CHAPITRE 59
1.
- Vilma se sent responsable de la mort de Jackson.
Saisie, je regarde Greg et cesse de couper en tranches les courgettes qu’il a ramenées du Safeway local.
- Quoi ? Mais… comment ?
- Elle revoit sans arrêt le soir où il est mort. Tu sais, elle a entendu le coup de feu sans comprendre ce qui se passait. Dix, quinze minutes ont passé avant qu’elle ne sorte de sa chambre. Les médecins auraient peut-être pu le sauver si elle avait agi plus vite.
- Oh…
Je reprends mes préparatifs rapides. Tranches de courgettes, puis cubes de patates douces, lamelles d’oignons doux, tandis que Greg poursuit :
- J’en ai parlé à Libby, elle est allée lui rendre visite. Elle est directe, tu sais, Libby. Elle a dit à Vilma : oui, ça aurait pu faire une différence, il aurait peut-être survécu … Amy m’a raconté, ça l’a mis dans un état ! Tu comprends, Vilma sait que Libby était médecin, donc c’est l’opinion de la Faculté qui confirme ses pires craintes.
J'écoute Greg tout en continuant à couper les légumes. Mes mains ont l’habitude de faire le nécessaire. Mais ce soir, je sens mes doigts engourdis, incapables d’initiatives. Suspendue aux paroles de Greg, je ne veux pas ralentir pour autant. Je suis fatiguée et si je m'arrête, je ne sais pas si je serai capable de finir. Et je veux reprendre le cours de ma vie. Le regard heureux de Greg, quand il m’a vue loin de mon lit, m’encourage.
- Alors, Amy est allée voir notre grand-mère pour réparer les dégâts, et elle l’a trouvée détendue dans son fauteuil… Vilma l’a accueillie avec un sourire et s’est inquiété de sa petite mine… Oh, attention, tu t’es coupée !
Greg attrape mon poignet et maintient ma main levée pour que le sang ne coule pas dans le plat. Le couteau a ouvert une petite plaie dans mon pouce, près de l’ongle, qui saigne abondamment. Il me tend une serviette en papier qui me sert à l'emmailloter.
- Ça va cicatriser en un instant, dis-je, mais en attendant, veux-tu mettre les cuisses de poulet dans le plat, au milieu des légumes ? Tu fais couler un filet d’huile d’olive, les herbes de Provence, la, un peu de sel et de poivre… Et ensuite, le plat dans le four.
Les légumes et le poulet vont rôtir ensemble. Résultat robuste. Un plat simple, dont je n’ai pas envie de manger une bouchée. Mais il faut remettre l’organisme en marche.
2.
Je me pelotonne contre Greg, sur le divan. Il me tend une nouvelle serviette en papier, je suis étonnée que le sang continue de couler. Milo me l’avait dit, pourtant. Cicatrisation lente. Et c’était avant Gig Harbor.
- Alors Vilma n’était pas trop frappée par ce que Libby lui a dit ?
- Libby ne s’est pas arrêté là. Elle a expliqué que si elle, Vilma, avait surgi dès le coup de feu, elle aurait sans doute surpris Carol, l’arme à la main. Et dans l’affolement, Carole aurait peut-être tiré à nouveau. Katherine aurait perdu son fils et sa mère… Et Libby l'a encouragée à penser à Carol, à prier pour elle, pour sa repentance. Ce qu’elles ont fait toutes les deux. Tu vois, si Vilma se concentre sur Carol, la vraie coupable, elle s’autorise à ne plus se considérer comme responsable de ce qui s’est passé. En tout cas, Vilma s’est senti beaucoup mieux après leur conversation.
Greg embrasse mon front, enroule son bras autour de mes épaules. J’aime cette proximité, la chaleur qu’elle apporte. Ensemble dans la tempête. Greg n’a pas hésité à risquer sa vie - ou sa liberté, lui le félon en conditionnelle - pour sauver la mienne.
Nous dinons et je mange quatre rondelles de courgettes, des petits dés de patates douces et même un peu de poulet. Mais un bloc de glace pèse constamment sur mes viscères. La disparition d’Akira.
Greg nettoie la cuisine pendant que je me repose sur le divan, il sait que je n’aime pas laisser les choses en plan. J’ai peut-être même sommeillé quelques minutes. J’ai hâte de me retrouver au lit à ses côtés.
