Chapitre 6 : L'appel du devoir

Par Bleiz
Notes de l’auteur : Bonne lecture

—Souhaitez-vous quelque chose à boire, M. Ojas ?

—Non ! Non, merci, je vous remercie.

Le sourire crispé du jeune homme se solidifia en une mimique grimaçante sous le regard perçant du valet. Celui-ci lui jeta un regard circonspect et hocha la tête avant de se retirer, laissant le charpentier seul. 

Debout dans le petit salon de la villa Volindra, les doigts serrés autour de la sangle de sa sacoche, Ojas patientait. Ses yeux passaient des fresques au plafond aux fauteuils délicatement brodés. Il entendait, indistinctement, le cliquetis d’une horloge. C’était un son un peu lointain, qui lui rappelait les lendemains de pluie. Cela lui fit penser à l’orage, puis à la mer, puis à Mirage. Maïa et Jan s’étaient proposés pour veiller sur lui en son absence. Le jeune homme n’avait pas paru enchanté par son idée mais avait finalement cédé. De toute façon, il serait rentré avant le déjeuner, au moins : il faisait nuit quand il était parti. Les nuages se teintaient désormais de rose et d’orange. Mais la beauté du jour, pas plus que celle du salon, ne parvenaient à l’apaiser.

Chidera Volindra ne faisait pas appel aux représentants de quartier. Aucun membre des grandes familles ne l’aurait fait, même les plus investis en politique. Un cordonnier et un haut marchand n’avaient rien à se dire, car ils n’avaient rien en commun. Quand il était plus jeune, Ojas s’était demandé pourquoi : les deux faisaient commerce. Puis le temple était tombé, on l’avait nommé représentant au Conseil pourpre et il avait compris qu’il y avait des gouffres qui ne se franchissaient pas.

Chidera n’était pas une excentrique. Elle ne l’aurait pas non plus dérangé pour son simple plaisir. Donc il devait y avoir une bonne raison. Ojas ignorait simplement laquelle. Il se balançait maintenant d’un pied à l’autre. Les teintures aux murs l’étouffaient lentement. Du coin de l’œil, il vit une des chaises, et s’en rapprocha. Il vérifia une dernière fois qu’il était seul avant de la soulever. Il se tordit le cou pour admirer le pied de la chaise. Laqué, se finissant en une arabesque épaisse, ce devait être du chêne. Il caressa le bois du dos de la main. Le tissu brillait comme neuf, mais il aurait juré que la structure datait de quelques années. Vu le bois, il s’agissait peut-être d’un cadeau de l’Empire. Ojas se demanda si Chidera saurait. Soudain, des bruits de pas retentirent dans le couloir. Il se releva brusquement et son genou se cogna dans l’accoudoir.

—Si vous voulez bien me suivre, Mme Volindra est prête à vous recevoir, déclara le valet en ouvrant grand la porte.

—Très bien, s’empressa de répondre Ojas en se frottant la jambe.

Ils prirent le couloir principal. Ojas, le nez en l’air et la bouche ouverte face aux peintures murales, manqua de perdre son guide plusieurs fois. Le valet l’attendit à chaque tournant. Ojas essayait de se concentrer sur le chemin, ce qui n’était pas une mince affaire. Les couloirs n’en finissaient pas. Mais comment aurait-il pu résister, quand des oliviers poussaient sur la pierre et que des colombes de craie s’envolaient par-dessus sa tête ? Il aurait aimé travailler pour les Volindra, sur un de leurs grands chantiers, ou même pour de petites rénovations. Là, il aurait pu à la fois être ici et à sa place.

Un groupe de servantes les croisèrent, lui jetant un regard avant de s’enfuir en gloussant. Ojas rougit et vérifia qu’il n’avait ni encre ni copeaux sur ses vêtements. Il se demandait s’il n’aurait pas mieux fait de mettre sa tenue habituelle au lieu de sa meilleure chemise, quand le valet s’arrêta. Il frappa à la porte :

—Mademoiselle, M. Ojas est ici.

