J’arrivai chez moi dans la soirée, un peu avant 21h30.
Il n’y eut pas de larme et pas de jeune fille froide. Il n’y eut que Léa, acceptant l’alternance et la domination de son avatar.
Installée sur mon canapé avec une part de pizza et une salade, j’allumai le portable de Lola. Pas de message ni de sms. La disparition de notre annonce se faisait sentir. D’un autre côté, le récent changement de nature de mon activité avait triplé mon tarif horaire, et ce qui m’attendait avec Kevin après-demain soir me permettait de réduire quelque peu les massages. On avait toutefois tenté de me joindre sans laisser de message. Je laissai le portable allumé, au cas où.
Mon smartphone personnel en main, j’appelai Éric.
-Salut Léa.
-Tu vas bien ?
-Ça va, oui.
-J’ai l’accord pour le mémoire.
-Ah génial ! Je suis content pour toi.
-Tu fais quelque chose demain ?
-En fin d’après-midi je dois voir une association qui met des stagiaires en contact, pour tenter de partager les frais des stages.
-Genre covoiturage ?
-Là ce serait plutôt pour de la colocation.
-Mais tu ne devais pas être logé chez l’habitant, à Londres ?
-Si, mais on m’a expliqué que si je trouvais une autre personne, ils pourraient la loger aussi pour pas grand-chose en plus, ça aiderait financièrement.
-D’accord. Et donc tu serais libre quand ?
-L’association tient un stand dans mon école d’architecture. Je les voir à 18h30, je ne pense pas que ça durera longtemps. Si tu veux, tu me rejoins là-bas et on va se manger quelque chose dans la foulée.
-Ça me va très bien.
-Ce week-end je dois aller voir mes parents, ils divorcent, c’est officiel.
-Ah merde, je suis désolée. Je ne suis pas sûre que je serve à grand-chose, mais si tu veux que je t’accompagne, je peux.
-Je ne sais pas trop si ça aiderait. Moi je serais content que tu sois là, mais ils ne t’ont vue qu’une fois et ma mère se méfie bêtement de toi…
-Oui je sais bien. On en parle demain si tu veux.
-Oui.
-Je t’embrasse.
-Moi aussi Léa, à demain.
-A demain.
Vers 23 heures j’entendis la porte à côté de mon appartement s’ouvrir et se refermer. Je crus que Mélanie rentrait chez elle, mais à travers le judas je vis Amine quitter son studio.
Je sortis du mien et toquai à sa porte. La belle sicilienne m’ouvrit dans une tenue très suggestive : elle ne portait qu’un shorty noir et un caraco assorti duquel ses magnifiques seins débordaient généreusement.
-Entre, ma poulette.
-T’ouvres dans des tenues, toi…
-Je savais que c’était toi.
-Je t’ai pas entendue, avec Amine. T’as l’orgasme qui est devenu silencieux ?
-J’ai mes règles, je lui ai fait quelques gâteries, mais il n’y a rien eu d’autre.
-Tu t’es rincé la bouche ?
-Oui pourquoi, tu veux me rouler un patin ?
-Ça va aller, merci. Tu vas bien ?
-Oui, ça va, j’essaye de jongler entre mes deux formations, plus les massages. Vivement les vacances de Pâques !
-T’as une baisse des appels, toi aussi ?
-Oui. Mais comme prévu, ce sont les débiles légers qui ne se manifestent plus. Les mecs sérieux, je les ai toujours.
-Tu tournes encore à trois ou quatre par demi-journée ?
-Hier j’en ai eu trois et pour vendredi j’ai déjà deux rendez-vous de pris.
-Des habitués ?
-Oui.
-Voilà, on tourne sur notre petite cour.
-A ce sujet j’ai une proposition de quatre mains.
-Qui ça ?
-Un type que tu n’as jamais vu. Il avait mon numéro en mémoire et n’est pas retourné sur l’annonce depuis des mois… C’est quand il a reçu mon sms qu’il est allé voir le nouveau site et qu’il a découvert la blondinette.
