PRESENT : JIO
- Maz ? Maz.
Rien, d’abord. Un siilence buté. Jio tira sur le fil qui le reliait à son amie.
- Maz, je sais que tu m’entends parce que tu es au courant pour mon pouvoir de communication.
Elle lui tournait le dos. Enfin c’est ce que Jio pensait, car il ne voyait qu’une silhouette floue. Sa magie fonctionnait moins bien sur cette face. Est-ce c’était parce qu’il n’était pas sur sa face d’origine ? Ou parce qu’un mal de crâne venait le chatouiller depuis ces deux derniers jours.
- Ça va, je t’entends.
Jio sentit son visage s’illuminer. Maz se retourna enfin.
- C’est bon, Jio. Je t’entends alors arrête de m’appeler avec cette voix de chien battu.
- Maz !
- T’étais où au juste ? Je croyais que tu ne comptais pas m’abandonner cette fois ? Je croyais que je pouvais te faire confiance !
- Je suis désolé.
- C’est faux. Tu n’es pas désolé, tu es soulagé d’avoir échappé à la guilde. Tu es où en ce moment ?
Il hésita. Maz ne connaissait pas exactement les conditions de son pouvoir. Savait-elle qu’il ne pouvait contacter que des gens qui ne se trouvaient pas dans la même face que lui ? Il décida d’essayer de lui cacher la vérité.
- Je suis loin de la guilde.
- Et ce n’est que maintenant que tu me contactes ? Je suis allée voir Soö, en furie, parce que j’ai cru qu’il t’avait fait du mal.
- Ce n’est pas tout à fait faux…
- Ce n’est pas ce qu’il m’a dit.
- Attends… Soö t’a parlé ? Vous avez discuté ?
- Oui, évidemment. Il n’allait pas se laisser accuser sans se défendre. C’est normal de faire ça.
Non. Ce n’était pas normal. Pas pour Soö. Soö n’aurait pas pris la peine de répondre aux accusations de Maz s’il n’avait pas un objectif derrière la tête.
- Qu’est-ce qu’il t’a dit Maz ? Tu ne lui as rien révélé, n’est-ce pas ?
- Bien sûr que non ! s’indigna la jeune fille.
Mais il y avait quelque chose dans son intonation qui disait le contraire.
- Maz, que t’a dit Soö ? Comment a-t-il réagi quand tu es entrée dans la tour ?
- Mais rien ! Il n’a rien dit de spécial !
- Pourquoi tu t’énerves comme ça s’il ne t’a rien dit de spécial ?
- Tu me fatigues Jio, à toujours te méfier de tes amis ! Je n’ai même plus envie de te parler, tien !
- Mais Maz…
- Non, chut. Tais-toi. Je me fiche bien de ce que tu peux me dire, même tes excuses ne me toucheront pas. Va-t’en, maintenant. Tu m’empêches d’être tranquille.
Jio n’insista pas, il s’en alla.
Elijah était dans l’encadrement de la porte lorsqu’il rouvrit les yeux.
- Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Jio.
- Je pensais que tu dormais mais comme tu parlais, je me suis dit que tu communiquais avec quelqu’un. Je ne savais pas que c’était à ça que tu ressemblais quand tu communiquais.
- Maintenant tu sais.
- Toujours aussi agréable de discuter avec toi, Jio.
Celui-ci se leva finalement de son lit et vint rejoindre Elijah.
- Bon. Qu’est-ce que tu veux ? Dis-le-moi, qu’on en finisse.
- Je veux qu’on mette les choses au clair avant de partir en mission. Ça fait deux jours que je te cours après.
- Et qu’est-ce que tu veux mettre au clair exactement ?
Elijah semblait mal à l’aise dans cette situation. Il se racla la gorge avec hésitation.
- Je voulais te dire que… Je suis désolé d’être désagréable avec toi, comme ça. C’est juste que je n’arrive pas à m’habituer à… Tu sais : à ta présence ici. Après quatre ans d’absence.
- D’accord. C’est super que tu te sois excusé. Je n’en ferai rien pour ma part, sache-le.
Elijah parut sur le point de lancer une réplique acerbe mais il se ravisa. Ils restèrent là un moment, les bras ballants, puis Jio s’écarta.
- Tu veux entrer ?
Elijah hocha la tête, s’exécuta. Ils s’assirent sur le lit. Jio posa son dos contre le mur. Ils ne se regardaient pas. Après une minute de silence, l’adolescent prit parole.
- Tu tiens beaucoup à Nethan.
- Toi aussi.
- C’est vrai. Mais je ne suis pas une bonne personne. Je ne suis pas comme toi Elijah. Je peux pas la protéger. Je ne suis bon qu’à détruire ce qui m’entoure. Même moi, je me suis détruit.
- Qu’est-ce que tu dis ? C’est n’importe quoi. Même toi, tu n’as pas la capacité de détruire tout ce que tu veux. Même la pire des personnes ne pourrait pas faire ça.
- Tu as peut-être raison.
- Jio ?
- Ouais ?
- Dis-moi comment tu es arrivé ici. Je sais que tu ne peux pas faire ça tout seul.
