CHAPITRE 5

Par itchane


CHAPITRE 5

 

Malisé n’avait pas encore d’avis tranché concernant la cape. Elle oscillait entre la conviction qu’il ne pouvait s’agir que d’une tromperie et l’envie de croire qu’elle portait quelque chose qui la dépassait, qu’un nouveau monde s’ouvrait à elle.
Ils étaient retournés dans une allée plus large et personne ne prêtait attention à sa présence. Les regards glissaient, se détournaient nonchalamment. Ce n’était pas spécialement impressionnant, ni extraordinaire. Mais c’était si précis, si radical et, il était vrai, un peu grisant aussi. Un sourire commençait à se dessiner sur ses lèvres.
— Alors, on va où maintenant ? demanda-t-elle à nouveau.
N’obtenant pas de réponse, elle se tourna pour se rendre compte que Sorc n’était plus à ses côtés.
Elle fit demi-tour et le vit arrêté à un coin de rue, observant un pan de mur entre deux habitations.
Malisé s’approcha et découvrit la sorcière figée devant un rectangle de briques couvert d’écritures, graffitis et papiers collés.
Affiches de concert à moitié déchirées, tracts politiques commentés, signatures en tout genre et messages obscurs typographiés en multicolores lettres gonflées.
— Que se passe-t-il ? demanda Malisé.
— C’est parfait, dit Sorc qui inspectait le mur avec minutie et bonne humeur.
— Quoi, les graffitis ?
— Les quoi ?
— Les “graffitis”, les trucs écrits ou peints sur les murs.
— “Graffitis” ? D’accord, disons cela, ils sont absolument sublimes.
— Vous êtes sérieux ? demanda Malisé plutôt dégoutée. Il y en a de bien plus beaux que cela dans le coin si ça vous intéresse.
— Ah oui ? Où ça ?
Malisé sourit à cet passion soudaine de la sorcière.
— Venez, c’est par là. Vous vous intéressez à l’art urbain ?
— À quoi ?
— À l’art urbain, ce sont les peintures, dessins, ou autres qui sont réalisés à l’extérieur, utilisant la ville comme support.
— Oooh, vous leur avez donné un nom. Mais le mot “urbain” présume qu’il y ait une ville. Or l’on rencontre cet art partout, même dans la Zone. 
— Dans la Zone ?
— Oui, ce ne sont pas des peintures, mais des signes, des sculptures, des assemblages, utilisant la nature comme support.
— Ah, mais c’est encore différent.
— Vous croyez ? Alors comment expliquez vous que je puisse lire dans les graffitis presque la même chose que dans nos signes à nous.
— Lire ? Vous y lisez quelque chose ?
Sorc sourit.
— Il y a des langues qui furent universelles, puis qui ont été perdues par le plus grand nombre. Elles se transforment alors en langage secret.
— Et vous y lisiez quoi dans ces tags ? Je veux dire, ces graffitis ?
— Le début de mon enquête. Mais d’abord, j’ai hâte de voir ce que vous m’avez promis, ces graffitis encore plus beaux que les autres.
— Vous ne serez pas déçu, affirma Malisé.

