Face n°9 de l’icosaèdre, japonaise – Ville : Torii – Antre des Roses
Année 2012, Terre, Monde 4 / Année 2512, 4e Platefrome
Le soleil matinal trouva l’adolescent encore roulé en boule sous les draps, le nez dans l’oreiller, le couvre lit épais ne laissant voir au monde qu’une masse confuse d’épis bruns et la courbe nue d’un épaule. Il y serait resté si la pression douloureuse de la faim ne l’avait pas extirpé du sommeil, le faisant se redresser, frissonnant, dans une pièce inconnue. Personne n’ayant eut la délicatesse de l’habiller, il s’extirpa nu du lit, le regard encore vitreux d’épuisement. Sa magie avait bien travaillé, effaçant toutes les ecchymoses et coupures de son corps, mais avait pompé ses dernières réserves d’énergie, ce qui fit qu’il mit un certain temps à repérer les vêtements pliés sur un petit bureau près de la porte.
En pilote automatique, il traversa la pièce pour revêtir la veste de kimono grise, puis le hakama1 de la même couleur mis à sa disposition. Après avoir serré les ceintures à fond pour éviter que les vêtements ne glissent de son corps trop maigre, il se glissa à pas de loups jusqu’à la porte pour l’entrouvrir et observer l’extérieur. Devant lui s’ouvrait un salon, avec des banquettes basses et des coussins absolument partout. Au milieu, deux tables basses couvertes de livres coupaient l’espace entre lui et deux autres portes qui donnaient probablement sur d’autres pièces… ou sur l’extérieur.
Silencieux, il se faufila entre les meubles en faisant attention au moindre bruit signalant la présence de quelqu’un d’autre. Soudain, un grand fracas retentit derrière la porte la plus à droite, le faisant bondir en direction de l’autre sans plus se soucier de discrétion. Quelqu’un se mit à pleurer tandis qu’une voix féminine se répandait en imprécations, et Vaëm ouvrit le second battant à la volée pour se précipiter dans un grands couloir débouchant sur ce qui ressemblait clairement à une porte d’entrée.
Verrouillée, bien entendu.
Avec un soupir, le jeune homme appuya son front contre le bois, cherchant machinalement à s’y connecter sans y parvenir : l’huis était trop vieux, vidé de son essence. Se redressant, il inspecta soigneusement la porte, cherchant un loquet ou une chaîne qu’il n’aurait pas vu et qui expliquerait l’entêtement du battant à ne pas s’ouvrir.
Rien.
Il retint de justesse une montée de larmes.
Réfléchir. Il devait réfléchir.
Jetant un regard circulaire autour de lui, il avisa une autre porte, entrouverte, dont l’entrebâillement laissait deviner une fenêtre. Se traitant mentalement d’idiot pour ne pas y avoir pensé lorsqu’il était dans la chambre, il se précipita à l’intérieur de ce qui semblait être un bureau, et s’empara de la première chaise disponible pour bloquer la porte derrière lui. Une fois les lieux sécurisés, il gagna la fenêtre et en ouvrit grands les battants, laissant le vent froid de l’hiver lui ébouriffer les cheveux et lui piquer le nez au point de le faire éternuer.
Un parc.
Un parc gigantesque.
A en avoir le vertige…
Et le ciel, sans limite, s’étendait au-dessus de sa tête.
Il était en dehors de Torii.
Le réaliser lui coupa le souffle et il se rattrapa au rebord de la fenêtre pour ne pas tomber. Il n’était jamais sorti de la ville troglodyte, du moins jamais sur terre. A bord d’un bateau, oui, ou dans la ville flottante s’étendant devant la grotte abritant la cité, mais jamais sur les sommets de l’île. Ces zones là étaient réservées à l’élite. Aux nobles. Aux Sawada. Et à l’Antre des Roses.
Les nobles n’ayant pas grand-chose à faire d’un rat des rues comme lui, on l’avait donc vendu ou aux mafieux, ou au bordel.
