Au manoir
Je tourbillonne dans un maelstrom de sensations et d’images. Une main se tend pour les retenir, pour que cesse ce manège. Une femme apparaît, elle crie... J’ai peur !
Tourbillon… une fillette … un homme … des cris encore. Un bourdonnement en moi, autour de moi comme des abeilles agaçantes. Je les chasse de la main, mais elles reviennent, me piquent la tête. J’ai mal !
La petite fille rit les bras en l’air, émerveillée… une gifle à toute volée, c’est mal de faire ça ! La fillette est en colère… la femme hurle… La petite fille pleure, effrayée…
Tourbillon… je m’élance comme une flèche écarlate. Je suis légère, je flotte dans un ciel d’encre traversé de fils dont les teintes du blanc le plus pur au bleu le plus foncé m’émerveillent par la richesse de leurs nuances… Tourbillon, abeilles, je suis aspirée, je me sens tomber dans le vide… j’ai peur !
Tourbillon… je m’élance à nouveau véloce dans ce ciel de ténèbres et de couleurs, vite, loin, toujours plus loin. Une salle, un homme…Il me regarde, il me parle, mais ses lèvres ne bougent pas… je ne comprends pas ce qu’il me dit, je reflue … je n’ai pas de corps, je suis morte !
J’ouvre péniblement les yeux sur un regard noir tandis qu’une main passe un linge sur mon visage. Mon corps est lourd, ma tête va éclater.
- Ne résistez pas, dit une voix grave, laissez-vous aller, lâchez prise.
Ecrasée de fatigue je ferme mes paupières. « le lien doit arriver à destination », j’entends une voix douce dans ma tête tandis que m’endors.
J’ouvre mes ailes, je m’envole à nouveau, mon esprit est un feu d’artifice qui envoie des milliers d’étoiles dans l’espace. Je suis libre !
J’ai conscience que je rêve, un merveilleux rêve plein de magie, de douceur, je valse entre ces flèches colorées, je ris… je vais d’un côté, de l’autre.
J’essaye de caresser ces fils irisés, mais ils reculent, m’échappent. Ils ont fait le vide autour de moi. Ils se contorsionnent pour me laisser la place... ou pour m’éviter ? Ça m’attriste, j’aimerai m’inonder de leur chaleur palpitante. J’arrive à en effleurer un dont la couleur bleu nuit étincelle et dont l’énergie se diffuse immédiatement en moi. Il se rétracte immédiatement et s’éloigne, me laissant un sentiment de plénitude, c’était magique.
Des sensations me traversent. Je sens leur curiosité, leur inquiétude aussi, quelques pointes rudes voire agressive, mais je comprends, j’ai envahi leur espace et le « qui es-tu ?» résonne comme un souffle d’air qui agite mon essence et vibre autour de moi. Je ne sais pas ! Je ne suis qu’un rêve, un mirage qui ne doit pas vous perturber. Je ne veux pas que vous ayez peur. Ma tristesse flamboie et se répercute sur cette toile. Je veux qu’ils m’aiment, ils sont tellement beaux, alors je leur envoie tout l’amour que je peux, mais même dans un songe on ne peut pas forcer l’amour.
Quelque chose me pousse à poursuivre mon chemin, mais je suis plus forte qu’elle, je ne veux pas aller là-bas, je ne sais où. Je m’y oppose, je suis bien là. Je n’ai pas envie de finir ce voyage. Mon esprit s’y refuse, je le sens qui regimbe, je ne dois pas y aller, je sais que je n’en ai pas le droit. J’ai mal à nouveau.
Je me réveille en sursaut. Le beau rêve s’évapore. Seuls les derniers mots sont ancrés en moi « je n’ai pas le droit ». De quoi je l’ignore et j’ai peur. Mais pour la première fois je maîtrise et la crise d’angoisse est aux abonnés absents. Je pousse un soupir de soulagement, ça ne règle pas tout mais c’est déjà ça !
Je regarde autour de moi, désarçonnée, car je ne reconnais pas mon intérieur. Puis les derniers évènements me reviennent en mémoire. Je me suis évanouie alors que Roland allait me ramener à mon véhicule. J’ignore combien de temps je suis restée dans les vapes, mais curieusement je me sens bien… reposée.
