PRESENT : ELIJAH
Elijah se précipita vers les deux personnes qui discutaient dans le couloir. Il y avait l’infirmière et Jio. Jio ? Mais alors… Il avait été infecté ? Quand ? Où ? Et comment, au nom de l’omniscient, puisqu’il venait tout juste d’arriver sur cette face ?! Il se planta devant l’infirmière, les mains sur ses épaules, et la secoua un peu lorsqu’il déclara :
- C’est impossible. Il ne peut pas avoir été infecté ! Tu m’entends ? Impossible. Et puis d’abord, qu’est-ce qui te fait dire qu’il est malade ?
- Malade ? Il n’y a qu’à le regarder deux secondes pour le voir. Infecté ? Toi, tu ne pourrais pas le savoir avant d’entrer dans son esprit pour le soigner, mais mon pouvoir à moi me permet de détecter les maladies, blessures, infections ou même le mal-être psychologique de n’importe quelle personne ! Je te dis qu’il a été infecté et, crois-moi, j’en suis certaine.
- Mais il est arrivé ici il y a deux jours ! Il n’était même pas à Nirim avant !
- Le virus est partout. Même dans les autres villes, même sur l’autre face de Sambremonde. Seulement, il est moins présent, moins actif, moins virulent, et donc moins dangereux. Il est tout à fait possible qu’il ait déjà été infecté là d’où il vient et que ça se soit aggravé quand il est arrivé à Nirim où la maladie est très présente dans l’air. Il a dû contracter une forme plus violente.
Puis elle se décala pour parler à Jio.
- Tu m’as dit que tu étais un mage noir ? Ce n’est pas de chance pour toi. Le virus avance plus vite chez les mages noirs. Bref. Il faudrait que tu viennes à l’infirmerie pour que je puisse faire des tests plus poussés.
Et Elijah s’interposa de nouveau.
- Nous n’avons pas le temps. Tout à l’heure, nous devions rejoindre McDorsey et d’autres membres des Libellules pour une réunion très importante.
- Hé bien vous ferez votre réunion à l’infirmerie. Moi je ne lâche pas ce jeune homme tant que je n’en sais pas un peu plus.
Elijah hésita. Pouvait-il laisser Jio tout seul alors qu’il ne connaissait encore rien de cet endroit ? N’était-il pas un peu responsable de lui ? Oui, mais il était infecté. Il fallait prévenir les autres, quelque chose venait perturber le bon déroulement de la future opération. Combien de temps pouvait tenir Jio, dans l’état où il était actuellement ? Il jeta un regard à l’adolescent. Celui-ci fut pris d’une courte quinte de toux. Il fallait voir les priorités en face. Jio allait mal. Il devait aller à l’infirmerie. La réunion se déroulerait donc là-bas. Il se tourna vers Alyna, qui attendait sa réponse pour partir.
- Emmenez-le à l’infirmerie, dit-il, je m’occuper de prévenir les autres.
L’infirmière hocha la tête, intima à Jio de la suivre, et partit dans la direction opposée à celle qu’Elijah prit. Le mage aux yeux d’or se mit à courir. Ce n’était pas possible. Si l’un des membres de l’opération était infecté, c’était un désastre. Qu’allaient-ils faire ? Comment allait se dérouler l’opération ? Et bon sang ! Est-ce que Jio allait survivre ? Il y avait beaucoup d’infectés, chez les Libellules, en ce moment. L’air ne devait plus y être si bon que ça. Mais ils devaient rester ici, ils n’avaient pas le choix. Ils n’avaient nulle part ailleurs où se cacher, ils étaient beaucoup trop nombreux. Et tant qu’on ne faisait rien, tant que le pouvoir d’Elijah restait incontrôlable, tant qu’on n’avait pas les dossiers pour fabriquer un vaccin, un remède, tant qu’on n’avait pas tout ça, la situation allait empirer ! Ce n’était pas dans un mois qu’il allait falloir commencer la mission. C’était là, tout de suite, qu’on en avait besoin. Des dizaines de mages se faisaient décimer au sein de l’organisation. C’était le moment d’agir ! Elijah accéléra. Il avait un point de côté, et lorsqu’il ouvrit la porte de la salle de réunion et qu’il entra, essoufflé, la respiration sifflante, l’air hagard, on eût cru qu’il était poursuivi et qu’il avait couru pendant plusieurs kilomètres. Tout le monde le regarda, étonné, puis Jake s’avança, un petit sourire sur le coin des lèvres.
