Chapitre 5 : Les Murmures d’un Passé étouffé

Par Smiyani

L’arrivée dans le vide

 

Je pousse la porte de mon nouvel appartement, laissant échapper un soupir léger, presque imperceptible.

La lumière douce du soir traverse les immenses baies vitrées, projetant des ombres dorées sur les murs élégants et immaculés. Tout semble parfait, trop parfait. Un appartement comme celui-ci est un rêve pour beaucoup, mais pour moi, il est encore vide, dépourvu de vie, de chaleur. Je pose ma valise discrètement dans un coin, comme si je craignais de briser l’harmonie de cet endroit.

La première chose que je remarque est le silence. Il est profond, presque pesant, brisé uniquement par le bruit de mes pas qui résonnent doucement sur le parquet de bois clair. Je fais quelques pas, les yeux balayant chaque détail. Le salon, baigné dans une lumière ambrée, est meublé avec un goût exquis—un grand canapé gris perle, des coussins soigneusement disposés, une table basse en verre poli, et une étagère décorative qui attend encore d’être remplie. Mais à mes yeux, tout cela est sans vie, comme une scène figée dans un magazine.

Je passe la main sur le dossier du canapé, cherchant une chaleur réconfortante. Mais le tissu, lisse et froid, ne me renvoie qu’un silence glacé, indifférent. Je m’éloigne, presque déçue, et me dirige vers la cuisine. Tout est impeccable, ultramoderne, brillamment équipé. Une cafetière chromée, des placards vides qui attendent d’être remplis, et un bar à l’éclat parfait. J’ouvre un tiroir au hasard, juste pour entendre le bruit du mécanisme—presque apaisant dans ce vide oppressant.

« Tout est là… et pourtant… » murmurai-je pour moi-même.

Un instant, je me dirige vers les baies vitrées. La vue est spectaculaire : les toits de la ville baignés dans la lumière d’un coucher de soleil flamboyant, une mer d’or et de pourpre. Mais cette beauté, loin de me rasséréner, renforce le sentiment d’isolement que je ressens. Je pose ma main contre la vitre froide, laissant mes yeux se perdre dans l’immensité de la ville. Ce nouveau départ est-il vraiment une bonne idée ?

Je ferme les yeux quelques secondes, puis me détache lentement de la vue. Mes pas m’amènent à explorer les autres pièces : une salle de bain étincelante, presque clinique dans sa perfection ; une petite bibliothèque vide qui semble m’attendre ; et enfin, ma chambre. J’allume la lumière, douce et tamisée, et y découvre un lit imposant recouvert d’une couette blanche immaculée. Tout semble être en suspens, comme si la pièce elle-même retenait son souffle.

Je m’approche du lit et pose ma main sur la couette. Le tissu est doux, accueillant, mais ce confort physique ne peut rien contre l’agitation de mon esprit. Je m’assois au bord, sentant le matelas céder doucement sous mon poids.

Mon regard erre sur les murs encore vides. J’imagine les remplir de souvenirs, de photos, de tableaux, mais ces images restent floues dans mon esprit. Je me laisse tomber en arrière, fixant le plafond avec intensité. Mes pensées se mettent à tourbillonner…

« Et si j’avais fait une erreur ? » songeai-je, ma gorge se nouant légèrement. « Et si je n’étais pas à la hauteur ? Et si personne ne voulait de moi… ? »

J’avais tout préparé. Tout planifié. J’avais lu des livres sur la psychologie, sur la communication, sur les comportements sociaux. Je m’étais efforcée de comprendre comment les liens se créent, comment les amitiés naissent. Et pourtant, à cet instant précis, tout cela me semble inutile. Ces théories ne me préparaient pas à la réalité. « Et si… et si les gens voyaient à travers moi… cette fragilité que je tente de cacher… ? »

Mes pensées m’assaillent, une à une, comme des vagues incessantes. Je me sens débordée, comme si l’océan de mes incertitudes menaçait de me submerger. Pourtant, au milieu de ce tumulte, une idée persiste : peut-être que tout ira bien. Peut-être que je trouverai ma place, que je rencontrerai des gens qui m’accepteront telle que je suis. « Mais comment… comment commencer… ? »

 

Le cauchemar de Brighton

 

Je tombe dans le sommeil doucement, bercée par une vague de chaleur trompeuse. La fatigue alourdit mes paupières, et je laisse mon esprit s’enfoncer dans l'obscurité, mais cette obscurité n'est pas accueillante. Elle m'attire dans un gouffre, un lieu que je pensais avoir laissé derrière moi.

Je me retrouve à Brighton. Le manoir se dresse devant moi, immense et glacial, chaque pierre semble murmurer mon nom avec une froide indifférence. Mes pas résonnent dans des couloirs vides, leur écho se répercutant comme une ombre sonore. Et puis, je la vois. La porte.