- Shnutz…
Il était dans la panade.
Profondément.
La panique manqua de le submerger, étouffant presque les pulsations du parc aux limites de sa perception. Malgré l’hiver, il pouvait sentir la vie s’écoulant paresseusement sous l’écorce des plantes et des arbres du lieu, l’agitation de ses habitants, le grondement sauvage de l’eau tombant au loin d’une falaise… et la présence de deux grosses masses magiques dont l’attention balayait régulièrement les lieux. Des élémentaux. Ou des Djiins.
Doublement dans la panade.
Il était en train de réfléchir à comment s’évader sans attirer l’attention des Gardiens élémentaux lorsqu’un coup dans la porte du bureau le fit sursauter. Une voix de femme adulte accompagna une seconde bourrade qui fit légèrement glisser la chaise bloquant la poignée.
- Que… Mary ? Tu as verrouillé mon bureau ?
- Non madame.
- … Va voir dans la chambre du nouveau Bouton. Tout de suite !
Des pas détallèrent de l’autre côté du battant, et quelqu’un donna un nouveau coup qui déstabilisa presque la chaise.
Pas le temps de traîner.
Vaëm se pencha sur le rebord enneigé pour évaluer la distance entre lui et le sol, laissant échapper un nouveau juron : il était au troisième étage. Plus de douze mètres de hauteur… même avec sa magie de soin, le risque était trop grand de se retrouvé immobilisé avec une jambe brisée.
Derrière lui, la porte trembla une nouvelle fois.
Pas le choix.
Aussi prudemment que l’urgence de la situation le lui permettait, il laissa sourdre un peu de sa magie pour tester la réaction des Gardiens, qui lui manifestèrent une totale indifférence. Rassuré, il dirigea son esprit en direction de l’arbre le plus proche de la fenêtre afin de le sortir de son hibernation. Son affinité avec l’élément terre lui permis de provoquer une montée de sève qui amena deux grosses branches à se développer rapidement dans sa direction. Prenant appui sur le rebord glacé, il caressa doucement l’écorce pour remercier la plante et s’excuser de lui avoir imposé cette pousse, puis s’aventura dans les branchages jusqu’à atteindre le tronc, puis de là, descendre jusqu’au sol.
Il y était presque lorsqu’un cri s’éleva depuis le bâtiment : une femme magnifique, typée japonaise et parfaitement coiffée le dévisageait, horrifiée, depuis la fenêtre qu’il venait de quitter. Un grand sourire aux lèvres, le gamin la salua d’un mouvement de main avant de finir sa descente tout en ignorant ses injonctions à s’arrêter. Ou à revenir.
Et puis quoi encore ?!
Le contact de la neige sur ses pieds nus lui tira un long frisson qu’il tenta d’ignorer. La morsure du froid risquait de lui faire des engelures, mais sa magie devrait permettre de régénérer sa peau assez vite pour que ça ne lui cause pas trop de dégâts. Et puis il était dehors, avec encore suffisamment d’avance sur la femme chargée de le surveiller pour espérer pouvoir s’échapper.
Tournant le dos au bâtiment dont il venait de s’échapper, il détalla dans le jardin sans demander son reste – ni ralentir lorsqu’il fallut traverser la haie d’épineux bordant ce dernier. Ignorant les égratignures provoquées par les plantes (d’ici une demi heure, elles auraient disparues) il se précipita dans une grande allée qui s’ouvrait devant lui. Les résidences, en général de deux à trois étages, défilaient de chaque côté, ne cessant de lui rappeler la précarité de sa situation : à rester dans cette allée dégagée et bien droite, il risquait de se faire capturer bientôt. Sur une impulsion, il vira à gauche, traversa une nouvelle haie, puis un jardin, déchira ses vêtements en franchissant une troisième barrière d’épineux, et percuta violemment quelqu’un au sortir de sa quatrième haie, ce qui le renvoya à moitié dans les arbres.
