CHAPITRE 6
— Attention ! cria Malisé.
Sorc n’eût pas le temps de comprendre ce qu’il se passait. Un grand poids fondit sur lui depuis son dos ; un impact qui le projeta sur le côté. Le choc de sa carcasse contre le sol fut accompagné d’un crac retentissant.
Il mit plusieurs secondes à retrouver ses esprits et se rendre compte que ce n’était pas son squelette qui venait de se briser en mille morceaux, mais un pan de mur qui s’était décroché d’un immeuble et avait atterrit à ses pieds. Avec effroi, il découvrit aussi que son corps reposait à moitié sur celui de Malisé. Il se redressa vivement pour la laisser se dégager et tenter de lui venir en aide. La policière n’avait pas été touchée par la pierre mais sa chute avait été rude. Elle ouvrit les yeux en grognant, son bras gauche s’était retrouvé compressé entre le sol et le corps de Sorc et présentait de méchantes contusions et éraflures.
Au milieu du tumulte provoqué par l’accident, Sorc l’aida à se redresser avant de ramasser son bâton, échoué contre un trottoir. Ils se trouvaient désormais au centre des cris et des sollicitudes. Sorc tenta de calme la foule, assura plusieures personnes que tout allait bien, qu’il valait mieux reculer puis aida Malisé à s’asseoir un peu plus loin.
— Laissez-moi examiner votre bras. Puis-je ?
Malisé acquiesça et Sorc se saisit de son poignet.
— Heureusement que j’étais là, lança la policière, vous m’en devez une belle.
— Vous m’avez poussé pour éviter la pierre, je vous en remercie.
— Bah, j’ai pas été mise sur cette mission tout à fait pour rien non plus.
— Ah ?
— Enfin je croyais que si mais apparemment non.
— Quoi ? Et là, ça vous fait mal si je fais ça ?
Sorc plia délicatement chaque articulation du bras et de la main de Malisé.
— Bon, rien de cassé je crois, finit-il par annoncer, mais ce n’est pas ma spécialité. Je préfèrerais que vous voyiez un médecin.
Malisé grimaça.
— C’est vrai que ça pique un peu. Je dirais rien contre quelques pansements, mais il faudrait déjà retourner dans la Ville haute.
— Non, au contraire. Je sais exactement où vous emmener, ce n’est pas loin d’ici.
— Ah vous connaissez le quartier maintenant ?
— Non, mais je lis toujours aussi bien sur les murs. Vous vous souvenez ce symbole de serpent qui vous faisait penser à une pharmacie ?
— Houla, me refaite pas le coup de votre gars là, auquel vous achetez vos trucs.
— Non, non. Je parle d’un médecin cette fois, un vrai. Suivez-moi. Je souhaitais de toute façon lui rendre visite, ce sera l’occasion rêvée.
Sorc proposa son aide pour la relever, mais Malisé déclina.
— Par là, dit la sorcière en pointant vers une rue adjacente.
Malisé prit son bras en écharpe et suivit Sorc vers la direction indiquée.
Accaparés par le mystère du bout de mur effondré, les passants ne tentèrent pas de la retenir, ni ne s’attardèrent sur son sort. Quelques regards suivirent Sorc, mais personne ne s’enquit de ses potentielles blessures ni ne prit de leur nouvelles à tous les deux.
— Elle est rudement efficace votre cape, marmonna Malisé.
— Pardon ?
— Non, rien. Vous avez conscience que ce n’était pas un accident ?
— Oh oui. Je vous l’avais dit, Ville et sorcière ne s’entendent pas. Et l’enquête ne fait que commencer.
— Vous voulez dire qu’il faudra s’attendre à encore d’autres surprises du genre ?
— Je le crains.
— Mais qui est derrière cette attaque pensez-vous ?
— Comme je vous le disais, l’enquête ne fait que commencer.
— Et vos premières découvertes sont… ?
— Que vos supérieurs ont bien fait de m’appeler et que je n’aurais jamais dû accepter cette mission.
— Ce dont vous vous doutiez avant de venir.
— Ce dont je me doutais avant de venir, oui, soupira Sorc.
Après un quart d’heure de marche à suivre des inscriptions - que seul Sorc comprenait - et à s’enfoncer dans les ruelles, la sorcière s’arrêta finalement devant une porte de bois. Ni très haute, ni très large, elle n’avait rien de spécial et Malisé serait sans doute passée devant sans la remarquer si Sorc ne lui avait pointé du doigt le dessin qui se trouvait peint juste au dessus du chambranle. On y retrouvait enlacés les deux serpents et la coupe.
