Chapitre 58

Notes de l’auteur : MAJ : nouveau chapitre suivant Elara/Lirion, puis Léa/Donnon.
14 juillet

Salle Koad Diank, Palais de la mer éternelle - Brocéliande

Lirion regardait l’état déplorable de la salle de repos confiée à Elara, transformée en bureau de fortune. Des piles de livres, des papiers et objets en tous genres étaient éparpillés devant lui. Elara insistait pour laisser les choses comme ça, prétendant que cette organisation respectait un ordre logique pour elle, mais il ne voyait qu’un amoncellement sans queue ni tête. Il baissa les yeux sur elle alors qu’elle avait posé la tête sur ses genoux pour pallier le manque d’oreiller.

— Tu as besoin de te reposer, ma chérie.

— C’est pour ça que je suis sur le sofa et j’ai même déjeuné avec toi au calme, dit-elle en lui jetant un regard amusé.

— Je suis sérieux !

— Et toi, quand prendras-tu le temps de te consacrer à ta musique ?

— Tu as vraiment réponse à tout, hein !

— C’est pour ça que tu m’aimes, dit-elle en se redressant pour l’embrasser.

Lirion joua avec l’ondulation de ses cheveux en soupirant. Elle prenait son rôle de Drindod bien plus au sérieux qu’il ne le faisait, au point où certains risquaient de profiter de son engagement pour la presser comme un citron. Cet exemple avec la Reine était flagrant, elle en venait à faire de la médiation au milieu d’un groupe qu’elle ne connaissait foncièrement pas assez et il ne pouvait pas l’en empêcher.

— Lirion ? J’entends quelqu’un approcher, dit-elle, le sortant de ses réflexions.

— Tu m’as dit 20 minutes de repos… Le sablier n’est pas terminé ! Qu’ils restent à la porte.

La porte s’ouvrit brusquement sans avertissement et une harpie flamboyante entra dans la pièce, agitant ses ailes avec enthousiasme.

— Aeronwy ! se réjouit Elara en se redressant.

— Ah ! Tu es avec Lirion, dit-elle, déçue. Je pensais te trouver seule, j’ai les infos que tu m’as demandées.

Lirion rabattit son bras dans le dos de sa compagne, la maintenant par l’épaule près de lui, pour l’empêcher de se remettre à son bureau ou de fouiller frénétiquement dans ses affaires.

— C’est fou comme on se sent désiré ! répliqua Lirion, contrarié par l’interruption.

— Tu ne m’intéresses pas spécialement, Drindod ! Elara, c’est une autre histoire. Du vent !

— Ne sois pas méprisante, répliqua Elara en pinçant les lèvres. J’ai besoin de ton expertise, mais j’aurai toujours la possibilité d’avoir d’autres sources.

La harpie poussa un sifflement agacé et fit un geste de tête à l’attention de Lirion, un mouvement qu’Elara avait identifié comme un signe d’excuse. Puis elle s’assit face au couple, prenant ses aises.

— Tu m’as demandé d’en savoir plus sur les délégations que tu dois rencontrer. Concernant le couple venant d’Avalorn, comme tu le sais déjà, la femme Morgane Meyer est une humaine avec des ancêtres Rå, journaliste sur Terre, et Bryn Mcallister est un Ceffyl Dwr, biologiste marin.

— Ils vivent tous les deux sur Terre, pas en Avalorn.

— C’est ça, mais j’ai appris que le Ceffyl Dwr vient quand même d’une famille réputée là-bas. Il pourrait tirer des ficelles s’il le voulait. Ce n’est pas une délégation ordinaire envoyée par leur nation, mais ils ont une certaine légitimité, d’autant qu’il n’est pas réputé pour être pacifiste. Il aurait mis la pression pour qu’on le laisse habiter sur Terre.

— Et d’où vient cette Morgane Meyer alors ? Je n’ai pas de réseau pour vérifier sur internet, mais si c’est une journaliste, j’aimerais savoir comment elle en est venue à habiter sur Terre.

— Elle ne vient pas d’Avalorn, elle a toujours habité sur Terre et n’a pas de lien avec une famille. J’ai appris de source sûre que c’est lors de leur demande d’entrée sur le territoire que le conseil aurait découvert son ascendance Rå.

— Je saisis… commença Elara.

— Ma chérie, coupa Lirion. Il ne reste plus beaucoup de temps avant ton rendez-vous.

— Oui, désolée Aeronwy, j’aurais besoin d’en savoir plus sur l’autre délégation. D’autant que c’est celle qui me paraît plus problématique. La Reine m’a présenté la famille Kokonoe comme des experts en énergie et ceux qui ont le monopole sur le mécanisme qui permet de passer entre nos deux mondes.