Peut-être était-ce parce qu’il voulait renouer avec Elijah, ou peut-être avait-il seulement besoin de parler, mais Jio révéla tout. Il raconta tout depuis le début. Depuis qu’il avait coupé les ponts avec Elijah. Il raconta tout ce qu’il s’était passé en quatre ans et particulièrement les évènements de ces derniers mois. Et lorsqu’il eut terminé, il plongea son regard noir corbeau dans celui d’Elijah, doré.
- On dirait que tu es dans une sacrée situation.
- On peut dire ça comme ça, oui.
- Et tu comptes faire quoi après avoir libéré Nethan ?
- Je ne sais pas. Je verrai lorsqu’elle sera ici, avec nous.
Et juste après, Jio poussa un cri étouffé. Une douleur l’avait soudainement traversé de part en part. Elijah se pencha sur lui, confus, ne sachant que faire.
- Qu’est-ce qu’il se passe Jio ?
- Je… ne sais pas !
Il avait mal. Horriblement mal. La douleur le lancinait, lui tiraillait le crâne, lui lacérait les muscles. Il transpirait, sa vision se troubla un instant. Et juste après, tout disparut. Il se releva en tremblotant, repoussant Elijah lorsqu’il voulut l’aider.
- Laisse-moi ! Je ne suis pas faible.
Il disait ça la voix tremblante. Il voulait cacher quelque chose, un souvenir. Ou peut-être échapper à son passé. Mais il sentait cette douleur, atroce, qu’il n’avait jamais ressentie. Ce n’était pas pareil que quand il utilisait ses pouvoirs. Ça ne venait pas de l’intérieur, c’est comme si c’était présent, dans l’air. Il sentit qu’on l’attrapait et qu’on le relevait. Il essaya de se dégager mais Elijah le força à s’allonger sur son lit.
- Arrête de dire n’importe quoi, tu veux ? Je veux juste t’’aider, là. Pourquoi tu ne repousses pas ta fierté de temps en temps ? Tu es blessé ? Attends, montre-moi, je peux peut-être faire quelque chose.
Il commença à soulever le t-shirt de l’adolescent qui se dégagea violemment avant de bondir hors du lit. Hors de portée de cet inconnu qui avait été son ami jadis.
- Je ne suis pas blessé, pas besoin de faire semblant de t’inquiéter ! (il commença à se détourner de lui pour sortir de la chambre mais au dernier moment, il se retourna.) Et arrête d’essayer de renouer des liens avec moi, ça devient très bizarre à ce stade !
- Hein ? Mais… Ce n’était pas mon… Enfin… Jio, attends !
Il n’attendit pas et referma la porte de sa chambre quand il sortit. Peu importait qu’Elijah fût encore à l’intérieur. Il n’y avait rien à voler, de toute façon. Mais Jio avait un besoin urgent de s’écarter du monde, d’être seul et enfin tranquille pour pouvoir réfléchir, mettre les choses au clair. Il ne comprenait pas. Il ne savait pas où il en était et, dans ce monde où tout lui était étranger, il se sentait comme un intrus, un traître, un espion. Il avait le mal du pays et, en même temps, il ne voulait pas rentrer chez lui, à Sambremonde. Il ne voulait pas retourner là-bas, où les mages noirs et les Psaliens étaient haïs, méprisés. Il avait l’impression de n’être plus chez lui nulle-part, d’avoir perdu tous ses repères, depuis qu’il avait passé un contrat avec Soö. On l’avait forcé à replonger dans son enfance tumultueuse, et maintenant, il ne savait plus où il en était, ce qu’il devait faire. Et cette douleur, ce mal qui l’empêchait de pensait clairement, qui faisait bourdonner ses oreilles et vibrer son crâne, qui troublait sa vue et le faisait tanguer sur ses pieds… D’où venait-il ? De l’air ? Était-ce normal, sur cette face, de ressentir ça ? Il se sentait épuisé alors qu’il n’avait même pas passé deux jours ici. Il se laissa glisser contre un mur jusqu’à se retrouver assis sur le sol froid, au milieu de ce labyrinthe de coursives. Tout était labyrinthique ici, encore plus qu’à Poralguar. Il se prit la tête entre les mains, essaya de calmer sa respiration. Une crise de panique, ce devait être ça. Il était en proie à une crise de panique. Mais il n’arrivait pas à se calmer, il n’arrivait pas à…
- Salut, qu’est-ce que tu fais assis dans le couloir, tout seul ?
Il leva la tête vers la femme qui venait de lui parler. Grande, un léger surpoids, à en juger par les bourrelets qui se formaient sous son t-shirt. Un visage plutôt rond et jovial, des yeux expressifs et souriants dont les cils venaient caresser ses joues rosées. Ses cheveux étaient attachés en un chignon bien ordonné, ses mains tenaient un épais classeur dont les feuilles étaient sur le point de tomber. Jio réagit avant même de s’en rendre compte. Il attrapa le classeur de sa main droite et empêcha les feuilles de tomber de la gauche. Puis il le remit à la jeune femme en marmonnant quelques mots incompréhensibles qui ressemblaient à :
- Ce serait embêtant si toutes tes feuilles s’éparpillaient.