—Faites-le entrer.

Ojas, penché pour ne pas se cogner au cadre de la porte, pénétra dans le bureau. Il osait à peine lever les yeux ; il se força à se redresser pour faire face à la jeune Volindra. Celle-ci était plongée dans un grand livre de comptes, d’après ce qu’il pouvait en voir. Il serra l’anse de son sac un peu plus fort. 

—Bonjour mad… Chidera. 

La jeune femme lui jeta un coup d’œil et sourit.

—Bonjour Ojas. Installe-toi, je t’en prie. Laisse-nous, dit-elle au serviteur avec un geste de la main.

Le valet acquiesça et prit son congé. Et s’il semblait à Ojas qu’il l’avait jaugé de sous ses paupières tombantes une dernière fois avant de partir, eh bien ce devait être dû à son imagination. Le charpentier prit place sur le fauteuil désigné et le regretta aussitôt. À peine assis qu’il se rappela la fragilité des chaises qu’il avait examinées. Il se tortilla aussi discrètement que possible et finit, bon gré, mal gré, à s’installer sur le coussin de toile brodée. Il posa son sac sur ses genoux et tenta de ne plus bouger. 

Chidera finit par relever la tête. Elle croisa son regard et Ojas se rappela de la première fois où ils s’étaient rencontrés. L’espace d’un instant, la Chidera couverte de cendres remplaça la Chidera immaculée qui lui faisait face.

—Ça fait longtemps, dit-elle en refermant son livre. Comment vas-tu ?

Il haussa les épaules et lâcha, un peu gêné :

—Comme on peut, en ce moment.

La jeune femme acquiesça, l’air grave. Elle demanda :

—Comment se passent les choses, de ton côté ?

—Tout le monde tient sa langue, répondit-il aussitôt. On a bien fêté leur arrivée, on évite autant que possible la délégation… On sait tous ce qu’un faux-pas pourrait nous coûter.

Si ce n’était qu’un point sur la situation des bas quartiers qu’elle voulait, il pouvait le lui donner. L’arrivée des Landais avait dû la perturber. Il repassa en mémoire tout ce qui avait pu se passer, prêt à répondre à ses questions. Mais la jeune femme avait une autre idée en tête :

—J’ai confiance en vous, le coupa-t-elle. Ce n’est pas les Cordes qui m’inquiètent, ni les Tanneurs ou les Fileuses, ou aucun autre de cette partie de la cité.

—Alors pourquoi m’avoir appelé ? demanda Ojas, un peu déçu.

—Parce que ce sont les grandes familles qui me posent problème.

Le jeune homme eut brusquement très chaud, puis très froid. Il vérifia d’un coup d’œil que la fenêtre était bien fermée, puis alla près de la porte : le couloir était désert. Il la referma en murmurant :

—Chidera, qu’est-ce qui se passe ?

—Assied-toi, dit-elle doucement.

Mais Ojas ne l’écoutait plus.

—Non. Tu parlais des… de la situation comme si de rien n’était…

—Je ne prends pas le problème à la légère.

—Qu’est-ce qui se passe ? insista-t-il.

Voyant qu’il n’avait aucune intention de se rasseoir, Chidera se leva et l’invita à la rejoindre près de sa bibliothèque. Le visage toujours figé dans une expression de violente inquiétude, le jeune homme obéit. Chidera lui dit :

—La villa est sûre. Tout le domaine Volindra l’est. La loyauté de nos gens n’est plus à prouver.

Un éclair de remords passa sur le visage d’Ojas, mais Chidera l’empêcha de parler :

—Je comprends ta crainte ; simplement, elle n’a pas sa place ici. En revanche, et sa voix se fit plus basse, certaines familles ne sont pas aussi prudentes.

—Ce n’est pas possible. Galatéa toute entière connaît les risques. Difficile d’oublier ce qui nous attend, insista-t-il.

