Chapitre 55 : Elena

Par Zoju
Notes de l’auteur : J'aimerais beaucoup avoir votre avis sur ce chapitre. J'espère qu'il vous plaira. Bonne lecture. :-)

Lorsque je sors du centre de soin, je suis plus incertaine que jamais. Des huit soldats victimes de l’attaque, cinq n’ont pas survécu. En ce qui concerne les autres, le constat n’est guère meilleur. Les propos du médecin m’ont terriblement mis mal à l’aise. « Ils n’ont plus rien à faire ici. » D’un côté, je le remercie d’avoir été franc avec moi, mais de l’autre, je lui en veux. Ses paroles étaient froides « Ils n’ont plus rien à faire ici. »  Elles font mal à entendre, car elles pourraient concerner n’importe qui de la base. Nous risquons constamment notre vie même si nous faisons tout pour l’oublier. Cette phrase est comme une claque qui nous rappelle la dure réalité. Elle tourne en boucle dans ma tête « Ils n’ont plus rien à faire ici. » Ces soldats morts ou blessés seront rapidement remplacés. On les oubliera vite. Je tombe à genoux en plein milieu du couloir. Nous ne valons rien pour l’armé. Nous ne sommes que des pions jetables. C’est dur de l’admettre. Les membres de la base me dépassent sans me prêter attention. Ils font parfois un pas de côté pour m’éviter, mais cela s’arrête là. Mes doigts s’enfoncent dans mes paumes. Je dois me relever et continuer. Mettre un pas devant l’autre sans faiblir, mais je n’en ai aucune envie. J’en ai assez d’être forte. J’en ai assez de me contrôler. À quoi cela sert-il de tenir bon alors que vous seriez peut-être le prochain à exploser ou à qui l’on dira « Vous n’avez plus rien à faire ici. » Cette personne vous regardera droit dans les yeux. Sa voix sera compatissante, mais en vérité, elle aimerait vous dire « Vous ne nous êtes plus d’aucune utilité. » Cette pensée me terrifie. Je n’ai pas survécu jusqu’à aujourd’hui pour finir de cette manière. Je me relève péniblement. Je refuse de leur faire ce plaisir. Tout en avançant, je répète inlassablement comme une litanie « Ce sera mon dernier moment de faiblesse. » Je l’ai promis à Hans, mais j’ai l’impression que si je ne me le rappelle pas régulièrement, je risque de l’oublier. C’est si facile de flancher. Je viens d’en avoir la preuve et cela me fait mal, atrocement mal. Au fur et à mesure que je reprends confiance, je me redresse. J’ai besoin d’être seule, d’être au calme pour retrouver une certaine sérénité. Lorsque j’arrive devant mon bureau, je déchante très vite.

 

Tellin m’attend devant. Il se raidit en m’apercevant, lui qui est généralement si hautain. Je ne veux pas lui parler. Pourquoi faut-il qu’il traine toujours dans mes pattes ? Je passe devant lui sans lui prêter la moindre attention. J’introduis la clef dans la serrure et la tourne d’un coup sec. Il m’appelle, mais je l’ignore. Quand je parviens à ouvrir, je me dépêche de rentrer. J’essaye de lui claquer la porte au nez, mais mon supérieur la bloque avec son pied. Il force le passage. Je ne peux rien faire. Il est plus fort que moi. Il pénètre dans la pièce. Je recule. Calmement, il referme derrière lui. Je tente de l’ignorer. Il aura beau parler, je ne l’écouterais pas, mais je sais bien que c’est peine perdue. Il me surprend lorsqu’il s’excuse. C’est bien la première fois qu’il agit de la sorte avec moi. Il continue :

- Je reconnais que je suis allé trop loin. Mes propos ont dépassé ma pensée. J’étais furieux. Je ne voulais pas t’insulter.

Tout en gardant mes yeux fixés sur le mur, je lui demande :

- Qui essayes-tu de convaincre ?

- Écoute, je sais que tu m’en veux, mais… »

- Mais quoi ? le coupé-je en serrant les dents. Tu passes ton temps à me rabaisser, à m’humilier. Tout ce qui compte, c’est ta propre personne. Rien d’autre. Alors, épargne-moi tes excuses pitoyables, craché-je.