-Et saisi la balle au bond.
-Je l’ai vu hier, il m’a posé des questions sur toi. Il était assez curieux. Il a d’abord dit qu’il allait t’appeler mais très vite l’idée d’un massage avec nous deux lui est venue.
-Il a quel âge ?
-Cinquante environ.
-On fait ça quand ?
-Moi, le lundi, je pars à 13 heures, quand tu arrives, en gros. Hier j’avais fini un peu avant, c’est pour ça qu’on ne s’est pas croisé. Mais si tu pouvais être là avec un peu d’avance, genre midi et quart, on pourrait réussir à faire une heure ensemble, je me débrouillerais pour manger un sandwich sur le trajet en allant en cours.
-C’est jouable.
-Alors je le rappelle demain et je lui propose un lundi.
-D’accord.
Mélanie m’avait parlé en faisant un café. Elle m’en versa une tasse avec quelques amaretti. Elle hésitait toujours entre Vincent et Amine, ne parvenant pas à renoncer à l’un ni à être exclusive avec l’autre. Elle m’avoua même qu’un certain Jules l’avait draguée près de son école d’esthéticienne, et qu’elle le trouvait craquant. Dans le langage sicilien, cela signifiait que trois amants simultanés étaient envisageables. Puis la conversation revint sur mes nouvelles pratiques.
-Alors, comment va Martin ?
-Il aime les baignoires.
-Ah tiens !
-Sinon, il était en très grande forme. Surtout dans la baignoire.
-Méfie-toi, il fait des évals sur le forum.
-Il m’a promis que ça resterait entre lui et moi.
-Ok. Et toi, t’étais comment ?
-Blonde.
-C’est vrai qu’après les cheveux courts, le piercing et le tatouage, te teindre en rousse serait cohérent, comme étape ultime.
-Tu veux que ma mère se défenestre ?
-Elle a du mal avec ton look ?
-Elle a du mal avec moi.
-Je trouve que ça te va bien.
-Merci.
-Tu l’as sans doute un peu fait parce que pas mal de choses bougent dans ta tête...
-… ce qui est souvent le cas des gens qui changent leur apparence…
-… absolument, mais en tout cas, t’as pas fait n’importe quoi. C’est plutôt bien choisi.
-Malheureusement, ma mère n’est pas de cet avis.
-Et Éric, il aime ?
-Beaucoup, oui. Charlotte aussi.
-Et donc, à part que tu étais blonde… tu as vécu le rendez-vous comment ?
-Mieux.
-Mieux pendant, mieux après ?
-Les deux.
-Pendant ?
-Un orgasme.
-Ah oui, nettement mieux donc.
-Mais t’avais raison.
-C’est-à-dire ?
-J’ai joui en Andromaque.
-Ah oui, voilà.
-Je me suis imaginée dans Basic instinct.
-Femelle dominante, blonde qui dirige le monde et manipule les deux sexes. Ça te va bien.
-Tu savais qu’il raconte tout à sa femme ?
-Martin ? Sans déconner ?
-C’est ce qu’il m’a dit. Elle a eu un traumatisme, ne peut plus faire l’amour, et lui a signé un chèque en blanc pour massages érotiques et escorts à volonté, contre des récits détaillés.
-Mytho ?
-J’en sais rien, il avait l’air sérieux.
-Pourquoi pas, après tout.
-Je voulais te dire…
-… oui … ?
-… que je te remercie d’avoir été présente quand j’allais mal, l’autre jour. Et même avant. Tu trouves peut-être que je déraille complètement et que je fais n’importe quoi, et tu as sans doute un peu raison, et même complètement raison, mais ça me touche, que tu sois là, sans me juger.
-Viens-là ma jolie poulette.
Je pris Mélanie dans mes bras et déposai un petit smack d’amitié sur sa bouche.
-A propos, tu les embrasses ?
-Oui.
-French kiss ?
-Oui.
-Apparemment, c’est pas si fréquent.
-Je peux pas faire l’amour sans embrasser.