Ils marchèrent dans la petite-Zone, de rues en ruelles, de pavés en terres battues. Sorc s’arrêtait tout le temps, examinant le moindre dessin sur les murs. Les passants le regardaient étrangement.
— Vous allez continuer comme ça tout du long ? demanda Malisé. Vous n’avez plus votre cape je vous rappelle. 
— Hmm-hmm. Vous voyez ce signe ici ?
— Lequel ?
— Là, dit Sorc en pointant un petit dessin étrange, fait d’entrelacs de serpents et d’une coupe les surplombant.
— Oui ?
— Il ne vous rappelle rien ?
— Un logo de pharmacie ?
— Exactement, comme un logo de pharmacie, dit-il, un sourire plein les lèvres. On repassera par ce quartier.
— Encore mal à la tête ?
— Oh, oui. Mais cela n’a rien à voir.
— Bon, on arrive bientôt en tout cas, alors sortez le nez de vos murs, dit Malisé qui décidément avait de plus en plus de mal à suivre la conversation de Sorc.
La sorcière la regarda puis leva les yeux. Ils se trouvaient dans une ruelle étroite, faite de petits immeubles étriqués et délabrés, se soutenant les uns les autres pour ne pas dévaler la pente qui se faisait toujours plus raide. Des jeunes se tenaient par groupes au pied des bâtisses, les obligeant à slalomer pour les dépasser. Malisé n’était pas mécontente de porter la cape, personne ne prêta attention à elle. Quant à Sorc, rien ne semblait pouvoir le mettre mal à l’aise. Il traversa chaque grappe, droit devant, s’excusant parfois de forcer un homme à se déplacer. Tous les regards étaient posés sur lui, sa tunique de toile, ses bottes en cuir, son bâton. Mais rien ne se passa. Les yeux finirent par se détourner, les conversations reprirent et voici que Sorc et Malisé arrivaient au bout de la rue.

— Ça va être là, regardez, dit Malisé.
Ils franchirent les derniers pas avant qu’une grande ouverture ne se dessine devant eux. La pente s’adoucissait et s’ouvrit devant leurs yeux une nouvelle perspective.
Au milieu des maisons et habitations, cinq immeubles géants sortaient de terre, s’élevaient contre le ciel et dominaient le quartier. Sur leurs murs, de gigantesques peintures colorées les recouvraient entièrement.

Sorc en eût le souffle coupé.
Sur l’immeuble le plus proche, une fresque tout en chaleur en hommage au soleil, dieu personnifié et accompagné de petits êtres aux cheveux de flammes. D’immenses rayons d’or et de jaune zébraient les murs, balcons et volets. Un peu plus loin, une peinture représentait trois femmes âgées surveillant le quartier, les trois parentes reconnu Sorc qui sourit en les observant. Un troisième immeuble était couvert de portraits, des habitants de la petite-Zone peut-être ? 
Chaque façade avait son illustration, éclat de couleurs et de visages, marquant le paysage de présences rassurantes qui semblait protéger le quartier.

— Alors ? s’enquit Malisé.
— Incroyable, et magnifique.
Sorc ne parvenait pas à détacher son regard de ces fresques.
— Qui est l’artiste ? demanda-t-il.
— Ah, je ne sais plus, il faudrait demander aux gens du quartier. Et pas sûre que toutes soient du même artiste.
— Si, je pense que si.
— Ah oui ? s’étonna Malisé.
— Oui. Et j’aimerai beaucoup rencontrer cette personne.
— Alors ça, c’est encore une autre histoire. En tout cas je ne peux pas vous y aider, je n’ai aucune piste là-dessus.
— Ce n’est pas grave. Je suis sûr que nos chemins seront amenés à se croiser, répondit Sorc le regard encore porté vers les peintures.
— Vous voilà un peu mystique.
La remarque fit sourire Sorc.
— Peut-être ai-je bien fait de venir finalement, dit-il.
— Vous en doutiez ?
— Oui. Ville et sorcière ne s’entendent pas très bien.
— Je vous trouve plutôt à l’aise pourtant.
— Je ne le suis pas.
— Qu’est-ce qui vous dérange tant ?
— À peu près tout je crois.
Malisé ne sut que répondre à cela.
— Bon, revenons sur nos pas, reprit Sorc.