Je veux faire demi-tour, mais mes jambes refusent de m’obéir. Comme dans un rêve, je me retrouve face à cette porte. Cette fameuse porte. Mes mains tremblent alors que je l’ouvre. La pièce m’engloutit aussitôt.

Les murs sont là, autour de moi, se rapprochant lentement. L’air semble s’épaissir, devenant lourd, presque tangible. J’essaie de crier, mais ma voix meurt dans ma gorge. Les murs, si proches maintenant, se resserrent encore, comme des mâchoires impitoyables. Ils m’écrasent, me volent chaque souffle. Je lève les yeux, cherchant une échappatoire, mais il n’y a rien. Juste un vide infini.

La pièce devient étouffante, oppressante, et je suffoque. Mes mains frappent les murs dans un geste désespéré. Mon cœur bat furieusement, chaque pulsation semblant marteler ma poitrine. Alors que les murs vont m’écraser, tout éclate.

J’ouvre les yeux d’un coup, le souffle court. La réalité revient brutalement, mais Brighton me suit encore, comme une ombre. La pièce est plongée dans l'obscurité, mais je la connais déjà trop bien. Mon cœur tambourine si fort que j'ai l’impression qu’il va se briser.

 

Reprendre pied 

 

Je me redresse, tremblante, et pose les pieds au sol. Le froid du parquet me saisit, mais cela ne suffit pas à me ramener entièrement. Ma gorge est sèche, ma respiration chaotique. Je me lève maladroitement et me précipite vers la cuisine, titubant presque dans l'obscurité.

Arrivée là-bas, mes mains se mettent à chercher un verre, fébriles. Je le remplis d’eau, mais mon geste est si précipité que le liquide déborde, éclaboussant mes doigts et le plan de travail. Je bois à grandes gorgées, presque désespérée, mais l’eau ne calme pas immédiatement l’incendie en moi.

Le verre tombe dans l’évier avec un bruit sourd, et je me précipite vers ma valise. Mes mains fouillent à travers mes vêtements jusqu’à trouver la boîte de médicaments. Je saisis une pilule et l’avale en m’aidant d’une nouvelle gorgée d’eau, cette fois renversant presque la moitié sur le sol. Je me laisse tomber sur les genoux, contre les placards, mon souffle encore court.

Brighton. Encore Brighton. Cette ombre qui ne veut pas partir, cette prison que je croyais avoir quittée pour de bon. Pourquoi maintenant ? Pourquoi ici ?

Quelques minutes passent. Mon cœur ralentit. Mon souffle s’apaise. Mais l’écho du cauchemar résonne encore dans ma poitrine. Je reste là, immobile, avant de lentement me relever. Je ramasse le verre abandonné, essuie les éclaboussures au sol et pose le tout dans l’évier.

Je prends une profonde inspiration. Une douche. J’ai besoin de me libérer de cette nuit, de la chaleur poisseuse de ma sueur, et surtout, des chaînes invisibles de Brighton.

Dans la salle de bain, la lumière tamisée m’accueille. Mon reflet me fixe dans le miroir, et je prends un instant pour m’observer. Mes cheveux crépus tombent en mèches désordonnées sur mes épaules, libérées des tresses que j’avais défaites dans mon sommeil. Avec lenteur, je retire les élastiques roses qui les maintiennent. Ces élastiques…

Ils me ramènent à elle. À ma gouvernante. Je revis ses mains expertes qui coiffaient mes cheveux avec une douceur infinie. Dans ses gestes, il y avait un amour silencieux, une force tranquille. Ces souvenirs m’arrachent un soupir, une douleur douce, presque nostalgique.

Je détourne le regard et entre dans la douche. L’eau chaude jaillit aussitôt, et je me glisse sous le jet, laissant la chaleur ruisseler sur mon visage et mes épaules. Chaque goutte semble effacer un peu plus les restes de ce cauchemar. La chaleur me traverse, relâchant mes muscles tendus, apaisant les nœuds invisibles de mon corps.

Je reste là, immobile, les yeux fermés, écoutant le bruit constant de l’eau qui frappe le carrelage. Ce son me calme, réduit au silence les murmures de mes peurs. L’eau emporte tout. Brighton. La pièce. Les murs.

Quand je sors enfin, la vapeur emplit la salle de bain comme un voile léger. J’attrape une serviette et me sèche lentement, savourant cette sensation de légèreté retrouvée. Mon reflet m’attend encore dans le miroir, mais cette fois, je ne fais que le frôler du regard.

Ce soir, Brighton m’a hantée. Mais ce soir aussi, je me suis levée. Pas pour fuir. Pour exister.

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