- Regarde où tu vas !
Une main l’attrapa brusquement par le devant de sa veste pour le tirer hors de la haie, et la gifle qui suivit le prit totalement au dépourvu. Sonné, il sentit ses jambes fléchir et le goût du sang lui remplir la bouche : il s’était mordu la langue.
- Akari-sama ! C’est un enfant !
La prise sur sa veste se relâcha brusquement, le faisant chuter à genoux dans la neige, et le bruit d’une seconde gifle parvint aux oreilles bourdonnantes de l’adolescent qui redressa la tête pour essayer de comprendre ce qu’il se passait. Campés à quelques centimètres de lui, un jeune homme à l’air fragile, au visage livide et au kimono rouge débraillé, agrippait le bras d’une femme blonde sanglée dans un impeccable uniforme bleu marine. Une femme dont le visage ne lui était pas inconnu.
Il fallait qu’il se tire d’ici.
Malheureusement, son mouvement pour se lever ramena l’attention sur lui, et leurs regards se croisèrent.
- Toi… ?
L’adolescent plongea en avant, espérant prendre l’adulte par surprise et ainsi passer derrière elle, puis prendre la fuite. Hélas, rodée aux techniques de fuite des enfants des bas-fond, la femme ne se laissa pas duper et sa grande main se referma sur une bonne poignée de cheveux brun qu’elle ramena brutalement en arrière. Le reste du corps de Vaëm suivit et il se retrouva étalé dans la neige. Sans perdre de temps, la femme en uniforme le retourna sur le ventre pour l’immobiliser d’une solide clef de bras, son genou s’enfonçant douloureusement dans les reins du garçon.
- Qu'est ce que tu fais là ?!
- Akari-sama ! Il porte l'uniforme de l'Antre !
Le jeune homme en kimono rouge tenta de nouveau de s’interposer, son vêtement débraillé laissant voir une impressionnante collection de bleus et d’estafilades. Ses doigts bandés, posés sur l’épaule de l’officière, tremblaient d’une peur difficilement contenue.
- Relâchez-le s’il vous plaît… il doit faire partie des nouveaux Boutons.
- Sans masque et pieds nu ? Je ne crois pas non...
La prise de l’adulte se resserra, faisant s’agiter sa proie qui étouffait à présent, le visage à moitié enfouit dans la neige. S’en apercevant, la femme empoigna de nouveau les cheveux bruns pour lui faire relever la tête, et, ignorant la toux de sa proie, demanda :
- Comment tu as atterri ici ?
Seul un regard noir lui répondit, et elle esquissa un sourire.
- Tu as raison, ce n’est pas très important. Je t’ai mis la main dessus, c’est tout ce qui compte.
La peur qui passa brièvement dans les yeux verts accentua son sourire. Satisfaite, elle relâcha sa prise sur les cheveux de son prisonnier puis, après avoir pesé de tout son poids sur les reins du garçon, le força à se redresser, non sans lui tordre plus étroitement le bras en arrière.
- Vous me faites mal !
- Tu m’en vois ravie.
- Akari-sama… (l’homme en kimono s’était rapproché) je vous en prie ! Je vous assure qu’il prote l’uniforme de l’Antre !
- Il a dû le voler quelque part.
- Mais…
- Silence !
Empoignant l’uniforme de l’adolescent par le col, Akari poussa sa proie en avant, ses lourdes bottes blessant accidentellement les chevilles découvertes de cette dernière. Avec un gémissement pathétique, Vaëm trébucha en avant, ce qui obligea l’officière à relâcher un peu son emprise pour ne pas lui déboîter inutilement l’épaule. L’adolescent en profita pour dégager son bras et tenter de s’enfuir une nouvelle fois, ce qui lui fallut un grand coup de poing en pleine tempe, qui le fit chuter. Le coup suivant lui fit salement grincer les côtes, le projetant sur le côté, et la pointe d’une botte vint se loger dans son estomac, le pliant en deux.
