, il dût faire halte dans un port du milieu de l’Empire. Une fois amarrés, il en profita pour visiter ce qui paraissait de prime abord comme une ville charmante, bordée d’une forêt. 

L’expression de l’ambassadeur se fit plus grave. Les convives se penchèrent vers lui.

—Un soir, porté par la curiosité, il décida d’aller voir de plus près ces bois mystérieux. Pourtant, le village l’avait prévenu ! La forêt n’était pas sûre. Cela faisait des siècles que des gens y entraient pour ne plus en sortir. Mais mon ami, sûr de sa force et de son courage, rit de ces ragots. Il pénétra dans la forêt. Bien vite, il lui apparut que ces bois étaient bien différents de ceux qu’il connaissait. L’air y était plus lourd. Le ciel, couvert de nuages, menaçait d’orage. Mais il ne prit pas garde à ce que son instinct lui criait. Il s’y enfonça plus profondément. Sa respiration devint ardue, ses gestes plus lents. Tout son être lui criait de sortir de cet étrange enfer. Il s’apprêtait à faire demi-tour quand, enfin, la lune perça l’obscurité. C’est alors qu’il le vit. Là, entre les arbres. Un monstre. Pire qu’un monstre : une chimère !

Des cris retentirent. Chidera fronça les sourcils. Voilà un mot qu’elle avait déjà entendu ailleurs. Mais où ? Fort heureusement, le sieur Bellerezh lui chuchota : 

—Ce sont des créatures de l’ombre, qui changent constamment d’apparence. On dit qu’elles attirent leurs victimes grâce à leurs ruses… avant de les dévorer.

—Vous en avez déjà vu, vous ? murmura Chidera avec un sourire incrédule.

—Non. En revanche, on en entend de plus en plus parler. Mais il faut dire que c’est un folklore très riche, très répandu…

L’ambassadeur poursuivant son récit. Il gesticulait et décrivait d’une voix de stentor :

—Une bête, immense ! Mi-ours, mi-mante religieuse ! L’horrible créature fit claquer ses mandibules en direction de notre marin. Ses yeux globuleux étaient comme deux pierres de charbon lumineux, et son haleine de souffre empestait l’air ! Voilà ce qui l’empêchait de respirer depuis des heures : le souffle empoisonné de la chimère. Sans plus attendre, mon ami tenta de dégainer son sabre. Hélas, il l’avait laissé à l’auberge. Alors il s’enfuit. Courant pour sa vie, sans se retourner de peur de faire face au monstre, il atteignit la lisière tremblant. Arrivé à Kalon, il ne s’en était toujours pas remis. Prenez garde, bonnes gens : qui sait ? Peut-être que les chimères vous attendent, vous aussi…

La salle applaudit avec enthousiasme. Le comte, pas peu fier de son effet, salua les convives trois fois avant de se rasseoir. La jeune Serza, applaudissant à tout rompre, lui dit à l’oreille :

—Et vous, chère Chidera, quelle forme prendrait la chimère pour vous effrayer ?

—Ça dépend. Est-ce qu’elles peuvent se transformer en réunion du Conseil ?

Elles rirent. Les applaudissements finirent par se tarir, et le banquet reprit son cours. Au fil des heures, les rires se firent plus forts et les gestes moins assurés. Chidera, main posée sur sa coupe, écoutait le sieur Bellerezh expliquant sa dernière théorie :

—Le plus important, articula-t-il avec lenteur, c’est de poser les bonnes questions. Parce que vous voyez, Dichera, je veux dire, Chidera, je veux dire, mademoiselle – le sujet des chimères est vaste. Vaste ! Comme… Il leva ses yeux vitreux vers le plafond, puis ouvrit largement les bras : Comme ça !

—Ah oui, quand même.

—Et donc, ce que j’essaie de vous dire, c’est que la naissance des chimères est méchati… Phétachi… Mé-ta-phy-si-que.

—Si les chimères sont mé-ta-phy-si-ques, seigneur Bellerezh, alors l’histoire de l’ambassadeur est fausse, répliqua Chidera en mordant dans une datte. 

—Pas du tout ! s’écria l’homme. Ses joues et son front rouges brillaient dans la lumière des candélabres. Pourquoi faudrait-il que ce qui est né de l’esprit soit faux ? Quelle est la frontière entre la pensée et le réel ? Vous pensez, vous existez ; alors si vous pensez les chimères, pourquoi n’existeraient-elles pas ? C’est logique !

—En effet, c’est implacable, acquiesça la jeune femme en masquant son expression derrière sa manche. Excusez-moi un instant, voulez-vous.

Il agita la tête, sourcils froncés dans une profonde réflexion. Le temps que Chidera se lève de sa chaise, il s’était jeté sur son voisin de droite, au moins aussi ivre que lui. Elle en profita pour s’éclipser.

