Le voyage dura deux jours avant que le vaisseau ne fasse une escale à Printomnia (puisque pour aller de planète en planète, cela prenait deux jours à chaque fois. Le vaisseau faisait toujours le même trajet : de Hiveria à Printomnia, puis, vers Étéia, Automnia et, enfin retour à Hiveria, c’est-à-dire, dans l’ordre des saisons.) Alexandre et Laura ne purent pas voir le paysage de Printomnia, car ils n’avaient pas le temps de sortir de l’aéroport, mais il flottait dans l’air un doux parfum de fleurs et de nature. Il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid, la température semblait parfaite.
Très vite, ils remontèrent dans le vaisseau à regret.
Laura connaissait maintenant la démarche appropriée pour une princesse, savait comment prendre une tasse, se lever et s’asseoir gracieusement. Il ne lui restait plus qu’à apprendre à danser telle une dame de la cour. Elle détestait faire tout cela, pourtant, elle savait qu’elle n’avait pas le choix. Mais ce que Laura haïssait par-dessus tout, c’était de se vêtir de robes et se maquiller. Elle avait en horreur tout ce qui était dentelle et suppléments de tissus inutiles. Alexandre ne comprenait pas car, selon lui, toutes les filles aimaient porter des robes et se faire jolie. Mais il insisterait jusqu'à ce qu’elle finisse par céder.
« Non, non et encore non ! s’emporta-t-elle. Je ne me vêtirai pas ainsi et je ne me maquillerai pas ! Je ne suis pas à mon aise avec tous ces artifices ! Je préfère rester au naturel et m’habiller selon mes envies et non les vôtres !
—Mais, tu portais une robe le jour de mon arrivée à Hiveria !
—C’était parce que ma mère m’y obligeait, sinon je ne serai même pas venue !
—Mais, de toute façon, tu n'as pas le choix ! insista-t-il sans jamais changer d’excuse. Et puis, tu seras très jolie et élégante dans les robes qui te seront proposées. Cela te siéra à merveille.
—Que ne comprends-tu pas dans le mot « non » ? lui demanda-t-elle, très courroucée. Ce n’est pas comme si le roi allait mourir d’un arrêt cardiaque si je ne porte pas de robe ! Je pense que j’en ai déjà bien assez fait pour un homme que je ne connais pas et qui m’a arraché à ma famille, non ? C’est bon, je craque ! Tout cela ne me correspond pas ! Je veux bien faire un effort pour changer un peu ma façon de vivre et mes habitudes, mais là, on me demande d’être une personne totalement différente de ce que je suis réellement ! Tu comprends ? Je ne me reconnais plus ! ... »
Sur ce, elle s’assit sur le fauteuil rouge et fondit en larme. Elle couvrit son visage de ses mains, son corps sursautant à chaque sanglot.
« Je n’en peux plus ! se lamenta-t-elle. J’abandonne, je ne suis pas faite pour cela. Je n'y arriverai pas… »
Des larmes coulaient le long de son visage et ses mains et venaient s’écraser sur ses genoux, serrés l’un contre l’autre. Alexandre se positionna devant elle et resta immobile pendant quelques instants, jusqu’à ce que Laura cesse de sangloter et relève la tête vers lui. Il ne semblait pas se soucier de son malheur et restait de marbre. Son regard était sombre et profond.
« Écoute, Laura, commença-t-il plus sérieux que jamais. Je ne serai pas toujours aussi gentil avec toi si tu continues à te plaindre sans arrêt. Si je te dis de faire cela, ce n’est pas pour t’agacer, c’est pour que mon père ne te fasse pas de mal. »
Laura sécha ses larmes du revers de la main et pencha la tête sur le côté inquisitrice. Surprise, elle lui demanda :
« Que veux-tu dire ? Il n’est pas mauvais au moins ? Tout le monde n’en dit que du bien dans les journaux… C’est vrai n’est-ce pas ?