-Oui je comprends, mais justement certaines filles disent que si elles n’embrassent pas, elles ont moins l’impression de faire l’amour avec le client.
-Quand Martin m’a prise en levrette dans sa baignoire et qu’il s’est déchainé en envoyant de la flotte dans toute la pièce, crois-moi, j’étais pas en train de l’embrasser, mais j’avais vraiment l’impression qu’il me baisait.
-Oui, c’est peut-être un peu hypocrite, en effet.
-Ce que je comprends, c’est qu’embrasser c’est très personnel, très intime.
-Voilà, oui.
-Enfin je l’ai fait spontanément avec Nicolas, donc je l’ai refait avec Martin. Mais il m’a posée la question, c’était marrant.
-C’est un habitué des escorts, il aurait pu te faire tout l’interrogatoire sur ce que tu fais ou ne fais pas. Si ça a été sa seule question, c’est qu’il est resté soft.
-Je crois qu’il ne cherchait pas de pratique particulière autre que de passer deux heures avec une petite copine.
-Tu es donc une GFE.
-Une quoi ?
-Girlfriend experience. Une nana qui se comporte comme si elle était la petite amie de son client.
-Ah ben oui, alors.
Je restai encore un moment, apaisée par la nuit et la présence amicale de Mélanie, qui était la seule à qui je pouvais me confier désormais. Je rentrai me coucher vers minuit.
Le lendemain, après la fac, j’allai donner mon cours particulier à Eva, dont le troisième trimestre était bien lancé. Elle s’était visiblement dégotté un mec, et passa la moitié de la séance à m’en parler. Investie du rôle d’aînée confidente, je l’écoutai tout en m’évertuant à lui faire résoudre quelques exercices. Eva n’était pas désagréable physiquement, mais elle avait des traits peu fins. Son corps changeait et la collégienne de l’année dernière avait déjà disparu sous un visage plus mûr, des seins plus lourds et une taille plus affirmée. Mais elle était encore dans la partie ingrate de l’adolescence, qui avait fait germer sur son visage des boutons clairsemés résistant au biactol, et des plaques granuleuses assez disgracieuses. Elle manquait de confiance en elle, et la joie d’avoir un petit copain se doublait de l'angoisse de le perdre.
-Qu’est-ce que je dois faire pour le garder ?
-Rien, sois toi-même.
-Ouais mais ça va pas suffire.
-Ça a bien suffi pour qu’il sorte avec toi, non ?
-Oui, mais tu connais les mecs. Il va vouloir… enfin tu vois…
-Non, Eva, je ne vois pas.
-Coucher.
-T’as quinze ans, ne te sens obligée de rien, et surtout pas pour garder un mec s’il te met le sexe dans la balance.
-Tu avais quel âge, toi ?
-Peu importe, je te dis juste que ce serait la pire raison de coucher avec lui.
-Mais c’est les mecs, ils sont comme ça !
-Mais tu te rends compte des conneries que tu débites ? T’as l’âge de réfléchir par toi-même et tu annones des clichés !
-M’engueule pas.
-Si ! Fais-toi tes propres opinions sur les garçons. Ne répète pas celles de ta mère, de ta grand-mère, de tes tantes, de tes copines, de ta prof de français, ou de je ne sais qui, comme si c’étaient des vérités absolues.
-Ben ouais mais souvent ça se vérifie.
-Qu’est-ce que t’as vérifié, toi ? T’as embrassé combien de mecs dans ta vie ?
-Ouais pas beaucoup, mais on voit bien leur comportement.
-Tu vois ce que les paroles que tu as entendues te font voir. Tu interprètes les choses avant-même de les vivre. Tu es conditionnée pour déceler tous les signaux qui pourraient valider les mises en garde qui t’ont été faites. On te met un filtre bleu devant les yeux et on te demande de vérifier que tu ne vois pas de rouge. Evidemment que tu n’en vois pas…
-J’ai pas tout compris.
-Pas grave. Retiens juste une chose. Fais marcher ton cerveau.
