Le lundi matin à la première heure, Eugène est posté dans la véranda, téléphone à la main. Gabrielle dort encore quand, d’une voix qu’il essaie de contenir, il se présente à la réceptionniste des Éditions Verglas comme l’auteur des livres Club et Son Opéra qui souhaite à parler à l’éditeur. Quand celle-ci lui demande de répéter ses nom et prénom, Eugène souffle une première fois.
« Je regrette, Monsieur, je ne peux vous mettre en relation avec l’éditeur.
— Je vous dis que je suis l’auteur de Club et de Son Opéra ! »
Il a élevé le ton et depuis, jette des regards discrets à l’escalier pour s’assurer qu’il n’a pas réveillé Gabrielle.
« Ce n’est pas le nom que j’ai dans mes fichiers… bredouille la réceptionniste. Je vous souhaite une bonne journée Mon…
— Écoutez Madame, coupe-t-il, vous faites erreur. Votre maison d’édition aussi, d’ailleurs, et c’est très important. Je dois parler à un responsable. Ces livres, c’est moi qui les écris, vous comprenez ? Ils ont été publiés sans mon accord ! Alors il vaut mieux que nous en discutions, les Éditions Verglas et moi, vous ne pensez pas ?
— Attendez un instant, je vous prie. »
Aussitôt, la musique classique prend sa suite et ne lui laisse pas l’occasion de répondre. Le printemps de Vivaldi est un calvaire pour celui qui refuse de se laisser attendrir par de douces notes. Les secondes s’allongent telles de longues minutes, jusqu’à ce que la réceptionniste revienne et lui annonce d’une voix plus confiante :
« Je vous passe le département juridique. Je vous souhaite une bonne journée ! »
La musique classique reprend. Eugène se ronge les ongles. Il a beau faire tourner son siège, aucune vue ne l’apaise plus de quelques secondes. Le mur à moitié peint. Le jardin qu’il n’a pas tondu ce week-end. Son ordinateur. À peine se retrouve-t-il en face qu’il repart pour un tour. Hors de question de le voir, celui-là. Pas maintenant. Pas pendant ce coup de fil crucial.
D’un bond, Eugène se relève et dévale vers le jardin où il fait les cent pas. À chaque fois que la musique recommence, il soupire. Que font-ils ?
La baie vitrée qui donne sur le salon coulisse et Gabrielle lui adresse son sourire du matin embrumé par la fatigue.
« Tout va bien ? lui souffle-t-elle.
— Mais oui, ça va ! »
Il ventile ses mots à coup de bras ballants. Gabrielle fronce les sourcils et referme la porte. Elle préfère même repousser l’arrosage du potager à plus tard, quand Eugène ne sera plus en train de retourner ciel et terre au téléphone pour une raison qu’elle ignore encore. Elle comprend qu’il vaut mieux s’en tenir loin pour l’instant, que l’heure est au café. À un réveil plus apaisé que celui que lui offre son compagnon.
Au téléphone, la musique classique s’interrompt enfin pour laisser place à une voix plus grave, plus incisive :
« Bonjour. Je suis Caroline Sepias, du département juridique. »
Eugène se contient lorsqu’il lui déballe tout ce qu’il vient d’expliquer de long en large et en travers au standard. Le Club des Duellistes, son manuscrit inachevé. Club, et cette farce de Zuka qui n’a fait que parachever son texte. Voler son œuvre. Rançonner ses espoirs d’écrire des romans et de les partager au monde.
« Ce sont là de graves accusations que vous portez à l’encontre d’un des auteurs de la maison, Monsieur…
— Loustillac, coupe-t-il.
— Monsieur Loustillac, reprend-elle. Soyez assurés que nous resterons à la disposition de votre avocat. »
Eugène botte en touche quelques instants. Sa respiration trahit son trouble.
« Je parlerai à un avocat, mais c’est avec vous que je souhaitais m’entretenir d’abord. Je croyais que les Éditions Verglas se sentiraient concernées par le fait qu’un de leur succès du moment soit une imposture. Que vous accepteriez d’en discuter, d’auteur à éditeur. De m’expliquer comment l’un de mes textes a pu finir entre vos mains.
