Chapitre 6

Par !Brune!

Les explorateurs cheminaient avec peine sous les bourrasques, cernés par un nuage de fines particules que le vent arrachait, par à coup, à la terre sableuse. Comme la veille, les chercheurs et les adolescents se déplaçaient au centre, entourés par les soldats chargés du ravitaillement tandis que Charcot tenait l’avant-poste, avec deux de ses meilleurs agents. Au-dessus d’eux, accrochées au ciel d’encre, des milliards d’étoiles scintillaient comme autant de diamants posés sur le noir velours d’un écrin ; leur éclat magnifique accompagnait le groupe qui, indifférent, clopinait avec lassitude, la tête enfoncée dans les épaules.

Après quelques heures de marche, la plaine cendreuse se couvrit de blondes ondulations qui fluctuaient sous le vent, se métamorphosant peu à peu en de gigantesques collines de sable. Les randonneurs redoublèrent d’efforts, ployant l’échine sous les rafales et les microscopiques projections de gravier. Malgré le froid, Owen sentait des filets de sueur lui couler dans le dos chaque fois que, les muscles bandés, il franchissait une butte à l’architecture instable. Soudain, des cris lui firent redresser la tête ; derrière la buée de son masque, il crut reconnaître Leïla et Milo qui, non loin de lui, tentaient d’escalader une dune. Il accéléra le pas afin de les rejoindre ; cependant arrivé près de Leïla, il perdit l’équilibre et tomba lourdement, entraînant la jeune fille dans sa chute.

— Tu parles d’une descente ! s’esclaffa Milo en dévalant la pente pour venir au secours de ses amis.

Engoncés dans leur combinaison, les deux adolescents se dégagèrent avec peine de leur lit de sablon, la main agrippée à celle que leur tendait leur camarade.

— Vous avez entendu ? demanda tout à coup celui-ci en suspendant momentanément son geste.

— Quoi ? interrogèrent à l’unisson ses copains.

— Quelqu’un a appelé à l’aide.

— T’es sûr ?

— Oui. Ça venait de par là, je crois, ajouta le chevelu en désignant un point dans l’obscurité.

Le trio s’immobilisa pour scruter les alentours, mais la nuit, bien qu’elle soit majestueusement étoilée, ne dévoilait rien d’autre que des masses sombres entrecoupées de plages grisonnantes sur lesquelles soufflait l’impitoyable bise.

— Au secours ! brailla soudain une voix que le vent n’avait pas réussi à consumer.

« Milo avait raison ! On appelle à l’aide ! » pensa Leïla en examinant de plus belle les environs.

— Où êtes-vous ? cria-t-elle, les mains placées en demi-cercle autour de la bouche afin de contrer le bruit de la tempête.

— Par ici !

Bravant les aiguillons sablonneux, les jeunes gens se dirigèrent vers l’endroit que la personne leur indiquait, évoluant avec prudence parmi les hautes dunes. Ils distinguèrent bientôt un groupe d’éclaireurs qui venait à leur rencontre. Celui qui devait être leur chef leur enjoignit brutalement de s’arrêter et pointa du doigt une forme tapie dans l’ombre ; plaquée contre le sol, Marguerite Estelas attendait, pétrifiée, le bas du corps emprisonné dans une mer de sablon. Un des militaires s’avança précautionneusement, sortit une perche télescopique de son sac à dos et la tendit au médecin qui, malgré sa position délicate, l’interpella avec humour d’un « Souquez ferme soldat ! Je suis une fausse maigre ! ». Puis, elle empoigna vigoureusement le bâton et, le regard accroché à celui de son sauveur, elle se laissa emporter loin du trou vorace.

Pour éviter qu’un autre explorateur ne se fasse happer par les sables mouvants, le commandant leur ordonna de continuer le trajet en randonnant en file indienne, une corde attachée à la ceinture. Ils marchèrent ainsi jusqu’à l’aube où emmitouflée dans les vapeurs bleutées de la brume, ils aperçurent la silhouette imposante et mystérieuse de la deuxième escale. Toutefois, lorsqu’ils atteignirent l’abri situé en périphérie d’une bourgade, ils constatèrent que ce qu’ils avaient pris pour un miraculeux asile n’était qu’un vaste bâtiment en ruine, à moitié enseveli sous les dunes. Fidèle à son habitude, Charcot envoya deux éclaireurs inspecter les lieux avant d’établir le campement ; une heure après, l’équipe était attablée à l’intérieur d’un ancien réfectoire dont la toiture écroulée laissait entrevoir un pan d’azur éblouissant.

Leur frugal repas avalé, les trois ados choisirent de s’installer dans la cuisine en attendant leur tour de garde. Milo et Leïla jetèrent leurs sacs de couchage sur le dallage crasseux et s’assoupirent aussitôt. Malgré la fatigue, Owen, lui, ne parvenait pas à s’endormir. La température qui augmentait de minute en minute l’empêchait de se détendre et son esprit, chauffé à blanc, ressassait les événements de la veille. Contrairement au commandant, il ne croyait pas qu’il y ait un voleur parmi eux ; leur communauté était trop habituée aux restrictions pour que l’un d’eux succombe à la tentation, une fois sorti de la grotte. Pour lui, ce chapardage ne pouvait venir que de l’extérieur !