Un mouvement de lumière près de moi, je cligne des yeux. Emilie est devant moi. Elle me sourit. Je la regarde avec curiosité. Je lance à Greg :
- Ma petite Sainte vient d’arriver !
Mais il ne réagit pas. Il regarde du côté du frigidaire et semble s’adresser à quelqu'un. Son Familier ? Je me tourne vers Emilie.
- Pourquoi es-tu là, ma chérie ?
Emilie hausse les épaules avec une petite grimace, sa façon de me faire comprendre qu’Il va se passer quelque chose.
Et l’instant d'après, la sonnerie de Jackson, les notes lumineuses dont Paul McCartney a fait une chanson, retentissent.
3.
Le visage de Greg se détend, et il sourit à l'arrivant que je ne peux pas encore voir. L’instant d'après, Tanner franchit le seuil. Je souris à mon tour, mais je reste en alerte. Son expression est différente. L’ami débonnaire est devenu déterminé, résolu - les signes d’un honnête homme, un enquêteur, en présence d’un mystère qu’il n’aura de cesse de résoudre.
- Bon, dit-il d'emblée avec un sourire contraint. Ce n’est pas une visite de courtoisie. Je me suis dit… plutôt que de vous demander de venir au commissariat, rappeler de mauvais souvenirs, autant venir à vous. Vous êtes d’accord ?
Greg le regarde, perplexe.
- D’accord pour quoi ?
- Une conversation. Quelques questions. Mais officielles. J’enregistre avec mon téléphone. Si vous êtes d’accord.
Nous nous regardons. Greg hausse les épaules.
- Tu peux nous poser toutes les questions que tu veux, tu le sais bien…
Nous nous asseyons autour de la table ronde. Je caresse distraitement les feuilles lisses de l'orchidée de Jackson.
- Tu veux boire quelque chose ? intervient Greg.
Il est un meilleur hôte que moi. Tanner accepte un verre d’eau que Greg pose près de lui, un autre entre nous. J’ai déjà la gorge sèche - j'appréhende la conversation qui va suivre.
Tanner boit une gorgée, pose le verre avec précaution, puis sort son téléphone, appuie sur quelques touches.
- Donc vous êtes d’accord pour que j’enregistre ? Nous sommes bien d’accord ?
- Mon vieux, soupire Greg, mal à l'aise, de quoi tu parles ? Je ne suis même pas sur…
Avons-nous consenti ? Tanner pose l’appareil sur la table près de lui. Pourrons-nous demander l’annulation de toute la conversation en justice, si besoin est ? Cela ne semble pas préoccuper celui que Greg décrit pourtant comme un flic exceptionnel.
- Je veux juste vous demander…. savoir… Où étiez-vous le 27 septembre dernier ?
Nous restons silencieux, figés. Puis Greg regarde autour de lui.
- Je ne saurais te dire, là comme ça… j’ai besoin de mon calendrier.
J’interviens.
- C’était quel jour de la semaine ? Ça nous aiderait déjà…
- Un vendredi. C’était le vendredi 27 septembre.
Nous échangeons un sourire dont le naturel est parfait. Quelque part, nous étions préparés à cette question.
- Le vendredi, c’est mon jour de congé, explique Greg. Donc ça dépend de l’heure…
- Le matin.
Nouveau sourire complice entre nous.
- Nous étions au lit, probablement. On fait la grasse matinée…
Tanner fait une petite grimace.
- C’est bien ce dont je croyais me souvenir… Pas de témoin, donc…
- Pas de témoin, confirme Greg avec un petit rire.
Tanner se tourne vers moi.
- Vos frères, peut-être ? Ils vivent toujours ici ? Ils vous ont vus ce matin-là ?
Comme il est loin, le temps où Katsumi se disait mon frère…
- Ils voyagent… Lune de miel.
Greg se penche vers Tanner.
- Pourquoi cette question ? Que s’est-il passé le 27 septembre ?
- C’est le jour où cette bombe a explosé à Gig Harbor.
Nous affichons un air convenablement surpris en nous regardant. Je m’exclame :
- C'était ce jour-là ! On s'est demandé si on avait entendu l’explosion, tu te souviens ?