— Écoutez, Monsieur Loustillac, je crois que nous ne nous sommes pas compris, vous et moi. Vous appelez notre maison, prétendez que vous êtes l’auteur de Club et de Son Opéra sans même nous en apporter la preuve. De vous à moi, des gens qui nous appellent pour nous dire qu’on les a plagiés car un roman d’une de nos collections a un personnage qui a le même nom que l’arrière-grande tante de leur héros, c’est monnaie courante, pour nous.
— Je comprends, murmure Eugène.
— Si vous estimez que vous avez été victimes de contrefaçon, je ne peux que vous recommander de prendre attache avec un conseil avant de revenir vers nous. Nous serons ouverts à la discussion autour d’un dossier tangible. »
Avant de raccrocher, il la remercie en toute courtoisie. « Vous verrez bien, de toute façon ». Puis il rentre dans la véranda, se rassied sur son siège qu’il fait pivoter jusqu’à devant son ordinateur.
Il faut à tout prix qu’il se fasse entendre. Et pour cela, il doit trouver un avocat. Pourtant, au moment d’allumer son ordinateur, il se ravise : un numéro, ça se trouve tout aussi bien sur un téléphone.
Depuis qu’il a eu vent de Club pour la première fois, Eugène se méfie. De Sophie et de Gabrielle, mais aussi de son ordinateur. Tant qu’il peut, il s’en passe. Cette semaine-là, il n’acceptera aucune nouvelle mission : hors de question de mettre à profit Léana de sitôt.
Eugène a quelques économies, cette semaine de vacances improvisée à la dernière minute l’aidera à organiser sa défense. Mais à chaque appel, il se heurte à un mur : impossible de parler à un avocat. Après plus de dix tentatives, un secrétaire lui propose tout au plus un rendez-vous deux semaines plus tard avec Maître Jean-Philippe Desrosiers. Le standardiste lui paraît si âcre et peu enclin à lui venir en aide qu’Eugène ne confirme pas le créneau. Il continue à descendre la liste des pages jaunes, désespéré, récitant sa phrase d’accroche sur le vol de ses manuscrits. L’urgence ne prend jamais.
« Je veux juste parler à un avocat cinq minutes ! Ça ne devrait pas être si compliqué !
— Je suis désolé Monsieur, Maître Maringo n’est pas disponible actuellement. Si vous souhaitez un premier conseil, vous pouvez venir au cabinet jeudi, à seize heures. »
Trois jours, c’est si long quand on a besoin d’aide. Pourtant, c’est le créneau le plus rapide qu’il est en mesure d’avoir. Alors, Eugène ravale sa salive et confirme.
En attendant le rendez-vous, Eugène s’enferme dans sa bibliothèque et rumine. Trois mois qu’il s’attèle à l’écriture de Leurs terres avant eux… Avec cette famille qui se brise autour d’un héritage, entre le besoin de préserver les terres agricoles et la spéculation immobilière à laquelle se prête l’un des fils, il croyait enfin tenir un embryon d’histoire qui le mènerait à une fin. Une première. Pourtant, à présent, il ne sait plus quoi faire de ce texte. Et si ce projet aussi avait été compromis ? Doit-il tout abandonner sans réponse certaine ?
Pour se changer les idées des tracas du quotidien, il essaie plusieurs fois de se mettre à son récit. À chaque ligne couchée, il rumine de nouveau et consulte son téléphone : Sophie ne l’a toujours pas rappelé.
Alors, fébrilement, il ouvre parfois la porte du placard à manuscrits et approche d’une main tremblante Leurs terres avant eux. Puis, au dernier moment, il se ravise.
Avec cette histoire de famille qui rompt la longue tradition familiale du droit d’aînesse, il détient un projet trop riche pour être abandonné sur un coup de tête.
Pas avant d’être sûr…
Ce qui m'a un peu gêné :
- Le samedi suivant ==> suivant son retour à Rome ? donc on est reparti en arrière dans la narration ?