— C’est ça, pour les Kokonoe c’est assez clair, ils sont spécialisés dans la lecture des énergies et technologiquement très avancés, car le Japon côté Aldarien est une des premières nations à avoir une population présente des deux côtés de la barrière.

— Mais comment les natifs font-ils pour ne pas être détectés par les humains alors ? J’imagine mal un équivalent des Bugul Noz pouvoir se transformer en pleine rue… et avec les caméras, les smartphones, difficile de garder l’anonymat.

— Je n’ai pas tous les détails, mais ils doivent avoir des sorts ou des technologies pour ne pas se faire détecter.

— Et concernant la jeune femme qui les accompagne ?

— C’est Nephrim, souffla Lirion, agacé.

— Tu la connais ? s’interrogea Elara.

— Je ne pense pas que ton Hoper la connaisse personnellement, mais ce nom inquiète… Dans le Palais, la plupart des Brocéliandins la fuient comme une nuisance.

— Je croyais que vous étiez coupés du monde, comment pouvez-vous connaître cette femme ?

— Ce n’est pas juste une femme, c’est une assassin de renommée internationale. Enfin, peut-être pas celle qui se présente avec les Kokonoe, reprit la harpie.

— Je ne comprends pas, Aeronwy… Sois plus claire. Nephrim, c’est son nom d’assassin ? Je croyais qu’elle s’appelait Delphine Lemonnier. Ça ne me paraît pas très Aldarien, ni japonais…

— Nephrim est le nom d’un démon qui était contrôlé et pouvait intervenir presque partout sur Aldaria, grâce à la technologie des portails. Elle a disparu pendant quelques années avant de revenir dans ce corps, Delphine. En tout cas, c’est ce que mes contacts m’indiquent.

— Il n’y a pas de lois pour empêcher un assassin de pénétrer dans le royaume ? demanda Elara, inquiète.

— Aucune. Elle est là comme garde du corps et est considérée comme une autre personne depuis qu’elle est devenue Delphine Lemonnier.

— À mon avis, c’est un risque trop grand… répliqua Elara en se frottant la crispation qui se formait entre ses sourcils. Elle est censée circuler dans le royaume pour faire du repérage, c’est de la folie, surtout vu les problèmes de créatures perdant le contrôle.

— Tu as tout compris, c’est pour ça que personne ne veut s’en occuper. Puis on ne peut pas en vouloir aux Kokonoe de vouloir se protéger dans un royaume qui a été coupé du reste d’Aldaria aussi longtemps.

— Je croyais que Ciaran et Niall partaient en même temps qu’eux ?

— Qu’est-ce que tu racontes ? Ciaran est parti directement après ta réunion de ce matin, répliqua Lirion.

Elara se leva brusquement, se détachant de Lirion.

— Il y a quelque chose qui cloche ! s’exclama Elara en sortant de la pièce à toute vitesse.

Elle marcha rapidement jusqu’au point de rendez-vous avec la délégation pour constater qu’il n’y avait personne. Interpellant un korrigan qui passait avec des assiettes vides, elle se fit rejoindre par Lirion et Aeronwy qui l’avaient suivie.

— Où sont les délégations ? demanda Elara au korrigan intimidé.

— Ils… sont partis.

Elara poussa un cri de frustration et sortit du bâtiment pour tenter de les rejoindre, se dirigeant activement vers la caserne. Elle se fit rattraper quelques instants après par Lirion qui arriva en volant et la saisit dans ses bras, l’empêchant de continuer.

— Arrête, ils sont déjà loin, le korrigan a dit que ça faisait déjà une heure.

— Comment c’est possible… Ce matin encore… reprit-elle avant d’être prise d’une froide réalisation. Il y a une taupe dans la coalition !

— Je pensais qu’ils étaient tous en faveur de la Reine, répliqua prudemment Lirion qui sentait la rage contenue derrière le regard de sa compagne.

— Ça ne peut être que ça. Il y a un des membres de notre groupe qui joue un double jeu, ou alors son action de m’éloigner de la délégation n’est pas incompatible avec son soutien à la Reine. Sinon, c’est un espion des traditionnalistes.

— Calme-toi, on va trouver une solution.

— Mais comment veux-tu que je sois calme ? On a un potentiel assassin dans la nature avec une délégation sans vraie escorte parce que Delphine leur fiche la trouille, et des traditionnalistes qui ont clairement des choses à cacher. Il pourrait se passer n’importe quoi ! S’énerva Elara en repoussant Lirion d’un geste sec.

— Et tu vas faire quoi ? Les poursuivre ? Tu veux toi-même risquer ta vie et tout ça pour quoi ? répondit Lirion d'un ton de colère froide.

