Chapitre 59

Notes de l’auteur : MAJ : 14 juillet. peu de modifications

Pont de la Citée d'Ys – Brocéliande


Morgane Meyer se trouvait face à la créature la plus surprenante qu'elle n’a jamais vue. Une sorte de mille pattes géant couvert de plaques écailleuses comme un tatou : le Lannluch.

Elle qui avait rassurée Bryn de la laisser pour s'occuper des failles marines, se retrouvait paralysée d'inquiétude face à sa « Monture » .

Un des gardes Kokonoe remarqua son malaise et la souleva pour l'installer dessus avec une facilité déconcertante, décrochant un sourire timide. Puis il monta derrière elle pour guider la créature.

— Il nous amènera au marais de Moravraz en moins de deux heures si on ne s'arrête pas, on le surnomme l'éclair des landes.

— C'est rapide à quel point ?

— Une voiture sur une nationale.

— Et personne ne tombe ? Je m'accroche où ?

— Nous avons traversés tout le pays avec, c'est confortable. Tenez-vous à mon bras si vous avez peur.

— Merci...

Au départ elle sentit des sortes d'ondulations perturbantes et elle s'agrippa fermement au garde qui ne bronchait pas, puis lorsque la vitesse augmenta, elle eut l'impression que le Lannluch glissait sur le sol et la sensation était plus confortable. Elle relâcha sa prise et se permis de regarder autour, elle voyait défiler le paysage comme à bord d'un petit train qui ondulait, épousant les reliefs du sol sans jamais ralentir. Une simple poignée était sur la selle face à elle.

Delphine chevauchait seule et Megumi était avec le second garde, parfaitement sereine. Elle s'adressa à elle alors que leurs montures étaient côte à côte.

— Le forgeron que nous allons voir est en lisière de Moravraz, Gofannon travaille à la forge alors que sa compagne Rhiannon s'occupe de produire des cristaux de Cendrenne. Le conseiller Ivinus m'a dit que vous en auriez besoin. Concernant le bois utilisé ils ont recommandé le Dervenn car il est imputrescible.

— Bien, nous resterons sur place pour commander les pièces nécessaires.

— À l'est il y a du grabuge, je sens une énergie anormale ! S'exclama Delphine qui s'était rapproché.

— Est-ce que tu veux aller voir ? Demanda Megumi.

— Il y a les Bugul Noz du Palais, répondit-elle en acquiéçant d'un mouvement de tête.

Ils bifurquèrent jusqu'au lieux qu'elle indiquait et elle descendit de son Lannluch.

Au loin ils virent plusieurs corps étendus au sol comme déchiquetés.

Ciaran et Niall combattaient des créatures ayant perdu la raison. Difformes, à l'apparence changeante. Une sorte de grouillement sous leur peau.

Plusieurs korrigans fuyaient la zone boisée pour se réfugier à l'abri alors que Delphine s'avançait confiante à main nue. Elle se déplaçait à une vitesse stupéfiante et chaque fois qu'elle touchait une créature, un cri muet s'échappait de leurs bouches grotesques avant de rétrécir, se rétracter comme desséchés de l'intérieur et tomber au sol en un tas de cendre.

Alors que les deux Bugul Noz combattaient sauvagement, des membres et arcs sanglants volants autour d'eux, Delphine ressemblait à une Mort ambulance, exterminant les créatures jusqu'à totalement disparition.

C'était terrifiant, macabre et pourtant les yeux de Morgane n'arrivaient pas à se décrocher de la scène.

Megumi se mis près d'elle.

— C'est le pouvoir de Nephrim, son autre moitié.

— Je pensais qu'elle était comme moi, en partie humaine.

— Delphine est un cas particulier car son alter ego démon a fusionné avec elle, on ne peut plus vraiment la considérer comme humaine.

— C'est possible de faire ça ? On peut devenir un être mystique ou démon en fusionnant avec ? 

— Non, on entend souvent des absurdités comme quoi les humains pourraient être contaminés par des morsures, griffures et devenir autre, comme une maladie. La lycanthropie par exemple, c'est une invention ridicule ou pire le vampirisme pour ne citer que les plus connu.

— Donc on peut avoir des enfants qui auront les spécificités des parents mystiques et humains, mais alors pour Delphine ?

— Nephrim partageait la même âme que Delphine. C'est la seule raison pour laquelle cette fusion a été possible.

— Je comprends. Et en ce qui concerne les descendants de mystiques et humains, comme dans mon cas, est-ce qu'il y en a beaucoup ?