- à la pierre blanche resplendissante d’Histoire était ==> je dirais qu'il manque une virgle entre "Histoire" et "était"
- elle se leva de table en plein repas pour aller consulter son téléphone ==> elle a besoin de se lever de table pour ça ? il n'est pas dans sa poche ?
- elle s’est levée du mauvais pied ==> répétition de "lever" avec la phrase d'avant
- il râle parce qu’un de ses soi-disant romans serait devenu un best-seller grâce au système d’intelligence artificielle que j’ai mis au point ==> elle utilise le conditionnel alors qu'Eugène avait l'air très sûr de lui dans les chapitres précédents... Je suis un peu perdue j'avoue, je ne sais plus si Léana a vraiment mangé les romans d'Eugène ou pas
- toute la construction qu’ils avaient voulu appaisée de leur relation ces dix dernières années ==> l'enchainement des mots sonne bizarrement
- Comment osait-elle le trahir ainsi, mettre le sujet sur la table alors même qu’entre eux, il n’était pas résolu ==> je suis d'accord avec lui ! Elle a fait appel à un avocat et elle en parle comme si de rien n'était à son père ? c'est un peu étrange... son avocat aurait du lui dire qu'elle n'avait pas le droit d'en parler avec lui autrement que par avocat interposé
Mes phrases préférées :
- laquelle plantait sa fourchette d’une main si lourde qu’elle en finit par grincer dans l’assiette ==> ouuh j'ai entendu dans mes oreilles, ça fait mal
- Philippe passa d’un enfant à un autre tel un spectateur à un match de tennis, sauf qu’aucune balle n’était servie ==> haha
- Eugène, un best-seller ? » ricana le père. ==> ooooh dur
- Cette haine, il ne l’avait pas ressentie depuis petit, quand la rancœur envers sa sœur était monnaie courante, bien que pour des évènements bien moindre ==> très juste
- eux deux formaient l’embryon familial le plus stable de son existence ==> à nouveau, très juste !
- ton blog à la noix avec sa présentation sortie tout droit des années 2000 et son titre Comic Sans MS ==> haha
Remarques générales :
Je trouve que ce chapitre est un peu en-dessous des autres. D'abord, je suis un peu perdue sur la temporalité ! Dans le précédent, j'avais l'impression qu'il s'était passé plusieurs semaines depuis le retour de Sophie, vu la lenteur administratrive des avocats. Et là on dirait qu'elle vient juste de rentrer de Rome ?
Et je suis un peu étonnée que Sophie et son père parlent si ouvertement à la fin, comme si ce qui arriva à Eugène était quelque chose de pas grave du tout et de normal... On dirait qu'ils ont l'impression qu'Eugène a lui-même utilisé Léana pour faire publier ses textes sous un faux nom ? Je suis peut-être trop naïve mais même pour ne pas avoir à payer 30% de droits d'auteurs à Sophie, je vois mal pourquoi Eugène le lui aurait caché (et surtout, il ne l'aurait pas appelée pour avoir des explications si il voulait rester auteur anonyme...) Désolée, j'écris au fur et à mesure que je pense donc c'est peut-être un peu brouillon, mais en résumé je trouve les réactions de Sophie et son père un peu à côté de la plaque !
A bientôt :)
Pardon encore ><
Donc si je me repère bien dans la temporalité, dans le chapitre 6 Sophie a déjà fait appel à un avocat et "veut qu['Eugène] contacte son avocat" pour en discuter, donc c'est toujours bizarre qu'elle déballe tout à table à cet endroit. Je crois qu'il vaudrait mieux mettre celui-là en 6 (surtout qu'une semaine de délai pour avoir un rdv avec un avocat ça me parait déjà court !!). En tout cas, quand j'ai lu j'ai eu l'impression qu'il s'agissait d'un flash-back qui se déroulait avant toute l'histoire des avocats, donc je dirai quand c'est ce qui a le plus de cohérence au moins pour moi ^^
La prochaine fois, ce sera une vraie suite :P