- Nous avons entendu quelque chose, c’est clair… Est-ce que c’était la bombe? On n’est pas très loin à vol d’oiseau…
Nous regardons Tanner qui nous laisse parler en restant impassible. Finalement, il prononce :
- La raison de ma présence ce soir… c’est que ton ADN, Greg, a été trouvé sur les lieux.
Nous accusons le coup. Mon visage prend un coup de chaud. Greg sursaute, fait un geste montrant son incompréhension.
- Je n'étais pas là- bas ! Comment est-ce possible ?
A tour de Tanner de faire un geste d’ignorance.
- Aucune idée ! L’ADN ne ment pas, c’est tout ce que je sais…
Évidemment, la justice américaine possède l’ADN et les empreintes digitales de mon félon chéri.
- Mais si j’avais été là- bas, je serais mort, non ? Ils ont dit que cette bombe était si puissante !
- Pas forcément… C’est un nouveau type de bombe, qui produit ce qu’ils appellent une détonation concentrique. L’endroit précis où elle se trouve est pulvérisé. Mais l’entourage est relativement épargné. Déjà, l’homme qu’on a arrêté, lui n’a pas été blessé. Et puis nous avons trouvé beaucoup de sang près des ruines de la villa, et les ADN ne correspondent pas aux victimes. Donc plusieurs personnes ont été blessées mais ont pu fuir. C’est là qu'on a trouvé ton ADN.
Moment de silence.
- Est-ce que quelqu’un a pu prendre mon ADN et le laisser sur place ?
- Non, ça ne marche pas comme ça. L’ADN a été extrait du sang trouvé sur les lieux …
Moment de silence… Je sens la tension, en Greg, l’envie de tout dire à son ami, lui qui voulait vivre une vie sans mensonge. Plusieurs fois, il est sur le point de parler, puis se ravise. Emilie me regarde, hoche la tête en signe d’approbation. Elle sait ce que je vais tenter.
Je prends Tanner à témoin, montrant mon fiancé.
- Greg est en pleine forme ! Est-ce qu’il ressemble à quelqu’un qui vient d'échapper à un attentat pareil ? Qui a saigné abondamment ?
- C’est arrivé il y a quelques semaines maintenant…
Je concède pour contre-attaquer.
- Oui, c’est vrai. Mais j’imagine que la personne qui a perdu tout ce sang a encore des blessures visibles, des cicatrices ?
Greg réagit au quart de tour.
- Tu veux voir mon corps ? Vérifier si j’ai des traces de cette explosion ?
Les policiers examinent couramment leurs suspects pour trouver de possibles cicatrices. Tanner se lève déjà, tandis que Greg se place au centre du living room, fait voler son jean et son sweatshirt en quelques gestes rapides, et, en sous-vêtement, se tient immobile, le regard dans le lointain, les bras croisés derrière sa tête, une pose réglementaire dans un univers carcéral.
Tanner scrute Greg, son dos, sa poitrine, ses bras, ses jambes.
- Prends des photos, souffle Emilie. La preuve que Tanner ne trouve rien…
Je m'exécute. Tanner remarque mon initiative, hausse les sourcils, poursuit son examen sans rien dire. Je réalise la gravité de ce qui est en train de se passer. Tanner cherche un assassin. Un terroriste. Et je suis cet assassin. Quand la décision de me sacrifier s’est imposée à moi, l'opportunité de débarrasser le monde de ces malfaisants était un bonus, un cadeau que je faisais au monde en le quittant. Je me sentais bienfaitrice, pas meurtrière. Mais le point de vue de la police est tout différent. Un crime a été commis.
Mon fiancé, rhabillé, est assis près de moi à nouveau. Il sourit, touche ma joue - il voit mon émotion. J’ai tant besoin de repos, d'obscurité, notre lit et Greg qui me serre contre lui tandis que je chuchote “je veux te faire du bien… Dis-moi comment te faire du bien, dis-moi ce que tu veux… ” Ces mots tout simples emplissent nos nuits, loin du vocabulaire clinquant et vulgaire que j’ai trop entendu prononcer par des hommes dont je subissais la brutalité.
Je veux te faire du bien…
Un souffle de vent glacé me traverse : Emilie me bouscule, irritée.
- Tu peux rester dans le moment, s’il te plaît ? Il se passe des choses graves dans cette conversation ! Pas de rêvasseries !