— Il n'y en a pas beaucoup, pour la simple raison qu'il n'est pas aisé de concevoir inter-espèces. Mais si c'est un enfant de la première génération, les parents décident généralement de rester en lien avec d'autres démons comme une communauté jusqu'à ce que l'on connaisse la nature et l'étendu du pouvoir de l'enfant. S'il est trop visible ou difficilement contrôlable, ils retournent sur Aldaria.

— Pourtant je n'ai jamais eu la moindre information sur ma famille et mes ancêtres Rå. Je ne dois pas être un cas isolé.

— Dans votre cas, ça a dû sauter des générations. Il arrivait chez les sirènes du nord qu'elles puissent procréer avec des marins et abandonner leurs enfants s'ils ne développaient pas de quoi nager comme elles... C'est très rare que des pouvoirs apparaissent avec un sang dilué de plusieurs générations. Votre voix ne permet pas d'hypnotiser comme les Rå, mais vous pouvez suggérer, influencer. Cela passe pour du charisme chez les humains, mais un démon sentira qu'il y a du pouvoir dans votre voix.

— Donc vous voulez dire qu'il peut y avoir toute sorte de démons sur Terre avec un sang dilué qui vivent parmi les humains, sans connaître leur situation ?

— Habituellement, ils savent mais décident de vivre sur Terre si leurs pouvoirs sont jugés suffisamment discrets.

— Est-ce que c'est le cas de Bryn par exemple ?

— Votre compagnon Ceffyl Dwr est totalement démon. De la même manière que je le suis.

— Est-ce que vous avez une police ou des démons qui vivent parmi les humains pour s'assurer qu'aucun compatriote ne soit découvert ?

Megumi se mis à sourire froidement.

— Les questions sont terminé pour aujourd'hui. Les aberrations ont été subjuguées.

Morgane pensa à Isolde la vieille cartomancienne qui semblait saisir beaucoup de choses. Peut-être avait-elle un Aldarien dans sa famille.

Delphine revint vers eux, le regard neutre mais d'un pas glissant, souple, comme si elle débordait d'énergie, baignant dans une lumière verte et parfaitement propre, alors que les deux Bugul Noz dégoulinaient du sang de leurs victimes. L'un d'eux se versa une outre d'eau sur la tête avant de s'ébrouer et pris forme humaine, c'était Ciaran.

Il restait du sang sur ses vêtements mais sa peau en était totalement débarrassée, il était massif et tout en lui dégageait une puissance brute dans un autre registre que Delphine.

L'autre Bugul Noz discuta avec lui et ils partirent tous les deux dans les bois.

Delphine se réinstalla sur sa monture.

— Allons à Moravraz, il ne reste plus grand chose dans le bois d'après eux. Ils s'en occupent ! S'écria Delphine.

Ils reprirent leur route et Megumi discuta avec la brunette suffisamment loin pour qu'elle n'entende pas. Morgane arriva juste à saisir un haussement d'épaule de Delphine, la situation semblait tendue mais elle chassa cette information d'un geste de main, elle avait les mains assez pleines pour ne pas s'en préoccuper.

La ville de Moravraz apparu bientôt en vue. Elle était construite sur pilotis avec des ponts suspendus reliants chaque maison ou place. Une brume fraiche enveloppait le marais qui couvrait le sol d'une grande partie du lieu et de petites créatures enflammées d'une teinte chaleureuse dansaient dans le brouillard qui se levait.

Laissant leurs montures qui s'empressèrent d'aller se vautrer dans la boue, ils se rendirent à l'atelier en lisière du bois se trouvant à la pointe est, loin des habitations.

Une odeur d'humus et de menthe froissée embaumait l'air et tout autour de l'habitation recherchée poussaient de grands arbres dont les troncs semblaient transpirer d'une substance verte luisante, comme une résine radioactive.

Une créature humanoïde à l'apparence d'un homme lézard à la peau fossilisée ouvrit la porte pour les accueillir.

— Un messager Pennel est passé ce matin, vous êtes envoyés par la Reine ?

Delphine s'avança, un peu nauséeuse de son voyage en Lannluch.

— Oui, voici le document qu'elle m'a confiée. Megumi Kokonoe va vous fournir un plan de construction détaillé des pièces à fournir pour vous et j'ai ici une demande spéciale pour votre compagne.

Une tête émergea de l'intérieure, une femme semblant de la même espèce, mais bien plus petite et menue tenait une cosse de la taille d'une grosse pastèque dans ses bras.

— Bonjour, entrez ! Gofannon est un peu rustre, j'ai préparé une table pour vous. (Faisant un sourire plein de dents pointues) Je suis Rhiannon, mais tout le monde m'appelle Rhi ici.

Megumi entra avec sa troupe, suivit de Morgane, Rhiannon fermant la porte derrière eux.

