- Qu’est-ce que va dire aux parents, demandais-je à Baldo dont l'œil commençait à tourner au violet.
Les commerçants nous avaient tabassé jusqu’à ce que l'on peine à marcher, nous laissant étaler à même le sol dans la rue.
- Je ne sais pas…aie, répondit Baldo.
On peinait à rentrer à la maison. Mais nous finîmes par y arriver en nous soutenant l’un contre l’autre. Une fois devant la maison, on prit une grande inspiration avant d’ouvrir la porte, on savait qu’on allait se faire passer un savon par Emie et Pop mais ce n’est pas comme si on pouvait cacher les bleus déjà visibles sur nos visages.
Emie cria d’effroi en nous voyant avant de se précipiter vers nous. Nous étions déjà rentrés avec des blessures mais jamais comme ça.
- Mon dieu, que s’est-il passé ? demanda Emie.
- Que vous est-il arrivé ? Ajouta Pop.
On s'avança pour s’asseoir sur une chaise chacun aidé par l‘un des parents. Ne croyez pas que malgré que je sois une fille, on met épargner dans la rue, il n’y a pas de différence de sexe.
Emie courut à l’étage chercher des linges propres afin de soigner nos plaies. Quant à Pop, il nous fixait les mains sur la taille.
Quand Emie est revenue, Pop répéta sa question.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
- Et bien… On a peut-être fait des bêtises qui nous ont attiré des ennuis, annonçais-je d’une voix mielleuse.
- C'est-à-dire ?
- On a plus au moins pris de la nourriture qui ne nous appartenait pas.
- Où ça ?
- Sur le marché…
- Mais vous savez qu’il ne faut pas faire cela. Les commerçants s’en sont pris à vous ?
- Oui, souffla Baldo, mais le prince d’Op nous a sauvés.
- Le prince d’Op ? Qui est-ce ? demanda Pop.
- Euh… hésitais-je mais Baldo fonça pour le dire.
- Le prince Noah, cria Baldo.
Pop et Emie écarquillèrent les yeux, surpris de l'information.
- Le prince ? Le fils du roi ? demanda Emie.
- Oui, affirmais-je.
- Je crois que tu nous dois des explications, jeune fille.
- Je l'ai rencontré plusieurs fois mais j'ignorais qui il était. Je le prenais pour un garde jusqu’à aujourd’hui.
Je ne pouvais pas leur en dire plus, si je parlais du verger je savais que j’aggraverais les choses.
Cette fois si Baldo n’ajouta rien. Nos parents ignoraient que l’on volait depuis tout ce temps.
- Revenons à cette histoire de vol, pourquoi faites-vous cela ?
Avec Baldo, nos regards se croisèrent, on leur devait la vérité.
- Eh bien, on n’a pas vraiment de travail, toute la nourriture qu’on a ramenée depuis des années a été volée.
- Quoi ! Mais il y a une quantité monstrueuse de nourritures.
- C’est possible.
Cette fois, Pop monta la voix, il ne s’énervait pas souvent :
- Vous allez me dire ce qu’il vous a passé par la tête ?
- On voulait vous aider ! criais-je. On ne pouvait pas vous laisser vous affamer pour nous alors on volait pour que vous ayez toujours à manger même si nous on se privait…
Ces dernières paroles étaient de trop. Pop et Emie ignoraient que l'on se privait de manger avec Baldo pour qu’ils aillent travailler le ventre plein.
- Op, je ne suis pas sûr de comprendre.
Baldo s'avança pour répondre à ma place, les larmes m'étaient montées aux yeux.
- Papa, maman, Il arrive que l'on ne mange pas pendant plusieurs jours pour que vous ayez à manger.
- Mais pourquoi ? C’est nous les adultes, c’est à nous de subvenir à vos besoins et non l’inverse.
- Ta mère a raison, on est tes parents, c’est nous qui devons-nous priver, pas vous.
“Ta mère” c’est mot m’était dur à entendre car je ne serais jamais leur fille, je serais toujours la jeune fille qu’ils ont recueillie. Ils devaient s'occuper de Baldo, c’était leur fils mais moi, il ne me devait rien.
- Op, ça va ? demanda Emie.
- Oui ! lançais-je avant d’ouvrir et de refermer la porte en claquant derrière moi.
Une fois dans la rue, l’air frais rafraîchit mon esprit. Certaine fois, j’oubliais qui j’étais, c’est à dire personne.
Je déambulais dans la rue, le corps toujours endolori. Je marchais durant des heures dans la rue. Inconsciemment, je me suis rendu au pied du château.