De hauts chandeliers recouverts de feuilles d’or éclairaient le couloir. Derrière elle, le vacarme de la fête se faisait plus ténu, jusqu’à ce que le claquement de ses sandales couvre la musique et les voix. Des silhouettes se tenaient dans la pénombre. Quand l’une d’elles s’approcha de Chidera, la jeune fille reconnut l’uniforme des serviteurs des Serza. Elle l’arrêta d’un geste ; le valet retourna à l’obscurité. Elle finit par trouver une fenêtre, et s’y accouda. Elle tâta le petit sac qui pendait à sa taille, caché dans un pli de sa robe. Elle en sortit un mouchoir pour éponger son front. Chidera pouvait presque mordre dans l’air tant celui-ci était lourd. L’orage ne tarderait pas à éclater. 

—Demoiselle Volindra ? l’appela une voix étonnée.

Elle jeta un regard par-dessus son épaule. Alistair Duad-Govel se tenait derrière elle. Sa tenue avait étrangement survécu au banquet. Ou peut-être venait-il de la changer : il paraissait neuf, comme sorti d’un écrin. Le blanc de sa chemise, le reflet de la lune sur ses lunettes tranchaient le rouge sombre du couloir. Il n’était pas si grand qu’elle le pensait, remarqua-t-elle. Il devait faire sa taille, à peu près. 

—Monsieur le comte de Baroz, dit-elle en le saluant d’un signe de tête. Ou préférez-vous que je vous appelle Duad-Govel, comme votre père ?

—Appelez-moi par mon prénom, tout simplement.

Chidera esquissa un sourire poli.

—Faites de même, dans ce cas. 

—Chidera, dit-il, l’air penseur. C’est vraiment un joli nom.

—J’espère que la soirée vous plaît, poursuivit-elle comme si de rien n’était. C’est un dîner assez tranquille, somme toute, mais nous pensions que le voyage avait dû être long. C’est bientôt l’heure de s’éclipser et de vous laisser vous reposer, d’ailleurs…

Chidera fit un geste et, aussitôt, un serviteur émergea de la pénombre, s’inclina et s’en fut. Alistair haussa les sourcils :

—Tranquille ? Ne soyez pas si modeste. C’était une excellente soirée, très amusante -même avec les histoires de mon père, c’est dire. Le seul bémol est que je n’ai pas pu vous adresser la parole jusqu’à maintenant.

—J’ose croire que la compagnie de Séléné vous aura satisfait, répondit Chidera en croisant les bras.

Dans l’obscurité, aussi seuls qu’un homme et une femme de leur rang pouvaient l’être, Alistair et Chidera se jaugeaient. Elle sentait la toile qui se formait sous leurs pieds. Elle ne s’était pas trompée : il était plus malin qu’il ne le laissait croire au premier abord, et bien plus curieux. Le secret n’avait pas encore été percé à jour ; si cela avait été le cas, la délégation ne serait pas en train de festoyer et de rire avec eux. Mais le doute était là, bien présent. 

Chidera se ferait un devoir de le tuer dans l’œuf.

Sans le lâcher des yeux, elle pencha légèrement la tête sur le côté. Le sourire d’Alistair tressaillit. 

—Une demoiselle charmante. Cependant, c’est à vous que je souhaitais m’adresser. Je voulais vous demander un service. Il hésita mais Chidera l’encouragea du regard. Vous souvenez-vous de mon intérêt pour Galatéa ?

—Oui, je m’en rappelle, affirma la jeune femme.

—Eh bien, j’ai réfléchi et je suis déterminé à visiter votre cité.

—Une excellente idée.

—Et que vous soyez mon guide.

« Même loin de l’Empire, ils se prennent pour les maîtres du monde, » pensa Chidera avec hargne. Elle se mordit la langue et prit un air pensif. Somme toute, ce n’était pas une si mauvaise idée. La présence de la délégation sur l’île empêchait toute forme de travail politique. Au moins aurait-elle la possibilité de limiter les mouvements de l’ambassadeur et de son fils, en restant aux côtés de ce dernier.

—Fort bien.

—Vraiment ? dit-il, étonné.

—Bien sûr. Je regrette juste de ne pas l’avoir suggéré moi-même. 

Les yeux d’Alistair scintillèrent. Il s’exclama :

—Je vous remercie, sincèrement. 

—Je vous enverrai un message pour vous prévenir de notre première étape, déclara Chidera en s’éloignant du rebord de la fenêtre. 

La silhouette caractéristique de Léonide Volindra se découpait dans la lumière des chandeliers, tout au bout du couloir. Elle crut voir Alistair bouger le bras dans sa direction, mais le coupa :

—Il est l’heure. Je vous souhaite une bonne nuit, Alistair.

—De même, dit-il, mais avant, une dernière requête. 

—Tout ce que vous voulez ! s’exclama Chidera un peu trop vite.