À un autre moment, Chidera aurait admiré la confiance qu’Ojas leur portait. Cette qualité lui rendait toutefois la tâche quelque peu difficile. Choisissant ses mots avec soin, la Volindra plongea son regard dans celui du charpentier et dit :

—Ils pensent avoir la situation sous contrôle. Ils se trompent. Je m’en occupe. Ojas hocha la tête, sourcils encore froncés. Cependant, ça va me prendre du temps. Et comme le Conseil pourpre ne peut pas se réunir en ce moment…

—Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ? chuchota-t-il.

Chidera sut alors qu’elle faisait le bon choix.

—Le groupe de recherche pour trouver les dieux est au point mort. Même si tout se passe bien avec la délégation, rien ne dit que mon projet sera accepté par le Conseil. Donc on va prendre un peu d’avance.

Elle tira d’une étagère au-dessus d’eux un carnet. Le cuir était abîmé et la tranche maculée de tâches d’encre. Elle le tendit à Ojas qui le prit, émerveillé :

—Il y a un résumé de tout ce que j’ai trouvé jusqu’ici. C’est peu, mais ça te servira de point de départ.

Ces mots arrachèrent Ojas à sa rêverie. 

—Me servir ?

—J’ai besoin de ton aide, Ojas, déclara Chidera. Le feu de ses yeux le brûlait. J’ai besoin que tu sois mes jambes et mes bras.

Le jeune homme, serrant entre ses mains tremblantes le carnet, n’en revenait pas.

—Je ne peux pas, balbutia-t-il. Je ne suis pas à la hauteur.

—Tu es le seul à qui je peux confier cette mission, chuchota Chidera. Je te fais confiance.

—Mais… 

—Est-ce que tu refuses ?

Désespéré, Ojas secoua la tête. Tout allait trop vite. Il n’était que lui. Comment pouvait-il réussir ? Mais la simple idée de dire non à Chidera lui était insupportable.

—J’accepte, murmura-t-il.

Le regard de la jeune femme se fit plus doux. Elle posa sa main sur les siennes qui tenaient encore le carnet.

—Merci. Vraiment.

Il acquiesça avec un sourire hésitant. Chidera, cherchant à croiser son regard, ajouta :

—Il ne s’agit pas de faire de grosse découverte. Pour l’instant, nous devons d’abord reconstituer la chronologie des évènements. Quand les dieux ont disparu, quand le temple s’en est aperçu… On cherchera le « pourquoi » plus tard. Et nous ferons ça ensemble.

—Vous, tu vas travailler avec moi ?

—Évidemment, répondit la jeune Volindra d’un ton presque moqueur. Je vais poursuivre les recherches de mon côté. Tu n’auras qu’à revenir quand tu auras du nouveau. En attendant, lis, et elle lui indiqua un fin canapé face à la cheminée.

—Je ne le garde pas ?

—Si la délégation te repère… La jeune femme soupira. Pas la peine de prendre des risques inutiles. Je dirai à nos gens que tu as accès à mon bureau. Tu pourras venir quand tu voudras.

—Si tu es là, vérifia Ojas, le cœur battant.

—Je te l’ai déjà dit : je te fais confiance. Reste à trouver un prétexte pour tes visites.

—Je pourrais dire que tu m’as embauché, suggéra le charpentier. Pour une extension de l’aile… Il calcula à voix basse. L’aile Est a le plus d’espace libre, ça pourrait marcher.

—Elle est à l’opposé d’ici, rit Chidera. Non, disons plutôt que je veux redécorer mon bureau. Ça ne pourrait pas lui faire de mal d’ailleurs. 

Il parcourut la pièce du regard. Il ne voyait que des meubles élégants et des drapés neufs aux fenêtres. Les tapisseries aux murs affichaient de riches nuances d’argent, d’or et de vermeil sur fond de jais et on pouvait presque voir son reflet dans le parquet. Mais Ojas n’était pas riche et il supposait que cela faisait toute la différence. Il acquiesça donc, puis alla s’asseoir face à la cheminée et se mit à lire.