Je savais pourquoi j’étais jusqu’ici, j'avais besoin de comprendre pourquoi le prince m’avait aidé. J’avais besoin de réponses. Sans prendre le temps d’hésiter, j’escaladais le mur et me rendis dans le verger. Quand je fus dans le verger, les souvenirs de ma rencontre avec le prince me revinrent. Un sourire idiot se dessina sur mon visage. Quelque chose en lui m’attirait, je ne pouvais le nier. Je me promenais dans le verger espérant le croiser mais personne. Doucement et discrètement, je remontais le long des rangées d'arbres jusqu’aux jardins. Cachés derrière des arbres, je pouvais voir le château mais y rentrer allait être compliqué au vu de la quantité de gardes qui surveillaient les jardins et les entrées du château. Je regardais autour de moi, cherchant une solution. C’est alors que je vis une fenêtre au premier étage ouverte, je n’avais qu’à escalader la façade jusque-là. Entre deux rondes de gardes, je me précipitais jusqu’au pied du château, je m'agrippais comme je pouvais au renfoncement dans le mur, par chance le mur était en pierre et il y avait de nombreuses prises facilitant la tâche. Quand je fus au niveau de la fenêtre, je jetai un regard sur la pièce avant d’y rentrer, la pièce semblait vide à première vue. J’y pénétrai. Je me trouvais dans une magnifique chambre, remplis de dorures au plafond, un immense lit et de magnifiques tableaux.Un coin peinture y avait été aménagé. Le propriétaire de cette chambre aimait l’art. Je m’approchais du petit atelier d’appoint et découvrit une toile recouverte de peintures. Un magnifique couché de soleil se posant sur le village avait été représenté. Les détails étaient si précis et les couleurs si réels. On avait le sentiment d’y être et de sentir sur son corps les rayons encore chauds du soleil.
Des sons provenant du couloir attirèrent mon attention alors que je me perdais dans ce tableau. Jusqu’à ce que la porte de la chambre s’ouvrît sur une magnifique enfant aux longs cheveux blonds. Elle fermait derrière elle la porte et lorsqu’elle se retourna, elle me vit aussitôt. La panique passa dans son regard. Elle me prenait pour quelqu’un de dangereux.
J’engagea la conversation aussitôt.
- N’ayez pas peur, je suis venue voir quelqu’un et je me suis perdue, annonçais-je.
- Qui… Qui êtes-vous venue voir ? demanda-t-elle avec une voix apeurée.
- Je suis venue voir… Noah.
- Noah ? Tu es Opale ! s’exclama-t-elle sans peur cette fois-ci.
- Comment savez-vous qui je suis ? demandais-je
- Mon frère m’a parlé de toi.
- Votre frère ? Vous êtes la princesse ! m’exclamais-je à mon tour avant de la saluer d’une révérence.
- Pas de ça ici. Veux-tu une tasse de thé, mon frère est en réunion, il ne pourra pas te recevoir avant une bonne heure ? Et je serai ravie d’apprendre à te connaître.
Cette enfant était charmante, bien élevée et si gentille. Elle m’avait servi une tasse de thé et avait demandé des biscuits à l’une de ses bonnes.
- Dis-moi, Opale, pourquoi voulais-tu voir Noah ?
- Pour tout vous dire, Princesse.
- Pas de Princesse, appelle-moi Emilie et tutoie-moi, s’il te plait.
- Bien.
- Alors tu me disais ?
- Je voulais voir Noah car j’avais des questions à lui poser.
- A quel sujet ?
- Tu es bien curieuse, lançais-je.
- Je l’avoue, mon frère n’a jamais parlé d’une fille avant ta rencontre, je suis intrigué.
- Noah m’a aidé à de multiples reprises et j’aimerais savoir pourquoi. Mais également pourquoi, il ne m’a pas dit qui il était.
- Au sujet de pourquoi il t'a aidé, j’ignore ses intentions mais je pense savoir pourquoi il ne t’a pas dit qui il était.
- Vraiment ? Pourquoi ?
- Te serais-tu comporté de la même façon si tu avais su qu’il était le prince ?
- Je ne pense pas, j’aurais eu trop peur de faire une erreur.
- Tout le monde nous traite différemment mais il oublie que l’on est des humains avant tout.
- Je comprends ce sentiment.
- Vraiment ? demanda surpris Emilie.
- Je viens de l’Indra, dans un autre contexte, je ne pense pas que Noah m’aurait ne serait-ce que lancer un regard. Dans l’Indra, on n’a pas grand-chose mais il y en a qui ont encore moins que les autres.
- C'est-à-dire ?
- Certains jours, on ne mange pas, on se bat, on vole. On ne vit pas, on survit. Si je n’avais pas été recueilli, je serais morte dans la rue depuis longtemps.
- Je l’ignorais. Je ne pensais pas que c’était comme cela. Mes parents nous ont toujours laissé penser que le peuple était heureux et en bonne santé.
- Seulement les plus chanceux. Mais qu’on né dans l’Indra, on ne sort jamais. C’est ainsi.
- Mais c’est horrible !
- C’est une vérité à laquelle on s’habitue, on espère juste survivre une journée de plus.
Sur cette dernière parole, un coup retentit à la porte. Emilie se leva pour ouvrir la porte. Elle laissa passer la personne et referma aussitôt.