- Akari-san ?
La voix, basse et chaude, fit se suspendre la botte à quelques centimètres du visage encore épargné de Vaëm.
- Seriez-vous par hasard en train de maltraiter gratuitement l’un de mes employés ?…
Un homme qui se tenait sur le pas du jardin, un air de désapprobation profonde sur le visage. Cheveux rouges, costume blanc, canne à la main et une cigarette au coin des lèvres, Kiyoshi s’appuyait contre la barrière à la manière nonchalante des félins en chasse.
- Hogô-san (la botte repoussa l’épaule du garçon à terre et vint se poser sur la poitrine frêle, le clouant au sol) il y a malentendu. Je procède à une arrestation.
Les chaussures parfaitement cirées du maître des lieux firent crisser la neige tandis qu’il poussait le portail et s’approchait, son regard fauve balayant la scène comme un tigre à l’affût.
- J’ai hélas une mauvaise nouvelle pour vous Akari-san. Si le gamin porte cet uniforme, c’est qu’il m’appartient.
- Il doit l’avoir volé. Connaissant Vaëm, ça ne m’étonnerais pas.
- Il a les yeux verts ?
La question sembla prendre la femme au dépourvut.
- Oui.
- Alors je viens de l’acheter. Pourriez-vous, eh bien, arrêter de le prendre pour un paillasson ?
Le regard de Kiyoshi se détourna brièvement de son interlocutrice pour effleurer le jeune homme en kimono rouge, qui se tenait nerveusement en retrait.
- Rôji. Soit un amour. Aide le petit à se relever. Akari-san ? Puis-je vous demander de retirer votre pied de ma propriété ?
La situation passait doucement le contrôle de l’homme en costume blanc qui avait finit de traverser le parc sans se presser. Un sourire de circonstance, qui ne montait pas jusqu'aux yeux, éclairait son visage, et il se plaça tranquillement entre son invitée et les deux humains qui lui appartenaient. Refrénant visiblement son agacement, l’officière croisa les bras, défiante.
- Vous vous faites avoir Hogô-san. Il ne vaux pas l’argent que vous dépensez pour lui.
- Je crains malheureusement que la transaction ne soit irréversible… l’argent a été livré. Et puis j’apprécie assez les défis pour avoir envie de le garder.
La bouche d’Akari se plissa de contrariété à cette annonce, ses yeux bleus ne cessant de scruter le petit corps trempé et tremblant qui se tenait derrière son hôte. A la façon qu’elle avait de regarder l’adolescent, l’expression partagée entre l’envie et la haine, il était clair pour Kiyoshi qu’il y avait un lien de longue date entre sa nouvelle acquisition et l’une de ses clientes les plus tordues. Lien qu’il lui faudrait rapidement éclaircir s’il ne voulait pas sombrer dans des ennuis inutiles. En attendant…
Il se déplaça légèrement de façon à se que sa large carrure dissimule entièrement Vaëm et esquissa un sourire.
- Mes Roses sont plus attrayantes lorsqu’elles ont un peu de caractère, non ? Ce serait dommage de mettre celui-là en cage alors qu’on pourrait en faire un courtisant compétant que je laisserai ensuite à vos bons soins…
Dans son dos, un petit hoquet horrifié marqua la proposition, et l’officière s’autorisa un sourire effrayant.
- En effet. Mais je vous offre quand même de vous en débarrasser. C’est de la sale engeance que vous avez là. Que son sang soit mélangé à celui d’un Terre ne serait pas pour m’étonner.
Kiyoshi mima un air horrifié.
- Ne parlez pas de malheur ! L’Antre a beau être un lieu neutre, en aucuns cas nous n’accueillerions une créature pareille ! Avoir un tueur psychopathe parmi mes Roses serait mauvais pour les affaires.
La femme eut un petit rire de dérision.
