Chapitre 50

Domaine Drindod, Plateau Llifadur - Brocéliande

La rencontre qu’Elara prévoyait avec Morgane Meyer avait été annulée. Cette journaliste lui filait entre les doigts chaque fois qu’elle tentait de la voir, et Elara doutait de plus en plus que ce soit le fruit d’un malencontreux hasard. C’était comme si quelqu’un trouvait un moyen de les faire s’éviter.

Morgane guidait actuellement les Kokonoe sur Terre pour faire du repérage concernant le projet des portails, et Elara avait du mal à comprendre pourquoi la Reine avait décidé de confier cette tâche à une personne d’une autre nation. Certes, Morgane était venue avec un tas de documents détaillés sur tous les événements observés sur Terre... Mais contrairement à elle, qui travaillait officiellement pour le royaume, Morgane cherchait simplement à rapatrier les humains, elle n’avait pas besoin de prendre part à la résolution des problèmes du royaume.

Elara n’avait même pas pu rencontrer la délégation du Japon Aldarien et se sentait dépossédée de son travail. Voyant qu’elle fulminait et tournait en rond, désoeuvrée, Lirion lui avait proposé d’aller voir sa famille en attendant le retour du groupe.

Elara avait accepté de bonne grâce, reportant sa curiosité sur « la famille de Hoper la plus influente de Brocéliande ».

Elle se retrouvait donc au domaine Drindod, observant patiemment les interactions des différentes personnes à table.

En face, Carufenn et Abelia, le père et la mère de Lirion, sur la droite Silmania, sa petite sœur, Sikaes, son plus jeune frère à gauche et debout à la place d’honneur, Rhydian son grand frère.

Une cacophonie régnait, chacun voulant faire entendre sa voix.

Silmania se plaignait de l'occupation de leur domaine pendant la durée des travaux, Rhydian trouvait là une opportunité de briller ailleurs que dans les jardins de la Reine Dahut, Abélia tentait d'extraire des informations de chacun et Carufenn le patriarche faisait un sermon typique de père qui souhaite le meilleur pour ses enfants et qui doivent donner leur maximum pour faire honneur à la famille Drindod.

Lirion répondait calmement aux différentes accusations concernant son absence aux réunions de famille qu'Elara avait renommé « conseil de guerre »  

— Maintenant que Lirion a une compagne, il va prendre ses responsabilités, répliqua sa mère.

— Mon Domaine est parfaitement entretenu, il est stable et aucun des problèmes récents ne l'a touché.

Sikaes ricana.

— Ce n'est pas ce qu'on m'a dit ! Un chapalu corrompu aurait fait des ravages et abimé pas moins de douze chênes anciens abritant des fées et un nichoir de Mabinogi.

— Si tu as le temps de filtrer les messages qui ne te sont pas adressés, tu devrais le passer à travailler ton concours. La sélection démarre dans deux mois. Répliqua Rhydian sèchement.

— Ton frère a raison Syk, si tu veux prétendre au poste à Alenvel, tu ferais mieux de faire tes preuves plutôt que jalouser Lirion. Repris Carufenn.

— Si Elowen était là, elle m'aurait donné raison. C'est elle qui a le domaine le plus difficile à gérer, grommela Sikaes.

— Si ta grande sœur était là, elle t’aurait sorti de table par les ailes pour ton attitude. Lirion nous a ramené quelqu'un et tout ce que tu trouves à faire c'est vider ton sac plutôt que montrer une bonne image de toi, soupira Silmania. Elle est belle la famille Drindod à laver son linge sale en public !

— Silmania !! Disputa sa mère.

Elle baissa la tête et Elara soupira alors que Lirion faisait un claquement de langue agacé qu'elle ne lui connaissait pas.

Elle se leva en faisant grincer sa chaise pour interrompre le flot de parole vicier.

— Merci de m'accueillir dans la famille. Je n'ai pas de conseils à vous donner sur la manière de gérer vos carrières, mais je trouve que c'est une bonne chose de savoir parler à cœur ouvert, même si c'est un peu bruyant. (Elara fixa un instant son regard sur Sikaes qui devint aussi rouge que ses cheveux qui l'étaient majoritairement.) Peut-être que nous pourrions nous revoir dans des conditions plus apaisées pour un de vos « conseil de guerre» et voir comment tirer le meilleur de chacun.

— Un conseil de gu... pff

Carufenn éclata de rire, alors que les autres tombaient dans l'hilarité.

Rhydian fit un grand sourire à Elara alors que sa mère tentait de garder sa contenance, très coquette dans son rire.

— C'est exactement ce qu'il nous fallait dans la famille. Quelqu'un qui ne craigne pas de dire les choses avec fermeté mais bienveillance. Repris Carufenn. 

Abelia se gratta la gorge pour parler.

— Je m'inquiétais un peu quand on m'a annoncé que Lirion était en couple avec une humaine. J'ai pensée qu'il partait dans une fantaisie et perdait la tête, une rébellion tardive. On reçoit des centaines de demandes tous les ans pour lui. Mais maintenant que je vous vois, je réalise qu'il a fait un très bon choix.

Elara susurra à Lirion

— Des centaines, hein ? 

Il fronça les sourcils vers sa mère comme seule réponse.