Après mon cours de danse orientale, je filai vers mon nouvel ami, le grand chauve tatoueur et perceur devant l’éternel. Quand j’entrai dans la boutique, il discutait avec une femme d’une trentaine d’années venue choisir un motif pour un tatouage.
-Tiens voilà un exemple vivant, dit-il en me désignant.
-Bonjour, lançai-je.
-La demoiselle a fait un tatouage à la cheville. Ça te dérange de le montrer à la dame, elle en veut un aussi.
Je m’assis sur le fauteuil de torture et retroussai mon jean. J’avais remis le flare, pour faire semblant de suivre ses consignes jusqu’au bout. En vérité, cela faisait plusieurs jours que j’avais pris quelques libertés avec la liste des indications qu’il m’avait énumérées. Mais j’avais de la chance, la cicatrisation était impeccable.
-C’est magnifique. Tu cicatrises vite et bien, toi.
-Ah c’est très joli, commenta la femme penchée sur ma cheville droite.
-Ça donne envie, non ?
-Oui, ça ou un autre motif, mais ça donne envie de le faire à la cheville. Vous avez eu mal, me demanda-t-elle ?
-Euh…
Mon tatoueur m’informa que je pouvais arrêter les soins. Les croutes formées par-dessus le passage de la buse étaient tombées, et aucun trait du dessin n’avait été altéré. C’était fini, j’étais tatouée. Et à vie, comme avait dit ma mère. Il termina avec sa cliente qui choisit comme dessin un bracelet de cheville qu’elle souhaita en perles. Le chauve lui fixa un rendez-vous et elle quitta la boutique en me remerciant. Puis il farfouilla sous son comptoir et en ressortit une petite boite qui ressemblait à ces étuis cubiques que les acteurs s’offrent à genoux dans les films américains quand le spectateur est censé comprendre que l’un va demander l’autre en mariage. J’ouvris le couvercle.
Le diablotin était merveilleux. Entièrement en or, il était ciselé à la perfection, avec de multiples détails qui justifiaient une partie de son prix. Il était articulé et je devinai qu’une fois posé, il épouserait en se dandinant les mouvements de mon ventre. Bien à gauche sur la poitrine, un petit rubis en forme de cœur était inséré dans le corps en or. La pierre rouge avait sa propre épaisseur, qui la faisait dépasser légèrement du bijou, comme si ce cœur avait de lui-même voulu se mettre en avant.
-C’est pas exactement le même que sur la photo, non ?
-En effet ils l’ont retravaillé, mais en mieux.
-Oui, le cœur est mieux inséré dans le diable, c’est plus naturel.
-Et le prix n’a pas changé.
-Il est vraiment très beau.
-Je peux voir ton ventre ?
Je soulevai mon pull et le chauve regarda attentivement la barre de titane, ainsi que l’allure du petit trou qu’elle traversait dans nom nombril.
-C’est vrai que tu cicatrises bien. Mais évite quand même de mettre le nouveau tout de suite.
-Vous m’aviez parlé de cet été pour passer au piercing définitif.
-Laisse au moins passer encore un mois. Si tu veux jouer la sécurité, tu tiens jusqu’à mi-juin et là ça devient vraiment très bien.
-Ok, je vais attendre, alors.
Je réglai les deux cents euros du solde et repartis avec la petite boîte contenant mon futur ornement. Je repassai chez moi travailler un moment avant de rejoindre Éric. Lola reçut un appel.
-Bonjour Lola c’est Arnaud.
-Ah bonjour Arnaud.
-Vous vous souvenez de moi ?
-Mais oui, bien sûr, vous êtes mon client qui me fait des essais comparatifs avec les autres masseuses !
-Exactement, d’ailleurs j’ai des mises à jour à vous communiquer.
-Il va falloir publier un guide Michelin des salons de massage, alors.
-Vous auriez trois étoiles !
-Ohhhh mais c’est qu’il me flatte !
-En tout cas j’aimerais bien un rendez-vous.
