Sur la plage, falaises de la citée d'Ys - Brocéliande
Noémie séchait ses longs cheveux encore gorgés d'eau. Elle souriait en fixant les vaguelettes caresser ses orteils avec bienveillance pendant que ses amies se rhabillaient en grelottant après leur bain matinal en pleine mer.
Léa et Alice étaient revenues comme convenu le lendemain et avaient ramené plein de monde : Garen, un grand barraqué aux cheveux blonds vénitiens qui s’était fait traîner dans l’eau par Alice; Donnon, un brun immense aux yeux persans qui semblait sérieux et stoïque, mais qui faisait de temps en temps des sourires narquois comme s’il pensait à des choses hilarantes; Aeronwy était aussi de la partie, refusant de mouiller ses plumes alors qu’un certain Mael la suivait des yeux; et pour finir Lirion, qui semblait là comme s’il voulait faire un rapport de la rencontre.
Une tribu de korrigans arriva à dos d’une créature effrayante et gigantesque nommée Georges, qui préféra rester sur l’herbe plutôt que dans le sable.
Mais ce qui la fit craquer était l’espèce de petit hérisson grognon que Léa avait sorti de son sac, disant qu’il allait réchauffer leurs serviettes de bain.
— Pourquoi ici il n’y a que des dihandriks repoussantes alors que Léa a trouvé un Tincarff si mignon ? « Il n’y a pas de justice en ce monde », pensa-t-elle.
— Tu plaisantes, tu imagines toutes les applications médicales de ces créatures ? répondit Léa. On pourrait étudier leur métabolisme.
— Est-ce que ça t’arrive de débrancher ton cerveau de temps en temps ? demanda Alice, l’air désabusé. On est à la plage, dammit !
— Tu parles pour toi ? dit-elle avec un sourire moqueur aux lèvres.
Alice roula des yeux et Noémie se mit à rire.
Noémie adorait observer leurs interactions. Léa se donnait un genre, mais on sentait qu’elle était fière de pouvoir aider les humains qui étaient gardés au domaine Coedwig. Alice, elle, respirait le bonheur quand elle parlait à Garen. Ils formaient un couple amusant et attendrissant, tout à fait à l’image de l’esprit loufoque d’Alice. Noémie sentait un vide en la voyant aussi souriante quand elle parlait avec lui sans filtre.
Alors que Léa était déjà en train d'évoquer leur retour sur Terre « une fois la crise terminée », elle voyait qu'Alice comptait rester. Même si elle ne le disait pas à haute voix, son attitude était claire.
Elle se sentait un peu perdue, ressentant que leur trio allait se scinder. Elle savait qu'elles ne passeraient pas leur vie ensemble, Calys le lui répétait assez, mais alors qu’elle venait juste de les retrouver, elle ne se sentait pas encore prête à les laisser.
Elle se sentait seule, malgré le groupe présent... Comme s’il lui manquait un point d’ancrage.
Quand elle vit Calys émerger de la mer, la fixant de ses yeux magnifiques, elle ne put que s'avancer vers lui, hypnotisée. Lorsqu'il la serra contre lui comme si elle lui appartenait, comme s'il avait besoin d'elle, elle se sentit de nouveau respirer librement.
Alice lui lança son sourire de pirate en sifflant, tandis que Léa lui faisait signe de revenir. Elle repoussa doucement Calys qui la laissa partir avec un regret apparent, ce qui remua quelque chose de sombre en elle.
— Je reviens, mes amies vont partir, dit-elle doucement.
Elle trottina vers le groupe, après un baiser chaste de son ondin. Alice, le sourire aux lèvres, la prit par l'épaule.
— On va fêter la réussite de Garen à son poste de gardien. Il faudra qu'on discute toutes les deux quand on y verra plus clair.
Noémie acquiesça, saisissant un léger voile dans les yeux d'Alice, et enlaça ses amies. Léa lui chuchota à l'oreille.
— Fais attention à toi. Je ne fais pas confiance à cet ondin. Puis, est-ce que tu es sûre de vouloir aider pour l’expédition en mer ? On va se retrouver encore séparées.
— Oui, puis tu as dit vouloir aider au projet des portails qui se prépare. Je ne vais pas rester sans rien faire.
Elle força un sourire alors que toute la troupe repartait. Calys la récupéra à mi-parcours, séchant délicatement les mèches de cheveux qui gouttaient sur ses épaules. Il l'embrassa cette fois plus profondément.
— Tu m'as manqué ! Rentrons, tu vas attraper froid.
Elle acquiesça et lui emboîta le pas alors qu'il la guidait sur le chemin du retour. Il lui sourit, faisant miroiter le bleu-vert de ses yeux. Il était vraiment magnifique et il était à elle. Il la souleva dans ses bras et l'emmena jusqu'à son domaine où ils déjeunèrent face à un soleil qui leur caressait la peau.
