Je me tiens assis au bord de mon lit. Vincent m’ausculte une dernière fois avant de me laisser partir. Lorsque celui-ci semble satisfait, il s’éloigne pour écrire quelque chose sur une grille. Je me lève et teste ma stabilité. Quel bonheur de ne plus avoir le tournis ou la nausée au moindre pas ! Je traverse la pièce de long en large pour m’assurer que tout va bien. Cela amuse mon médecin qui me suit du regard. On frappe. Un infirmier entre et murmure quelque chose à l’oreille de son chef. Celui-ci opine avant de le renvoyer s’occuper d’un patient. Bien que je n’aie rien demandé, il m’apprend :
- Deux des victimes de l’attaque vont être sorties du coma.
- Déjà, m’étonné-je. Cela ne fait que quatre jours.
- Leur état étant stable, autant le faire le plus tôt possible.
Il grimace puis continue d’une voix où sa colère est à peine cachée :
- De plus, le maréchal veut des réponses alors la santé des malades, elle passe après.
Je ne rajoute rien. À quoi bon ? Il faut suivre les ordres. Je n’ai été informé que le surlendemain de l’attaque des évènements. Vincent m’a affirmé qu’il avait préféré attendre avant de me le dire, car mon état ne me le permettait pas. Je crois surtout qu’il craignait ma réaction en apprenant qu’Elena y avait échappé de peu. Il aurait très bien pu me le cacher, toutefois j’aurais eu du mal à lui pardonner s’il m’avait fait un coup pareil. En sachant qu’elle allait bien, j’étais face au fait accompli. Mon médecin se rapproche de moi, plusieurs boites en main. Il les dépose sur une table.
- Tu renouvelles mes stockes. C’est gentil, ricané-je.
- Si cela peut te rassurer, tu es encore loin de mon autre patiente attitrée, mais tu es sur la bonne voie, réplique-t-il sur le même ton, puis poursuit plus sérieusement. Blague à part, je te conseille de les prendre. Cela te soulagera.
Je fourre les boites dans mes poches. Vincent me tend la veste de mon uniforme qui traine sur le dossier d’une chaise, mais au moment où je l’empoigne, il renverse une carafe d’eau en se cognant contre une table. Son contenu se reverse à terre. J’enfile ma veste et m’accroupis pour éponger le sol. Vincent s’agenouille à mes côtés et se penche en avant. Sa voix n’est plus que murmure :
- Hans, j’aimerais que toi et Elena soyez plus discrets. La base devient vraiment dangereuse pour elle comme pour toi.
- Qu’est-ce qui te le prouve ?
- Tout ! Lorsque Tellin est venu nous voir pour les victimes, il semblait à bout. Je crains que cela ne retombe sur vous. Faites bien attention, un accident peut vite arriver.
Avant que je ne puisse répliquer, il se relève.
- Quel maladroit, je fais ! Laisse ça Hans ! Je demanderais à quelqu’un de s’en occuper.
Tout en parlant, il désigne la porte. Une ombre disparait. J’ignore si cela nous concerne.
- Merci pour tout, Docteur, m’exclamé-je pour entrer dans son jeu pour plus de prudence.
J’ouvre la porte. Le couloir est vide. Vincent me serre la main puis sans me retourner, je quitte ma chambre pour me diriger vers mon bureau.
Ce n’est qu’une fois au milieu des soldats que je me rends compte de la tension qui règne. Elle est pesante, presque étouffante. C’est la première fois que nous connaissons autant d’échecs en si peu de temps. Il nous faut réagir au plus vite. J’arrive au QG, il est pratiquement vide. Mon casier l’est également. Que puis-je faire ? Je ne me sens pas d’attaque à aller m’entrainer. Je préfère patienter jusqu’à demain. Je me décide à travailler dans mon bureau comme convenu au départ. On va sans doute me demander mon rapport alors mieux vaut le faire le plus tôt possible. Lorsque je suis devant ma porte, je m’étonne de la trouver ouverte. Étrange, je la ferme systématiquement quand je sors. Une sueur froide coule le long de mon dos. Qui est venu ? D’un coup sec, je baisse la poignée et entre. Au moment où je découvre l’intérieur de la pièce, je reste paralysé sur le seuil. Le contenu de mes armoires est jeté au sol. Mes classeurs que j’avais mis un temps de dingue à ranger, gisent éventrés. Mon bureau a connu le même sort. La surprise passée, il ne me faut qu’une demi-seconde pour comprendre et identifier qui est la cause de tout cela. Les doutes de Vincent étaient bien fondés. Je crains que Tellin ne compte pas en rester là, mais je suis dans une impasse. Je ne peux rien faire. La moindre décision peut m’être fatale. Calmement, je ferme derrière moi. Je m’accroupis et commence à ramasser. Je suis trop abasourdi pour réfléchir à autre chose. Il ne m’avait pas oublié, mais pourquoi maintenant ? La dernière fois que je l’ai vu, c’était après mon rapport lors de la première attaque des rebelles. J’imaginais qu’il souhaiterait me questionner davantage, mais plus rien depuis. La seule hypothèse qui me vienne à l’esprit est qu’il ne m’ait pas cru. J’ai toujours été un menteur et un incapable selon lui.
