Je tente de me frayer un passage parmi les soldats. La plupart ne me remarquent pas. Je n’attire plus autant l’attention qu’à mon arrivée. Elena m’a interdit de sortir de ma chambre, mais j’ai malgré tout désobéi. Elle sera furieuse lorsqu’elle l’apprendra, mais pour le moment, c’est le cadet de mes soucis. Elle m’a une nouvelle fois menti et cela me blesse plus que je ne le voudrais. Cette alarme n’était pas un exercice. Il suffit de voir l’air sombre des autres soldats pour comprendre qu’il s’est passé quelque chose d’anormal. J’ignore ce que je cherche en errant dans les couloirs, mais cela me fait du bien. Je sais que je n’obtiendrais aucune réponse. Encore une fois. Étant dans mes pensées, je ne remarque pas la main qui m’attrape par le col pour me faire rentrer dans une pièce de force. Je me débats, mais c’est peine perdue. Je panique. Finalement, Elena avait raison, j’aurais dû rester dans ma chambre. La porte se ferme derrière moi. Je reconnais directement le bureau de Liam. Celui-ci se tient à mes côtés. Je relève le visage pour croiser son regard. Le jeune homme, toujours jovial, me dévisage furieux. Je déglutis difficilement.
- Aurais-tu perdu la tête ? s’emporte-t-il.
- Je ne faisais rien de mal, m’écrié-je.
- Encore heureux ! Ce n’est vraiment pas le moment de trainer dans les couloirs. Tout le monde est sur les nerfs.
- Que s’est-il pa… »
Il me fait taire d’un claquement de doigts et répète comme s’il parlait à un gosse :
- Ce n’est absolument pas le moment, Isis. Tu sais que cet endroit est dangereux alors pourquoi prendre des risques inutiles ?
Je décide de faire l’innocente. Avec un peu de chance, j’en saurais davantage.
- Elena m’a dit que ce n’était qu’un exercice.
- Ne joue pas à ça avec moi. Tu sais très bien que ce n’est pas vrai, s’énerve-t-il.
Cela confirme mon ressenti, il s’est passé quelque chose d’inhabituel. Il en faut beaucoup pour que Liam perde son sang-froid.
- Qu’est-ce qui s’est passé pour que vous soyez si inquiet ?
Le jeune homme me surprend en m’empoignant les épaules d’un geste brusque. Un sentiment de panique se reflète dans son regard.
- Isis, ce n’est pas un jeu. Des rebelles se sont infiltrés dans la base à l’aide d’un traitre. Les aides de camp seront les premiers soupçonnés. Qu’est-ce que tu crois que l’on va penser si on te voit trainer partout ?
Face à sa remarque, une sueur froide glisse le long de mon dos. Je regrette immédiatement mon comportement. La colère m’a rendue inconsciente. Je me rends compte de plus en plus de la bêtise de mon action. Liam pose une main presque paternelle sur mon épaule.
- Crois-moi, Isis. Si ta supérieure a préféré te cacher la vérité, ce n’était pas contre toi. Je pense qu’elle estime que c’est la meilleure manière de te protéger.
Je soupire. Je sais qu’elle a fait ça pour moi, mais mine de rien j’en ai assez de ses mensonges. Je ne peux m’empêcher de demander :
- Pourquoi dois-je toujours être dans l’ignorance ?
La main du capitaine quitte mon épaule et celui-ci se place en face de moi. Je lève le menton pour croiser son regard. Son expression est indéchiffrable.
- Laisse-moi te rappeler ton rôle ici, Isis. Tu as beau être une aide de camp, tu n’es reste pas moins une civile dans cette base. Tu n’es pas une militaire comme ta supérieure ou moi. Voilà ce qui nous différencie.
Bien que je connaisse ma situation, cette phrase de Liam est désagréable à entendre. Même s’il ne me l’a pas dit clairement, il insinue que ce ne sont pas mes affaires. Ils n’ont aucun compte à me rendre, alors j’ai intérêt à me tenir à carreau. Je me mords la lèvre inférieure quelque peu gênée. Je m’apprête à riposter quand on frappe à la porte. Nous sursautons. Liam pâlit violemment. Les coups se font plus insistants. D’un geste, il m’ordonne de me cacher dans la salle d’à côté et de me taire. Le plus discrètement possible, je me faufile à l’intérieure de la pièce. C’est une sorte de débarras. Je colle mon oreille à la porte pour tenter de reconnaitre le visiteur, mais aucun son ne me parvient. Je manque de tomber quand la porte s’ouvre. Lima apparait dans l’embrasure.
- C’est bon, tu peux sortir.
J’obéis, mais me stoppe net en remarquant Elena en face de moi. Elle semble à deux doigts de la crise de nerfs. En deux enjambées, elle est devant moi et me gifle d’un revers de main. La surprise ne me fait ressentir aucune douleur.
- Calme-toi Darkan, s’exclame Liam en la retenant.
Elle l’ignore et se dégage. Son attention reste focalisée sur moi.
- Pourquoi es-tu sortie ? s’écrit-elle. Je me suis fait un sang d’encre. S’il t’était arrivé quelque chose, jamais je ne me le serais pardonné.
Sa voix tremble légèrement sur la fin. Je me tais. J’ai soudain honte de mon comportement. Liam a raison, j’ai agi de manière puérile. Elena tient à moi. Pourquoi faut-il que je remette systématiquement ça en cause ? Je ne suis qu’une imbécile. L’instant d’après, ma supérieure me serre contre elle.
- Heureusement que Vanraad est passé par là.
Elle s’écarte et se tourne vers le capitaine.
- Merci.
À voir l’expression de Liam, il doit être gêné.
- Ça suffit ! Redresse-toi Darkan. C’est tout naturel. D’ailleurs, je pense qu’elle a parfaitement compris la leçon, affirme-t-il en me lançant un regard lourd de reproches. N’est-ce pas Isis ?
Je saisis que c’est le bon moment pour m’excuser.
- Pardonne-moi, Elena.
Un sourire triste se dessine sur ses lèvres, mais il disparait aussitôt. J’ai d’autant plus honte de m’être montrée aussi capricieuse. Elena semble être soudain passée à autre chose. Elle frappe dans ses mains puis me désigne du doigt.
- Maintenant, Isis, tu vas faire exactement ce que je te dis.
Elle attend que j’acquiesce pour reprendre :
- J’ai à parler avec Vanraad. Tu vas retourner dans ce débarras en laissant la porte ouverte pour que je puisse te surveiller et tu vas te boucher les oreilles. Hors de question de te faire patienter dans le couloir après ce qui s’est passé.
Bien que je trouve la requête complètement stupide, mais parfaitement légitime, j’obéis et m’accroupis bien sagement au fond de la pièce et plaque mes mains sur mes oreilles.
"Si ta supérieure a préféré te cacher la vérité, ce n’était pas contre toi." la phrase se termine un peu bizarrement. peut-etre dire plutot "c'est pour ton bien"?