-Très bonne idée, Arnaud. Lundi prochain ça vous va ?
-D’accord, tout de suite à 13 heures c’est possible, pour une heure ?
-Vous êtes noté !
-Parfait, bonne fin de semaine alors Lola.
-A vous aussi Arnaud, au revoir.
J’aurais pu proposer un rendez-vous dès le lendemain, mais plusieurs heures en compagnie de Kevin me suffiraient largement en termes d’activité érotique. Je ne pris donc pas de rendez-vous avant lundi.
Je partis un peu avant 18 heures et me dirigeai vers l’école d’archéologie. Je m’installai dans la cafétéria. C’était la première fois que j’entrais dans cette école. Il y régnait une atmosphère très différente de celle de mon université, dont le côté impersonnel me convenait autant qu’il permettait à chaque étudiant de se fondre dans la masse et d’envisager ses études comme bon lui semblait. L’école d’Éric respirait à la fois l’entraide et la compétition. Des petits groupes discutaient cours, projets et culture architecturale autour de gobelets de café. Je m’apprêtai à m’en chercher un au distributeur quand un grand brun bouclé habillé en noir de haut en bas, manteau, col roulé, jean et bottes, me devança et m’en tendit un. Il ressemblait à une espèce de croisement entre Nicolas Sirkis et le Patrick Bruel des années 90.
-Je peux t’offrir un café ?
-Soit un café, soit un appartement à Paris, place Dauphine.
-Le café est prêt.
-Tu l’as échappé belle !
-Je m’appelle Quentin.
-Léa.
-Je ne t’ai jamais vue ici, tu es étudiante chez nous ?
-Chez vous ?
-Enfin à l’école d’archi.
-C’est marrant de dire « chez nous ». Je suis en fac, et ça ne me viendrait pas à l’idée de dire « chez moi ».
-C’est très spécifique, ici. Il y a un fort sentiment d’appartenance à un groupe, à une culture commune.
-Oui, c’est bien ce qui me semblait depuis que je suis entrée.
-Et que viens-tu faire en visite comme ça ?
-C’est vraiment un vase clos au point qu’on soumet les nouvelles têtes à un interrogatoire, chez vous ?
-Oh non, c’était juste pour te draguer.
-Ah alors je comprends mieux. Donc je viens attendre mon copain.
-Ça fait très mal, ce que tu me dis.
-Tu t’en remettras ?
-Non, je ne crois pas. La plus belle fille de l’année est prise. C’est insupportable.
-Comment ça, de l’année ?
-Je recommence. La plus belle fille de la décennie est prise. C’est insupportable.
-C’est mieux.
-Mais pas suffisant.
-Et non.
-Et c’est qui l’heureux architecte ?
-Si je te dis Éric…
-Éric ?
-Oui.
-T’es la copine d’Éric ?
-Bon alors visiblement tu le connais et visiblement il a parlé de moi.
-Mais oui je suis en troisième année comme lui, et oui il m’a parlé de toi.
-Tu as dragué la copine de ton pote, donc.
-Oui mais ça restera entre nous.
-Je peux te faire chanter, là… ?
-Pour la place Dauphine ça va être compliqué, quand même.
-Merde, alors.
-En tout cas je suis content de mettre un visage sur cette fameuse copine d’Éric.
-Fameuse ?
-Je n’entrerai pas dans les détails.
-Vous vous connaissez depuis longtemps, Éric et toi ?
-Depuis la première année.
-Il cherche un colocataire pour Londres je crois.
-Ah oui pour son stage. Moi je le fais à Berlin.
-Vous ne serez donc pas colocataires.
-Non, mais il y a pas mal de belles brunes sulfureuses qui cherchent, il devrait en trouver une sans problème.
-Excellente nouvelle.
-Ah oui ?
-Oui, comme ça je pourrai me taper une belle brune sulfureuse en sa compagnie quand je lui rendrai visite cet été en Angleterre.
Éric apparut dans l’entrée de la cafétéria. Il se dirigea vers nous et m’embrassa.