Tanner a rapproché sa chaise de Greg, se penche vers lui.
- Je te connais, je sais bien que tu n’as pas tué ces hommes. Ce n’étaient pas des enfants de chœur, d’ailleurs. Des tueurs à gage, probablement. Tu étais là- bas pour aider, sauver quelqu’un. Ca te ressemble... Tu peux tout me dire…
Greg me lance un regard. Il aimerait parler, expliquer. Mais c’est impossible. Il ne s’agit pas de partager un secret, mais de confesser un crime.
Je pose la main sur l'épaule de mon fiancé et regarde Tanner.
- Mais il vous a tout dit ! Il vous a montré qu’il n’a pas versé la moindre goutte de sang là où, d'après vous, son ADN a été retrouvé !
- Mais alors, réplique Tanner dont le déplaisir de mon intervention est perceptible, comment expliquez-vous que cet ADN était là-bas ? L’ADN ne ment pas !
- Si l’ADN ne ment pas, ceux qui manipulent l’ADN, dans les labos, peuvent mentir, non ? Ou se tromper.
- Non.
La réponse de Tanner est trop rapide, montrant qu’il est sur la défensive. Il s’en rend compte et poursuit, s'efforçant de sourire :
- Je suis sûr de mon équipe. Nos labos sont performants, et ces recherches d’ADN sont basiques, pas de risque de confusion.
- Mais ce sont des humains… faillibles, ou... on peut imaginer un technicien qui veut protéger quelqu’un… ou qui n’est pas incorruptible…
Tanner s’est raidi, mais il continue de sourire.
- Max, je suis content que vous soyez là.
Il n’a pas du tout l’air content. Il poursuit :
- L’homme du hangar, que nous avons arrêté, a parlé d’une femme, arrivée peu de temps avant l’explosion. Elle portait un sac de sport en cuir dans lequel il a trouvé une bombe… il était en train de désamorcer cette bombe quand la villa a explosé.
Nouvelles mimiques de surprise de notre part. Ces précisions n’ont pas été partagées par les médias, nous sommes censés les découvrir.
- Après qu’il ait pris le sac en cuir, la femme est entrée dans la villa.
Je demande, suspendue à ses paroles :
- Alors elle était dedans quand tout a explosé ?
- Probablement. Mais nous avons retrouvé des corps de trois hommes, pas de femme. Donc elle a survécu.
Greg esquisse une expression de doute.
- Ou alors c’était un homme déguisé ?
- En tout état de cause, il a fait un portrait-robot de… cette personne. Vous voulez voir ?
Ça aurait été si simple d’ajouter une perruque, des lunettes, que sais-je… Mais pourquoi, puisque j’allais mourir ? Au moins, mes cheveux ne sont plus bleus.
- Oui bien sûr !
Il sort une page blanche de son dossier, provenant d’une sacoche à ses pieds que je n’avais pas remarqué. Il la retourne d’un geste brusque. Je me retiens d'éclater de rire. Un dessin montre le visage d’une femme dont les cheveux, dans leur mouvement, ressemblent aux miens. Pas de contradiction dans la forme des yeux, mais les sourcils sur le papier sont très fins, à peine visibles. Le nez et la mâchoire, en revanche, sont accentués et évoquent presque le mufle d’un animal. Le sourire se veut sexy, mais donne à l'ensemble du visage un aspect tout à la fois lubrique et sournois. Voilà comment j’ai été perçue.
- Cette pauvre femme est hideuse… dis-je à mi-voix.
- Il a dit qu’elle était sexuellement agressive, commente Tanner. Mais il faut savoir que les portraits-robots sont rarement flatteurs. Il ne faut pas s'arrêter aux détails.
Ses yeux sont posés sur moi, cherchant à évaluer la ressemblance. La colère monte en moi devant sa suspicion. Je commence à croire en mon innocence.
- Alors, vous avez vu ce dessin, ce visage presque grotesque, une attitude provocatrice, et vous vous êtes dit : tiens, on dirait Max.
Greg rit. Tanner émet un petit rire lui aussi.
- Non, non… Simplement… Encore une fois, tout part de l’ADN.
- Greg a démontré qu’il n’était pas là-bas.
- Il a démontré qu’il n’avait pas de cicatrices.
- Sans cicatrice, d'où vient l’ADN ?