Je constate que je suis vêtue d’un grand tee-shirt. Je rougis à l’idée que l’un des deux hommes m’a déshabillée, mais j’ai mes sous-vêtements, c’est un moindre mal.
Je détaille mon environnement, je suis dans une des chambres du manoir.
C’est un curieux mélange d’ancien, avec ce haut plafond bordé de frises, les hautes fenêtres à petits carreaux ambrés d’où un rayon miellé parvient presque jusqu’au lit, de contemporain avec le mobilier.
En face, la cheminée de marbre est surmontée d’un miroir un peu piqué par les ans. Une table basse, en verre, sur laquelle est posé un vase fleuri lui fait face ainsi qu’un fauteuil. Quelques gravures sont accrochées aux murs, reproductions de tableaux de Maître je pense.
Le deuxième fauteuil est installé près de mon lit, signe que quelqu’un est resté me veiller et, malgré moi, cela me touche.
Un coup est frappé à la porte. Instinctivement je remonte le drap sur moi, bien que je sois habillée, je rougis derechef. J’attends d’avoir repris le contrôle de mes émotions avant de donner la permission d’entrer.
Yaël et Roland entrent lentement, mes yeux sont immédiatement happés par les obsidiennes de Yaël « rien de nouveau » je songe alors que mon cœur rate un battement. Ses yeux sont traversés de lueurs d’inquiétude et, pour une fois, ne reflètent pas la froideur à laquelle je me suis heurtée les deux fois où nous nous sommes confrontés. J’en suis troublée.
Je me tourne vers Roland qui nous observe, un petit sourire au coin des lèvres. Son regard, en cet instant, est empreint de malice. Son nez légèrement retroussé, que je n’avais pas remarqué jusqu’alors, lui donne un petit air mutin lorsqu’il se laisse aller, ce qui est le cas en ce moment.
Je ne peux m’empêcher de sourire avant de reporter mon regard vers Yaël qui s’est rapproché.
- Comment allez-vous ? demande-t-il d’une voix grave, mais douce.
Je suis surprise, où est mon « connard », je tique sur le possessif tandis que je le scrute pour être sure qu’il est sérieux.
- Yaël est resté à votre chevet tout le temps où vous avez été inconsciente. Je n’ai réussi à le faire sortir de la chambre, pour se reposer, que lorsque votre souffle est devenu plus calme.
Roland s’est également approché, négligeant le regard de reproche de son ami. Je réprime un sourire devant cette pudeur de gros dur. Puis je pose la question qui me trotte dans la tête depuis mon réveil.
- Merci… mais…combien de temps suis-je restée évanouie ?
- Evanouie, peut-être un quart d’heure, ensuite vous êtes tombée dans un sommeil très agité… ça fait plus de douze heures.
Je regarde Yaël ahurie et furieuse
- Pourquoi ne suis-je pas à l’hôpital ?
Il se tourne vers son ami. « Ah, non ! ça ne va pas recommencer » mais avant que je puisse m’indigner, il poursuit :
- Nous avons notre mage… médecin. Il vous a examinée et a conclu que rien dans votre état ne nécessitait une hospitalisation. Il vous fallait seulement dormir.
J’ai bien noté que sa langue a fourché en parlant du médecin, du mage ? Sérieux, un mage ! mais ils tombent d’où ces deux-là ? Je suis sans voix, mais mon visage reflète mon incrédulité et ma colère.
- Je sais à quoi cela ressemble pour vous, reprend Roland alors que Yaël s’est à nouveau muré derrière son regard de glace.
- Sans blague ! un mage… vous me prenez pour une abrutie ?
- Non ! c’est notre façon de le désigner. Nous le taquinons car il utilise beaucoup les plantes et fait des merveilles avec. Il soigne les habitants alentour qui n’ont jamais eu à s’en plaindre.
Roland m’a répondu très calmement et je me sens honteuse de ma réaction.
- Désolée, vous le remercierez pour moi.
Il hoche la tête en souriant. Je jette un bref regard à Yaël qui me fixe la mâchoire serrée. Je soupire de lassitude.
- Personne ne vous a jamais pris pour une abrutie comme vous dites… Je ne suis pas un tel connard.
Yaël s'est exprimé d'une voix calme mais tranchante. Il s'est rapproché m'obligeant à pencher la tête en arrière. Ses yeux me foudroient.