- Vous faites peine à voir Wolfgard, s’exclame une voix derrière moi.
Je me retourne surpris. Je ne pensais pas qu’il viendrait aussitôt. Je me redresse et salue mon supérieur. Tellin se tient dans l’embrasure de la porte. Deux soldats sont sur ses talons. Il se tourne vers eux et leur ordonne d’attendre à l’extérieur. Ceux-ci opinent et nous nous retrouvons seuls dans la pièce.
- Que puis-je faire… »
- La ferme Wolfgard ! Les questions, c’est moi qui les pose, m’interrompit-il sèchement.
Il sort son automatique de son étui. Il retire la sécurité puis la pointe sur moi.
- Prenez cette chaise et asseyez-vous. Si vous faites le moindre geste suspect, je n’hésiterai pas une seconde. C’est clair ?
Pour toute réponse, j’obéis. Le major s’adosse à mon bureau, l’arme toujours braquée sur moi. Je tente de me calmer. Il n’a aucune preuve contre moi. Toutefois, est-ce que cela aurait la quelconque importance ? Rien n’empêchera cet homme s’il souhaite de m’abattre. Il n’aura de toute façon aucun compte à rendre.
- Je vais être franc avec vous, Wolfgard. Vous êtes devenu une gêne.
- Qu’ai-je fait ? demandé-je malgré la menace.
Tellin tire. Je sursaute. La balle s’est logée dans le mur derrière moi.
- Je n’ai pas terminé, articule-t-il froidement.
Je ne bouge plus, le corps tendu à l’extrême. Ce type est fou. Il se redresse et se dirige vers moi. Il me contourne. Ma tête bascule en arrière lorsqu’il tire sur mes cheveux. Je grimace. Un sourire mauvais se dessine sur son visage.
- Vous souffrez ? C’est bien.
- Pourquoi ? demandé-je avec difficulté.
Il rejette mon corps en avant. Je perds l’équilibre et m’écrase au sol. Il se campe face à moi.
- Vous n’êtes rien ici, continue mon supérieur d’un ton froid et détaché.
Où veut-il en venir ? Il pose son pied sur mon épaule pour me faire rouler sur le dos. Je tente de me relever, mais il m’empêche d’un coup dans les côtes. Qu’est-ce qui lui prend ? Je crache par terre. Cela fait mal. Tellin frappe deux coups secs à la porte. Les deux soldats postés à l’extérieur rentrent.
- Maintenez-le-moi sur cette chaise.
On m’empoigne sans douceur et on m’assoit de force. Je me débats, mais c’est peine perdue. Je relève la tête et croise les yeux de mon supérieur. Ils ne sont que haine. Mon espoir de sortir vivant d’ici s’écroule. Tellin s’avance.
- Vous savez Wolfgard, vous auriez mieux fait de crever lors de votre dernière mission. Cela m’aurait évité de me salir les mains, siffle-t-il.
D’un seul coup, toute résistance de ma part disparait. Je suis dos au mur. C’est fini ? Je vais donc mourir ? Je ne pensais pas que c’était aussi simple que cela. Mon seul regret est de ne pas pouvoir revoir ceux que j’aime, Elena, Nikolaï, mes parents. Toutefois, à mon grand étonnement Tellin range son arme. En remarquant ma surprise, le major sourit.
- Ne vous réjouissez pas trop vite. Cela sera beaucoup plus douloureux.
Il sort une seringue de sa veste ainsi qu’un récipient rempli d’un liquide transparent. Il insère le produit dans la seringue. En réalisant avec horreur le supplice auquel je suis condamné, mon corps réagit violemment. Un des soldats qui me tient manque de tomber, mais au dernier moment, il retrouve son équilibre et me tord le bras. Je réprime un cri de douleur. Tellin jubile en m’entendant demander grâce. Cela m’écœure d’agir ainsi. Au lieu de changer d’avis, le major termine de remplir la seringue.
- Vous qui vouliez savoir, vous allez être servi.
Sa phrase résonne comme un coup de tonnerre. J’ouvre la bouche, mais aucun son ne sort. Tout me semble tellement irréel. Alors ils savent ? Comment ont-ils fait ? Mon supérieur se rapproche et il déclare d’une voix désolée comme pour m’achever :
- Elena a toujours été une piètre comédienne.
Il relève ma manche.
- C’est dommage, continue-t-il.
Il croise une dernière fois mon regard.
- Oui, vraiment dommage.