Une odeur de soufre et de chaleur s'élevait et Morgane remis à la femme lézard le document scellé qui lui avait été confié par la Reine Dahut. Elle s'en saisit d'une main, transférant le poids de la cabosse sur sa hanche, l'agrippant de ses longs doigts et lui dédia un nouveau sourire, exposant encore ses dent qui firent frissonner la jolie blonde.

Une gigantesque tresse couvrait la tête et glissait dans le dos de Rhiannon.

Elle étala les documents et Gofannon revint avec une théière fumante et des bols en bois.

Les prochaines minutes se passèrent dans le calme alors que le couple lisait les feuilles respectives et que le groupe, excepté les deux gardes, sirotait une infusion de gwennan à la saveur de menthe.

 

Morgane comprenait que le palais de pouvait pas envoyer des documents sensibles, mais la Reine avait ses messagers et elle avait l'impression de perdre son temps à faire le trajet.

Elle repensa au rendez-vous avec Elara Drindod annulé au dernier moment, avançant leur départ de plusieurs heures et se demanda si l'objectif n'était pas de l'éloigner de la capitale et de Bryn pour quelques jours. Ce qui lui laissait le champ libre pour questionner les émissaires sans fouiner dans les affaires d'état... Cela semblait plus logique. Mais pourquoi aucun garde Teirionnour ou gardien ne les surveillaient activement ? C'était risqué de laisser des étrangers vagabonder dans le royaume. Elle sentait ses sourcils se froncer alors qu'elle était plongée dans ses réflexions.

Un grondement retentit et des cris résonnèrent à l'extérieur de l'atelier. Les deux artisans avaient commencé à travailler et les gardes ainsi que Delphine sortirent voir ce qu'il se passait.

Megumi, calme comme à son habitude leva la tête.

— Je ne sens plus les Bugul. 

Delphine hocha la tête et partit en trombe et s'approcha d'une créature qui émergeait de la forêt. Comme celles vues précédemment, elle semblait avoir perdue la raison et fauchait des habitants qui n'avaient pas pu s'enfuir.

Elle avait la taille et l'apparence d'un tyrannosaure velu avec de grandes pattes comme un grizzli. Debout sur les pattes arrières, elle fouettait derrière elle de sa queue poussant des gémissements lugubres, comme si elle souffrait.

Un des Bugul Noz surgit de la forêt en courant et sauta sur le dos de la bête, plantant ses griffes. Il paraissait petit comparé à la créature. 

Il se fit attraper par la queue mobile et lancé au loin. Il revint à la charge clouant la queue par la force de ses bras et ses griffes alors que Delphine s'approcha à une vitesse stupéfiante et cala sa paume sur une des pattes de la créature qui siffla. Alors que la bête semblait diminuer de taille, régresser, Delphine se mis à tituber comme ivre et la créature profita de la faille pour reprendre ses esprits et abattre un bras dont la fourrure s'était muée en pics acérés, la projetant à plusieurs mètres dans une gerbe ensanglantée.

Elle atterrit non loin de Morgane qui observait à l'écart du danger, alerte. Voyant le sang s'écouler de l'abdomen de Delphine et le Bugul Noz sectionner la queue de la créature, elle se précipita au chevet de la jeune femme, pour faire un point de compression à l'abdomen avec son gilet.

Elle avait l'impression que sa respiration s'améliorait comme si sa blessure diminuait d'elle-même et elle lui tapota la joue.

— Delphine ! Reste consciente. Est-ce que tu as besoin d'aide ?

Elle ouvrit les yeux et commença à agripper l'avant-bras nu de Morgane avec une poigne de fer. Elle sentit sa tête lui tourner et entendit Megumi crier sans savoir pourquoi.

Un garde les sépara et saisis Delphine avec une couverture pour l'emmener plus loin.

Qu'est-ce qu'il venait de se passer, est-ce que Delphine avait tenté de l'absorber comme elle l'avait fait avec ces créatures cauchemardesques qu'elle combattait ? Est-ce que c'était même possible, elle était humaine... Son cerveau n'arrivait pas à comprendre ce qui lui arrivait. Ses jambes tremblaient, elle sentait le froid et entendait partiellement les sons comme si elle avait des acouphènes.

Elle sentit qu'on la redressait en position assise et Niall, sous sa forme humaine, arriva face à elle, les yeux écarquillés et barbouillé de sang. Il parlait, mais elle n'entendait plus rien, puis il se pencha pour lui faire boire un flacon. La boisson lui brûla la gorge, mais son corps commença à se détendre.

Restant plusieurs minutes sans bouger elle commença à reprendre ses esprits ; elle entendit un brouhaha et une multitude de visages la fixait, fées, oiseaux, créatures batraciennes, feux follets.

