Une fois dans l'ascenseur, Juliette et Olivia mirent ensemble la clé dans la serrure et appuyèrent sur le bouton du sous-sol. Dans un ronflement sourd, l'ascenseur se mit à descendre et s'arrêta quelques secondes plus tard, s'ouvrant sur un couloir éclairé. Se tenant la main, elles avancèrent en silence et entrèrent dans une grande pièce circulaire, au décor moderne. Un bureau de ministre trônait au centre, et face à lui, le mur était tapissé d'une centaine d'écrans de télévisions.
— Tu crois qu'elle surveille les chambres ? chuchota Olivia, avant de réaliser qu'elle n'avait aucune raison de parler aussi doucement.
Juliette haussa les épaules, avant de s'approcher du mur d'écran, bientôt imitée par Olivia
— C'est bizarre je ne reconnais pas les chambres de l'hôtel, dit Juliette.
Soudain, Olivia poussa un petit cri et pointa un écran du doigt. Il y avait un œil bleu en gros plan sur cet écran. Juliette ne put réprimer un frisson. L’œil bleu recula et il s'avéra que son propriétaire était une petite fille. Or, il n'y avait aucun enfant dans l'hôtel. Juliette examina les écrans de plus près.
— Je crois que ce sont des chambres d'enfants, dit-elle.
— Bien vu, répondit une voix féminine inconnue derrière elle, avant de fermer la porte du bureau d'un coup sec.
Barbie venait de faire son apparition. Olivia étouffa un cri. Les murs de la pièce se mirent à tourner comme une grande roue horizontale. Le plafond commença à se liquéfier en même temps que la pièce s'assombrissait, laissant place à un nuage noir bouillonnant.
— Libérez-nous, cria Juliette, faisant fi de son cœur qui tambourinait dans sa poitrine. Nous n'avons rien fait de mal, vous n'avez pas le droit de...
— Vous pensez que c'est moi qui décide de qui vient ici ? répondit Barbie d'une voix glaciale. Non. Ce sont tous les enfants que vous voyez là, dit-elle en pointant du doigt les écrans. Ce sont eux qui ont pris la décision de se libérer une fois pour toute de leurs bourreaux. Des bourreaux qui ont échappé à la justice. Des bourreaux avec lesquels le système les renvoient gentiment à la maison. Moi je donne une porte de sortie à ces enfants, sous la forme d'une clé. Et quand ils tournent la clé, les rôles sont inversés. Les bourreaux deviennent des pantins, dans une maison de poupée.
— Mais nous n'avons rien fait, répéta Juliette, d'une voix nettement moins assurée.
— Vraiment ? Voyons, dit Barbie alors qu'un trou en forme de tornade s'ouvrait dans le nuage au-dessus de la tête de Juliette.
Elle ouvrit la bouche mais n'eut pas le temps de crier avant d'être aspirée dans un long tunnel noir à une vitesse vertigineuse. Elle ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, elle se trouvait sur un sol dur sans pouvoir distinguer l'endroit où elle était. Seule une nuit étoilée l'entourait. Puis, une épaisse fumée blanche se matérialisa et l'encercla. Aussitôt des images géantes y apparurent. Elle vit d'abord son voisin de chambre. Il était chez lui et cognait la tête de sa femme contre un mur, sous les yeux de ses enfants. Un autre de ses clients lui apparut ensuite, et ils se succédèrent, dans un déchaînement d'images de violences physiques et sexuelles, sur des femmes et des enfants. Tombée au sol, la tête entre les mains, Juliette était en larmes. Elle ferma les yeux, ce qui n'eut aucun effet. Il n'y avait pas d'échappatoire possible. Elle songea aux deux hommes qu'elle avait vu disparaître de la même façon. Olivia lui avait dit que personne n'était jamais revenu du trou dans le nuage. Secouée de sanglots, elle hurla "STOP !". A cet instant le défilé d'images s'arrêta, pour se fixer sur une autre image. Paul, sa femme et ses deux filles, avant qu'il n'en reste plus qu'une. Et le même balai de torture et d'horreur reprit. Juliette vomit tout ce qu'elle avait dans l'estomac. Bien sûr Paul était à sa place ici. Comment ne l'avait-elle pas vu plus tôt ? Elle repensa à Graziella, la craintive, la maladroite. Combien de fois Graziella était-elle tombée dans l'escalier ? ou tombée de vélo ? Combien de fois avait-elle été hospitalisée parce que sa santé était "fragile" ? Tous les signes étaient là, simplement Juliette les avait ignorés. Par amour ? Elle n'en était même pas si sûre. Juliette s'allongea en chien de fusil sur le sol. "Non, c'est juste par peur de la solitude" dit-elle à haute voix. A cet instant, les images s'évanouirent. La fumée se dissipa. Juliette s'assit. Une tornade noire apparut dans le ciel, en même temps qu'un mur circulaire et deux portes. De la tornade émergea Olivia, puis Barbie, puis Paul, avec la pleine possession de ses facultés. Il regardait bouger ses mains et ses bras avec stupéfaction. Il rit. Barbie se dirigea vers Juliette et lui donna 2 clés dorés.
— 2 portes, 2 clés. A vous de choisir à qui vous les donnerez, dit-elle avant de disparaître comme elle était apparue.
— Juliette, dit Paul, en s'avançant pour la prendre dans ses bras.
Elle recula d'un geste brusque. Il parut légèrement surpris mais se fendit d'un grand sourire.
— Bon, je sais pas pour toi, mais j'aimerais pas trop traîner ici après l'enfer que j'ai vécu. On y va ?
Juliette le regarda de haut en bas.
— Non, toi tu restes pourrir ici. C'est là qu'est ta place, siffla-t-elle en allant vers Olivia, qui était restée en retrait.
Paul ricana. Elle ne vit pas venir la gifle qui faillit la faire tomber à la renverse.
— Mais tu dérailles ma petite. Tu vas me la donner cette clé, dit-il en saisissant Juliette par les épaules.
Olivia sauta sur le dos de Paul, ce qui lui fit lâcher Juliette. Cette dernière, tenant sa joue, prit son élan et lui asséna un coup de genou dans l'entre-jambe. Paul s'écroula sur le sol en gémissant. Juliette donna la clé à Olivia et toutes deux franchirent ensemble la porte vers la lumière.
Elles étaient sur la plage, la véritable plage de l'hôtel des clés d'or. Elles tombèrent dans les bras l'une de l'autre et pleurèrent en silence de chagrin et de joie, avant de desserrer leur étreinte et de se diriger ensemble vers le chemin de la sortie.