Il n’était pas loin de midi. Le ciel était bleu uni et le soleil chauffait doucement les peaux. Sorc et Malisé quittèrent le point de vue et commencèrent la remontée du quartier. La sorcière continuait d’observer les murs et leurs langages.
— Ah, par là, dit-elle soudain avant de prendre une rue transversale.
— Par là quoi ? demanda Malisé.
— Par là une petite course que j’ai à faire. Ce ne sera pas long.
Sorc accéléra le pas, suivi de Malisé. De mur en mur, d’inscription en inscription et de rues en rues, il se fraya un chemin dans la petite-Zone ; malgré la foule de midi, malgré la noirceur des ruelles, malgré le tracé peu conventionnel du plan de la ville, il ne semblait pas perdu le moins du monde. Puis Sorc s’arrêta à l’entrée d’une venelle sombre et étrangement déserte, à l'exception d’un homme, assis sur le palier d’un vieil immeuble décati.
Sorc s’avança.
— Vous êtes sûr ? chuchota Malisé.
Sorc ne répondit pas et continua son approche. Puis, arrivé à hauteur de l’homme : 
— Bonjour.
Jeune à la peau sombre, l’homme se dessinait en silhouette élancée dans l’ombre des bâtiments. Il leva les yeux vers Sorc.
— Vous devez être Marvin, dit la sorcière.
L’homme ne répondit pas.
— J’en prendrai dix grammes, annonça Sorc.
Marvin ne sembla pas surpris. Il observa Sorc de bas en haut, tenta un coup d’oeil vers Malisé mais son regard glissa sans s’arrêter. Il ne vit pas les yeux ronds qu’elle portrait vers la sorcière.
Sans dire un mot, le jeune homme plongea la main dans une poche intérieure et en sortit un sachet de feuilles séchées et moulues, qu’il tendit à Sorc.
Ce dernier s’en saisit, ouvrit et sentit. En accord avec le contenu, il referma le sachet et le mit dans l’une de ses poches.
L’homme tendit quatre doigts de sa main gauche, Sorc paya. Puis il fit demi-tour et il était repartit, Malisé marchant à sa suite.
Une fois atteint la sortie de la ruelle, cette dernière explosa.
— Non mais sérieux ? C’était ça votre petite course ? Vous vous rappelez qui je suis au moins ?
— Oui, mais vous ne m’arrêterez pas, ni ce jeune homme.
— Je n’en ai pas les moyens là. Mais rappelez-vous que chaque soir je devrais faire un rapport sur vos activités de la journée.
— Faites, je suis une sorcière en mission. J’ai été appelée par Corbeau Blanc. Je ne sais pas qui mais quelqu’un a voulu que je sois là, dans cette Ville, à enquêter sur ces meurtres. Ce ou ces personnes ne m’arrêterons pas.
— Ha oui ? Et l’enquête justement, vous en êtes où ? Vous vous sentez utile depuis ce matin ?
— Elle avance. Rien ne peut être résolu sans un minimum de connaissance du terrain. De tous les terrains.
— Je le mettrais dans le rapport, insista Malisé qui ne savait plus par quel bout prendre cette sorcière.
Sorc sourit.

Il ne vit pas l’imposante ombre qui tombait du ciel et se dirigeait dangereusement sur lui.

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Erwel.le
Posté le 27/11/2024
Salut,

Quand Sorc avait retourné sa cape blanche, pour lui-même, j'ai failli laisser un commentaire pour dire qu'il faudrait plus de précisions sur l'envers de la cape, mais en fait, on a la réponse maintenant. Je pense que ça marche de différer ainsi la description. Ah, de la magie :-).

Elle est belle, cette petite Zone. Tu réussis à la rendre à la fois étrange, inhospitalière (y compris pour Sorc, dont on sent pourtant qu'il en connait les codes), architecturalement intéressante - et j'aime bien que la Ville puisse aussi avoir sa propre magie. De façon générale, j'accroche autant à ton histoire parce qu'il y a beaucoup de nuances, jamais d'opposition trop manichéenne, que ce soit dans le caractère des personnages, dans les lieux, le rapport à la magie....

C'est très beau aussi de retrouver des éléments de notre monde contemporain dans cette histoire où la magie a sa place, par des éléments aussi quotidiens que les graffitis.

ça faisait du bien que Malisé s'énerve et confronte Sorc précédemment. Elle a un peu le rôle de faire-valoir, qui met en lumière le personnage de la sorcière, et je me demande si cette jeune policière, qui m'est sympathique parce qu'elle est plus ouverte que son supérieur, va avoir un peu plus de densité par la suite.
RedFeather
Posté le 21/11/2024
Tss, un cliffhanger !