Au bout d’une heure, il estima avoir retenu le plus important. Il avait bien quelques questions mais Chidera était retournée à ses comptes et n’avait pas relevé la tête une seule fois. Ses doigts filaient sur son abaque, faisant rouler les billes au fur et à mesure des sommes. Une mèche bouclé avait glissé sur son front. Il attendit qu’elle ait tourné la page pour demander :

—Ce sont vraiment les plans du temple ? Je veux dire… Les vrais ? Le quartier des dieux, la coupole, tout ?

—Tout, confirma-t-elle en jouant avec sa plume. Mes gens ont vérifié eux-mêmes. Pareil pour les aveux : personne ne sait quand les dieux sont partis. Ça, ils l’ont tous confirmé. Enfin, ceux sur qui on a pu mettre la main. En revanche, et elle repoussa son livre pour croiser ses bras, il y a un petit détail que le premier prêtre interrogé a donné et dont les autres ont refusé de parler : apparemment, seul le grand prêtre avait le droit d’aller les voir. 

—Plutôt logique, fit Ojas en cherchant le passage mentionné.

—Vrai, concéda-t-elle. Ce serait normal… si le grand prêtre n’avait pas poursuivi ses visites jusqu’au soir même de l’incendie.

Ojas s’arrêta de lire. Chidera, ravie de son effet, esquissa un petit sourire satisfait. 

—Mais les dieux avaient disparu ! Depuis un bout de temps déjà, vu la poussière, s’exclama le jeune homme. Ça n’a aucun sens !

—Pour l’instant, oui. Sauf si nous avons manqué quelque chose dans les chambres… Improbable, mais je ne vois pas d’autre réponse. Tu comprends, maintenant, pourquoi j’ai tant besoin de ton aide ?

Il s’étonnait surtout qu’elle ne lui ait pas demandé avant. Le carnet était mince, et les informations qui s’y trouvaient assez légères, hormis pour la carte détaillée du temple et les confessions du prêtre. Il s’apprêtait à se replonger dans sa lecture quand il lui vint soudain à l’esprit de dire :

—Dis, tu n’aurais pas entendu parler d’un bateau échoué récemment ? Quand elle fit non, il grimaça : Ça ne m’étonne pas. On n’a même pas eu de tempête, récemment…

—Pourquoi ? Vous avez retrouvé quelque chose sur la plage ?

—Pas quelque chose, mais quelqu’un. Un homme, un peu plus jeune que nous… De Ludu, peut-être ? Il a perdu la mémoire, et on se demandait s’il n’était pas tombé à l’eau.

—Le seul bateau débarqué ces derniers jours, c’est celui de l’Empire, dit Chidera. Comment s’appelle-t-il ?

—Mirage ! Enfin, c’est le nom que je lui ai donné. Il ne se rappelait plus du sien. Je te l’ai dit, il a oublié toute sa vie jusque dans les moindres détails.

—Bizarre, murmura la jeune femme tandis qu’Ojas se remettait à lire.

Ojas, les yeux rivés sur le carnet, acquiesça d’un murmure. Tout plutôt que de poursuivre la conversation. 

Il aurait aimé lui parler de Mirage, de son arrivée chez lui, de ses étranges humeurs. Mais que dire de plus qui ne le rende pas suspect ? Installé entre tous ces livres et ces cartes qui jonchaient les tables, Ojas réalisait, peut-être un peu tard, à quel point la situation paraissait suspecte. Il n’était pas naïf : l’apparition d’un homme, alors même que la délégation impériale arrivait, méritait une certaine méfiance. La défiance n’avait pourtant pas de place face à lui. Même Jan avait oublié ses premiers doutes. Il fallait le voir pour le croire. Son innocence était sur son visage. Voilà : il aurait fallu que Chidera le rencontre. Lors d’une de ses prochaines visites, il lui en reparlerait. Chidera accepterait, ne serait-ce que pour confirmer son intuition. En attendant, il garderait le silence. Chidera avait suffisamment de problèmes avec la délégation. Il pourrait toujours lui parler du jeune homme plus tard.