Ciaran écarta la foule et elle l'entendit se disputer avec quelqu'un. Elle se concentra et put saisir quelques mots :

« assassin » ou encore « contre nature»  criés par les habitants.

Morgane pu enfin se redresser, soutenue par Niall qui la souleva dans ses bras pour l'emmener à l'écart.

— Nous rentrons immédiatement au Palais.

— Et la mission de la Reine ? Répondis Morgane faiblement.

— Mon frère va rester et s'occuper des émissaires.

— Si je retourne sur un Lannluch, je crois que je vais vomir.

— Ça n'a aucune importance.

Elle hocha la tête et tenta de lui sourire.

Après s'être installé sur le mille-pattes géant, la tenant contre lui d'un bras solide, il démarra la monture. Morgane aperçu au loin Delphine par-dessus son épaule, debout, indemne, le corps irradiant d'une lueur verte.

Il venait de lui arriver quelques choses qui risquait de tourner à l'incident diplomatique. Est-ce que la Reine jouait à un jeu dangereux ou saisissait simplement les opportunités en espérant que cela tourne à son avantage. Ou peut-être que c'était autre chose...

— Qu'est-ce que tu m'as fait boire Niall ?

— Le remède d'un druide pour stopper une fuite d'énergie.

— Est-ce que c'est une potion que vous utilisez en mission ?

— Non...

Elle tourna son visage vers lui pour capter son regard.

— Est-ce que vous l'avez sur vous à cause de Delphine ? (Il pinça légèrement les lèvres ce qui était une réponse en soit) Est-ce que vous prévoyiez de l'utiliser sur moi ?

— Non ! Répondit-il immédiatement d'une voix contrariée.

Très bien, elle ne faisait pas partie des victimes potentiellement prévues, mais ça voulait dire que la Reine savait que Delphine pouvait perdre contrôle. Elle n'aurait pas d'autre informations pour l'instant, il valait mieux détourner la discussion.

— J'avais pourtant l'impression qu'elle voulait que je devienne une Brocéliandine, regarde, je suis souffrante, peut-être immobilisée pour convalescence, sauvée par un de ses sujets qui s'avère être célibataire.

— La Reine Dahut n'a jamais voulu te faire du mal... Et tu es déjà avec Bryn.

— Je ne pense pas que ça l'arrêterait, seulement je ne t'intéresse pas.

— C'est exactement pareil de ton côté il me semble.

— Ne le prends pas mal, mais je suis très compliqué et si je n'avais pas été avec Bryn, je pense que personne ici n'aurait convenu. Je tiens à ma liberté, j'aime enquêter.

— Je ne pense pas que je supporterai que ma compagne se mette autant en danger, l'esprit du Bugul Noz deviendrait dingue, répondit-il en riant doucement.

— Tu vois ! 

Elle lui sourit en retour.

— Rentrons et espérons que ton compagnon ait plus de tolérance que moi.

— Il n'a pas de griffes, mais quelque-chose me dit qu'il va péter un plomb. J'espère pour vous que je n'ai pas une tête à faire peur ou il va falloir vous préparer à des représailles diplomatiques. À moins que j'obtienne quelque chose qui vaille le coup que je défende la Reine Dahut.

— Tu es sûre de ne pas avoir tout manigancé ? demanda Niall avec un sourire qui le rajeunissait.

— Promis ! Je n'irai pas me blesser volontairement, je déteste être bloquée à l'hôpital.

— Tu es avec un Ceffyl Dwr.

— S'il pouvait soigner si facilement ce que j'ai, ça ne causerait pas tant d'histoire. Je suis ignorante de beaucoup de choses concernant Aldaria, mais pas stupide. Ton frère avait l'air particulièrement remonté contre Delphine.

— C'est vrai. Allez, repose-toi.

Elle hocha la tête et ferma les yeux, ignorant l'odeur du sang qui raidissait la veste de Niall.

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Bleumer
Posté le 02/05/2024
C'est étrange d'avoir un concept qui semble aussi important que les Nephrim à ce niveau de l'histoire qui commence à toucher à sa fin. Et l'apparition des créatures furieuses alors qu'il me semble qu'aucune mention n'en avait été faite auparavant. J'ai l'impression que des choses très importantes sont casées très vite sur la fin au lieu d'avoir été distillées tout au long de l'histoire.
Papayebong
Posté le 14/07/2024
Bonsoir Bleumer,
Voici un nouveau chapitre retravaillé. J'ai essayé de clarifier les choses, en abordant également Nephrim/Delphine en amont. Je n'avais pas l'intention de développer davantage les personnages de Delphine ou Megumi dans cette histoire. Dans le contexte, Delphine est utilisée comme assassin/prétexte à un incident diplomatique.
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