-Salut Quentin. Vous vous connaissez ?
-On a juste fait connaissance, répondit-il.
-Ton pote a des projets pour nous pour cet été.
-Ah oui ?
-Bon, je vais m’éclipser. Léa, c’était court mais très sympa.
-Oui, à une prochaine, Quentin.
Éric me fit le bilan de ses recherches. Il avait effectivement des pistes pour trouver un colocataire, et certaines de ces pistes étaient féminines. S’agissait-il de brunes sulfureuses ? Nous ne le saurions que plus tard. Nous restâmes un moment dans la cafète.
-Il te draguait, Quentin ?
-Pourquoi, c’est le genre ?
-Oui.
-Ben oui, il me draguait. Mais seulement avant d’avoir compris qui j’étais. C’est quoi ce style total black ?
-Il se la joue un peu Néo dans Matrix.
-Ah oui, j’avais d’autres références mais ça marche aussi.
Nous repartîmes en direction du centre-ville pour trouver une table où dîner. Nous nous installâmes dans une brasserie. Éric était préoccupé. Il me narra les derniers affrontements de ses parents. Sans surprise, chacun interprétait désormais chaque geste du quotidien et chaque histoire de leur passé commun pour en faire une arme à retourner contre son futur ex-conjoint. Le point de non-retour était franchi, et l’amour partagé pendant de longues années s’était mué en une haine féroce consistant à reprocher à l’autre la perte de temps et donc de vie tout au long de ces mêmes années. Bien que n’étant plus enfant, Éric était pris en tenaille entre eux et, s’il essayait de s’en dégager, il ne sortait pas indemne de la situation.
-Pourquoi tu y vas, ce week-end, exactement ?
-J’aide mon père à déménager quelques affaires pour s’installer dans un studio qu’il a loué en attendant que la maison soit vendue, et ainsi de suite.
-Tu veux que je sois là ? Ambiance pourrie pour pourrie, autant que tu ne sois pas tout seul, non ?
-Je ne sais pas comment ils le prendraient si je venais avec toi.
-Est-ce important ?
-Non, en effet. Mais je n’ai pas envie que tu sois mêlée à ça. Ma mère est agressive en ce moment, et je sais qu’elle le serait avec toi.
-D’accord, je respecte ton choix.
Je raccompagnai Éric dans sa cité universitaire jusqu’à sa chambre d’étudiant. Je savais son moral au plus bas, et ne lui sautai pas dessus pour quelques prouesses sexuelles qui étaient peut-être loin de ses préoccupations du moment. Il s’allongea sur son lit, habillé, et je me lovai contre lui, le prenant dans mes bras. Nous restâmes un moment ainsi, sans parler. Puis il exprima son besoin de câlin.
-J’aimerais sentir ton corps.
Je me déshabillai, restant en sous-vêtements, et revins tout contre lui. Il me prit à son tour dans ses bras et m’embrassa avec beaucoup de douceur. Je le sentis bander mais il ne fit pas de geste suggérant une envie de faire l’amour. Il me demanda s’il pouvait enlever mon soutien-gorge. Evidemment qu’il le pouvait ! Il posa son visage entre mes seins, respirant mon parfum, embrassant ma peau, et caressa délicatement mes cuisses et mes fesses enveloppées dans mon shorty bleu marine. Puis il se déshabilla entièrement et se remit contre moi, sans geste sexué, en dehors de ce pénis dressé comme par réflexe. Je jouai furtivement avec, le prenant entre mes mains, caressant la hampe très dure sans toucher au gland qui, non lubrifié, eut été trop sensible. Ses mais ne cherchèrent que le contact sage de mon corps, dont l’érotisme latent lui évoquait en cette soirée difficile un réconfort davantage qu’une pulsion sexuelle. Il ne m’empêcha pas de continuer mes caresses, qui devinrent plus sensuelles. Je caressai les bourses compressées sous la tige émue, griffai la peau fragile avec douceur, et effleurai le gland quand celui-ci perla sous l’effet de mes cajoleries successives. Alternativement, Éric m’embrassait ou se blottissait contre moi, cherchant soit le contact charnel de mes seins contre son visage, soit celui de ma langue contre la sienne. Pendant ces baisers apaisants, je sentis son cœur accélérer sa cadence contre mon sein droit. La verge se fit plus imposante dans ma main, et je perçus les veines se gonfler de désir et envoyer vers le sommet toute l’envie masculines de se répandre en ondes de plaisir. Sa respiration s’accéléra et il me serra plus fort.