Tanner fait un geste d’ignorance, puis ajoute doucement :
- Naturellement, il y a aussi la caméra.
Greg me jette un regard en coin. Je le sens se vider de toute énergie, comme une baudruche qu’on vient de percer.
- Quelle caméra ? demande-t-il d’une voix blanche.
- La caméra, fixée au portail, pour filmer chaque arrivant.
Est-ce qu’il nous a laissés nous enferrer dans nos mensonges avant de délivrer cette révélation ? Va-t-il sortir des menottes dans quelques instants ?
Emilie me foudroie du regard et crie :
- Attaque-le !
Sa voix est perçante et je m’attends à ce que les deux hommes sursautent et se tournent dans sa direction. J’agis aussitôt.
- Il y avait une caméra ? Une caméra qui filme les visiteurs ? Mais alors, qu’est-ce que vous faites là ? Si vous avez vu ces images, vous savez très bien que Greg n’était pas là-bas, ni moi non plus, d’ailleurs. Pourquoi êtes-vous chez nous, à nous tourmenter, à demander à Greg de se déshabiller ? Au lieu de chercher ceux dont vous avez vu les visages ?
Instant de silence. Tanner soupire.
- Nous n’avons pas d’image pour le moment. Les moniteurs devaient se trouver dans la villa et ont été détruits.
Il bluffait… Il nous regarde et prononce, en se levant :
- Bon, merci de m’avoir permis de poser ces questions. Max, pour solidifier votre alibi, votre absence dans cette villa, en dépit du portrait - robot, acceptez-vous de me donner vos empreintes digitales ? Comme ça, nous pourrons établir qu’elles ne se trouvent pas sur ce sac de cuir…
Greg me regarde, inquiet. Je souris.
- Tanner, s’il ne s’agissait que de vous, oui, ce serait oui, tout de suite, mes empreintes digitales, mon ADN, tout ce que vous voulez. Je vous fais confiance ! Mais votre équipe de techniciens, dans vos labos… Vous vous rendez bien compte qu’il y a un problème, quand même ? Je ne veux pas y ajouter mes données.
Bon joueur, Tanner hoche la tête, rassemble ses documents dans sa sacoche. Il se baisse brusquement, comme s’il ramassait quelque chose. J’ai le temps d’apercevoir le petit bandage improvisé que j’avais tirebouchonné autour de mon pouce. Je me lève à mon tour et le lui arrache presque des mains.
- Oh merci ! dis-je, comme si son but avait été de me le tendre, et non de le garder pour l’analyser.
Son regard me perce jusqu'à l'âme. Son expression dit “je sais, et je le prouverai.” Veut-il m’intimider ? Mes empreintes sont partout dans la maison, ou même sur la poubelle que je pousse sur le trottoir une fois par semaine. Si facile à trouver.
- J'espère que ma visite n’a pas été trop contrariante, dit Tanner en se tournant vers Greg qui pose la main sur son épaule, dans un geste de réconciliation.
- Ça nous a pris de court, tu t’en doutes. Nous n'étions pas là-bas… Ni l’un ni l’autre, alors tes questions, c'était …. Surréaliste.
- Tu sais, je me demande…
Le policier s’interrompt, comme si une idée venait de surgir dans son esprit.
- Tu sais que personne d’autre que toi n’a un ADN identique dans le monde. Une chance sur quinze millions, en gros. A moins que… que tu aies un jumeau. Un vrai jumeau.
Greg fronce les sourcils.
- Je n’ai pas de jumeau.
- C’est ce qu’on t’a dit. Mais, tu me l’as confié, beaucoup de choses relatives à ta naissance, à ta filiation, n'étaient pas exactes… Peut-être que ta mère a eu des jumeaux… Après tout, elle a eu des jumeaux par la suite, c’est dans ses gènes. Et Vilma a décidé de te garder, parce que laisser partir deux bébés, c’est trop. Ta famille t’élève. Ton frère est adopté. Et c’est ce frère qui était à Gig Harbor.
Greg est trop abasourdi pour parler - se souvient-il que cet ADN est bien le sien ? - puis prononce lentement :
- Je ne crois pas que ce soit possible. Il faut… Il faut que je parle à ma famille. Si j’ai un jumeau… je veux le connaitre, je veux lui parler !
- Moi aussi, sourit Tanner qui se tourne vers moi.