—C’est parce qu’ils ont peur des représailles s’ils en disaient du mal. Tu n’as qu’à le voir par toi-même, lui répondit Alexandre en déboutonnant quelques boutons de de sa chemise laissant apparaître des cicatrices blanchies par le temps sur le haut de son torse grimpantes au début de son coup. C’est lui qui me les a toutes infligées, sans exception. Ma mère et moi ne pouvons rien contre lui. La seule chose que la reine puisse faire pour moi, est me réconforter. Voilà pourquoi je ne veux pas qu’il te fasse de mal. Ton fort caractère pourrait l’importuner et cela risquerait de très mal se terminer.
—Je… Je suis désolée Alexandre, je n’étais pas au courant. Mais, comment te fait-il cela ?
—Eh bien, malheureusement il a un pouvoir pouvant être très dangereux s’il est hors de lui. Il peut créer des fouets invisibles avec lesquels il me frappe. J’ai aussi des cicatrices dans le dos.
—Et, vont-elles disparaître ?
—Certaines, oui, mais pas toutes.
—C’est horrible ! Pourquoi te fait-il cela ?
—Comme je te l’ai dit, lorsqu'il est furieux, pour évacuer sa rage, il m’utilise comme bouc-émissaire et lorsque je ne lui obéis pas à la lettre. »
Laura le dévisagea, choquée. « Comment un père peut-il faire de telles horreurs à son propre fils ? Et moi qui n’ai pas cessé de m’apitoyer sur mon sort. Oh, comme je regrette ! » Elle baissa la tête, honteuse et remplie de remords. Lorsqu’elle se redressa, elle vit un autre Alexandre que l’habituel homme chaleureux qu’elle avait appris à connaître ; des larmes roulaient le long de ses joues, traçant des sillons irréguliers, atteignaient le bout du menton et tombaient sur le sol. Pour la première fois, il pleurait. Connaissant la fréquente fierté des hommes, il devait réellement souffrir de se laisser aller ainsi.
La jeune femme se leva brusquement de son fauteuil et, une seconde plus tard, Alexandre se retrouvait entouré des bras de Laura qui nicha son visage dans le creux de son cou. Elle se remit à pleurer, mais cette fois, pour Alexandre qui avait dû endurer tant de moments difficiles. Elle se sentait terriblement coupable.
Ils sanglotèrent dans les bras l’un de l’autre pendant quelques minutes, puis ils se lâchèrent et Laura prit la parole tout en séchant ses larmes :
« Je crois que nous avons assez pleuré pour aujourd'hui, non ? »
Alexandre rit légèrement et acquiesça tout en essuyant, à son tour, ses larmes d’un revers de manche.
« Oui, tu as raison. Maintenant que l’on s’est tout dit, on peut repartir sur de bonnes bases je pense.
—Très bien, approuva Laura. Je vais faire en sorte d’être irréprochable dans mon comportement et le roi Louis ne pourra rien trouver de négatif !
—Je ne sais pas comment te remercier Laura.
—Eh bien, disons que c’est moi qui te remercie pour avoir été sincère avec moi. »
Alexandre et Laura se regardaient, ne sachant que dire de plus. Le silence qu’ils avaient laissé les mettait mal à l’aise. Laura finit par se rasseoir et, Alexandre fit de même.
« Cette situation me rappelle le jour de ton arrivée sur Hiveria, se souvint Laura le regard posé sur le bout de ses bottes habituelles.
—Oui, c’est vrai. Mais, il n’y a pas ta mère pour nous sauver de cet embarras.
—Peut-être, mais le côté positif c’est que cette fois, je ne ressens pas de haine contre toi.
—Ah oui ? se réjouit Alexandre. Alors tu ne m’en veux plus ?
—Eh bien, je crois que je ne t’en ai jamais vraiment voulu personnellement. En fait, tout cela était la faute de ma mère parce qu’elle avait acceptée de me marier sans mon accord et, de plus, à une personne que je ne connaissais pas. Mais, je ne voulais pas admettre ce fait et il fallait bien que quelqu’un soit en tort et c’est tombé sur toi. Comprends-tu ? Je m’en excuse.
—Ce n’est pas grave. Je comprends ta réaction. Je te pardonne. »
Laura et Alexandre se sourirent amicalement. Ils s’entendaient bien mieux à présent que tout ce qu’ils avaient sur le cœur avait été dit. Les deux jeunes gens se sentaient libérés d’un poids et cela les soulageait grandement.
