Équinoxe. Nyx tombe sur le monde.
Sème les graines du renouveau lorsque Hécate prend place dans la voûte céleste.
Du terreau fertile, germe la source de tout.
Essence du réel et substance de l’âme, nourrissent la vie, qui s’ouvre aux beaux jours dans un spectacle grandiose.
Solstice. Thanatos récolte les trépassés.
Le Styx emporte sur son dos le vaisseau de Charon.
La précieuse cargaison glisse sur le fleuve, sous l'œil d’Hypnos, qui veille ainsi sur la moisson dorée.
Lorsque les coquelicots ouvrent leurs boutons, l’enfant s’endort dans les bras de la nuit, bercé par le battement d’ailes du papillon.
***
Je reste dans ma chambre, docile et obéissante, je fixe le plafond sans bouger de mon lit. La dose de calmant continue de m’engourdir les sens. Parfois, je me sens flotter au-dessus de mon corps. Parfois, j’ai la sensation de tomber de mon lit, comme si un trou béant s’était ouvert dans le matelas. J’entends les bruits venant du couloir, mais les paroles s’envolent, partent loin, très loin, comme des pas qui s’éloignent. Et les mots ne restent pas dans ma tête, ils ne font que la traverser sans que je puisse les comprendre. Ils sont sans substance, sans forme, dénués de sens.
On passe devant ma porte, on regarde par le hublot si je suis bien à ma place. Puis on passe à une autre porte. Et je n’entends rien. Pas une pensée qui ne s’attache à moi, pas une émotion ne déborde sur moi. Je me sens seule, sur une île glacée. Finalement, c’est peut-être pire de ne rien ressentir du tout. Ce ne sont pas seulement les émotions des gens qui me manquent, ce sont aussi les miennes qui sont absentes. Je ne ressens qu’un profond vide qui me grignote, qui me dévore et gangrène tout ce qui allume une étincelle autour de moi. Mes larmes sont taries, ma colère s’est cristallisée dans mes veines, ma joie est une brume insaisissable. Je suis vide.
Par réflexe, je prends ma gorge entre mes mains. Je serre, mais je suis trop lâche pour aboutir à mon geste. Je prie le Ciel de me soustraire à mon existence, mais il ne me répond pas. Je ne suis qu’une âme en peine parmi tant d’autres. Autour de moi, tout le monde appelle à l’aide et l’endroit est rempli de pensées noires qui m’intoxiquent. Ma douleur se mêle à celles des autres, les amplifiant dans mon enveloppe charnelle, trop faible pour tenir debout, tout comme mon esprit, qui se déchire entre la réalité et le rêve.
— T’en tires une tête, toi. Qu’est-ce qui ne va pas ?
Adossée nonchalamment sur la porte de ma chambre se tient la jeune femme aux cheveux teints. Ma bouche s’ouvre, mais elle me coupe dans mon élan d’une main levée.
— Pas la peine de te torturer le cerveau, tu as déjà assez de problèmes comme ça, fait-elle remarquer.
Elle s’approche et sourit lorsqu’elle remarque que je porte le collier.
— Je t’ai ramené un petit remontant, attention, il est brûlant.
Elle me tend une tasse sortie de nulle part, et le parfum du liquide fumant se fraye un chemin dans mes narines, éveillant mon odorat. J’étais incapable de donner un nom aux odeurs que je sentais, mais je me sentais revenir à moi. Précautionneusement, je me redresse et prends la tasse par son anse. C’était de la porcelaine, douce et fragile, qui absorbait la chaleur de son contenu et la diffusait autour d’elle. Je souffle pour refroidir la tisane et mon regard se perd sur les volutes de fumée.
— Mélisse, gingembre, camomille, un peu de citron et une pointe de mon ingrédient secret, m’informe-t-elle avec un clin d'œil. De quoi te requinquer !
Son énergie est contagieuse et me donne la force de boire une gorgée. Je me brûle la langue, mais la tisane est merveilleuse à mes papilles. Je sens une émotion monter en moi. Elle gonfle, prête à exploser. Je prends une autre gorgée, et j’explose en larmes incontrôlables. La jeune femme pose une main sur mon épaule et je pleure, j’expulse tout ce qui est néfaste, tout ce qui me ronge à l’intérieur. D’une traite, je finis la tasse et je me sens plus éveillée que je ne l’ai jamais été.
— Merci, Tresse Bleue.
Si son sobriquet lui fait de l’effet, elle ne laisse rien paraître. Dans cet endroit, personne n’a de nom, c’est mieux comme ça. Dès que l’on nomme les choses, elles prennent de la valeur, et ce qui a de la valeur peut être perdu. Ainsi, Tresse Bleue restera une inconnue pour moi, avec tout son mystère. Et moi, pour elle.
La porte s’ouvre soudainement et la tête d’une aide-soignante sort de l’encadrement.
— L’extinction des feux a eu lieu, il y a une heure, rage-t-elle en s’avançant vers ma lampe de chevet pour l’éteindre. La prochaine fois, ce sera un blâme.
Vieille Chouette referme la porte, et moi je reste coi, incapable de parler ni de bouger. Quand je reprends mes esprits, Tresse Bleue a disparu.
Tresse Bleue a un ton très différent de celui de leur première rencontre. J'aime bien leur (début de) relation.
C'est toujours aussi poétique, je dirais même lyrique, la description de la situation comme celle des sentiments, sensations...
Une petite suggestion : Quand je reprends mes esprits, Tresse Bleue avait disparu. - Quand je reprends mes esprits, Tresse Bleue a disparu.
Une petite correction : la tasse par sa anse. - la tasse par son anse.