Je n’attends qu'une chose, qu’il s’en aille à présent. Mais il fait un pas vers moi et dit:
- Les relations entre frères et sœurs, c’est si important… Vous avez une sœur qui est morte récemment… Je suis vraiment désolé.
Je deviens instantanément une statue de glace.
- Nathalie Duval, c’est votre sœur, n’est-ce pas ? Greg m’a parlé d’elle il y a quelques semaines. Une histoire compliquée…
- C’était un malentendu, j’avais mal compris, intervient Greg, je te l’ai dit !
- Par curiosité, avant de venir, j’ai regardé des photos de votre sœur, elles sont rares… Elle vous ressemble à un point ! Vous étiez jumelles ?
- Je ne veux pas parler d’elle.
- Pourtant, c’est troublant, elle est morte dans une explosion qui n’est pas sans rappeler Gig Harbor. Et la police n’a toujours pas arrêté le coupable ?
- Si. Il est en prison. Il a fait des aveux complets.
- Oui, mais il n’a pas dévoilé qui étaient ses complices, qui ont fourni cette bombe, ceux qui étaient, de fait, les vrais meurtriers. Peut-être des gens comme ceux qui ont été tués à Gig Harbor. Peut-être les mêmes personnes… Toujours libres, pas inquiétés, prêts à récidiver. Ça peut donner des envies de meurtre, de vengeance…
Voilà où il voulait en venir ! Il a construit tout un motif pour cet attentat à partir de ce qui est arrivé à “ma sœur”. Avant même que j’ai le temps de réfléchir à une réponse, Greg bouscule Tanner, le force à lui faire face.
- Je croyais que tu me connaissais, que tu étais mon ami. Est-ce que tu imagines… imagines une seule seconde, que je pourrais aimer Max si elle voulait se venger ainsi, dans le sang ? J’ai tué et j’ai changé ma vie, je travaille dans une église, j’écris un livre sur le pardon, et tu m’accuses d'être le complice d’un assassinat ? Jamais. Jamais ! Et si tu n’as pas compris ça, tu ne sais rien de moi. Je suis resté un félon pour toi, à peine repenti.
Tanner est sous le choc, il n’avait pas prévu une telle réaction.
- J’essaie de comprendre, c’est tout ! L’ADN….
- Si tu dis encore que l’ADN ne ment pas, je hurle !
- Ok, ok…
Il étend ses mains devant lui, comme s’il s’agissait de calmer des fauves prêts à bondir.
-J’avais besoin de poser ces questions. Je suis désolé que la conversation ait pris cette tournure.
-Tu nous accuses de meurtre et ça te surprend qu’on réagisse ?
- Je ne vous… Je n’accuse personne. Vous le voyez bien, je n’ai pas de preuve! A part…
Il jette un regard vers Greg et s’interrompt avant de mentionner l’ADN.
- Je vais vous laisser… annonce-t-il.
Il quitte la maison avec quelques gestes de regret.
Nous restons immobiles, silencieux. Puis Greg me serre contre lui. Nous n’osons pas parler, comme si nous pouvions être entendus, trahis. J’ose finalement respirer. Greg murmure dans mes bras :
- Je veux t'épouser. Je suis ton Semblable. Je veux être ton mari, ton deuxième mari.
Il embrasse ma main, la bague mosaïque, et l’anneau médiéval de Brisart.
Un retournement intéressant, qui donne un sacré dialogue entre nos personnages ! Tu as réussi ton pari, la tension est au rendez-vous. C'est chouette d'avoir cette espèce de retournement ; on est plutôt habitué en tant que lecteur à être du côté enquêteur, ici on voit nos héros tenter de cacher la vérité à un inspecteur qui met le doigt là où ça fait mal. C'est chouette qu'il soit compétent et ne se laisse pas facilement déstabiliser malgré le lien affectif qui le lien à Greg (qui en joue évidemment beaucoup xD). Ca donne un sacré échange, où Max et Greg utilisent tous les stratagèmes possibles et imaginables, évitent les pièges. Bref, un beau combat. Pas certain que Tanner laisse tomber aussi facilement.
Curieux de voir ce que tu vas faire de ce rebondissement que je n'avais pas du tout anticipé.
Un plaisir de lire,
A bientôt !
Merci de ton commentaire qui m'encourage!