Chapitre V – partie 1
Confidences et révélations
L’obscurité enveloppait la chaumière blottie au creux d’une combe, en contrebas du chemin. Aucune lumière ne filtrait de l’intérieur. Les oies accueillirent Till et ses compagnons avec de grands débordements d’affection. Elles aimaient la compagnie et une trop longue absence les inquiétait toujours. Ma n’était pas rentrée. Till ne s’en étonna pas, un accouchement pouvait parfois prendre du temps. Il alluma la lampe à huile posée sur le comptoir de la cuisine et se retourna :
- On va s’organis…
Les mots moururent sur ses lèvres devant les visages pétrifiés. Il resta stupidement le bras en l’air.
- Krâa, moi bien dire lui spécial ! Maintenant vous voir.
Dans le silence embarrassant, les paroles de Thiya résonnèrent comme un coup de tonnerre, ils sursautèrent et se mirent tous à parler en même temps pour masquer leur gêne :
- Waouh ! ça, c’est pas du banal, s’extasia Blair les yeux écarquillés. Alors, c’est toi ! Le garçon qui… Celui dont… On avait entendu raconter… Mais non, vraiment là ! On s’imaginait pas !
- Tu es le premier garçon qu’on rencontre avec des cheveux aussi… Blancs ? Aussi… Aussi… épais et… désordonnés ? Une peau… On est juste étonnés, balbutia Naëlle, désireuse d’atténuer le commentaire de Blair.
- C’est des vrais ? questionna celui-ci, incrédule, en avançant la main.
Naëlle lui tapa sur les doigts :
- Aie ! Je voulais juste vérifier.
- Bien sûr que c’est ses cheveux, triple buse ! Qu’est-ce que tu veux que ça soit, des poils de bouc ?
- Oh ça va, madame j’ai réponse à tout, j’ai bien le droit de poser des questions !
- Non, tu n’as pas le droit de poser des questions stupides. Qu’est-ce qu’il va penser maintenant, Till ? Il nous invite chez lui et nous on se conduit comme des rustres !
- Mais t’as vu à quoi il ressemble ? Sa tête ? C’est pas des cheveux, ça, c’est une vraie crinière ! Et blanche ! Blanche comme, comme… On dirait… On dirait…
- Bon, conclut Châny qui voulait mettre un terme au débat, Till est différent. Il a des cheveux crépus et blancs comme la neige, l’hermine ou le jupon de ta grand-mère, Blair. Tout ça, on le savait déjà. Excuse-nous Till, les gens parlent beaucoup. Mais pour nous, c’est pas ça le plus important.
Till reposa la lampe sur la table, une chape de plomb sur les épaules. Un moment il avait oublié sa différence. Une courte parenthèse où il n’avait été qu’un simple garçon, ordinaire, et non cet objet dérangeant de curiosité. À présent tout allait recommencer. Ils allaient le repousser, comme les autres, c’était certain.
- Écoute, poursuivit Châny à l’adresse de Till, on ne va pas se mentir. C’est vrai, on est surpris et alors ? La surprise, c’est la surprise, rien de plus. Ne va surtout pas mal interpréter. Les bêtises que racontent les autres, nous, ça ne nous intéresse pas. Et puis, dans notre genre, tu découvriras bien vite qu’on est assez spéciaux. En fait, pour être sincère, on désirait depuis longtemps te rencontrer mais l’occasion ne s’est pas présentée. Enfin, jusqu’à maintenant. Dans tous les cas, on espérait bien te retrouver à Gran-Cairn.
- Vous vouliez me rencontrer !
- Tu es la première personne débarquée du continent depuis notre arrivée sur l’île, il y a cinq cents ans ! ça, c’est extraordinaire !
- Et puis, appuya Blair, nous on est curieux, on se contente pas de ce qu’on nous raconte.
- Nos familles apprécient beaucoup ta mère, elles lui font confiance. Alors, quand on a entendu toutes les imbécilités qui circulaient à ton sujet, on s’est dit que ça ne devait pas être tous les jours facile. On en a conclu que tu avais de toute évidence un sérieux besoin de soutien et que tu accepterais peut-être notre compagnie.
- Donc, nous voilà !
Une main effleura doucement le bras de Till :
- Pardonne-nous, on ne voulait pas te blesser. On n’en a rien à faire que tu sois un peu différent. On a été surpris, c’est tout, répéta Naëlle. Nous, ce qu’on veut, c’est devenir amis.