Roland pose une main que j’imagine apaisante sur le bras de son ami et le regarde fixement. Je sens qu’il se passe quelque chose à ce moment-là entre eux, mais je n’ai toujours pas envie « pas le droit ? » de savoir.
De plus, une question plus importante me tarabuste. Ai-je parlé en dormant, sinon comment saurait-il que je l’ai surnommé ainsi. A moins que ce ne soit qu’une coïncidence.
J’ai dû m’exprimer à voix haute car je sursaute lorsqu’il reprend d'une voix plus douce en reculant pour mon plus grand plaisir.
- Non vous n’avez pas parlé pendant votre sommeil.
- Alors comment…
- Je constate que vous n’avez pas l’audace de nier, c’est déjà bien. De plus je ne vous contredirai pas, c’est ce que je suis. Quant à savoir le comment… pas difficile, vos regards et vos attitudes parlent pour vous.
Woua ! Alors là, il m’a scotchée, c’est le discours le plus long que je l’ai entendu prononcer. Je ne m’attarde pas sur sa teneur qui me hérisse un peu, mais plutôt sur son ton à la fois vif et doux. Je secoue la tête, j’ai vraiment du mal à comprendre cet homme, mais cela a-t-il de l’importance ?
Roland me tend mon téléphone, alors que je suis encore abasourdie par ce très long discours.
- Votre cousine a appelé plusieurs fois, nous lui avons succinctement expliqué la situation et l’avons rassuré du mieux possible. Appelez-là, elle doit prendre un train pour vous rejoindre. Je pense qu’elle sera là demain.
Laure ! Bien sur qu’elle doit être morte d’inquiétude. Je place dans un coin de mon esprit les petites bizarreries que j’ai notées depuis mon arrivée. Même si je n’en ai pas envie, je sais que les questions viendront dont je n’aurai sans doute jamais les réponses car je n’ai pas l’intention de m’éterniser ici, et j’ai dans l’idée qu’ils n’ont pas plus que moi l’envie qu’on se revoie.
J’appuie sur la touche d’appel et vois du coin de l’œil les deux hommes sortir sans un mot. Un soudain sentiment de solitude m’envahit et un voile de tristesse se pose sur mon cœur. Heureusement, la voix de ma cousine me détourne de mes sombres humeurs.
J'adore la façon dont tu mènes ce chapitre, entre ce qui est dit, pensé, suggéré... Le ton est alerte, les personnages attachants. Une connexion s'établit. Hâte de lire la suite.
Quelques coquilles: tableau, sure, là -)tableaux, sûre, appelez-la,
A bientôt.
Merci pour ton retour. Je suis ravie que les personnages soient attachants. C'est le sentiment que je tente de développer je ne suis pas toujours sure d'avoir réussi.
Merci pour les annotations.
A bientôt
J'aime bien retrouver le pdv d'Enora, c'est amusant sa surprise devant Roland qui se met à parler. Finalement, j'ai oublié une partie de ce qui a été révélé dans le chapitre précédent avec ma petit pause PA donc je retrouve un peu l'état d'esprit de la narratrice xD
Je ne pensais pas qu'ils la laisseraient appeler une de ses proches. Est-ce que cette dénommé Laure va avoir de l'importance pour la suite ? (je verrai bien, ne répond pas ^^)
Mes remarques :
"je vais d’un côté, de l’autre," -> point après autre ?
"et s’éloigne me laissant" en me laissant ? ou virgule après éloigne ?
"En face la cheminée de marbre" virgule après face ?
"que quelqu’un est resté me veiller et malgré moi cela me touche." j'ajouterais peut-être une ou deux virgules
"Comment allez-vous, demande-t-il d’une voix grave, mais douce" manque le point après douce, et je mettrai un point d'interrogation et non une virgule.
"que ce ne soit qu’une coïncidence" il manque le point
Un plaisir,
A bientôt !
Merci pour ta lecture. En fait pour Laure, ils ont peut-être une idée derrière la tête :)
Je dois être allergique aux virgules ah ah. J'ai remarqué en relisant pour corriger qu'il en manquait d'autres. Heureusement que la réécriture est là pour corriger tout cela... enfin je l'espère :)
Merci pour ton retour et j'espère que la suite te plaira.
A bientôt
J'ai failli zapper l'hôpital et puis je me suis dit, c'est pas crédible, personne ne se poserait pas la question :))
Merci pour ton commentaire et ta lecture ça fait plaisir