- Je suis content que tu tiennes à être à l’heure, mais si c’est pour arriver dans cet état…
- On n’a pas le temps de plaisanter. Il va falloir continuer la réunion à l’infirmerie. Jio est infecté.
- Alors rayons-le de la mission. répondit McDorsey.
- Quoi ?
- Il ne sera qu’un boulet pour nous. Autant le rayer de la mission.
- On ne peut pas. Le rayer serait beaucoup plus dangereux que le garder ! Ce garçon, quand il a une idée derrière la tête, même mort, il essaiera encore de la réaliser. Si tu l’enlèves de la mission, il ira tout seul au LERM pour aller chercher Nethan. Et là, on ne pourra plus rien pour lui. D’autant plus que ses jours sont comptés ! Il doit lui rester deux semaines, peut-être trois, s’il est chanceux. On ne peut pas attendre, il faut démarrer la mission !
- Mais rien n’est encore prêt ! s’interposa Joanna : On ne peut pas partir comme ça, sur un coup de tête, parce qu’une seule personne est malade !
- Mais il n’y a pas qu’une seule personne qui est malade ! s’emporta Elijah en tapant de la main sur la table : Il y en a des dizaines ! L’infirmerie est remplie ! Car, oui ! Pendant que vous perdiez du temps à poireauter en attendant que Niv nous fabrique ce qu’il nous manque, j’ai fait le tour du repère, moi. Et tu sais quoi McDorsey ? Toi, qui es le chef, tu aurais dû le savoir. Hé bien l’infirmerie s’est remplie ! Le virus s’est officiellement introduit dans nos quartiers. Et si nous ne réagissons pas maintenant, il va être trop tard !
Un silence accueillit sa déclaration. Ils réfléchissaient. Ils réfléchissaient tout le temps, mais il n’était plus temps de réfléchir ! Non, il fallait asséner un dernier coup. Il fallait faire ployer Jake McDorsey parce que c’était lui le chef. C’était lui qui prenait les décisions. Alors Elijah s’approcha de lui, le regarda dans le fond de son œil gris, posa les mains sur ses épaules, et dit d’une voix calme et tranchée :
- C’est toi le chef, Jake. Alors assume ton rôle, et fais-le bien.
Il le vit plisser les yeux. Il avait certainement deviné ce qu’Elijah essayait de faire. Jake était beaucoup trop calculateur pour se faire avoir par ce genre de plan improvisé. Et pourtant, il sourit, posa sa main sur celle d’Elijah, se pencha sur lui, et murmura dans son oreille :
- Si c’est toi qui me le demandes avec cet air-là, je suis prêt à faire n’importe-quoi.
Et avant qu’’Elijah n’ait pu bredouiller une quelconque phrase pour lui demander ce qu’il entendait par là, le chef de l’organisation se redressa, lui fit un clin d’œil, et s’adressa à toutes les personnes présentes dans la pièce.
- Nous allons continuer notre réunion à l’infirmerie. Le déroulement du plan est avancé, la mission aura lieu dans une semaine, tout au plus.
Puis, entendant les murmures désapprobateurs qui s’élevaient, il reprit :
- Nous sommes prêts. Nous n’avons jamais été aussi prêts. Et si Niv n’est pas prête, alors nous trouveront un autre moyen de rester en contact. Je vais aller la voir. Abigail, tu pourrais dire à tous les mages du repère de se rassembler au bistrot, à 19 h ?