- Je me dois de vous croire, sinon il me faudrait vous mettre en état d’arrestation. Enfin… je vous le laisse pour cette fois, je suis curieuse de voir la réaction de l’Héritier Sawada lorsqu’il réalisera que vous formez un enfant.
Akari lissa le plastron de son uniforme, puis commença à se détourner avant de se raviser. Faisant volte-face pour pointer Rôji du doigt, faisant sursauter le pauvre garçon.
- Toi. Tiens-le par la nuque si tu ne veux pas qu’il file. (elle porta son attention sur le propriétaire de l’Antre) Je vous aurez prévenu. Si jamais vous avez besoin d’aide pour le mater, n’hésitez pas. Sur ce…
Elle tourna les talons et s’engagea dans l’allée sans un regard en arrière, laissant les trois résidents de l’Antre en tête à tête. Le masque d’affabilité de Kiyoshi tomba sitôt la haute silhouette de l’officière disparue derrière la haie.
- A l’intérieur. Tout de suite.
Rôji s’empressa d’obéir, une main tremblante posée sur la nuque de l’adolescent qui étrangement ne broncha pas tandis qu’ils se dirigeaient vers le pavillon. Que la Rose puisse marcher était une surprise en soi… en temps normal, Akari laissait derrière elle des Hôtes tellement abîmés qu’ils étaient incapable de travailler pendant plusieurs mois. Sa récente promotion devait l’avoir mise de bonne humeur. Passant sur ces considérations, le propriétaire de l’Antre fit conduire le fugueur au salon, où des menottes normalement dévolues aux jeux amoureux permirent de l'attacher à une chaise en attendant que l'on décide de son sort. Ayant le sens des priorités, Kiyoshi prit le temps de soigner sa Rose des quelques bleus et coupures dont elle souffrait avant de l'envoyer dans les cuisines pour faire du thé, lui laissant ainsi assez d’espace pour s’occuper de son nouveau Bouton.
Bouton qui avait profité du temps nécessaire aux soins pour arracher l’accoudoir de sa chaise et qui ouvrait déjà la porte pour s’enfuir.
- Même pas en rêve petit futé…
Le pommeau de la canne, lancée avec brio, frappa le garçon entre les omoplates, l’étalant de tout son long dans la neige. Quelques enjambées suffirent à l’homme pour rejoindre le môme étourdit qui tentait de se relever et sa large main se refermait sur la nuque trop maigre. Le petit s’immobilisa immédiatement, comme paralysé, ce qui fit lever un sourcil intéressé à Kiyoshi : visiblement Akari savait de quoi elle parlait quand elle avait indiqué cette prise.
Sans le ménager, il rapatria le jeune homme à l’intérieur, allant cette fois à l’étage pour l’enchaîner au mur avec l’un des colliers de fer affectionné par l’officière. Faire ça le rendait secrètement malade, mais vu comme le gamin se déchaîna dès qu’il le relâcha, c’était probablement la meilleure solution pour le moment. Pensif, il se laissa tomber sur le lit défait.
- Vaëm. Donc.
L’enfant cessa de tirer sur la chaîne pour l’assassiner de son beau regard vert. Une attitude qui lui plaisait… même s’il faudrait faire bien attention à ce que ça ne devienne pas une mauvaise habitude. Surtout qu’une telle façon de regarder les gens et de cabrer la nuque comme les épaules, savamment utilisé, serait un sacré atout dans sa carrière de Rose.
- Qu’est ce que je vais bien pouvoir faire de toi ?…
- M’laiss' décar'.
- Bien essayé. Mais non. Tu reste ici petite anomalie.
Pour son plus grand plaisir, le visage expressif du garçon se plissa de perplexité, puis de colère, et enfin d’agacement profond. Frustré, il recommença a tirer sur l’attache de sa chaîne tout en marmonnant quelque chose qui ressembla vaguement à « naï pas normal » qui fut noyé dans l’épais accent des bas-fond que se traînait le gosse.
