Quelques heures plus tôt
J’ai un mauvais pressentiment !
Depuis que Zark nous a montré dans sa psyché l’émergence d’un lien rouge et d’une nébulosité grise reliant les deux mondes, je ne peux m’empêcher de penser à la jeune femme du bar.
Depuis que j’ai croisé son regard, je m’interroge. Jamais personne ne m’a opposé un tel mur mental, aussi infranchissable qu’une muraille et dont elle ne semble pas avoir conscience.
Mon attention se porte encore une fois sur les arbres généalogiques étalés sur les différents écrans installés dans le bureau. Pour la centième fois je repasse tout au crible.
Je connais tous les descendants que nous surveillons. J’ai la responsabilité des branches qui se sont installées en Bretagne, c’est là qu’elles sont les plus nombreuses. D’autres sentinelles surveillent, l’écosse, l’Irlande, la Cornouaille et dans une moindre mesure le pays de Galles. En fait nous avons ciblé toute la Celtie.
- Encore en train de cogiter ?
Roland entre dans le bureau, les sourcils froncés. Il ne comprend pas mon acharnement.
- Depuis des années que nous surveillons ce secteur, nous n’avons jamais rien décelé, reprend-il en se penchant lui aussi sur les écrans, pas plus d’ailleurs que nos compagnons dans les autres régions.
- Je t’ai montré ce que j’ai ressenti dans ce bar…
Pas du tout perturbé par ma mauvaise humeur, mon ami continue :
- Oui, j’ai compris. Mais tu sais très bien qu’il y a des terriens qui ont un talent naturel pour échapper à notre investigation.
- Les psychopathes, les sociopathes…
- Aussi des personnes très introverties ou renfermées, c’est plus rare je te l’accorde, mais il y en a quand même.
Je fulmine, mais qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Jusqu’où ira sa mauvaise foi !
- Tu es en train de me dire que sur le nombre de personnes que nous rencontrons régulièrement nous sommes tombés sur une de ces raretés ?
Roland lève les yeux au ciel, s’il osait je crois qu’il me tirerait la langue. Ce monde déteint sur nous plus que nous ne le voudrions. Un sourire franchit, malgré moi, mes lèvres et je croise son regard narquois….
D’accord, il a gagné. Je me suis peut-être fait des films. Mais je ne peux empêcher une pointe d’inquiétude à l’idée que quelque chose nous échappe.
- Je persiste à dire qu’on aurait dû en avertir Zark. Surtout après ce mort qu’ils ont découvert, en plus pas très loin de chez elle, un hasard ?
Dès que la nouvelle est parvenue à nos oreilles, Roland et moi sommes allés fouiner à la gendarmerie en prétextant la perte de papiers d’identité. Nous avons laissé trainer nos antennes et avons découvert le fin mot de l’histoire, ce qui met les gendarmes dans tous leurs états et les fait flipper. Nous avons également fait des recherches sur la jeune femme après avoir lu ce que serveur en savait dans sa psyché. Fort peu au demeurant !
Nous sommes sur le pied de guerre, j’ai lancé une alerte à toutes les sentinelles et à nos agents qui ont la capacité d’entrer dans les données de la police et la gendarmerie afin de détecter d’éventuels cas similaires.
Je n’oublie pas cette trainée grise à peine visible. Je ne sais pas ce qu’elle est et les recherches de Zark n’ont, pour l’heure, pas été couronnées de succès. Mais j’ai l’intuition que ce mort n’est pas anodin. Aucune disparition n’a pour l’instant été signalée et ses empreintes digitales n’ont rien donné dans les fichiers. Il faut attendre les résultats de l’analyse ADN pour connaître, peut-être, son identité. C’est surtout ce que nous avons appris des circonstances de sa mort qui me dit que tout cela ne sent pas bon. Non ! Ce n’est pas anodin, du tout ! J’ignore comment le relier à nous mais je suis convaincu qu’il l’est.
J’ai conscience d’être hésitant, moi qui jusqu’à présent, ai toujours suivi mon intuition. Roland qui suit le cheminement de mes pensées finit par hocher la tête.
- Ok ! On le contactera en fin de journée.
Je m’assieds dans un fauteuil près de la fenêtre qui donne sur le parc alors que Roland sort s’occuper de nos compagnons à quatre pattes.
L’après-midi est bien entamée, le soleil fait miroiter la pièce d’eau au milieu du parc entouré d’une barrière de ronces assez haute, que nous avons développées et savamment entretenues, pour nous protéger de toute intrusion.
Je me perds dans ma rêverie et encore une fois, je revois les yeux en amande, deux noisettes parsemés de petites tâches vertes qui illuminent son regard, Son visage ovale au teint clair, les pommettes légèrement saillantes, une bouche divinement bien dessinée aux lèvres pulpeuses « faites pour les baisers » - je fronce les sourcils à cette pensée incongrue - ses cheveux noirs, dont quelques mèches échappaient à son chignon et son corps gracieux lorsqu’elle s’est levée.
- Tu es sûr qu’il n’y a que ces possibles capacités qui t’intéressent ?
Je sursaute, Roland vient de surgir dans le bureau en s’esclaffant et en mimant des guillemets sur ses paroles.
- Roland ! arrête de t’incruster dans mes pensées !
Je suis furieux car il a raison, mais je ne laisse rien paraître et bloque solidement mon esprit.
- Pas ma faute, répond-il toujours hilare, tu diffuses tellement, je suis sûr que mêmes nos amis dehors ont entendu.
Je soupire, exaspéré. A l’évidence cette fille me perturbe au point de me faire perdre mon contrôle.
Je sens sur moi le regard inquiet de mon ami redevenu sérieux.
- Elle est très belle mais fait attention car si tu as raison et qu’elle se révèle être une ennemie….