Anyway, passer de l'ambiance du chapitre précédent à celui-ci a été comme de passer d'un coup de la nuit au jour ^^
Mais on est familiarisés avec Sorc et Malisé, à présent !

Déjà, tu fais du bon travaille avec Malisé ! Feux, de par ses thématiques (sorcellerie, nature, psychosocio) ne s'adresse pas forcément à un public qui apprécie la police. Et sa façon d'exercer son métier n'aide pas. Pour autant, tu dessines un personnage auquel on peut s'attacher, qui ne vrille pas les nerfs -le fait qu'elle sache garder l'esprit ouvert aide énormément-, et dans lequel les lecteur'ices peuvent avoir confiance. Et ce n'est pas facile, alors bravo !

Une seule remarque : "Ah oui, alors comment expliquez-vous..." la fin de la phrase devrait se terminer par un point d'interrogation. (Ca m'a fait bugger du coup perso^^)

"Qu'est-ce qui vous dérange?
— A peu près tout je crois"
J'aime Sorc, tellement ! Je m'identifie beaucoup à lui. Je veux dire, la ville c'est bruyant et puis les inégalités et puis tout en fait XD

Concernant l'enquête, je trouve ça génial que Sorc se concentre sur les Graffitis. Effectivement, on en voit plein tout le temps nous aussi, des beaux, des franchement laids, mais ils ont leur culture propre et servent, en effet, à passer des messages. Je n'y avais jamais vraiment réfléchi, et c'est une excellente idée de le rappeler !

Je suis désolé'e que tu peines avec l'écriture. Je sais ce que c'est. Je te dirai juste de prendre soin de toi d'abord (sinon tu ne seras pas disponible pour écrire), et ensuite de continuer exactement comme avant sans te poser plus de questions. Ton texte est de qualité, j'aime beaucoup son personnage principal, il permet une immersion totale dans l'univers. Il est déjà bon, alors ne t'inquiètes pas.

A bientôt !
Red
itchane
Posté le 24/11/2024
Hello RedFeather !

Merci beaucoup pour ton message, je suis ravie de t'avoir en colecteurice, tu sais me remonter le moral, haha : )

J'ai repris l'écriture depuis. Cela avance un peu mieux, même si je doute encore beaucoup sur ce texte.

Je me rends compte que l'enquête met un peu de temps à démarrer, j'espère que ce n'est pas trop un problème à la lecture...

Merci pour le personnage de Malisé, j'avoue avancer un peu comme cela vient, surtout pour les dialogues, alors tu me rassures beaucoup.

A bientôt : D
Sombie
Posté le 16/11/2024
Bravo pour ce chapitre, ces chapitres de manière générale ! J'aime beaucoup ton histoire (j'aimerais tellement pouvoir la lire en format papier, lire de bons textes sur écran n'est pas ma passion..) la rencontre des de mondes présentés en Sorc et Malisé est tellement attrayante.
D'ailleurs au moment du "j'en prendrai 10 grammes" je me suis toute suite figurée l'expression de Malisé 100% choquée, c'est vraiment drôle.
J'ai hâte de lire la suite !
Sombie
Posté le 16/11/2024
erratum : Je ne me suis pas relue avant de publier mon commentaire .... grossière erreur ! Je voulais écrire "la rencontre des deux mondes" et non "des de mondes"... Désoléeeee
itchane
Posté le 19/11/2024
Hello Sombie !

Je suis vraiment contente de te retrouver en commentaire ici ! Tu as donc continué ta lecture, cela me fait chaud au cœur.

Oh oui, je comprends pour le format papier, je suis un peu comme toi. As-tu une liseuse ? Cela peut être un bon compromis...

Ahah oui, le choc de Malisé x'D

Merci encore pour ton message qui fait la différence, et à bientôt pour la suite, je vais essayer de ne pas être trop longue à le poster ; )
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