L’intéressée hésita, porta ses yeux noisette sur Elijah, puis sur Jake, et enfin, hocha la tête. Jake ordonna au reste du groupe de se rendre à l’infirmerie et de l’y attendre, et il sortit de la pièce, suivi d’Abigail qui ne prenait pas la même direction. Le gros du groupe sortit à son tour, Elijah à sa tête. Le jeune homme était soulagé que le leader ait accepté sa proposition. Mais il était troublé par son attitude, ce clin d’œil, et ces paroles… Qu’essayait de dire Jake, à quoi jouait-il, exactement ? Elijah se surprit à rougir en pensant à ça, à lui, et il secoua la tête avec un soupir exaspéré. Décidément, cet homme ne voudrait jamais le laisser tranquille.
Ils arrivèrent à l’infirmerie à peu près en même temps que Jake et, quelques minutes plus tard, Abigail les rejoignit. Ils entrèrent. L’intérieur était rempli de monde, bien que les infirmiers eussent essayé d’isoler au maximum chacun des patients. Ils trouvèrent Jio dans le fond de la salle, après avoir slalomé entre de nombreux lits. Elijah le trouva un peu pâle. Ses yeux qui brillaient hier avec force et détermination semblaient un peu éteints aujourd’hui. Il transpirait, et pourtant, il était assis et fronçait les sourcils, montrant là qu’il était en pleine forme. Il prit même la parole d’un ton lourd de reproches lorsqu’Alyna passa à côté de son lit.
- Laisse-moi partir d’ici ! Je peux me débrouiller tout seul ! Je reviendrai quand ce sera grave !
- Non, non, non ! Tu resteras ici tant que je n’aurai pas décidé que tu peux sortir.
L’adolescent poussa un soupir exaspérait où pointait un soupçon de peur et de colère. Elijah supposa que cet endroit bondé de monde devait lui rappeler la guilde de mercenaires où il avait été enrôlé de force, quand il était petit. Néanmoins, Jio n’ajouta rien et Alyna vint faire son rapport à la petite troupe qui venait d’arriver. Son regard était grave, et elle parla d’une voix basse, comme si elle voulait garder secret ce qu’elle allait dire. Elijah dut s’approcher pour entendre ses paroles par-dessus tout le bruit que faisaient les autres patients.
- Jio a contracté le virus depuis plusieurs semaines sous une forme non-violente, comme je le pensais. Par conséquent, il n’avait pas dû le remarquer. Mais en arrivant ici, il a été infecté par la maladie de Nirim qui est beaucoup plus virulente. Ce qui est étonnant, c’est qu’il est très robuste pour un mage noir. Malheureusement, la maladie continue son avancée. Je pense qu’il pourra tenir deux semaines, peut-être un peu plus. Mais passé ce délai, il sera trop tard pour le soigner.
- Et les autres mages présents ici ? demanda Elijah : Combien de temps leur reste-t-il ?
- Cela varie entre une semaine pour les mages noirs qui ont été infectés il y a plus longtemps, et quatre à cinq semaines pour les mages blancs infectés récemment. Si je devais donner une moyenne, je dirais une vingtaine de jours, un peu moins.
La mine d’Elijah s’assombrit. Ils n’avaient donc pas le choix. Une fois la mission lancée, ils allaient devoir trouver les recherches du professeur Khantson, élaborer un remède, un vaccin et libérer les mages prisonniers au LERM. Tout ça en quelques jours seulement. Il allait falloir être précis et respecter un plan défini à l’avance. Jio intervint à ce moment-là, le sortant de ses pensées.
- Niv, fit-il en levant la tête vers la jeune femme, est-ce que tu as préparé de quoi communiquer entre nous sans nous faire repérer ?
Quoi qu’un peu surprise d’entendre la voix de l’adolescent et pas celle d’un membre des libellules, l’intéressée sortit de la poche de sa blouse deux petits objets ronds et noirs. Voyant que tout le monde regardait son invention avec scepticisme, elle s’attaqua aux explications.