Till dévisagea un à un ses compagnons. Même le regard de Blair affichait une contrition sincère.
- C’est vrai ?
- Bien sûr que c’est vrai, répondit fermement Naëlle.
- Nous, on se fie jamais aux apparences. C’est pas une tête de maringouin qui fait de toi un maringouin !
- Ça, c’est de la subtilité, Blair ! Regarde-le, lui ! On a l’impression qu’on lui a planté un radis au milieu de la figure et Châny ! Il est aussi roux qu’un renard, bien qu’il soit beaucoup moins fûté et…
- Et sans oublier Naëlle et ses quilles de sauterelle, ajouta Blair.
- Il en faudrait plus que ça pour nous décourager, affirma Châny. Ce ne sont que quelques cheveux ébouriffés…
- Et blancs, ajouta Naëlle.
- C’est surtout, observa Blair en plissant les yeux, que ta peau tient plus du caramel que de la briquette (1). C’est vrai, non ? Un teint comme ça, c’est pas du classique et du coup ça fait paraître tes cheveux encore plus blancs… que blanc. J’le jure, c’est tout ! Je voulais rien dire d’autre.
- Heureusement ! C’est déjà bien assez suffisant, répliqua Naëlle. Bon, on peut passer à autre chose ?
- Merci. Dans l’obscurité j’avais presque oublié… ça, répondit Till encore bouleversé en passant la main dans ses cheveux.
- Si tu nous prends comme on est, nous on te prend comme tu es, conclut Blair sans plus de façon en lui administrant une bourrade dans le dos qui faillit le renverser.
Ils semblaient sincères dans leurs tentatives maladroites pour le rassurer, leurs regards ne trompaient pas. Le cœur de Till se gonfla de gratitude et il se promit de ne jamais rien faire qui les décevrait un jour.
- D’accord… les amis.
- D’âac, d’âac ! Tous amis. Krâa ! Merrrrrrveilleux ! Thiya avoir faim !
- Bien parlé la corneille ! j’ai une faim à dévorer un garde-manger ! Alors l’extrapolation, on se met aux fourneaux ?
- Blair !
- T’inquiète, Naëlle, répondit Till avec un sourire en coin, Blair les gros bras va éplucher les oignons, pendant que je mets l’eau à chauffer.
Tandis que Thiya se gavait de fruits, ils passèrent à table en discutant de leurs exploits. Entre deux cuillérées d’une soupe un peu trop claire, l’histoire s’enjolivait de détails surprenants, sur le nombre, la taille ou la férocité des assaillants, si bien qu’une fois avalé, pain, beurre, fromage et confiture, le récit avait pris les proportions d’une véritable épopée.
- Il te reste encore des graines d’euphorie ? demanda Châny.
Till sortit le sachet et le vida dans une coupe. Ils contemplèrent un instant en silence les petites billes d’un air dubitatif :
- Il en reste peu...
- Je serais curieux de savoir ce que ta mère va pouvoir en faire, demanda Châny, intrigué.
- Probablement un remède, comme elle est guérisseuse, c’est logique, suggéra Naëlle.
- On n’aura qu’à lui poser la question demain, répondit Till en bâillant.
- Y’a pas à dire, dit Blair en se tapant le ventre, bonne aventure, bons amis et bonne bouffe, c’est le secret du bonheur. Alors, c’est décidé, tu viens avec nous à Gran-Cairn !
- Ne lui force pas la main, dit Châny, il faut qu’il en ait envie.
À vrai dire, Till n’était plus aussi réticent, il commençait même sérieusement à envisager cette possibilité. En fait, il ne trouvait plus aussi pertinentes les raisons invoquées pour refuser d’y aller. Après tout, si tous les élèves allaient à Gran-Cairn, pourquoi pas lui ? Ma serait certainement heureuse de cette décision. Même l’image de Sven, sous la lumière tremblotante de la lampe à huile, ne semblait plus si redoutable. Au fond de lui, Till savait bien que la véritable raison de ce changement se trouvait assise autour de cette table. La mésaventure du marais avait scellé un lien singulier qui allait bien au-delà de la simple manifestation d’amitié.
- J’en parlerai à Elhyane. Mais je suis certain qu’elle sera d’accord.
- Krâa, si Mâa d’accord, Thiya aussi !