Je regrette immédiatement mes paroles. Qu’est-ce qui me prend d’étaler ma pensée ? S’il y a bien une opinion dont je me fiche éperdument, c’est la sienne. Montrer de l’intérêt à sa personne ne ferait que le flatter, ce que je veux à tout prix éviter. Mon supérieur ne réagit pas comme je le craignais, mais sa réaction ne me rassure pas davantage.  

- Peut-être que je suis un égoïste, mais s’il y a bien une chose dont je suis sûr, c’est que je tiens à toi.

J’enfonce mes ongles au creux de ma paume en retenant un sarcasme. Les seules personnes dont je suis prête à accepter ce genre de paroles, ce sont celles auxquelles je tiens. Tellin n’en fait pas partie. Pourtant mon supérieur parait tellement sincère, mais je ne peux pas le croire. Je ne peux pas. Il passe son temps à me tourmenter. Je ne le laisserais pas m’attendrir. Avant de lui répondre, je me remémore plusieurs scènes pour garder ma haine intacte. « Souviens-toi de ce qu’il a fait à Hans. »

- Je n’ai pas besoin de toi, Tellin. Je te déteste et tu le sais aussi bien que moi.

Je m’attends à ce qu’il pique de nouveau une colère, mais c’est avec sérieux et retenu qu’il me réplique :

- Alors, je ferais tout pour que tu changes d’avis.

Ces propos me dérangent, ils me font douter, s’il disait vrai. Je n’ai jamais compris cet homme. Il est tellement contradictoire que cela me perturbe. Je viens d’en avoir la preuve à l’instant. Sur ce, il se rapproche et s’assoit en face de moi.

- Bien maintenant que cela est clair, revenons à ce qui nous préoccupe, déclare-t-il.

Tellin a décidément l’art de passer du coq à l’âne avec une facilité déconcertante. D’un côté, cela m’arrange, je n’ai aucune envie de continuer cette discussion qui m’échappe. D’un geste, je l’invite à développer.

- Il y a fort à parier que ce soit un coup des rebelles, reconnait-il. Quelles sont les nouvelles des blessés ?

- Trois ont survécu dont un qui restera une plante jusqu’à la fin de sa vie.

Le visage de mon supérieur s’assombrit.

- Et pour les deux autres.

- Ils seront sous sédatif jusqu’à nouvel ordre. J’ignore leur état. Il était en salle d’opération lorsque je suis partie.

- Rien de bon donc.

- Le docteur a été au regret de m’annoncer qu’ils devront être mutés.

Tellin passe sa main devant ses yeux. Ils ont l’air d’avoir légèrement rougi. Après un silence pesant, il reprend d’une voix que je trouve quelque peu hésitante :

- Nous n’avons pas le choix, il faudra attendre qu’ils se réveillent. Aurais-tu entendu quelque chose de suspect avant l’explosion ?

- Non rien. Bévier et un autre soldat sont rentrés juste avant que tu arrives.

Une lueur d’espoir apparait dans le regard de mon supérieur. Il se redresse.  

- Qui était le soldat après Bévier ?

Je hausse les épaules.

- Aucune idée lorsque je l’ai vu, il était de dos.

Mon chef fronce les sourcils puis se frotte le front. À mon grand étonnement, il me répond :

- Pour une fois, je suis complètement perdu. J’ai plusieurs hypothèses, mais aucune ne me convient.

- Dis toujours.

- Soit, la bombe était déjà là quand les soldats sont entrés, mais alors je ne comprends pas comment elle a été déclenchée. Compte à rebours, à distance ? Ensuite pourquoi cette salle et pas une autre ? La réunion n’était pas prévue dix minutes avant. Trop peu de temps pour le traitre de l’installer.

- Soit ?

- Soit, c’est un attentat suicide, mais là aussi je bloque. Ce serait stupide que le traitre se tue. Les rebelles ont trop besoin de lui, vivant de préférence. De plus, son attaque serait un peu loupée puisqu’aucun chef de l’armée ne se trouvait parmi les victimes. Je n’avais convoqué que ceux chargés des caméras, Bévier et toi pour m’aider dans ma tâche. Vanraad venait de me faire son rapport, je voulais vous transmettre le début de ses résultats.

Bien que je connaisse la réponse, je lui demande :

- Qu’apprend-on dans les vidéos ?

- Rien.

- Ah.

- C’est tout l’effet que cela te fait ? s’étonne-t-il.

- Si les nouvelles avaient été bonnes, je pense que tu l’aurais déjà dit.

