Chapitre 51

Notes de l’auteur : MAJ : 7 juillet, nouveau chapitre faisant suite à l'enlèvement de Léa.

Porte principale du Palais, Citée d'Ys - Brocéliande

Elara et Lirion étaient à peine descendus de leur Lannluch qu’un Hoper crème fonça dans leur direction.

— Il y a une urgence ! siffla Mael en se métamorphosant juste devant eux.

— Qu'y a-t-il ? demanda Lirion en pensant aux Brocéliandins qu’il suivait au centre médical.

— Léa, l’humaine avec Donnon, a disparu du domaine Coedwig. Elle a été enlevée. Je viens de prévenir Donnon et Alice qui attendaient son retour.

Elara allait jurer quand elle vit arriver au pas de course, sous leur forme de quatre mètres, le gardien Donnon, puis Garen portant Alice, minuscule sur son épaule. Ils ne s’arrêtèrent pas à leur niveau et foncèrent, faisant trembler le sol de leurs pas lourds et puissants.

— Ont-ils une piste ? demanda Elara au Hoper blond.

— Ils sont passés voir Aeronwy pour demander de l’aide, et apparemment, elle serait séquestrée dans la forêt. Donnon pense avoir reconnu un endroit.

— Je dois aller la voir… pour d’autres raisons, précisa-t-elle, se dirigeant vers l’aile ouest du Palais où se trouvait le laboratoire de la harpie.

— Mael, peux-tu transmettre un message à la Reine ? demanda Lirion.

— Je peux, mais je crois qu’un de mes frères est déjà avec elle.

— Dis-lui que j’aimerais une cérémonie d’union rapide.

Les deux Hoper se regardèrent un instant, l’air sérieux. Mael comprenait bien que ce n’était pas un sujet de célébration en voyant le visage fermé de son ami et de sa compagne.

— Entendu, valida Mael en ébouriffant ses cheveux et en poussant un soupir las.

— Je te remercie.

Mael s’envola alors qu’Elara continuait sans s’arrêter, suivie de Lirion qui arriva à la rattraper en quelques grandes enjambées.

— Qu’est-ce que tu comptes faire, ma chérie ?

— Je n’aurai aucun scrupule à utiliser mes connaissances en politique. Sinon, ça va être le chaos, je le sens.

***

Alice aurait, dans n’importe quel autre contexte, crié d’excitation alors que Garen la conduisait à la vitesse d’un bolide, la secouant comme un manège à sensation depuis son épaule. Mais la peur formait une boule dans sa gorge : Léa avait été kidnappée.

Alice avait peut-être pris les dangers de Brocéliande trop à la légère et elle s’était séparée de son amie après une dispute, ce qui l’avait peut-être rendue imprudente. Elle savait comment fonctionnait Léa ; elle se sortait de toutes les situations qui faisaient appel à la logique et à l’organisation, mais avait du mal à gérer leurs disputes. La dernière fois qu’elles s’étaient fortement querellées, Léa avait bu tout le cognac de son père sous le coup de l’impulsivité, et c’était elle et Noémie qui avaient réparé les dégâts le lendemain, le temps qu’elle dégrise.

Donnon avait également cette tête de coupable, se murant dans le silence alors qu’il dépassait Garen de quelques mètres, en concentration absolue, ne gaspillant pas un seul mouvement dans sa course.

Mael était arrivé en catastrophe à la caserne où Donnon entraînait Garen en vue de son test de gardien, venant la voir directement pour lui signaler la disparition de son amie. Donnon s’était alors mis dans une rage folle contre le Hoper, avant de foncer au laboratoire d’Aeronwy pour lui demander d’utiliser son pouvoir de détection pour retrouver Léa.

Depuis, ils n’avaient fait que courir, mais elle sentait que Donnon bifurquait dans les bois, ce qui devait signifier qu’ils approchaient du but. Le géant vit une cabane près d’un ruisseau et frappa à la porte avant de voir qu’elle était ouverte.

La pièce était vide, mais le sac de fortune que Léa gardait toujours sur elle gisait au sol, la bretelle déchirée. Donnon poussa un cri de rage et prit le sac qu’il serra dans son énorme battoir.

— Elle a été déplacée… avoua Donnon, les poings serrés.

— Vous n’avez pas de chiens ici ? demanda Alice, le cœur battant.

— Non.

— Et des créatures qui auraient un bon odorat ?

— Les Equorix ! répondit Garen en déposant Alice, puis en rapetissant.

— Est-ce que tu crois que Georges est toujours dans le coin ? demanda Alice, pleine d’espoir.

Garen poussa une sorte de grognement très grave, à la limite de l’audible, qu’elle ressentait jusque dans le sol comme une vibration. Ils attendirent, mais rien.

Donnon n’attendit pas plus et commença à inspecter les potentielles traces laissées qui pourraient indiquer la direction prise et les suivit, lentement pour ne rater aucun indice.

***

Léa se réveilla, sentant une légère nausée la prendre. Une odeur âcre tapissait son palais, saturant son odorat, et elle respira par la bouche, essayant de voir où elle se trouvait. Elle tâta son dos, réalisant que son sac avait disparu, mais ne se démonta pas et observa son environnement.