« Alexandre, sais-tu quand arriverons-nous à Étéia ?
—Demain, pourquoi ?
—Eh bien, il commence à faire chaud, ne trouves-tu pas ?
—Oh non ! Si tu as déjà chaud, alors tu ne sais pas ce qui t’attend sur Étéia. »
Au fur et à mesure que la journée passait, Laura retirait des épaisseurs de vêtements en plus qu’elle avait habituellement sur elle et se changeait régulièrement pour enfiler des habits beaucoup plus légers. Ce fut la première fois qu’elle mit un débardeur et elle se sentait presque entièrement dévêtue face aux autres passagers qui ne lui jetaient même pas un regard. Eux-mêmes se promenaient dans les couloirs du vaisseau en tenue très légère et ne semblaient nullement dérangés par leur corps apparent. Sur Hiveria, les touristes comme les habitants, portaient toujours d’épais manteaux cachant les corps et la nudité était très mal vue. La jeune femme devrait se familiariser à la vue d’épaules, de bras voire de jambes non couvertes par des tissus.
De plus elle savait que s’habituer à la chaleur d'Étéia n’allait pas être facile, mais elle ne s’imaginait pas un seul instant que ce serait aussi difficile et éprouvant. À peine faisait elle un mouvement qu’elle était en nage. Elle s’épuisait beaucoup plus facilement et était rapidement à bout de souffle. Alexandre trouvait cette réaction à la chaleur très comique, ce qui ne plut pas du tout à la pauvre Laura.
La veille de l’atterrissage sur Étéia, la cloche pour le repas sonna et Laura sortit de sa chambre pour se diriger vers la salle à manger. Elle rejoignit Alexandre qui était déjà là et s’assit à côté de lui. Une femme, membre du personnel, vêtue en noir et rouge attrapa un micro qu’on lui tendait. Elle prit la parole :
« Bonsoir mesdames et messieurs. Nous devrions arriver à Étéia demain vers midi. Le temps, comme toujours, sera ensoleillé et la température moyenne d'environ trente-cinq degrés. Ce sera une magnifique journée pour profiter de la plage et de la mer. L’équipe des Quatre Saisons vous souhaite une agréable soirée. »
En voyant le visage ahuri de Laura qui tombait des nues après avoir entendu la température prévue pour le lendemain, Alexandre se pencha vers elle et lui murmura d’un air moqueur :
« Cela ne va sans doute pas te rassurer, mais, la température ne sera pas à son maximum. Quelque part, tu as de la chance, non ? »
Le regard qu’elle lui jeta à ce moment-là lui donna une crise de fou rire, ce qui eut le don d’horripiler Laura. Il finit par s’excuser, mais la jeune femme, vexée ne répondit pas et se contenta d’enfourner un énorme morceau de viande dans sa bouche pour ne rien avoir à lui répondre. Alexandre se remit à rire et dû manger seul, puisque sa fiancée quitta la table sans lui, importunée.
Après avoir laissé seul Alexandre, Laura retrouva sa chambre et s’assit sur son lit. Elle était anxieuse. À tel point qu’elle en avait des douleurs au ventre. Après tout ce qu’Alexandre lui avait raconter à propos de son père, elle ne savait plus trop quoi penser. Le roi Louis était-il vraiment aussi cruel que le prétendait son fiancé ? Roxy, qui semblait comprendre ce que sa maîtresse pensait et ressentait, sauta sur son épaule et commença à frotter sa tête contre sa joue pour la réconforter.
« Merci d’être présente lorsqu'il le faut, lui murmura Laura en lui caressant la tête. J’ai tellement de chance de t’avoir auprès de moi. Qu’aurai-je fait sans ma petite boule de poils préférée ? »
Le charmant écureuil répondit par un cri adorable pouvant faire fondre un cœur d’acier. La jeune femme rit doucement avant de jouer avec son animal de compagnie à l’aide de ses doigts.
Laura décida de se coucher de bonne heure. Le lendemain s’avèrerait être une journée très difficile et éprouvante.