Chapitre 54

Notes de l’auteur : MAJ : nouveau chapitre 11 juillet

Domaine Dourgrenad - Brocéliande

 

« Bonjour Noémie,

Je tenais à t'écrire cette lettre pour te dire deux choses très importantes. Malheureusement, je ne peux pas venir te voir en personne pour l'instant, mais il est crucial que tu saches ceci.

Premièrement, les voyages entre la Terre et Aldaria sont possibles. Bien qu’actuellement ils soient restreints, tu n’es pas bloquée dans ce monde pour toujours.

Deuxièmement, les informations que tu as reçues de la part d'Eylren étaient falsifiées. Il travaille pour la Reine et est capable de créer des illusions. Je ne sais pas ce qu’il t’a montré, mais le message de la Reine que nous avons intercepté disait : « Que la compagne de Calys reste au domaine Dourgrenad jusqu’au départ des humains ». Calys n'est au courant de rien à ce sujet.

Je ne cherche pas à t'influencer en quoi que ce soit. Toutefois, je pense sincèrement qu'il n'est pas bon pour toi de rester isolée. Je comprends que tu sois tombée amoureuse de cet ondin, mais il est essentiel que tu sois consciente qu’il n'a pas le sens commun des hommes et ton choix doit être mûrement réfléchi à la lumière des informations que je viens de te transmettre.

Tu as encore le temps d’y réfléchir.

Avec toute mon affection,

Elara »

Ces révélations lui firent l’effet d'une baffe. Elle ne savait pas quoi penser, quoi faire et se sentait totalement perdue. Elle pensait devoir rester dans ce monde, avait fait une croix malgré elle sur sa famille et ses amies, et il s’avérait que tout était faux.

Noémie prit une grande inspiration et leva ses yeux rougis, s’adressant à Lirion.

— Merci de m’avoir dit la vérité, dit-elle en se levant pour rejoindre ses amies.

Alice fut la première à se jeter dans ses bras, suivie de Léa qui les enlaça toutes deux alors que Noémie ne pouvait s’empêcher de pleurer de nouveau. Elles s’assirent toutes trois dans le sable, alors que les Korrigans et Lirion s’éloignaient pour ne pas s'immiscer dans leurs discussions. Seul Calys regardait la scène de loin, presque immobile, comme un prédateur qui surveille une proie.

Léa raconta ce qui lui était arrivé dans les grandes lignes : son arrivée en Brocéliande, l’attaque de Garen, sa fuite, sa rencontre avec Lia et Ella, puis avec Emrys. Son travail avec le druide, et l’arrivée de Donnon et leur voyage pour rentrer, les dangers qu’ils avaient traversés tous ensemble, la créature horrible qui avait sévi, son second travail auprès d’Hafgan au domaine Coedwig, puis pour terminer, son enlèvement. Noémie buvait ses paroles, les yeux écarquillés d’admiration, elle avait l’impression d’écouter les exploits d’une héroïne sans peur.

Même si elle savait maintenant que les images qu’Eylren lui avait montrées n’étaient qu’une illusion, elle y voyait du vrai. Elle aurait été incapable de faire ne serait-ce que cinq pour cent de ce que lui racontait Léa. Dans une situation similaire, au mieux, elle se serait retrouvée avec les humains en stase au domaine Coedwig et au pire… Elle ne voulait pas l’imaginer.

— Bon ! Alors pour moi, ça n’a pas été aussi mouvementé, répliqua Alice. J’ai réussi à venir dans ce monde grâce à des Korrigans, puis j’ai rencontré Garen et l’ai apprivoisé. Nous avons juste cherché à retrouver Léa avec l’aide de plein de monde. Puis un Chapalu m’a balancée dans un cortège, et Niall m’a embarquée et voilà.

— Pff ! Tu es nulle pour les explications ! pouffa Léa. Tu oublies de préciser que Niall t’a gardée en cachette au Palais.

Noémie leva le nez vers Alice, les yeux gonflés et le nez rouge.

— Du lui a gardé le benton ?

Léa et Alice éclatèrent de rire à l'entendre parler le nez bouché.

— Ohh ! Noémie, non, je ne lui ai rien gratté. Je suis déjà avec quelqu’un, mais Niall semble avoir décidé que j'étais à son goût.

— Bardon ! C'est ba faute...

— Mais non ! se mit à rire Alice. Aeronwy, qui m’a « libérée », m’a tout raconté. Elle m’a dit qu’ils inspirent la peur ici... et leur espèce est presque en voie de disparition. J’ai un peu de peine pour lui, surtout qu’il est plutôt canon.

— Boi il be fait peur... répondit Noémie.

— Je n'ai pas confiance non plus, il dégage un truc pas net, renchérit Léa.

— Je ne vous comprends pas les filles... et les mythes du bad boy qui vire poilu, peut mordre pendant l'amour et hurler de plaisir ?