Kiyoshi eut un petit rire amusé.
- Si si, tu es une anomalie. Tu as quoi… quinze ans tout au plus ? Tu devrais être dans un orphelinat plutôt que sous mon toit…
- Naï orphan. M'mèr ell'...
- T'as vendu pour rembourser une dette. Tu m’as coûté une fortune, mis hors la loi, et en plus de ça ne pourras pas me rembourser avant plusieurs années. A vrai dire, il serait moins contrariant pour moi de t’éliminer tout de suite. Personne ne le verrait. Ni s’en soucierait d’ailleurs.
La dernière phrase figea son prisonnier qui cessa de s’escrimer sur l’attache de sa chaîne pour s’asseoir sur le sol, les jambes remontée contre son kimono trempé et cerclées par ses bras maigres.
- J’ai toute ton attention ?
- Aï.
- Tu as faim ?
Un silence buté lui répondit, et il poussa un soupir lassé.
- Vaëm. Il n’y a pas de piège. Tu peux manger, et boire. Rôji va t’apporter des vêtements secs.
- … j’ai faim.
- Bien. Voilà qui commence à ressembler à un échange normal. Rôji ?
L’adolescent sursauta en voyant entrer la Rose, dont il avait plus ou moins oublié l'existence. Cette dernière s’était jusqu’à présent tenue en retrait dans l’encadrement de la porte, un plateau dans les mains, attendant le bon vouloir de son patron. Doucement, il déposa un bol de soupe et une tasse de thé au lait devant le gosse qui se jeta sans manières sur les légumes, se brûlant certainement la langue au passage. Silencieux, l’homme aux cheveux rouges le laissa manger tranquillement, observant chacun de ses gestes avec la plus haute attention. Vifs, mesurés, tout en économie, aucun gaspillage. Et à aucuns moments il n’avait quitté la reste de la pièce des yeux. Un gamin sauvage comme il les aimait.
- Bois aussi.
- Naï.
- C’est du thé au lait. Il n’y a rien d’autre dedans.
Le petit fronça encore une fois le nez mais pris la tasse entre ses doigts osseux pour la renifler avec circonspection. Puis il la porta à ses lèvres, appréciant visiblement la découverte de saveurs. Pensif, l’homme se frotta la joue, ses doigts calleux suivant plusieurs fois le tracé sinueux de la cicatrice lui barrant le visage. Le gamin buvait par petite gorgée en lapant comme un chat, ce qui était plutôt amusant. Voire mignon.
Enfin.
- Ah. Je sais.
- Merveil’
- Ne sois pas malpolis. Je vais te laisser te changer. Et ensuite je ferai en sorte que tu apprennes les bonnes manières et trouverait comment te faire me rembourser.
- Vé naï rester tranquil'
- J’en ai parfaitement conscience.
- ‘lors zêt’bêt’.
L’homme en costume blanc se remit à rire, autorisant, d’un petit signe de main, son employé à apporter des vêtements secs au gamin.
- C’est mignon tant d’irrévérence. Mais n’en abuse pas trop.
L'adolescent haussa les épaules, mais évita prudemment de surenchérir, préférant se concentrer sur ses vêtements. Sans se soucier de la présence des deux adultes dans la pièce, il ôta son hakama et son kimono trempés, pour passer le kosode2 rose trop grand fourni par Rôji juste après la soupe. L'opération lui pris quelques minutes durant lesquelles Kiyoshi l'observa tout à son aise, notant des détails qui lui avaient échappés plus tôt dans la matinée, au moment du premier trie. Si le gamin avait le torse creux et le ventre légèrement enflé des enfants mal nourris, il avait les membres et le dos droit, une jolie chute de reins en devenir et une absence de pudeur plutôt rafraîchissante. Les cicatrices de son torse et de son dos posaient problème, bien entendu, de même que la banalité de sa carnation, mais la Prima Rosa ou une autre Rose trouverait certainement un moyen de tourner ce défaut en avantage...