Elle se trouvait dans une grande caisse en bois, probablement sur une charrette ou une créature en mouvement. Elle vit la lumière déclinante à travers une fente assez large présente sur la caisse et essaya immédiatement de tirer sur la latte fragilisée, faisant levier avec ses mains et poussant de ses pieds en dessous, le dos en pression sur l’autre pan de la caisse. La latte céda presque sans bruit et, encouragée, elle continua avec une seconde, pouvant cette fois-ci passer ses mains entières dans l’ouverture.

En quelques minutes, et sans que l’allure de son « véhicule » ne se modifie, elle avait réussi à s’aménager une ouverture assez grande pour s’y faufiler, remerciant les heures passées à faire du sport. Elle prit une des lattes cassées en pointe pour s’en servir en cas de défense et glissa sa tête pour observer ce qu’il y avait à l’extérieur. D’autres caisses et des tonneaux étaient empilés dans une remorque tirée par deux Trolls, et une créature humanoïde était adossée à un tonneau juste à côté. Elle retint son souffle, consciente que la créature aurait pu l’entendre arracher les lattes de sa caisse, mais elle semblait concentrée sur la route.

Elle fouilla dans la poche arrière de son jean, où elle gardait « au cas où » le précieux sachet qu’Hafgan lui avait remis : en cas d’attaque, cela devait être à portée de main, pas dans son sac à dos fermé, et elle s’auto-félicita pour sa clairvoyance. C’était l’heure de vérité : si la bille de confusion fonctionnait, elle pourrait s’enfuir plus aisément, sinon, elle serait obligée d’utiliser son arme de fortune et elle n’avait jamais rien attaqué de plus gros qu’un lapin pendant son stage de survivalisme. Respirant un grand coup, elle attendit de maîtriser les soubresauts de la route pour viser et lancer avec force une bille directement dans la tête de la créature, qui s’écroula tête en avant, sans bruit.

— Yess ! chuchota-t-elle, pas folle au point de crier victoire trop vite.

Elle se retourna et vit que la vitesse de la charrette était suffisamment faible pour qu’elle tente une descente en route. Observant son futur point de chute, elle protégea ses bras et sa tête et sauta dans un buisson particulièrement touffu. S’étant bien réceptionnée, elle jugea qu’aucune éraflure ne nécessitait de traitement immédiat et resta un instant sans bouger dans son buisson, pour être certaine que la charrette se soit éloignée, puis elle regarda les traces des roues au sol et commença à remonter dans le sens inverse, restant en bord de route, prête à se cacher si quelqu’un passait par là.

Elle attrapa sur son chemin ce qui lui paraissait utile et se désaltéra directement sur une feuille de Douran, cet arbre qui gardait des litres d’eau potable dans ses grandes feuilles tombantes. Puis elle sentit des vibrations au sol et se cacha derrière un arbre, la plus immobile possible. Une voix rocailleuse vibra, et un sourire éclaira son visage.

— Georges ! souffla-t-elle, retenant un cri de joie à la vue de l’Equorix.

— Ammmie d’Aaaaliccce !

— Tu suivais la charrette ? Comment as-tu fait ?

— Sennnti ton odeuuuur.

— Ah... heu, d’accord… Tu as un bon odorat, dit-elle, réprimant l’envie de vérifier son niveau de puanteur après l’effort physique qu’elle venait d’exercer.

— Tu te prrromènes ? Comment vaaaa Aliccce ?

— Non, je ne me promène pas à la tombée de la nuit dans la forêt… Alice... va bien. Est-ce que tu peux me ramener vers la cité d’Ys, s’il te plaît ?

— Ouuuiii ! accepta Georges en baissant ses quatre pattes arrière sur douze.

Léa se hissa à la force de ses bras, s’agrippant au poil rugueux de l’Equorix, et en quelques minutes, elle avait parfaitement maîtrisé les ondulations étranges et chaotiques de sa monture. À un moment, il sembla s’arrêter pour tendre l’oreille, puis il bifurqua, quittant la route qu’ils suivaient pour s’engouffrer entre deux arbres.

— Mais ! où tu vas, Georges ?

— Plus raaaaapide.

Ils continuèrent ainsi de nombreuses minutes, puis Georges s’arrêta en plein milieu d’une route, soufflant fortement de ses naseaux, sortant sa langue comme pour goûter l’air. Léa s’apprêtait à l’interroger quand elle vit arriver en courant Donnon sous sa forme massive gigantesque, suivi d’un autre géant qui devait être Garen, car Alice était perchée sur son épaule. Donnon se stoppa net, la regardant avec intensité, puis rétrécissant à taille d'homme.

— Salut, souffla-t-elle en le voyant muet.

— Tu as été enlevée… comment ? demanda Donnon figé de surprise.

— Tu ne crois quand même pas que j’allais rester dans une caisse sans chercher à m’enfuir, dit fièrement Léa, dressée sur son Equorix, qui semblait tout aussi fier de lui.

— Ça, c’est ma Léa ! cria Alice qui souriait jusqu’aux oreilles, toujours perchée à quatre mètres de haut.

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