Elle éclata de rire alors que Léa et Noémie prenaient respectivement un air dégouté et effrayé.

— Le pire dans cette histoire ! C'est que Niall a décidé d’en découdre avec Garen depuis leur tour de force dans la salle du trône, repris Léa.

Noémie écarquilla les yeux.

— Quoi ?? s’étonna-t-elle le nez libéré.

— Garen est entré de manière tout à fait « légale » dans le Palais, m'a embarquée façon homme des cavernes et au lieu de trouver la sortie... Il a pété la porte vers la salle du trône. La Reine était là en pleine audience, expliqua Alice.

— Tain ! Qui m'a fichue une boulette pareille ! s’exclama Léa.

Le sourire contagieux d'Alice égaya leurs retrouvailles et calma les nerfs de Noémie, qui resta silencieuse sur ce qui s’était passé avec Calys. Elle savait garder ses secrets et avait toujours été pudique sur sa vie sentimentale.

— Noémie, tu rentres avec nous au Palais ? demanda enfin Léa.

Elle sembla hésiter avant de répondre, puis jeta un coup d’œil dans la direction de Calys qui n’avait pas bougé.

— Je vais rester ici… « J’aimerais comprendre pourquoi Calys m’a caché que je pourrais rentrer sur Terre, même si je pense savoir », pensa-t-elle.

— Est-ce que tu es sûre ? insista Léa.

Noémie hocha la tête et Alice prit Léa par les épaules pour la faire reculer.

— On reviendra demain. Le plus important c’est que tu ailles bien et cette fois j’espère que nous aurons un accueil moins… musclé, dit la rouquine en grimaçant.

— Il… Il voulait me protéger, je suis désolée.

— T’en fais pas ma belle ! Il foutait les jetons, mais tout est bien qui finit bien ! la rassura Alice avec son habituel sourire de pirate.

Alors que la troupe s’éloignait, Noémie entendit Léa pester à l’attention d’Alice :

— Comment ça tout est bien qui finit bien ?

— Roh ! ne fais pas ta chiante ! lui répondit Alice en riant.

Il y avait quelque chose de rassurant à les entendre se chamailler. Puis, elle retourna auprès de Calys qui était là, le regard intense, la prenant contre lui quand elle fut à son niveau.

— Rentrons, j’ai des choses à te demander, dit-elle, la voix encore sous le coup de l’émotion.

Il la guida vers son domaine silencieusement et Noémie vit dans sa raideur qu’il sentait que la discussion ne serait pas agréable. Une fois de retour dans leur nid, il s’installa face à elle, assez proche pour rester à portée, mais assez loin pour lui laisser l’espace de s’exprimer.

— J’ai appris que les voyages vers la Terre étaient possibles… pourquoi tu m’as laissé penser que j’étais bloquée ici pour toujours ? demanda Noémie.

Il resta silencieux, ouvrant la bouche un instant, puis se ravisant, une douleur dans le regard. Elle détestait le voir comme ça, et ne put s’empêcher de poser sa main sur lui, comme pour le rassurer.

— Est-ce que tu as peur que je m’en aille ?

— Tu es ma compagne.

— Oh Calys… Ce n’est pas la réponse universelle. Tu vois bien que ça m’a rendue triste de penser que je ne reverrai plus jamais ma famille.

— Pourtant, tu as accepté la situation et tu m’as choisis. Je n’ai jamais menti sur ce que je ressens pour toi.

Il avait raison. En l’espace de quelques jours, elle s’était imaginée rester ici, elle l’avait accepté et sa première fois avec un homme avait été une expérience forte et inoubliable. Avec lui, elle se sentait aimée, désirée, importante. Elle imaginait mal trouver un jour quelqu’un de plus beau, dévoué et véritablement fidèle. Cette réalisation lui donna envie de pleurer à nouveau.

— C’est vrai. Ce n’est pas juste de t’accuser pour mes états d’âme…

Il prit la main posée sur lui et embrassa sa paume avec révérence, et elle sentit son ventre se contracter. Elle aimait vraiment cet homme, mais une culpabilité insidieuse la rongeait : est-ce qu’elle méritait ça ? Est-ce que son amour était suffisant pour abandonner sa vie d’avant, ses projets, son frère ? Elle avait envie d’y croire, égoïstement.

— J’aimerais faire quelque chose moi aussi… Je pense que ça me ferait du bien de me rendre utile. Puis je veux revoir mes amies, c’est non négociable, dit-elle, la voix manquant de conviction.

Il lui sourit, le regard miroitant d’un vert changeant.

— Oui.

Elle ne savait pas à quoi il répondait exactement, mais ce « oui » vague l’arrangeait. Elle était déjà fière d’avoir pu s'exprimer sans faiblir. Elle reverrait ses amies le lendemain, ce serait un bon départ.

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