Ils applaudirent la corneille en félicitant Till pour cette heureuse décision :
- C’est merveilleux, s’écria Naëlle, on n’allait tout de même pas se séparer si vite ! Au fait, poursuivit-elle avec malice, il faut qu’on te remercie, Blair, sans ton inconséquence, on n’aurait jamais rencontré Till.
- Mouai, comme quoi, faut jamais condamner le lapin parce qu’on ne trouve pas la carotte !
- ??? ça veut rien dire !
- C’que j’veux dire, c’est qui faut pas condamner le lapin, moi en l’occurrence, tant qu’on a pas prouvé qu’il était coupable.
- Mais là, c’est bien toi qui nous as entraînés sur le mauvais chemin ?
- Oui ! Et qui ça nous a permis de rencontrer ? Hein ? Dis-le-moi un peu ?
- Ben, laisse-moi réfléchir… Les fouillouses ?
- Tu le fais exprès ou quoi ? La carotte. Ça nous a permis de rencontrer la carotte !
- C’est Till que tu traites de carotte ?
- Oui ! Non !!! Arrête de faire l’andouille tu veux bien. C’est pourtant clair ?
- Pas vraiment. J’ai parfois du mal à suivre les méandres de ton raisonnement.
- Je pense que nous sommes tous bien fatigués, coupa Châny qui avait renoncé à suivre la discussion.
- Je suis d’accord, j’en peux plus, ajouta Till en baillant à nouveau. On va tous dormir dans ma chambre. Ça t’embête pas Naëlle ?
- Et pourquoi ça devrait m’embêter ? s’exclama-t-elle. Tu comptais me faire dormir toute seule dans un coin ? Sous l’escalier peut-être ?
Till rougit jusqu’à la racine des cheveux :
- C’est pas ce que je voulais dire… Bon, on monte ?
(1) Briquette : petit fromage de chèvre blanc et crémeux, de forme hexagonale, uniquement produit sur l’île.
Les vermisseaux :
- madame j'ai réponse à tout => comme madame Je-Sais-Tout, l'écrire comme un nom propre ?
- ! C’est déjà bien assez suffisant => je boude les trois adverbes à la suite, un seul, ce serait - déjà - bien - assez :)
- Mouai, comme quoi, faut jamais condamner le lapin parce qu’on ne trouve pas la carotte !=> mouais, et ça ne veut peut-être rien dire, mais ça m'a fait rire !
- Arrête de faire l’andouille tu veux bien. => l'andouille, tu veux bien ?
Quelle belle scène d'amitié ! C'est bienveillant et positif, tout en restant adapté à un langage d'enfants. Et toujours les petites notes d'humour :)
J'aime beaucoup cette petite bande, il me tarde de lire leurs exploits.
A très bientôt
Aaaaw, ce chapitre est hyper mignon ! J'avais une petite méfiance vis-à-vis d'eux, mais là ils sont amicaux et d'une curiosité très attendrissante. Tout le dialogue fonctionne très bien, entre les pointes d'humour, les petites maladresses mais peine de sincérité comme dans le passage sur les cheveux.
Et pauvre Till, on sent qu'il est tellement peu habitué à l'amitié qu'il s'attend déjà à recevoir un coup bas x) Mais la confiance s'installe, et Thiya est très marrante à se réjouir autour du petit groupe.
J'espère que la suite te plaira tout autant. N'hésite pas à critiquer, je ne suis pas susceptible.
A très bientôt
Encore un très bon chapitre, mais déjà un peu dans le précédent mais surtout dans celui-ci je n'arrêtais pas de me dire que ces 3 sont trop sympas c'est pas normal ils font faire un sale coup à Till. Et en fait non, ils sont vraiment sympas, alors je sais pas si c'est mon esprit qui est dérangé et trop méfiant, ou si cette amitié arrive trop facilement.
Voilà c'est une une réflexion que je voulais partager avec toi, ça n'engage que moi mais ça peut peut-être t'aider
A bientôt :)
J'ai quelques idées mais qui demandent encore réflexion.
Encore merci
A bientôt
Tu continues avec ton petit quatuor très attachant, qui commence à tisser des liens forts.
Je ne te cache pas que je suis pressé de voir ce qu'ils valent face aux difficulté.
J'aurai peut-être un peu diminué la proportion de dialogues dans ce chapitre, surtout que tu écris bien les descriptions.