- J’ai fabriqué ces communicateurs par messages mentaux il y a trois ans, pour une autre organisation qui voulait aussi détruire le LERM. Je sais qu’ils marchent car je les ai essayés moi-même. Ils ont une portée de quarante kilomètres et, leur forme de grain de beauté les rend plutôt discrets, tant qu’on les place à un endroit naturel. On peut les placer sur n’importe quelle partie du corps et, grâce à mes récentes améliorations, elles peuvent passer les contrôles les plus minutieux sans être détectées. En bref, ce sont de vrais bijoux d’espionnage. Pour l’instant, j’en ai fabriqué deux paires. Je pense pouvoir aisément terminer les deux autres avant la fin de la semaine. Je suis surprise d’être allée aussi vite, à vrai dire. Je ne m’y attendais pas, mais j’ai retrouvé ces anciens prototypes dans mes vieilles affaires et…
La voix de la mageresse d’invention devenait sourde et lointaine tandis qu’Elijah se détachait de la conversation. Il regardait chacun de ses camarades avec intensité. Tous avaient l’air déterminés, tous étaient prêts à aller risquer leur vie pour sauver une personne. Et lui ? Il ne se sentait pas prêt. Quand il pensait au crime qu’ils allaient devoir commettre pour faire sortir les mages du labo… Il avait envie de vomir. De tels actes le dégoûtaient. Et pourtant… Pourtant, dans un monde qui ne voulait pas des gens comme lui, avait-il réellement d’autre choix ? Pouvait-il changer les choses sans violence ? Il détestait la violence, mais il ne faisait pas partie de ces gens qui croyaient que tout pouvait être réglé pacifiquement. Quand il s’agissait du LERM, la notion de paix n’était qu’une absurdité, un mythe, ou peut-être un miracle. Ces gens, les médecins, et en particulier le directeur du LERM… Ils ne connaissaient que ça, la violence. Ils n’avaient jamais rien fait d’autre. Alors ce n’était pas si grave, si on l’utilisait pour libérer les mages… Si ?
- Arrête de te faire du souci pour rien, œil-d’or.
Elijah sursauta et tourna la tête vers Jake, qui venait de lui murmurer ces mots dans l’oreille. Le chef des Libellules haussa les épaules.
- Je vois bien que tu es réticent quant à ton propre plan. Mais, tu l’as dit toi-même : incendier le LERM est le seul moyen de faire évacuer tout le monde à coup sûr. Et dans la pagaille qui s’ensuivra, il sera facile de lancer une attaque contre les médecins.
- Oui, tu as sûrement raison.
- Oui, j’ai raison. Et c’est pour ça que je suis le chef ici. puis, élevant la voix pour que tout le monde entende, il continua : L’équipe principale est réunie, je pense qu’il est temps de discuter du plan. Puis nous iront en parler à tous les mages et retourneurs qui sont en état de nous aider.
***
Le bistrot accueillait des dizaines et des dizaines de mages chaque jour et il y avait toujours du mouvent, de l’agitation, du bruit, mais jamais encore il n’avait accueilli autant de personnes. Les gens chuchotaient avec excitation, discutaient allègrement, heureux de se retrouver, certains attendaient simplement en silence. On avait fabriqué une estrade de fortune avec des chaises et des tables et tout le monde se massait autour, curieux de savoir ce qui se tramait. Elijah jeta un coup d’œil interrogateur à Abigail qui lui répondit par un haussement d’épaules. Jake était parti juste après qu’ils eurent quitté l’infirmerie, soutenant Jio malgré ses protestations, et il n’était pas revenu. Or, on n’attendait plus que lui pour commencer. La foule s’impatientait, parfois on entendait quelqu’un demander combien de temps ils allaient devoir attendre. Et enfin, le dernier qui manquait à l’appel arriva. Le silence se fit immédiatement à son arrivée, preuve du pouvoir qu’il exerçait sur les autres. Il s’était changé et avait revêtu une chemise blanche bien repassée. Il avait coiffé ses cheveux et souriait chaleureusement à tout le monde, s’arrêtant pour dire bonjour à telle ou telle personne, et demandant à tel autre comment il allait. Elijah comprit pourquoi il était en retard. Jake faisait tout pour sauvegarder les apparences, pour être un bon chef malgré l’absence de son supérieur. Il était devenu une tout autre personne. Une personne gentille, accueillante, souriante. Un bon leader.