Elle avait l'impression qu’il se confiait davantage, discutait plus librement avec elle depuis qu’elle avait appris la vérité sur les intentions de la Reine et la possibilité de traverser leurs mondes. Il lui parla de son travail de gardien de sa voix suave, masculine, vibrante.
— La Reine Dahut m'a demandé de juguler des créatures marines qui sont apparues dans une grande faille au large.
— Depuis quand est-ce qu'elles sont là ? Est-ce que c'est pour ça que les ondines devaient surveiller la mer pendant notre baignade tout à l’heure ?
— Cela fait des siècles que nous surveillons les flots, mais depuis l'année dernière la mer a changé, elle dégage quelque chose de différent et les aberrations qui restaient au large viennent régulièrement sur nos côtes pour attaquer les Brocéliandins.
— On m’a dit que tu allais partir avec une équipe et un bateau pour résoudre le problème à la source. J’aimerais venir avec toi cette fois-ci.
— Si tu veux.
Noémie se tourna pour lui faire un sourire éblouissant.
— Oui, ça me ferait plaisir de faire partie de l’expédition. Avec des dihandriks, on pourrait soigner ceux qui en ont besoin et des remèdes de druide sont en cours de préparation.
— Je croyais qu’elles te faisaient peur ? demanda-t-il, un sourire aux lèvres.
— Encore un peu, oui… Mais je me sens capable de surmonter ça pour aider.
Il lui caressa la joue et lui cacha les yeux de sa main, comme si leur vision le brûlait, puis il l'embrassa.
— Noémie.
— Hum ?
— J'aimerais te parler de mes parents.
Elle se figea dans ses bras, consciente qu'il lui faisait suffisamment confiance pour aborder ses origines que même la Reine Dahut ne connaissait pas. Noémie se détendit dans son étreinte, il n'attendait pas de réponse, il annonçait et elle lui serra doucement la main pour lui montrer qu'elle écoutait.
— Ma mère, Ailis, était calme, secrète et ne parlait pas aux Brocéliandins, nous vivions à deux.
Noémie colla son dos plus étroitement contre le torse de Calys, sentant la tension dans sa voix se dissoudre doucement.
— Elle a rencontré mon père il y a plusieurs siècles, quand la barrière de Brocéliande était poreuse et que nous avions souvent des navires humains qui frôlaient nos côtes... Alors qu'elle nageait naïvement avec des dauphins, elle fut capturée par un bateau venant du nord et transportée à bord comme une curiosité. Ils ont cru que c'était une sirène et voulaient la rapporter dans leur pays. Elle était blessée, traînée dans un filet derrière le navire, ce qui a aggravé son état. C'est là qu'elle m'a raconté avoir senti une vibration dans l'eau. Une grosse créature suivait le bateau depuis un moment et l'observait comme s'il n'avait jamais vu d'ondine. C'était un Fuath solitaire qui restait au nord des côtes d'Avalorn. En entendant ses suppliques, il a pris la forme d'un homme et a brisé son filet pour la libérer.
Ma mère était mal en point, elle ne se souvient pas de tout, mais elle l'a vu déchirer sa propre chair pour qu'elle baigne dans son sang magique. Ses blessures ont totalement guéri et il l'a gardée contre lui en lui parlant jusqu'à la ramener au sud. Elle n’a jamais oublié leur connexion et est partie rejoindre mon père, Elan, sans jamais revenir sur nos côtes. C’est un Fuath, une créature ancienne, féroce, pouvant contrôler les flots marins. Ils peuvent détruire des bateaux et dévorer les vivants. Voilà toute l’histoire.
Calys arrêta son récit et Noémie sentit sa tête se poser sur son épaule, ses cheveux lui chatouillant le cou. Il avait terminé et elle était reconnaissante qu’il ait tant pris sur lui pour en parler. Elle comprenait pourquoi il s’était mis à dévorer la chair des marins. C'était sûrement son héritage paternel qui le poussait à ça, mais comment avait-il pu arrêter ?
Elle demanda dans un chuchotement ce qui la tracassait.
— Pourquoi as-tu arrêté de consommer de la chair humaine ?
— Ton sang... une goutte me permet de m'en passer sans perdre mes pouvoirs, au contraire ils sont plus puissants. J'y ai goûté... par accident quand tu étais blessée.
— Je ne comprends pas pourquoi ça a cet effet, dit-elle en frissonnant.
— Je n'ai pas de réponse non plus, je sais juste que ça ne fonctionne qu'avec toi.
— C'est un peu effrayant... comme si tu étais un vampire.
— Je ne te ferai jamais de mal.
Elle appuya sa tête sur la sienne.
— Je sais.