Alors que le regard de Kiyoshi passait de nouveau sur le torse malingre en train de disparaître derrière les pans du kosode un geste obscène lui fit lever un sourcil.
- Je te déconseille de continuer ou de recommencer si tu veux garder tes doigts.
Vaëm fit disparaître ses mains dans les manches du kosode. Le vêtement lui descendait presque jusqu’aux chevilles.
- Rôji. Soit un ange, apporte moi la pharmacie.
Immédiatement, l'adolescent redressa la tête, à l'affût, les dents légèrement découvertes comme un animal prêt à mordre.
- Va fair’ quoi ‘vec ?
- T'endormir. Ensuite je te ferai implanter un traceur quelque part où tu ne pourras pas le retirer. Puis je vais te refourguer à mon formateur. Et après un mois d'essais, on verra ce qu'on peut faire de toi.
Les pupilles du gosse s'étaient dilatées dès les premiers mots et il avait immédiatement recommencé à tirer sur sa chaîne, se démenant de plus belle lorsque le prostitué revint avec un kit de seringues et divers flacons. Quelques secondes plus tard, il hurlait et crachait comme une bête sauvage, se débattant dans la poigne malheureuse de Rôji qui ne parvenait pas à le piquer, esquivant par tous les moyens l'aiguille qui tentait de s'enfoncer dans son bras. Il fallut finalement que Kiyoshi se lève et vienne l'agripper par la nuque pour que l'adolescent cesse quelques secondes de se débattre, permettant l'injection du sédatif. Le produit agit rapidement, probablement à cause de la faible corpulence de leur victime, et ils se retrouvèrent bientôt avec un corps inerte sur les bras.
- Appelle le centre de soin Rôji... je m'occupe du reste.
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1Pantalon traditionnel japonais
2Kosode : kimono sous-vêtement, qui peut aussi servir de vêtement de nuit ou de kimono d'intérieur.
J'ai tout lu quasiment d'une traite ^^ J'apprécie vraiment l'univers ! Je le trouve vraiment fouillé et détaillé, on sent bien que beaucoup de choses ont été pensées, ça donne vraiment l'impression d'un univers vrai, pas du tout en carton, et c'est vraiment très cool sur ce point, félicitations !
Pour l'histoire, on sent que tout se met petit à petit en place, que les relations entre les personnages sont vraiment très complexes. Régulièrement, ça donne l'impression de n'effleurer que la surface et ça donne vraiment envie de lire plus pour en découvrir plus, ça marche plutôt très bien de ce côté là ! =D En tout cas, j'ai hâte de voir les deux protagonistes se rencontrer et de voir ce que ça va donner ensuite ^^
Sinon, quelques remarques en vrac, j'ai pas tout noté en lisant, j'aurai peut-être dû ><" Dans le chapitre 2 je crois, il y a une répétition, tu as deux fois la même phrase. Dans deux chapitre, où le jeune héritier et le propriétaire de l'Antre (je suis très mauvaise avec les noms ^^"), il y a deux fois le même bout de conversation avec le père de l'héritier qui préfère les sources chaudes de chez lui.
Bon, le commentaire sera pas le commentaire de l'utilité, mais je tenais juste à faire signe que je suivais l'histoire, que j'aimais et que j'allais continuer à suivre =D Bon courage pour la suite !
Olalala si tu savais comme ton commentaire me fait plaisiiiiiir !!!!! \(^o^)/ °danse dans sa librairie là° C'est un vrai soulagement de lire que le travail fait sur la refonte et la réécriture a porté ses fruits !
Enfin XD visiblement avec quelques fruits pourris parce que j'ai oublié de virer quelques phrases en double lol merci beaucoup de me les avoir signalées ! Je vais m'occuper de changer ça.
Aaaah °sautille partout° j'ai le smile pour la journée grâce à toi !
Merci de ta lecture !!! ♥♥♥♥♥