-Léa…
-Chut. Laisse-toi faire.
Son étreinte se resserra encore et le pénis se mit à gigoter dans ma main comme s’il avait voulu s’enfuir. Je le tirai doucement contre moi. Le gland posa sa petite tête rouge contre l’intérieur soyeux de mes cuisses et mon pouce vint exciter le frein. Éric prit un sein dans sa bouche et je sentis sa langue serpenter autour de mon mamelon. Son corps eut un tremblement et un liquide chaud s’écoula contre mes jambes. Je gardai la verge dans ma main, et continuai ma caresse. Un deuxième spasme parcourut le corps figé par l’orgasme, et ma main reçut un jet onctueux qui coula entre mes doigts. Éric étouffa un soupir et l’éjaculation se termina en une dernière salve que je sentis s’insinuer sur ma cuisse et ruisseler en sinueuses trainées liquides qui chatouillèrent ma peau.
Éric resta dans mes bras un long moment. Je me levai finalement, le haut des jambes trempées de sperme, et allai prendre une douche dans la petite salle d’eau. Quand je revins vers le lit, Éric était assis, nu, et riait de la situation. Ses draps étaient bons à changer, et la tâche de semence avait eu le temps de traverser jusqu’au matelas.
-J’en ai mis partout.
-Y compris sur moi, oui.
-Désolé.
-Bah de quoi ? C’est pas dégoûtant !
-C’est vrai.
-Je vais rentrer, il est tard.
-D’accord, merci d’avoir passé la soirée avec moi, j’étais pas en super forme.
-Je ne suis pas seulement là pour les moments où tu pètes le feu !
-Je t’aime.
Je me mis à genoux en face de son lit et l’embrassai intensément, serrant contre moi son corps nu. Je quittai sa chambre et rentrai dans mon studio où je me passai trois épisodes de Lost avant de me sentir enfin fatiguée. Je ressentais une forme de culpabilité. Je me savais amoureuse de lui. Il n’y avait aucun doute là-dessus. Et je voyais bien qu’il l’était de moi. Nous avions atteint une complicité qui dépassait la seule attirance des corps, exacerbée dans ce début de relation sexuellement fusionnelle. Éric comptait sur moi. Et si je n’avais pas été prise entre les feux contradictoires de ma double vie, je m’en serais également remise à lui, à son intelligence, à ses conseils avisés, le laissant entrer vraiment dans mon quotidien. Je ne l’avais fait que par à-coups, baissant la garde par moments, et avais été séduite par son à-propos, par le naturel qui avait été le sien avec Charlotte, puis avec mes parents, me reprenant même sur ma propre attitude parfois démesurée avec ma mère.
Mais ça, c’était avant. Léa était désormais en retrait dans ma vie, et n’opérait que dans l’ombre d’un personnage qui remplissait une fonction que je ne parviendrais à désamorcer que lorsque celle-ci serait identifiée. Mes propres pulsions, mes propres fantasmes, mes propres abîmes m’avaient fait taire et baisser pavillon. S’il y avait une force à trouver pour remonter à la surface, elle était dans ma relation avec Éric. Mais c’était un jeu dangereux de compter sur la puissance salutaire de ce que j’étais en train de détruire insidieusement par ailleurs.
Méritais-je vraiment d’être sauvée par celui que je trahissais ?
When the night has come
And the land is dark
And the moon is the only light we’ll see
No I won’t be afraid
No I won’t be afraid
Just as long as you stand, stand by me.