Nous retombons dans le silence. Il est pénible. Nous n’avons nulle part où aller. Je sens la panique remonter en moi. Cet endroit risque de devenir un véritable tombeau pour nous. La faute à qui ? L’angoisse laisse de nouveau place à la colère. La faute au projet 66. Sans lui, nous ne serions pas là à trouver une solution pour vaincre les rebelles, car ils n’existeraient pas, tout simplement. Tellin semble avoir remarqué mon changent d’état d’esprit.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

Je lui lance un regard en biais.

- Dis-moi la vérité. Le projet 66.

Mon collègue lève les yeux au ciel.

- Tu reviens encore avec ça ? Cela n’a rien avoir avec notre problème actuel.

- Au contraire, cela à tout avoir. Une grande partie de leur troupe est composée d’anciens cobayes.

Mon supérieur se rembrunit dans son siège, mais ne rajoute rien.

- Nous savons tous les deux même si j’ignore comment ils ont réussi que l’explosion est un coup des rebelles. Ils rentrent par effraction le soir et comme par hasard un attentat a lieu le matin, continué-je.   

Tellin soupire longuement.

- Quand bien même tu aurais raison, je ne peux rien te dire. C’est secret d’État.

Au moins, j’aurais essayé.

- Puis-je tout de même connaitre l’explication de votre inaction face à cet ennemi ? Nous savons où et combien ils sont et leur armement est primaire. Avec nos ressources, nous pourrions les détruire en un claquement de doigts. Pourquoi devons-nous nous contenter d’embuscades qui nous portent souvent préjudice ?

Le visage de Tellin affiche un certain embarras. Il a l’air presque désolé. Ce qui m’étonne assez venant de lui. Inutile d’aller plus loin, j’ai compris.

- Secret, soupiré-je.

- N’insiste pas. Tu n’obtiendras rien de moi. Si tu veux des réponses, essaye chez ton père, lui seul peut le faire.  

- Donne-moi un flingue en prime pour me tirer une balle, ricané-je. Je ne suis pas comme toi. Mon père me hait.

Le nouveau silence de mon supérieur confirme mes propos et je sais que venant de lui, c’est la vérité. Le maréchal ne me porte pas particulièrement dans son cœur. Je devrais être déçue, triste même, mais je ne ressens plus rien. Je crois que je commence à accepter la situation et je me demande si ce n’est pas mieux ainsi. Au fond de moi, j’ai toujours détesté le maréchal. C’est juste que le fait qu’il me reconnait m’aurait apporté une certaine sécurité si je retournais à la vie civile bien que je doute que cela se réalise un jour. Lorsque je pense à tout cela, l’abattement pèse sur mes épaules. C’est le moment que choisit Tellin pour s’exprimer :

- Quoi qu’il en soit, concentre-toi sur ton boulot, je m’occupe du reste.

Je hausse les épaules. Comme toujours, pensé-je. 

- Juste une question, Tellin.

- Oui.

- Que va-t-on faire de l’aide de camp de Bévier ?

- Où veux-tu qu’il aille ? me demande-t-il surpris.

Je retiens une grimace. Bien sûr que je connais sa destination, mais j’ai du mal à l’accepter. Isis m’en parle de temps en temps. Elle va trouver cela étrange qu’il disparaisse du jour au lendemain.

- Ne pourrions-nous pas l’affecter à quelqu’un d’autre ?

- Impossible. Et puis qu’est-ce que cela peut nous faire ? Au départ, c’était son rôle premier.

- Je sais.

Je presse mon poing sur ma bouche. Ce sera peut-être ma prochaine cible, mais l’avouer devant Tellin serait une erreur. Mon attention revient à mon supérieur.

- Tu as raison, ce ne sont pas nos affaires, affirmé-je en gardant une voix ferme.

Silencieusement, je m’excuse auprès du garçon. Isis m’a dit son nom, mais je l’ai oublié. Je m’en veux, mais d’un autre côté, tant mieux, car si un jour, je dois l’achever, j’aurais moins de remords. Il est plus facile d’oublier ce que l’on ignore. J’en ai eu la preuve avec Lalie et je crains de lâcher prise si une deuxième personne se rajoute. Tellin se lève de sa chaise.

- Préviens-moi quand les survivants seront aptes à répondre à nos questions.

- Entendu.

Il me salue puis quitte la pièce. Ce n’est que lorsque la porte se ferme pour de bon que j’autorise mes larmes à couler. J’ignore combien de temps, je pourrais encore tenir.

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