— C’est ici, dit-il en poussant la porte.
— On ne toque pas ?
— Non.
La porte grinça légèrement et s’ouvrit sur un porche ténébreux. Au bout, la lumière du jour vibrait, lançant un appel à avancer.
Lorsqu'ils débouchèrent, Malisé et Sorc découvrirent une petite cour intérieure dans laquelle plusieurs personnes attendaient déjà, assises sur des chaises et bancs de fortune.
— Bonjour, dit Sorc à la ronde.
Quelques voix lui répondirent, pas toutes. Il se tourna vers Malisé et l’incita d’un signe de la main à aller se poser vers une large place libre, entre une vieille dame au visage bouffi et un lierre majestueux.
Sorc s’assis à ses côtés, un large sourire aux lèvres.
Malisé le regardait du coin de l'oeil, peu sûre d’avoir envie d’être là. Au moins, se disait-elle, le lieu ressemblait bel et bien à une salle d’attente.
Le temps ne passait pas vite. Malisé tenta de ne pas trop regarder sa montre, ni de trop dévisager les autres patients.
Il y avait une femme avec un bébé. Plusieurs personnes âgées, un jeune garçon accompagné de celui qui devait être son père. Malisé cru voir en point commun une grande modestie de vie, mais cela restait dur à juger.
Dans la cour, la végétation prenait le pas sur les pierres des murs ; lierres et campanules grimpaient et dégoulinaient. Le ciel dessinait un carré bleu égal au dessus de leur tête, pas un nuage. La lumière enveloppait une partie du sol et des parois, laissait le reste dans une ombre chaude.
Sorc était assis le dos bien droit, le regard dans le vide, le temps, qui s’écoulait si lentement pour Malisé, ne semblait pas avoir de prise sur lui. Il patientait. La policière n’avait pas cette placidité. Son bras lui faisait mal et elle commençait à regretter de ne pas être rentrée chez elle.
Après une éternité, une porte s’ouvrit sur leur droite, laissant sortir une jeune femme. Elle remercia une personne se trouvant derrière elle, puis traversa la cour en toussant pour rejoindre le porche et quitter les lieux. À sa main, un petit sachet de papier au contenu mystérieux.
Et puis plus rien. Personne ne bougea. Jusqu’à ce qu’enfin, la porte s’ouvre à nouveau. L’ensemble de l’assistance se tendit un peu, les bustes se portèrent de quelques degrés vers l’avant.
Une femme d’une cinquantaine d’année, en blouse noire, fit un pas dans la cour. Ses cheveux gris frisottaient en auréole autour de son visage. Elle fit le tour des patients d’un singulier regard bleu d’encre, s’attardant sur chacun d’entre eux.
Ses sourcils se froncèrent légèrement lorsqu'elle passa sur Sorc. Puis son coup d’oeil effleura rapidement Malisé avant de se détacher. Avant d’y revenir soudain, les yeux écarquillés. Malisé sentit une décharge lui parcourir la colonne vertébrale. Personne ne la regardait depuis que Sorc lui avait prêté sa cape, et voici que cette femme plantait ses yeux droit dans les siens. La femme médecin examina la silhouette de la policière de bas en haut puis, s’en désintéressant, se tourna vers Sorc.
Ce dernier souriait toujours.
Un temps suspendu s’étira alors que leurs regards s’accrochaient l’un à l’autre. Puis la médecin brisa enfin le lien.
— Bon, le bébé en premier et vous je vous prendrais entre-deux juste après, dit-elle à l’intention de Sorc et Malisé.
Puis elle retourna dans son cabinet, suivie de la jeune femme à l’enfant.
— Vous vous connaissez ? chuchotta Malisé à l’intention de Sorc.
— Non.
— Pourquoi elle nous a regardé comme ça ?
— Je ne sais pas, répondit Sorc dont le sourire trahissait l’inverse.
Un temps infini s’écoula de nouveau avant que la femme et son bébé ne ressortent et laissent leur place à Sorc et Malisé.
Il entrèrent dans le cabinet, qui ressemblait à tout cabinet médical. Plutôt blanc, sacrément propre et avec cette caractéristique odeur de désinfectant. Dénotant dans l'atmosphère, deux imposantes armoires de bois sombre fermaient le fond de la pièce.
La doctoresse fit s’asseoir Malisé et lui inspecta le bras en silence. Elle jetait régulièrement des regards à Sorc, sans pour autant lui adresser la parole.
— Rien de cassé, finit-elle par dire.
Puis elle désinfecta les plaies, en couvrit certaines de bandages et abandonna Malisé pour revenir à son bureau prendre quelques notes.