Elle rit.
- Mais qui es-tu, jeune homme ? Je suis à peu près sûre de n’avoir jamais rencontré quelqu’un d’aussi bien élevé ici !
- C’est parce que je viens d’arriver…
Mais qu’est-ce qu’il était en train de faire, bon sang ? Quel crétin ! Pourtant, la femme sourit, rajusta ses lunettes sur le bout de son nez, et le salua.
- Oh, je vois.
Elle semblait être sur le point d’ajouter quelque chose mais elle s’arrêta, le fixa avec intensité, puis s’approcha de lui. Elle resta là, à quelques centimètres de sa poitrine, pendant quelques secondes, puis elle s’écarta, l’inspecta, lui toucha le front sans la moindre gêne. Ses gestes étaient doux, pas comme ceux des infirmiers de la guilde.
PASSE :
L’infirmier lui fit lever la tête sans douceur et inspecta son cou. Il fronça les sourcils, le fit se tourner brutalement et appuya fort dans son dos. Jio gémit. Mais l’homme ne s’arrêta pas. Il fit asseoir le jeune adolescent et pressa ses côtes. Cette fois, un cri échappa au mercenaire. Le médecin soupira.
- Quel métier de s’occuper des gens comme vous… Toujours à vous faire des blessures pas possibles… Relève-toi, enlève ton t-shirt.
- …
- Allez ! Plus vite que ça ! ajouta-t-il, comme Jio n’esquissait pas le moindre geste.
Le jeune homme obéit. Il enleva son vêtement, serrant les dents pour s’empêcher de crier. L’infirmier inspecta son torse où se dessinaient déjà plusieurs cicatrices. Puis il se détourna de lui, nota quelque chose sur une feuille, et revint.
- Tu as une côte cassée. Les blessures au cou sont superficielles. Quant au dos, je pense que tu as eu de la chance que ça n’atteigne pas ta colonne vertébrale.
-…
- Comment tu t’es fait ça.
- À l’entraînement.
L’homme leva les yeux au ciel.
- J’aurais dû m’en douter. Bon, écoute-moi bien. Je commence à en avoir ma claque de m’occuper des gosses comme toi qui ne s’attirent que des ennuis. Alors à partir de maintenant, fais-en sorte de ne pas te blesser à l’entraînement. Et essaie de te ménager, sinon ta côte ne guérira pas.
- Mmm.
- Donne-moi une vraie réponse. On ne vous apprend pas la politesse et le respect, ici ?
- Si.
- Bien. Alors va-t’en. Je te vois trop souvent ces derniers temps.
Il poussa l’enfant vers la sortie. Fais-en sorte de ne pas te blesser. Jio eut envie de ricaner. Plus facile à dire qu’à faire. Entre un professeur abusif et des missions dangereuses, comment était-il censé se ménager ?
PRESENT :
- Mmmm… C’est bien ce qu’il me semblait. Quelque chose ne va pas chez toi.
- Hein ?
Jio se recula brusquement, revenant à la réalité. L’infirmière leva les yeux vers lui, réajusta ses lunettes.
- J’ai dit : Quelque chose ne va pas. Ton rythme cardiaque est trop élevé, tu transpires, tes réflexes pupillaires sont plus lents que la normale, tu trembles. Alors ça me semble évident : quelque chose ne va pas. Tu as le nez bouché ? Tu te sens mou ?
- Euh… Mon nez est… Normal. Et je me sens juste un peu fatigué.
Il avait menti pour la fatigue. Il se sentait à deux doigts de tomber par terre. Alyna continuait son interrogatoire médical et hochait la tête en écoutant les réponses de l’adolescent.
- Maux de tête ? De ventre ? Douleurs musculaires ? Indigestions ?
Oui, non, oui, non.
- Une impression de tiraillement ? ou peut-être des vertiges ? Est-ce que ta vision est trouble ? Est-ce que là, maintenant, tu te sens mal ?
Oui, oui, oui, oui. Seulement des « oui », des hochements de tête qui rendaient de plus en plus grave le visage de l’infirmière.
- Les douleurs disparaissent puis réapparaissent soudainement ?
Oui.
- Tu as l’impression de perdre le contrôle de ton corps ?
- Je ne sais pas.
- Quel est ton type de magie, l’as-tu utilisée dernièrement ?
- Euh… Oui, je crois que je l’ai utilisée. Je suis un mage noir.
- Je vois… marmonna-t-elle, certainement plus pour elle-même que pour Jio.
Puis elle enleva un crayon de derrière son oreille, le suça deux fois en son bout, tout en levant les yeux vers le plafond, puis feuilleta les documents que contenaient son classeur. De temps en temps, elle hochait la tête, jetait un regard calme à Jio, puis se replongeait dans ses recherches. Et après une dizaine de minutes à observer ce petit manège, Jio s’approcha d’elle. Elle se leva. Le regarda droit dans les yeux, et dit :
- Écoute. Je crois que tu es infecté par le virus qui traîne par ici en ce moment.
Elijah sortit de la chambre au moment où elle prononça ces mots.