Le garçon regarda avec envie ses copains qui dormaient profondément, allongés côte à côte sur leurs matelas de fortune. Le silence autant que la chaleur oppressaient le jeune homme qui, malgré les ronflements comiquement intempestifs de sa meilleure amie, n’arrivait pas à se relaxer. Les nerfs à vif, il se décida à bouger afin de chasser l’agitation qui gagnait maintenant ses membres. « Je vais proposer au planton de prendre son heure de garde ! Au moins, ça m’évitera de ruminer pour rien… » pensa-t-il, dépité. Il se leva sans faire de bruit et sortit dans le couloir.

La lumière crue que déversaient, dans le corridor, les portes béantes de l’entrée contraignit Owen à battre des paupières. Pieds nus sur le carrelage défoncé, il avança lentement tandis que la sueur dégoulinait, telle une larme incandescente, le long de son torse et de ses bras maigres. Il chassa d’une main fébrile l’eau qui perlait à son front quand il eut l’intuition d’un mouvement ; une ombre était passée, furtive, devant l’entrée. La gorge nouée, le souffle court, il atteignit, en silence, le portail où nul gardien ne veillait.

— Que faites-vous là ?

Bien que la voix dans son dos ne fût qu’un murmure, Owen sursauta comme si on lui avait hurlé dans les oreilles. Il se retourna et vit l’œil inquisiteur de Charcot peser sur lui.

— Je… il y a quelqu’un ! bredouilla-t-il en désignant l’extérieur d’un doigt qui tremblait un peu.

— Quelqu’un ?

— Oui, enfin… c’est passé très vite. On aurait dit un… une…

— Quoi ?

— Je ne sais pas, mais la sentinelle n’est plus là.

Le commandant avança sur le seuil, et jeta un regard circulaire au-dehors en déclarant :

— C’est moi qui l’ai relevée.

Soudain, un couinement bref se fit entendre. Charcot s’immobilisa, le corps en alerte.

— Là ! hurla-t-il en se lançant à la poursuite d’un invisible quidam.

Surpris, Owen hésita un instant avant de s’élancer derrière le chef de brigade.

— Prenez-le à rebours ! Il se dirige vers l’entrepôt !

Obéissant aux ordres, le sourcier se rua dans la cour tandis que Charcot pénétrait à l’intérieur de la réserve où le fugitif s’était mis à l’abri. Lorsqu’il entra à son tour, Owen ressentit immédiatement une sensation d’oppression. Dedans, on n’y voyait que du feu ; après la clarté aveuglante de l’extérieur, le hangar semblait plongé dans les ténèbres des abysses. Malgré sa faculté à voir la nuit, il fallut de longues secondes au garçon pour distinguer les rangées de voitures qui, garées en épis, pointaient leur nez vers un rideau en zinc troué de rouille. Le cœur battant la chamade, il avança prudemment dans une allée tandis que de l’autre côté du bâtiment, le commandant inspectait les véhicules. Comme lui, Owen vérifia, une à une, les portières des autos situées près de lui, pensant avec nervosité que l’épaisse couche de poussière qui les recouvrait l’empêcherait de voir quiconque se cacherait à l’intérieur. Lorsque, après plusieurs contrôles infructueux, la poignée d’une fourgonnette céda, l’adolescent releva le hayon d’une main fébrile et s’accorda trois secondes avant de monter ; ce furent trois secondes de trop ! L’inconnu, les deux pieds en avant, bondit hors de la camionnette, bouscula Owen et disparut entre les carcasses métalliques.

— Commandant, il est là ! Il vient vers vous !

— Je le vois !

Owen se lança à la poursuite du fugitif tandis que le commandant le prenait par devant. Arrivé à sa hauteur, Charcot sauta par-dessus l’élégant capot d’une vieille Citroën et plongea de tout son poids sur le malheureux. Tous deux s’écrasèrent contre la dalle de béton, roulèrent sous le châssis d’un poids lourd, puis percutèrent l’une des immenses roues arrière, soulevant un nuage de poussière. Pendant quelques secondes, on n’entendit rien d’autre que leurs respirations saccadées résonner en écho dans le hangar obscur. Owen se précipita alors au cul du camion et découvrit le militaire allongé à demi sur sa proie, ses deux bras puissants encadrant le visage du captif qui protestait d’une voix emplie de stupeur :

— Mais, c’est une gosse !

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Baladine
Posté le 20/06/2023
Oh, et puis, je continue !
Jolie scène d'action, qui se déroule avec beaucoup de fluidité. Ce petit voleur m'a tout l'air d'être quelqu'un de sympathique, au final, on verra bien. Je salue le cliffhanger de la fin, qui me donne envie de continuer, encore et encore, ma lecture :D
A bientôt peut-être !
Saphir
Posté le 08/04/2023
Salut ! Ça fait longtemps que je n'ai pas publié un commentaire par ici. Ta plume m'a manquée, à vrai dire :)
Toujours aussi bon chapitre, même si c'est dommage qu'il court, parce que je ne sais pas trop quoi dire ^^
Je tenait à te laisser un commentaire quand même pour t'encourager :D
Du coup, continue comme ça ! Je file vers la suite avec joie pour connaitre la suite de l'aventure !
À bientôt
!Brune!
Posté le 09/04/2023
Coucou Saphir et merci ! Tes encouragements me vont droit au cœur ! À bientôt ;-)
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