— Votre fils ne manque pas de discernement et c'est son caractère un peu bohème qui fait de lui un bon médiateur avec les habitants de la vallée Gwynnfaen. Un peu plus de confiance ne ferait pas de mal, pour vous tous. Vous avez la chance d'avoir une grande famille et chacun a sa personnalité, ses qualités. 

Elle regarda Sikaes de nouveau et elle sentit qu'il s'apaisait.

Ils terminèrent le repas de manière beaucoup plus légère. Rhydian invita Lirion et Elara à venir voir son dernier-né quand ils auraient le temps. Il était absent du palais pour le moment, restant avec sa compagne jusqu’à ce que son fils sache se métamorphoser en Hoper et voler.

Rhydian discutait avec des korrigans pour que des Lannluch soient préparés pour leur retour dans leurs habitations respectives ; ils feraient une partie de la route ensemble.

Elara s’éclipsa un instant pour boire un peu avant de remonter sur les créatures infernales. Elle croisa Sikaes, qui discutait avec un Tylwyth Teg, lequel s'envola à son arrivée. Elle le suivit alors que Lirion discutait avec son père plus loin. Elle s’avança vers le jeune Hoper en souriant.

— Nous allons y aller… ça m’a fait plaisir de te rencontrer, Sikaes.

Il semblait gêné, réagissant comme un adolescent timide.

— Je… Je suis désolé pour tout à l’heure. Je ne voulais pas être agressif avec Lirion.

— C’est oublié. Ça arrive de se sentir frustré, à fleur de peau, et de dire des choses que l’on regrette après.

— Ça ne t’énerve pas que mes oiseaux le surveillent ?

— Tu t’inquiètes pour lui, pour sa sécurité, et pour la mienne aussi, il me semble ? Je pense que je te dois des remerciements.

— O... Oui. Comment tu sais ?

— Tes oiseaux sont beaucoup plus rouges que ceux du domaine de Lirion, et personne n'a semblé méfiant à leur encontre. Puis, je trouvais ça étrange d’en voir me suivre jusqu’à ce qu’ils me sortent d’une mauvaise passe. Mais tu es déjà au courant.

— Seuls mes Tylwyth Teg sont dignes de confiance et me disent la vérité sur ce qu’il se passe au Palais.

— Il y a des choses inquiétantes qui se déroulent en ce moment… nous pourrions continuer à discuter par oiseau interposé à ce sujet, qu’est-ce-que tu en penses ?

— Tu vas tout raconter à Lirion ?

Elle lui sourit.

— Si tu n’y tiens pas, je tiendrai ma langue, mais je pense que tu devrais avoir une vraie discussion avec lui.

Il sourit largement, creusant une fossette qui faisait ressortir son aspect juvénile.

— Je t’enverrai mes Tylwyth Teg !

Elle ouvrit les bras et serra Sikaes contre elle, à sa grande surprise. Il lui faisait penser au petit frère qu'elle aurait aimé avoir, et elle ébouriffa légèrement ses cheveux qu'il gardait en tignasse mal entretenue, comme s'il les négligeait sciemment.

— Quel dommage que tes cheveux soient dans cet état, leur couleur est superbe.

— Ils sont trop rouges pour un Drindod.

— Je vois bien les stries noires et blanches pourtant, puis c'est le rouge des oiseaux que tu contrôles. Sois fier de ta différence.

Elle entendit des bruits de pas se rapprocher.

— Elara ? interrompit Lirion.

— J’arrive !

Elle se retourna vers Sikaes et lui sourit.

— Prends soin de toi.

Il hocha la tête.

— Je t’envoie un Tylwyth Teg écarlate dès ton retour, lui lança-t-il alors qu'elle s’éloignait.

Lirion glissa sa main dans le dos de la jeune femme.

— De quoi avez-vous discuté ?

— C’est un secret.

Il se pencha pour capturer ses lèvres et, quand il s’en décrocha, elles bougèrent toutes seules dans un flot de paroles qu’elle avait contenu.

— Lirion, je compte découvrir la vérité sur ceux qui nuisent à l’équilibre dans le Royaume. Je sais que tu crains qu’il m’arrive quelque chose, mais ce serait plus dangereux de laisser les choses telles quelles. Si on veut pouvoir véritablement ouvrir nos frontières, c’est primordial que la Reine ait une base de soutien solide et incontestée.

— Je comprends que ce soit nécessaire, dit-il en serrant la mâchoire.

Elara lui sourit et frotta son visage contre son cou, mimant son geste habituel.

— Je te promets de faire attention.

— J’aimerais officialiser notre union dès maintenant auprès de la Reine. Ça te donnerait un poids supplémentaire à la cours si tu rencontres des résistances et accès au conseil…

— J’aurais voulu attendre que la crise soit réglée pour faire ça bien, dit-elle en soupirant.

— Fais-le pour moi, demanda-t-il d’un ton qui ne laissait pas de place au refus.

Elle hocha la tête, et il la serra contre lui, un peu rassuré.

— Allons-y, dit-il en l’entraînant à sa suite.

Elara se sentait un peu coupable de lui causer de l’inquiétude supplémentaire en lui cachant l’aide de son jeune frère Sikaes, mais elle avait donné sa parole. Elle trouverait bien quelque chose pour alléger son karma.