Noah était là, face à moi. Aussi surpris que moi. Il s’avança vers moi.
- Op, que fais-tu là ? demanda-t-il.
- Je devais te parler.
Il se tourna vers sa sœur.
- Je comprends mieux pourquoi tu as demandé à me voir après ma réunion.
Puis, il se tourna à nouveau dans ma direction.
- Tu ne peux rester ici, tu dois partir.
- NON !
Il s’avança et me pris les bras. Nous étions si proches. Je relevai la tête et lui fit face.
- Op, tu dois partir, si quelqu’un te découvre ici, je ne pourrais pas te protéger.
La colère montait en moi, je me sentais plus seule que jamais.
- Tu ne disais pas cela la dernière fois que je suis venue au château.
- Attend, elle est déjà venue au château. Tu m'as dit que tu l’avais rencontrée dans la rue, ajouta Emilie.
Noah se glissa la main dans les cheveux avant de baisser les yeux.
- Ce n’est pas exactement comme cela que les choses se sont passées.
- Comment ça ? demanda Emilie
L'autorité qui se dégageait de sa voix me surpris, son ton n’était ni trop dur, ni trop doux. Cette petite fille dégageait une aura impressionnante.
- Je vais t’expliquer. On s’est rencontré, un soir, dans le verger du château. J’étais venue voler des pommes et Noah m’a vu faire. Alors que je m'ennuyais, j’ai perdu connaissance et Noah m’a caché dans le château, le temps que j’aille mieux.
- Vous êtes incroyable tous les deux. Je comprends mieux pourquoi vous vous plaisez, lança-t-elle en rigolant.
- On ne se plaît pas, ajoute-je.
- Pas du tout, confirma Noah.
- Mais oui bien sûr, conclut Emilie. Enfin, mon frère n’a pas tort, tu dois partir avant que quelqu'un ne découvre ta présence ici.
- Noah, nous devons parler, s’il te plait.
- On parlera, je te le promets mais pas aujourd’hui. La garde a été renforcée, je dois te faire sortir d’ici rapidement.
Il s’était rapproché en parlant, on était si proche que je pouvais sentir son souffle contre mes lèvres. Une furieuse envie de l’embrasser me monta mais je ne fis rien. Il était un prince malgré tout, je devais rester aux aguets.
Je saluai Emilie et Noah me prit la main avant de m'entraîner dans le couloir.
Même si j’étais rentré avec facilité, sortir allait être une autre histoire, il avait énormément de gardes. Au détour d’un virage, Noah poussa le mur et une porte s’ouvrit. On marchait le long des couloirs, plongé dans le noir. Noah semblait savoir où il allait et heureusement car je ne voyais pas plus loin que le bout de mon nez.
Au bout d’un moment, Noah s'arrêta et ouvrit discrètement une seconde porte. Je ne parvenais pas à voir où elle donnait. Il referma la porte avant d’ajouter :
- Ne bouge pas d’ici, je vais vérifier les environs.
La peur battait en moi mais je ne pouvais le dire, j’allais devoir l’affronter. Je répondis un simple “OK” avant de voir Noah s'échapper par la porte. Je m'accroupis me blottissant entre mes propres bras, j’étais terrifier d’être seule dans le noir, dans un labyrinthe de couloirs mais c’était la seule solution pour que je puisse sortir du palais sans être attraper.
Au bout d’une heure, toujours pas de Noah, j’avais fini par m’asseoir à même le sol en attendant. Mais personne. Le froid de la pierre me gagnait petit à petit ainsi que la fatigue. Je luttais contre l’envie de fermer les yeux jusqu’à ce que les ténèbres l'emportent.
Quand je rouvris les yeux, je n’étais plus dans le passage mais dans l’eau, je me débattais pour essayer de remonter à la surface, une voix m’appelait criant mon nom de nombreuses fois. L’air commençait à me manquer et je m'enfonçais de plus en plus dans l’eau. Malgré tout, rien n’y fis. Je m'enfonçais toujours plus.
C’est alors que la porte s’ouvrit soudainement laissant jaillir la lumière et me sortant ainsi de mon rêve. Il me fallait quelque instant pour savoir où j’étais. Je m’attendais à voir Noah mais ce ne fut pas le cas. Je me trouvais devant Lia, la jeune bonne qui m’avait aidé lors de ma première visite au palais.
- Lia ? Où est Noah ?
- C’est lui qui m’envoie. Il n’a pas pu revenir, je vais vous aider à sortir. Suivez-moi, nous sommes presque dehors. Une fois dans les jardins, vous pourrez continuer seule. Je vais vous aider à sortir par la cuisine. Il suffit juste de la traverser.
- Cela ne risque rien ?
- Pas si vous êtes avec moi. Allons-y.
Nous traversâmes la cuisine jusqu’aux jardins et Lia me laissa ensuite me débrouiller. Je courus jusqu’au mur, l'escaladai et enfin je fus libre, j'ai couru le plus loin possible du château.