Chapitre 6

Vendredi 01 octobre 2021
Lucie Lambert

 

Je m'assois à côté de Matéo. On contemple les canards en silence, écoutant le bruit du ruisseau. J'aime beaucoup ces moments-là, où on peut se reposer sans forcément être gênés de ne pas parler. Une brise fraîche me caresse la nuque et me sors de mes pensées. Je regarde autour de moi. Des enfants lancent des miettes de pain aux animaux pendant que mon ami regarde une vidéo sur son téléphone. Ce soir, je mange chez Dylan avec Matéo et son petit frère. C'est la première fois que je vais chez lui. Je ne suis pas très à l'aise, aussi car on se connaît depuis peu et que ce n'est pas vraiment mon ami, c'est celui de Matéo. Je m'apprête à prendre mon cahier de brouillon quand mon portable sonne. C'est un numéro anonyme. Je décide de ne pas répondre et attrape un crayon. Je commence à dessiner un canard quand une autre sonnerie se fait entendre. Matéo relève la tête vers moi.

– Tu sais qui c'est ? me demande-t-il.
– Non c'est un numéro anonyme.

Je décide de répondre.

– Allô ? dis-je d'une voix à peine audible.

Personne ne répond. Je n'entends qu'un vague souffle de l'autre côté de l'appareil, puis la personne raccroche. Je regarde mon ami, d'un air perdu. Il hausse les épaules et retourne regarder sa vidéo. Je n'ai pas le temps de bouger que cette personne me rappelle. Je décroche, sans rien dire cette fois. Une battle de silence. L'autre raccroche.

* * *

– Et elle t'a appelée vingt-sept fois ?! s'exclame Dylan.
– Tu l'as pas bloqué ? demande Gaetan.
– Non, je voulais savoir qui c'était. Matéo a cherché sur Internet comment faire mais on n'a pas trouvé, réponds-je.
– Si cette personne continue, tu devras contacter la police, je suis sûr qu'ils ont de quoi localiser l'appel, conclut Dylan.

On se doute tous que c'est Candice ou l'une de ses amies, mais on n'a pas envie de s'avancer trop. Tant qu'on n'a pas de preuve, on ne peut accuser personne.

Dylan a pris mon téléphone pour bloquer les appels venant des numéros masqués. J'espère que ça va régler le problème.

Alors qu'on regarde un film et qu'on est tous les quatre plongés dedans, un numéro, cette fois-ci non masqué m'appelle. Je décroche et mets sur haut-parleur.

– Bonjour, dit une voix inconnue.
– Bonjour, réponds-je.
– Nous voudrions savoir si vous étiez intéressée par des serviettes bleues. Nous vendons des lots de cinq pour la modique somme de 5€.

Je ne réponds pas, étant étonnée par la proposition. Aucune pub ne m'avait déjà appelée auparavant. Des rires m'extirpent de mes pensées. Je regarde mon portable, puis mes yeux se posent sur la main de Matéo qui vient raccrocher à ma place.

Un numéro de plus bloqué par Dylan. C'est vraiment épuisant. Je me demande si elle me laissera tranquille un jour, si à force, elle en aura marre. Je pose mon téléphone sur le bureau en mode silencieux et on reprend le film. Ça me semble être le moyen le plus efficace d'éviter Candice et de me protéger.

À la fin du film, on discute de nos vacances. Dylan part à Nantes pour voir sa famille, Matéo et Gaetan partent trois jours à la mer, et comme d'habitude, je ne fais rien. On décide donc de créer un groupe où on pourra s'envoyer des photos et s'appeler. Alors que je m'apprête à accepter l'invitation au groupe, je reçois des notifications d'un compte que je ne connais pas. Il m'a envoyé je ne sais combien de vidéos. Je regarde mes amis, puis décide de les ouvrir. On voit une petite fille regarder l'objectif, un grand sourire aux lèvres.

« T'es moche ! Va chez le coiffeur ! Tu sers à rien et en plus t'es blasée ! Souris un peu, ça va pas te faire de mal ! »

« Pourquoi tu réponds pas ? T'as peur ou t'es en train de pleurer ? Vu que t'es faible... »

Matéo m'arrache le téléphone des mains et enlève les vidéos. Je le vois froncer les sourcils et devine qu'il est en train de bloquer le compte.

– C'est la cousine de Candice, dit-il. Je l'ai déjà vu chez eux. Elle a dû lui demander d'envoyer ça depuis son compte pour qu'on ne se doute pas que ça vient d'elle.
– Ça se croit fort dans l'anonymat, mais en face ça parle pas, souffle Dylan, désespéré.

* * *

– On fait la course ? propose Matéo en commençant à accélérer.
– Le dernier au stade de foot a perdu ! crie Dylan.

Ils savent que je n'aime pas courir. Alors je les suis de loin en marchant. Je regarde le ciel, les étoiles sont magnifiques. J'aperçois mes amis courir au loin. Un sourire s'affiche sur mes lèvres, un sourire triste.

« J'ai l'impression de n'avoir ma place nulle part. J'ai beau sourire, je me sens si seule. » (Référence à la chanson "Alien" de Han Jisung)

Des fois, je me dis que je ne les mérite pas et je me demande pourquoi ils restent avec moi : réflexion banale pour des gens de mon âge. Ils auront beau me dire le contraire, je sais que ça ne m'empêchera pas de penser ça.

Alors que je commence à perdre de vue Gaetan, le dernier des trois, un caillou vient me cogner la tête, puis un autre. Je regarde autour de moi mais ne vois personne. Je presse donc le pas. Soudain, une main vient tirer mes cheveux et m'amène à terre. Je n'ai pas le temps de lever la tête qu'on me donne un coup dans le tibia. J'entends des rires, puis un pied vient rencontrer mon dos. Je me mets en boule et relèvent les yeux. Trois personnes partent en courant en parlant fort et en rigolant.

J'ai du mal à me relever et le stade est encore loin. J'essaie tant bien que mal de marcher mais c'est dur. Je décide donc d'appeler Matéo mais en vain. Il doit être en train de courir après le ballon.

J'arrive au stade dix minutes après. Dylan est en train de faire du freestyle pendant que Gaetan le filme. Matéo est en train de faire le con à la cage du but, il fait des tractions. Je vais m'allonger dans l'herbe à côté du plus jeune.

J'évite de parler à mes amis de ce qu'il m'est arrivé plus tôt, je n'ai pas envie de les inquiéter. Et comme dirait Nietzsche : « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Il faut que j'arrive à passer au-dessus de tout ça, à faire comme si ça ne m'atteignait pas.

Matéo nous rejoint et vient faire des passes à Dylan. Je les suis du regard, amusée. Gaetan sort un ballon de volleyball de son sac et se dirige vers le mur du gymnase. Il s'entraîne tout seul. J'admire le fait qu'il arrive à monter le ballon de plus en plus haut et à se déplacer de droite à gauche sans le laisser tomber. Il a l'air de vraiment aimer ce sport.

– C'est son sport préféré, dit mon ami en s'asseyant à côté de moi. Il s'entraîne très peu car les parents ne veulent pas qu'il utilise le mur de la maison, finit-il en rigolant.

On parle un peu de films, de nos vacances, de la vie. On rigole, tout en regardant Gaetan. C'est dans ce genre de moments où je suis le plus heureuse. J'ai vraiment l'impression d'exister pour quelqu'un, de compter, d'avoir de l'importance. C'est agréable pour une fois.

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