— Et qui va s’en occuper ? Est-ce qu’on peut forcer des gardes Teirionnours à y aller ?

— Nous n’avons pas cette autorité, et si tu tentes d’y aller toi-même, je te promets de t’endormir avec mon pouvoir pour calmer ton inconscience, reprit-il le visage fermé.

Elara resta bouche bée, la colère de Lirion ayant refroidi ses ardeurs, et réalisa qu’elle agissait comme une hystérique immature. Elle se prit le visage entre les mains et sentit le goût du sang dans sa bouche ; elle ne s’était même pas rendu compte qu’elle s’était mordue en courant et ressentit soudain une grande lassitude.

— Tu as raison. Je n’ai plus les idées claires, avoua-t-elle alors qu’il l’enlaçait doucement.

— Rentrons au Palais pour réfléchir à tête reposée.

***

Dos à la caserne, Léa observait de loin les échanges entre Lirion, Elara et Aeronwy. Elle n’avait pas saisi ce qu’ils se disaient, mais jamais elle n’avait vu ce couple s’énerver. Ils semblaient pourtant avoir les nerfs solides. Cette scène l’inquiétait un peu. Elle se tourna vers la salle d’entraînement et rejoignit Donnon qui était en train de ranger du matériel, les autres étant partis déjeuner.

— Tu as besoin d’aide ? tenta Léa pour briser le silence.

Donnon ferma une grande malle et s’essuya les mains sur les côtés de son pantalon.

— J’ai presque terminé.

— Quand même, je trouve qu’Alice exagère en embarquant tout le monde et en te laissant tout le travail, dit Léa pour combler le silence.

Donnon esquissa un sourire avant de répondre :

— Viens, allons manger nous aussi.

Il s’apprêta à quitter la caserne lorsque Léa le retint par le bras, puis le lâcha immédiatement, gênée par ce contact.

— Oui ?

— Je voulais te parler un peu, en privé, bégaya-t-elle en regardant nerveusement les yeux bleus perçants de Donnon. Je suis désolée pour l’autre fois… de t’avoir sauté dessus.

Donnon la regarda stoïquement, puis soupira avant de prendre la parole.

— C’est pour ça que tu me lançais des regards désespérés depuis ton enlèvement ?

— Oui, je pense. Je ne sais pas ce qui m’a pris, enfin, si, je sais ce qui m’a pris, mais je n’aurais pas dû profiter de ta présence.

— Est-ce que ça aurait pu être n’importe qui ? demanda Donnon d’une voix rauque.

— Pas n’importe qui, mais je n’étais pas dans mon état normal et je ne cherche même pas à te séduire.

— J’avais bien compris. Tu as passé assez de temps à me fuir chez Emrys pour que je devine que tu ne me vois pas comme un potentiel partenaire.

— Je crois surtout que je te considère comme un ami… On n’embrasse pas ses amis.

Donnon eut une expression étrange, passant d’un regard peiné à surpris, puis cachant un sourire en serrant la mâchoire.

— Tu me considères vraiment comme un ami ? Je croyais que tu me supportais à peine.

— Et toi, tu me vois comment ?

— Comme une amie… Je crois.

— Alors arrête de me mettre mal à l’aise si tu ressens la même chose, répliqua-t-elle en prenant un petit air pincé.

— Je n’irais pas jusque-là, répondit-il en souriant, mais j’aime bien que tu me considères comme un ami.

— Ne prends pas la grosse tête ! Et enlève-moi ce sourire suffisant de gros macho.

— À condition que tu ne joues pas à l’héroïne chevauchant un Équorix dans tout le royaume.

Léa éclata de rire, puis reprit son sérieux alors qu’ils s’étaient assis l’un à côté de l’autre sur un banc.

— Tu sais, je pense qu’il faut vraiment retrouver qui a voulu me faire kidnapper. En voyant Elara dans tous ses états tout à l’heure, je me rends bien compte que la situation ici ne va pas bien.

— Je n’ai pas pu identifier qui était le Sylvestre de ta description et les Pennel nous ont dit que le chariot avait été caché dans un fossé, sans trace de la créature que tu as vue ni des trolls.

— Est-ce que ce serait possible que le Sylvestre puisse altérer son apparence, un peu comme le sort d’illusion de l’Ondin qui a trompé Noémie ?

— C’est… possible.

Il regarda Léa qui fixait un point devant elle, puis se redressa brusquement.

— Bon ! Allons manger, dit-elle en se levant pour s’éloigner.

— Léa ! Je ne sais pas ce que tu as en tête, mais garde bien tes balles de confusion sur toi !

Elle se tourna vers lui, un grand sourire aux lèvres, et tapota la poche arrière de son jean.

— Toujours !

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