—Je veux payer mes hommages à vos dieux mais, pour bien le faire, j’aurai besoin de votre présence et de votre aide. Ça n’a pas besoin d’être demain, ajouta-t-il en la voyant ouvrir la bouche. Prenez tout le temps qu’il faudra.

Il la salua à la manière des Landes, une petit révérence accompagné d’un mouvement gracieux du bras droit. 

—Bonne nuit, Chidera.

Immobile, muette, la jeune femme le regarda s’éloigner. Elle finit par obéir aux appels de sa mère, et alla la rejoindre. Le trajet jusqu’à la villa Volindra ne lui apporta aucune solution au nid de guêpes dans lequel elle s’était fourrée. 

Les heures s’écoulèrent sans que Chidera ne puisse fermer l’œil. En désespoir de cause, elle se rendit à son bureau. Au moins pouvait-elle profiter du répit que lui offrait le petit matin pour travailler : toute la maisonnée était encore endormie. 

Le lent cliquetis de la grande horloge allait rendre Chidera folle. Elle avait beau essayer, elle ne parvenait pas à passer outre. Cela faisait déjà trois fois qu’elle relisait le même paragraphe, et elle n’en avait retenu aucun mot. Avec un soupir, elle jeta le rapport sur son bureau et laissa sa tête reposer sur le dossier de sa chaise. Peut-être qu’en lisant quelque chose de plus intéressant, la concentration reviendrait. Deux bibliothèques pleines, collées aux murs de son bureau, se tenaient à sa disposition. Lire au lieu de travailler : elle rangea l’idée dans un coin de son esprit pour le jour où elle aurait envie de tuer sa mère. Elle ramassa le document et s’astreignit à lire la page où elle s’était arrêtée. Cinq minutes plus tard, il atterrissait à nouveau sur son bureau. Il manqua cette fois de renverser un pot d’encre. Elle le rattrapa de justesse en jurant. Quoique ce n’eut pas été une grande perte. Les cinq derniers rapports des geôles du temple disaient exactement la même chose : les prisonniers du temple gardaient le silence.

Au début, quelques informations avaient été lâchées. La mort du grand prêtre avait sûrement aidé. Mais les pistes n’avaient mené qu’à des impasses et les bavards ne faisaient pas long feu. Chidera en était donc au même point qu’il y a six mois. À partir de là, à quoi lui servaient les rapports hebdomadaires ? Elle songeait à utiliser celui-ci comme feuilles de brouillon quand on toqua à la porte.

—Entrez, dit-elle après s’être redressée dans son fauteuil.

Un serviteur, portant une chemise blanche dont les manches étaient noires et or, se présenta.

—Mademoiselle, vous m’avez appelé ?

—Oui. Elle prit une petite enveloppe fermée à la cire et la lui tendit. Donne ce message à Ojas, le représentant du Quartier des Cordes. Tu reviendras avec sa réponse.

—Bien, mademoiselle.

Il s’effaça et la porte se referma sans un bruit. 

Ojas ne la refuserait pas. Il viendrait le lendemain, à la première heure, ne serait-ce que pour entendre ce qu’elle avait à dire. Un bon élément, Ojas : dévoué, travailleur et incapable de mentir. Le Conseil pourpre aurait présenté de meilleurs résultats si tous ses membres lui ressemblaient un peu plus. Pas que l’état des représentants ait une quelconque importance à ce moment précis. 

—Foutue délégation et foutu Empire, marmonna la jeune fille en prenant une feuille vierge et une plume.

Elle s’arrêta, plume en l’air, l’encre menaçant de tomber sur le papier blanc. Il fallait désormais gagner du temps. Il était hors de question d’amener Alistair chez les Volindra, ou pire, au temple. Elle s’imagina un instant amenant le fils de l’ambassadeur dans les champs, hors des murs de la ville, et l’y perdre. Mais non : Galatéa avait suffisamment à offrir pour distraire le jeune homme. Elle entreprit alors de rédiger son message, le plia et le scella d’un cachet de cire à ses initiales. Ce n’est qu’une fois que le valet chargé de l’envoyer referma la porte derrière lui, qu’elle s’autorisa à pousser un profond soupir.

—Que Maen me vienne en aide.

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Portequigrince
Posté le 24/08/2024
Re!
J'avoue que les descriptions des vêtements et les affaires de cour m’intéressent moins que celles d'Ojas, mais de toute évidence, elles se rejoindront surement. Ces passages sont à mon sens bien écris cependant.
Par contre, hâte de voir comment Chidera va s'en sortir avec la requête d'Alistair!

Juste un détail, une faute de frappe sans doute :
"En désespoir de son cause, " il me semble que c'est désespoir de cause.

A bientôt pour la suite.
Bleiz
Posté le 25/08/2024
Re !
Effectivement, les deux "fils" de l'histoire ne vont pas tarder à se rejoindre. Merci pour la faute de frappe !

À bientôt :)
Vous lisez