Il grimpa sur une table et, lorsqu’il se racla la gorge, tout le monde porta son attention sur lui.
- Bonjour à tous. commença-t-il : J’espère que vous passez de bonnes journées ici, au repère, et j’espère que les prochains jours seront encore meilleurs pour nous, les mages. Je vous dis ça car, si je me tiens devant vous aujourd’hui, c’est parce qu’il est temps, pour nous, les mages, pour nous, les retourneurs, de sortir de nos cachettes. Il est temps de vivre.
Quelques murmures s’élevèrent mais Jake les fit taire par sa parole.
- Oui, nous sommes prêts, à présent. Dans cinq jours, nous lancerons l’opération de sauvetage des mages internés au LERM. Dans cinq jours, le monde changera. Je ne dis pas que ce sera facile, je ne dis pas non plus qu’il n’y aura pas de victimes à déplorer, car je veux être honnête avec vous : il y en aura. Mais une chose est sûre : une fois que nous aurons terminé l’opération, la condition des mages ne sera plus la même. Il restera encore du chemin à parcourir, mais le changement sera déjà là, à Nirim.
Il s’arrêta de parler quelques instants, but une gorgée d’eau, et reprit. Elijah voyait un filet de sueur sinuer le long de sa tempe, de sa joue, puis de sa mâchoire.
- Je vous l’ai dit : l’action commencera dans cinq jours. Elle aura plusieurs objectifs. Le premier : libérer les mages. Le deuxième : Retrouver les dossiers de recherche concernant la maladie et, grâce au professeur Joanna Khantson ici présente, trouver un remède, un vaccin, contre ce mal incurable. Le plan est le suivant : Il va y avoir plusieurs groupes. Un premier groupe s’infiltrera dans le LERM. Dans ce groupe, deux personnes iront chercher les dossiers de recherche, et deux autres s’occuperont de la partie « Libération des mages ». Un deuxième groupe sera chargé de surveiller les infiltrés, afin de pouvoir voir le déroulement des opérations. Ce groupe-là sera l’horloge de tous les groupes qui seront en action. C’est lui qui sera chargé de donner le signal pour lancer chaque partie du plan. Il y aura un troisième groupe, plus nombreux, chargé de barrer le chemin des médecins et du personnel du laboratoire pour que les mages puissent partir. Le dernier groupe guidera les mages jusqu’à plusieurs cachettes, en ville. Je demanderai à tout le monde de rester calme quoi qu’il arrive, même si le LERM est en feu, même si vous entendez des coups de feu. Une dernière chose : À un certain moment, le deuxième groupe vous demandera de quitter le repère. Faites-le sans discuter, dispersez-vous en petits groupes et enfoncez-vous dans les voies du TMIZ. Nous viendrons vous chercher quand vous pourrez revenir.
Les voix s’élevèrent, les questions fusèrent, que se passait-il ? Pourquoi allaient-ils devoir quitter le repère ? Allaient-ils détruire le laboratoire ? Les voix se mélangeaient, s’irritaient, débattaient, le tout dans un capharnaüm de bruits et de protestations. Quitter la base… Ils avaient longtemps hésité avant de prendre la décision d’évacuer le repère, temporairement, du moins. Mais ils avaient pensé qu’après l’opération, des fouilles seraient organisées dans toute la ville pour débusquer les mages. Bien sûr, il serait aisé pour les personnes dotées d’un pouvoir de se défendre, mais il fallait éviter le combat le plus possible. Aussi, si jamais la base venait à être fouillée, les mages qui y résidaient devraient se déplacer dans les voies du TMIZ en même temps que les chasseurs qui mèneraient les battues, de sorte que personne ne se croise. Mais les mages ne voyaient pas les choses de cette manière. Ils criaient leur mécontentement, hurlant qu’ils allaient mourir, qu’ils n’allaient jamais retrouver leur chemin dans les voies du TMIZ.