- Je sais, qu’est-ce que tu crois ? j’en suis parfaitement conscient.
- C’est tout ce que je voulais savoir.
Roland me pose une main amicale sur l’épaule pour m’assurer de son soutien. Je lui adresse un sourire railleur et me lève d’un bond pour lui faire une prise d’étranglement. J’ai agi si vite qu’il n’a rien pu anticiper. D’autant que mes barrières mentales sont bien solidement maintenues.
Il tente vainement de se défaire de ma prise et d’une clé au bras je le mets à genoux.
- Alors ! tu vas encore te moquer de moi ? Allez, reconnais ta défaite.
Il rit tellement qu’il est incapable d’articuler un mot ou de se défendre. J’attends patiemment qu’il se calme, le maintenant toujours à terre et j’envoie l’image à nos amis dehors.
Un concert d’aboiements nous revient. Ils se marrent ! Roland renifle et finalement cède.
- D’accord, tu as gagné, mais ce n’est pas très sympa d’avoir montré ça aux autres. Ils ne vont pas arrêter de me charrier maintenant.
Je le laisse se relever et lui assène une grande claque dans le dos. Ce petit intermède m’a détendu.
- Ouch ! tu peux pas taper plus fort ?
- Bien sûr que si ! Si tu veux….
- C’est bon ! c’était une façon de parler, abruti !
Nos compagnons font du baroufe dehors. Roland jette un œil par la fenêtre et leur ordonne de se calmer, ce qui relance les jappements et aboiements accompagnés de tirades moqueuses dont je lui fais part de vive voix, histoire d’enfoncer le clou. Lui-même s’est barricadé pour ne plus rien entendre
- Qu’est-ce que je te disais, reprend-il avec un air désespéré qui me fait rire. Ils ne vont pas me lâcher.
- Il faut bien qu’ils s’amusent un peu. Ils n’ont pas la vie facile dans ce corps animal.
Nous diffusons en même temps notre amitié à nos compagnons qui ont accepté d’investir ces énormes chiens-loups, fruit des modifications génétiques que nos magiciens ont initiées il y a quelques centaines d’années quand il a été nécessaire de créer le réseau des sentinelles.
- Bière ! s’exclame Roland, pas rancunier.
- Bonne idée, frère, j’ai besoin de me détendre avec une bonne mousse.
Nous descendons en nous bousculant dans la cuisine au grand dam de Sally notre intendante et cuisinière qui est, pour l’heure, en train de préparer le repas de ce soir. Elle nous menace de sa spatule ce qui nous éclate et nous nous servons dans le frigo en l’évitant habilement. Cela fait bien des années que nous travaillons ensemble avec Roland, nous sommes plus que des amis, nous sommes frères par le serment du sang et donnerions notre vie pour l’autre.
Nous avons été entraînés depuis notre enfance à cette mission de sentinelles et à toute ses implications et même si aucun renégat n’a montré le bout de son nez ou plutôt de son pouvoir depuis très longtemps, nous restons vigilants et prêts à toutes les éventualités.
Perdus dans nos pensées partagées où se mêle une pointe de nostalgies pour notre enfance sur Tyl Aran et nos frasques d’adolescents, nous sursautons lorsque résonne une alarme dans nos cerveaux.
La meute nous avertit d’une intrusion. Nous voyons par leurs yeux celle qui a pénétré sur notre domaine.
Je le crois pas !... Je reconnais mon inconnue du bar !
J’ordonne à la meute de la maintenir sur place avec une bonne dose d’intimidation. Je sais qu’ils sont très doués pour cela.
- Roland on fait comme dans les films, le duo de choc du gentil et du méchant.
- Du moment que c’est moi le gentil !
Je lui claque l’arrière du crâne pour le faire taire et j’avance tranquillement vers elle.
Il n’y a pas de hasard !
Au début, j'étais un peu perplexe sur le fait d'avoir aussi vite le pdv de Yaël et des hommes si mystérieux du pdv d'Enora. Je me demandais si tu n'aurais pas mieux fait de laisser encore planer un peu le mystère.
Mais finalement, ces révélations entraînent pas mal de nouvelles questions donc le suspense est sauf. Et l'alternance de pdv va être très intéressante. Quand on va avoir Enora, on aura envie de lui crier ce qu'on sait, sans pouvoir le faire^^
Très curieux de voir la suite...
Mes remarques :
"Depuis que. Zark" point en trop
"ciblé toutes la Celtie" -> toute et il manque le point
"s’exclame Roland pas rancunier" virgule après Roland ?
Un plaisir,
A bientôt !
Merci pour ta lecture. En effet, je me suis posée la même question et j'ai hésité, mais il fallait que l'histoire avance et j'avais déjà envisagé plusieurs pdv. Ce chapitre m'a pratiquement échappé lors de l'écriture et je me suis fait la même réflexion les lecteurs saurant, mais pas Enora. Contente de n'avoir pas bousillé le suspense. Il s'agit d'un premier jet qui sera forcément réécrit.
Merci pour ce retour très intéressant et pour tes remarques.
A bientôt
Un éclairage du chapitre précédent. J'aime beaucoup cette idée de changement et d'alternance de point de vue. C'est très agréable à lire.
Quelques petites remarques:
nous montré (montrait) , rien données (donné),tu diffuse (diffuses), fait attention (fais)
A bientôt.
Je suis ravie l'alternance des points de vue te plaisent.
Merci pour tes remarques qui m'aident, je n'avais pas vu les fautes en relisant, je vais corriger.
A bientôt
Oh je suis contente d'en apprendre un peu plus du côté de Yaël et ces sentinelles... Ça a l'air d'être un sacré monde derrière tout ça. J'ai hâte de voir la relation se développer entre Enora et lui!