 

Loin de toute préoccupation politique, de l’autre côté de l’île, le jeune homme en question examinait avec attention un long morceau de tissu bleu. Maïa, qui tenait l’autre extrémité, pointa de sa craie les dessins qu’elle venait d’y faire :

—Les tenues galatéennes ont toujours une broderie quelconque, pour raconter une histoire ou pour servir de talisman. Ou simplement parce qu’on trouve ça joli ! Regarde, moi, j’aime beaucoup les figues, donc j’en mets presque partout. Mes sœurs préfèrent les moutons, je ne sais pas pourquoi.

—Parce qu’elles aiment la rendre chèvre, glissa Jan avant de s’esclaffer.

La jeune fille lui jeta un regard noir, mais ne fit rien. Ils étaient en face de la maison d’Ojas, dans la rue, et Maïa ne tenait pas à provoquer un esclandre. Goguenard, assis sur un tronc de bois flottant, à côté d’une pile de tissus de toutes les couleurs, Jan avala un nouveau morceau de calamar séché. Ses mains faisaient et défaisaient un nœud d’attache sur un vieux morceau de ficelle qu’il avait dû trouver dans l’atelier ; ses yeux la défiaient de répondre à sa pique. Tournant ostensiblement le dos au pêcheur, elle poursuivit :

—Qu’est-ce que tu préfèrerais ? Je peux faire des lions, des pieuvres, des lézards...

Le jeune homme, indécis, examina le tissu d’un peu plus près. Maïa insista, tendant l’étoffe pour qu’il voit mieux :

—Tu peux demander ce que tu veux ! N’hésite pas !

Elle pouvait presque sentir le regard désabusé que Jan lui lançait. Mais le concerné ne paraissait y voir que du feu : il hocha la tête, concentré, et Maïa continua de sourire à pleines dents. Jan n’y connaissait rien. Pour réconforter les gens, il valait mieux se montrer chaleureux. Si ça n’avait tenu qu’à lui, il aurait emmené le pauvre garçon dans une taverne et ils y seraient restés l’après-midi, à brailler des chansons paillardes et boire leur poids en vin. Ojas avait eu raison de demander à Maïa de rester auprès d’eux et de prendre soin de son invité – Mirage, se répéta-t-elle, Mirage, un drôle de nom qui avait un goût de sel – tandis qu’il se rendait chez les Volindra. Il la connaissait : il savait d’avance qu’elle ne le décevrait pas.

—Un oiseau, peut-être ? dit soudain Mirage.

—Oui, bien sûr ! s’exclama-t-elle. Quel genre d’oiseau aimerais-tu ?

—Pas courant ça, les oiseaux sur les vêtements, remarqua Jan qui s’était levé pour observer à son tour l’esquisse de tunique. On est plutôt créatures de mer et de terre, par ici.

—Je pensais à une hirondelle. Je crois… Il se balança d’un pied sur l’autre. Je crois que je les aimais bien.

Maïa, ravie, acquiesça. Elle replia le tissu et disparut à l’intérieur de la maison. Jan chuchota d’un air faussement sérieux :

—Elle prend son rôle très à cœur.

—Elle est gentille, dit Mirage.

Déjà son attention s’était tournée vers autre chose. Le pêcheur suivit son regard : ils n’étaient pas si loin du port et, au-dessus des toits de chaume et de paille, les mâts des navires se balançaient au rythme des vagues. 

—À qui appartient ce grand bateau ? demanda la jeune homme. Il a l’air différent des autres.