- Fermez-la !
Le silence revint instantanément, alors même que la voix qui avait crié n’était pas celle de McDorsey. Elijah, le souffle coupé, se tourna vers Jio, qui s’était dégagé de l’étreinte d’Ethan et d’Abigail et qui s’était avancé sur l’estrade de fortune pour hurler ces mots. Il reprit son souffle, il avait l’air d’aller bien. Sur les visages, dans la foule, des masques d’étonnement, d’incompréhension. Jio ne s’était pas beaucoup baladé dans le repère, personne ou presque ne l’avait vu ici. Qu’il se trouve en compagnie des membres les plus influents de l’organisation était surprenant.
- Taisez-vous, reprit l’adolescent, et écoutez. Le plan qui va être exécuté dans quelques jours est dangereux. Des… chasseurs de prime ou des soldats, vont certainement venir fouiller cet endroit. Et alors, combien de temps mettront-ils à trouver cette cachette ? Combien de temps nous reste-t-il avant d’être débusqués ? Réfléchissez. Prenez deux minutes et réfléchissez.
Il se tut, le silence était tombé, un silence de mort, accompagné d’une certaine tension, d’une peur.
C’était ça, qu’inspirait Jio. La peur, l’intimidation, la menace. Elijah s’en était rendu compte dès qu’il l’avait vu devant le repère, il y a deux jours. Ce garçon avait changé. On avait brisé quelque chose chez lui. On avait fait disparaître ce qui fait qu’un humain reste un humain. Il avait des proches à protéger, mais il n’aurait peut-être pas versé de larmes s’il n’avait pas réussi. Il détestait sa magie, mais il n’aurait pas hésité à tuer quelqu’un avec, si cette personne s’était mise en travers de son chemin. Et à ce moment, Elijah ressentit cette vague inquiétude que sa présence imposait dans la pièce. Il fallait se rendre à l’évidence : Jio était effrayant, Jio était dangereux. Jio n’avait pas de limites, et il était peut-être immoral. C’était ça, qui se dégageait de lui, cette aura menaçante qui faisait que tout le monde l’admirait et le craignait, l’aimait et le détestait. Il ne laissait personne indifférent. Et lorsqu’il recommença à parler, le jeune mage de soin remarqua que sa voix était froide, glaciale même. La voix d’un monstre. Mais d’un monstre qui voulait seulement protéger ce qu’il avait de plus cher.
- Il ne nous reste que peu de temps. C’est sûrement là le fruit de votre réflexion. Et vous avez raison. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre. À l’heure où je vous parle, il y a à l’infirmerie des dizaines de gens qui ont été infectés par la maladie. Ces dizaines de gens, dont je fais partie, vont mourir, si on ne fait rien. Et la maladie continuera à se propager. C’est ça que vous voulez ? Vous voulez que vos amis, vos collègues, votre famille, toutes ces personnes que vous connaissez, que vous croisez tous les jours, vous voulez qu’ils meurent ? Qu’ils disparaissent simplement, sans rien laisser d’autre derrière eux que ce monde pourri dans lequel vous vivez ? Ne me faites pas rire. Personne ne voudrait ça. Vous ne me faites certainement pas confiance, après tout, je sors de nulle part. Mais dans ce cas, faites confiance à votre leader. Car il sait ce qu’il fait. Ne cherchez pas à combattre si vous n’en avez pas la capacité.
Il se recula. Abigail semblait furieuse. Mais Jake souriait. Avait-il prévu cela ? Elijah porta son regard doré sur les mages, debout, qui restaient murés dans ce silence. Le silence devenait oppressant, anormal. Mais à cet instant, Jio avait asséné la dernière attaque. Le coup qui ferait chanceler le mur de méfiance et de scepticisme. Celui qui allait soulever les mages et leur permettre de se révolter.