— Et vous venez d’où comme ça ? demanda-t-elle à Sorc.
— De trés loin, répondit celui-ci.
La doctoresse grogna en guise de commentaire. Puis elle se tourna vers Malisé.
— Et vous vous êtes fait ça comment ?
— Un bout d’immeuble nous est tombé dessus.
La doctoresse se figea à cette réponse puis regarda Sorc.
— Bon, bon. Vous avez du désinfectant et des pansements chez vous ? finit-elle par demander à Malisé.
— Oui.
— Alors il n’y a rien de plus à faire, changer les pansements s’ils vous semblent sales. Et le plus vite possible, lorsque la douleur aura diminué, laissez les plaies à l’air libre.
— Très bien.
— Autre chose ? demanda la doctoresse.
— Ce sera tout, merci pour votre attention, dit Sorc en plongeant ses yeux dans ceux de la femme.
Elle ne détourna pas le regard.
— Alors je vous souhaite une bonne continuation, dit-elle.
— Combien je vous dois ? demanda Malisé.
— Rien du tout. Allez, au suivant.
— Merci, répondirent Sorc et Malisé.
Et ils sortirent.
— Bon, vous voyez, cela s’est très bien passé, dit Sorc de retour dans la rue.
Oh ! il est surprenant, ce chapitre. A le lire, je me suis, dit, cette visite médicale, c'est comme un non-événement, on ne raconte pas ça dans un roman, on fait une ellipse ou on le balaye en deux phrases. Mais le fait que ce soit une scène, qui prend son temps, qui prend même tout le chapitre, ça pousse à être très attentif à tous les petits détails qui peuvent être des indices. La blouse noire, le fait que la médecin a l'air de connaître Sorc, de reconnaitre la cape, de ne pas accepter d'argent. Tout ça rend ce chapitre très mystérieux.
C'est toujours un plaisir de te lire, en tout cas !
A bientôt!
Oui c'est vrai que c'est un peu un non-événement, mais comme tu le dis il est important tout de même ^^
Je suis ravie que tu aies noté tous ces petits détails, ils ont effectivement leur importance : D
Ce mystère là sera bientôt résolu, promis ; )
A bientôt et merci encore.
Merci pour le partage, je suis au bout et bien impatient de voir la suite qui n'existe pas.... <3
oui, l'explication viendra promis ^^
Effectivement Sorc a un passé assez costaud.
En vrai j'ai presque un problème de style dans ce projet, car j'aurai voulu parler de choses graves et ma plume reste invariablement plutôt légère, sans que je ne parvienne à la changer. Du coup je me pose beaucoup de questions sur la viabilité de ce projet... je doute énormément, haha x'D
Le fond est sombre mais pas ma manière de le mettre en scène et je ne pense pas être capable de changer cela en réécriture... cela m'ennuie, est-ce que cela voudrait dire que je devrais à l'avenir me cantonner aux projets "poético-fantastiques" à la "Miroirs d'eau" ou "Lili", lorsque fond et forme se retrouvent ?
Bon je n'ai pas encore abandonné "Feux", mais comme tu le vois, c'est un projet qui ne s'écrit pas du tout facilement x'D
Merci d'autant plus pour ta lecture et tes messages, ils m'encouragent à tenir bon, au moins jusqu'à la fin d'une première version histoire de me rendre mieux compte de ce que valent toutes ces idées...
à plus Raza ! : D
Je réagis sur l'adéquation fond/forme: je ne suis pas convaincu qu'il faille à tout prix faire coller les deux. Au contraire, parfois, ça peut être bien plus saisissant d'avoir un ton léger et une affaire grave. Comme si, le sujet n'est plus abordable frontalement. Je suis sûr que tu vas trouver ce que tu veux dire, et que la manière de le dire viendra avec. <3
À bientôt
"Sorc tenta de calme la foule" : "calmer"
J'aime bien Sorc et sa façon de répéter qu'il aurait mieux fait de ne pas venir, tout en étant visiblement excité par ses découvertes ! :)
Moi aussi j'avais un sourire aux lèvres comme Sorc dans cette salle d'attente à la lecture de ce chapitre :)
J'ai hâte de lire la suite, cette histoire me plaît beaucoup et se lit très facilement ! :)
Oh ouah, te voilà arrivée à ce dernier chapitre posté, merci beaucoup de ta fidélité de lecture ^^
La suite devrait arriver prochainement.
Haha, je suis contente si Sorc te plait comme personnage.
Merci encore pour ta lecture et tes supers messages qui me donnent confiance ! : D