Bon, après je titille ca reste très cool ^^
Quelques remarques :
"Aie ! Je voulais juste" -> aïe
"c’est qui faut pas condamner le lapin," c'est qu'il faut pas condamner
A bientôt !
Tu as raison sur la longueur des dialogues, je suis en train de retravailler tout ça, notamment en intercalant de petites descriptions pour rompre l'effet tunnel dont parle Zultabix.
J'espère que la suite ne te décevra pas.
Merci pour tes précieux commentaires.
A bientôt
Je trouve les personnages des enfants très attachants. Ils forment un beau quatuor. Le lien qui se tisse entre eux est intéressant et on a envie de suivre leurs aventures. Je dois avouer que j'avais du mal à m'attacher véritablement à Till, c'est chose faite dans ce chapitre. Il y a un élément que je n'ai pas compris mais je pense avoir lu trop rapidement. Pourquoi les enfants découvrent-ils la chevelure blanche de Till à ce moment-là ? A cause de la nuit noire et de la lampe qu'il allume quand il rentre chez lui ?
Bonne continuation !
Bien à toi !
Je suis d'accord avec toi sur la présentation. L'original est avec tirets, retraits etc mais j'ai renoncé à modifier devant l'ampleur de la tâche rébarbative : corriger un à un chaque dialogue. Je n'ai pas trouvé de moyen magique pour tout transformer d'un coup, cela vient peut-être de la police utilisée, y en a-t-il une qui n'ait pas cet inconvénient ?
C'est vrai que les trois amis sont stupéfaits en découvrant Till. En fait ils n'avaient pas vraiment réalisé à qui ils avaient à faire, la nuit les empêchaient de distinguer clairement et puis, ils étaient trop occupés par les fouillouses pour remarquer quoi que ce soit. C'est un peu se qu'exprime Blair :
Waouh ! ça, c’est pas du banal, s’extasia Blair les yeux écarquillés. Alors, c’est toi ! Le garçon qui… Celui dont… On avait entendu raconter… Mais non, vraiment là ! On s’imaginait pas !
Tu penses que ce n'est pas suffisamment clair ?
Les descriptions, c'est ma bête noire. J'ai toujours tendance à trop en mettre. J'essaie de me corriger en me disant qu'il faut laisser aussi place à l'imagination du lecteur.
Un grand merci pour ta lecture et tes remarques que j'apprécie.
A bientôt
"- Il est temps que je te raccompagne, la nuit ne tardera pas à tomber et je ne voudrais pas qu’Elhyane s’inquiète." Ensuite Piblô se met à blablater sur l'univers, Cassiopée et la Grande Ourse.
Mais tu as raison, s'il faut remonter aux calendes grecques pour comprendre, ça ne signifie qu'une chose : un rappel quelque part s'impose.
Un grand merci pour ton œil de lynx
"L’ombre de l'oiseau papillonnait au-dessus de sa tête, tâche d'encre plus sombre que la nuit."
Et ce chapitre commence par :
"L’obscurité enveloppait la chaumière blottie au creux d’une combe".
Est-ce que cela est mieux ?
N'ai pas peur d'appeler un chat un chat, avec ce bon vieux : C'était la nuit ! Tout autant, c'est vrai que je ne suis pas remonté deux chapitres avant, quand Till raccompagne Piblô ! Je te dis tout ça, pas pour t'embêter, mais pour le confort du lecteur, lequel au premier écueil peut sortir de l'univers dans lequel il se sentait choyé !
Merci
Amicalement
Une première partie de chapitre tout aussi drôle et touchante que le précédent.
Je suis vraiment intriguée par les origines de Till au physique singulier que je tente au mieux de me représenter. As-tu parlé de la couleur de ses yeux?
Qui sont ses nouveaux camarades?Naëlle ferait-elle vibrer le cœur de notre Till?
La suite....
Remarque:
J'ai juste noté un."mouia" au lieu peut-être d'un "mouai".
Toujours heureuse de lire tes commentaires bienveillants.
Je n'ai pas parlé de la couleur des yeux de Till car ce n'est pas ce qui le caractérise en particulier.
Quant à ses nouveaux amis, on apprendra à la connaître au fil de l'histoire. Je ne voudrai pas trop en dévoiler la surprise.
Je corrige le "mouai".
Un grand merci à toi et à bientôt.
Je n'ai pas fait attention aux fautes 😉