—Monsieur a l’œil ! C’est que celui-là vient des Landes. Ils ne savent pas faire les bateaux comme nous : toujours des gros machins, pas raffiné du tout. Nos galères sont bien plus fines, plus petites et donc plus rapides. Pourquoi, ça t’intéresse ? 

Mirage, fixant toujours les figures dansantes des navires, ne parut pas remarquer la tension derrière ses mots. Il haussa les épaules :

—Non. Je ne crois pas que j’ai été marin. La mer ne m’intéresse pas tant que ça.

Aussitôt, les épaules de Jan se détendirent. Il rit et s’exclama :

—Bien dit ! C’est un dur métier, la mer. Besoin de force ! Il lui claqua un grand coup dans le dos. Tu fais bien de garder les pieds au sec. Quoique quand tu te sentiras mieux… Bah, on pourra toujours te faire visiter la cité par canaux. Tu verras, les gondoles, c’est marrant. Tiens, et il lui tendit le morceau de corde avec lequel il jouait, occupe-toi de ça pour moi, tu veux ? Je vais voir ce que trafique Maïa. Dis, gamine, s’écria-t-il en rentrant à son tour, qu’est-ce que tu fais ?

Sa voix s’évanouit. Mirage entendait bien des bribes de conversation, mais rien d’intelligible et surtout, rien qui l’intéresse. Adossé à la maisonnette, baignant dans l’ombre, il tordit la corde et tenta de recopier les mouvements du pêcheur. Ses efforts durèrent quelques minutes mais là aussi, il se lassa bientôt. Il reposa la ficelle sur le tronc, croisa les bras. Il aurait aimé observer les passants, mais à quoi bon quand ceux-ci vous observaient en retour ? Inconsciemment, il se mit à taper du pied, plissa les yeux. Complètement immobile, blanc, intouchable, insupportable, le soleil semblait se moquer de lui. L’astre brûlait juste au-dessus du temple. Ses rayons coulaient en cascade sur l’île. Mirage plaqua une main sur son front. Il scrutait l’horizon avec attention, dans une recherche presque méthodique. Il regardait, puis fermait les yeux. Dans le noir tacheté de ses paupières, il retraçait les contours du monument. Il aurait voulu le défaire brique par brique, comme un château d’enfant, et le refaire à sa guise.

Il n’y avait rien à faire, enfermé ainsi en plein ciel. Les petits du quartier, sous l’œil attentif de leurs mères, jouaient aux billes. Leurs joyeux cris de rage s’élevaient de temps à autres. Ils perçaient le brouhaha de la ville. Il sentait qu’il aurait pu les rejoindre, ne serait-ce que pour discuter avec leurs parents, mais il se sentait suffisamment traité comme un enfant pour aujourd’hui. Maïa et Jan s’affairaient toujours à l’intérieur, discutant à voix basse de sujets qu’ils ne souhaitaient pas qu’il entende. Il avait beau réfléchir, la seule chose qui piquait sa curiosité était bien ces grands mâts qui s’agitaient au loin. Il ne se souvenait pas avoir jamais vu un bateau. 

Il prit un long morceau d’étoffe beige parmi la pile qu’avait laissé Maïa. Il la jeta sur sa tête, s’en enroba, jusqu’à ce que seuls ses yeux soient visibles. Oubliant Ojas et sa promesse, il sortit de l’enceinte de la maisonnette et se dirigea vers le port.

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Lamondia
Posté le 08/12/2024
Magnifique chapitre ! La dynamique entre Ojas et Chidera m'intrigue j'ai hâte d'en savoir plus. Le plan pour protéger Galatéa à l'ai sur la bonne voie, dommage que Mirage ai décidé de n'en faire qu'a sa tête. J'ai hâte de voir ou sa petite balade va le mener.
Bleiz
Posté le 13/12/2024
Attends toi à quelques changements dans le texte car je suis en pleine réécriture ! J'ai "resserré" l'intrigue, donc il faudra sans doute que tu y jettes un oeil à nouveau mais je te tiendrai au courant, comme d'habitude :)
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