CHAPITRE 6

PRESENT : JIO

            La douleur avait fait tomber Jio dans un rêve fiévreux où se mélangeaient son passé et les évènements de ces derniers jours. Il alla de rêve en rêve, errant dans les méandres de l’époque où il était mercenaire, puis se jetant dans un combat contre Addal pour éviter de se faire capturer, et enfin volant au secours de Nethan pour contrer cette personne qui essayait de s’introduire dans son esprit. Puis son esprit s’activa, essayant de se rappeler où est-ce qu’il avait rencontré ce type de magie qui lui était familier. Les magies de l’esprit n’étaient pas les plus courantes sur Sambremonde, ni les plus simples à remarquer. Il avait donc déjà vu un mage de ce type en activité. Il n’y avait donc presque pas d’indices quant à l’identité de l’agresseur si ce n’était cette impression de déjà vu dans la manière d’utiliser son pouvoir. Oui. Cette façon de le déployer, cette brutalité, cette violence, alors même que l’art de la magie de l’esprit était d’une complexité extrême et nécessitait une grande subtilité… Comme si le détenteur de ce don n’était pas adapté à cette magie. Comme s’il aurait dû posséder une magie noire, plus puissante, plus violente, mais en possédait une blanche. Il était certain d’avoir rencontré une personne qui utilisait sa magie de cette façon, mais qui ? Et où ? Il errait dans le labyrinthe de sa mémoire à la recherche d’un souvenir, d’un quelconque indice qui aurait pu le mener à l’identité du coupable. La vie de Nethan en dépendait peut-être. C’était étrange de vouloir à tout prix la protéger alors même qu’il venait de la rencontrer. Mais il avait l’impression de la connaître depuis très longtemps. Comme s’ils s’étaient toujours côtoyés, comme s’ils étaient liés, l’un à l’autre, par un lien mystérieux. Il n’avait pas l’identité de l’attaquant, mais il savait désormais que c’était une personne dangereuse. La fillette était certainement en danger et, si jamais cette personne décidait de l’attaquer à nouveau, Jio n’était pas sûr de pouvoir la sauver in extremis. Mais il devait au moins la contacter pour la prévenir du danger. Oui, il allait faire ça. Il allait…

Ses yeux s’ouvrirent brusquement et il saisit le bras de la personne qui venait de poser une main sur son front. Sa vision s’éclaircit et il put reconnaître un Addal qui l’observait avec stupéfaction et une légère culpabilité sur le visage. L’homme se racla la gorge et détourna le regard.

- Je n’avais pas l’intention de te réveiller… dit-il avant que Jio n’ait pu lui demander ce qu’il faisait là à le regarder dormir, nom d’un archimage.

- Eh bien… Je suppose que vous n’aviez pas d’intentions perverses…

Le mercenaire rougit et balbutia des excuses, s’enfonçant dans des explications confuses. L’adolescent se satisfit du sentiment qu’avait provoqué sa phrase, considérant cela comme une petite revanche pour le jour où l’homme l’avait capturé.

- Je peux vous demander pourquoi vous êtes ici ?

- Non. Enfin oui, Soö m’a chargé de voir comment tu te portais. Tu as un peu de fièvre on dirait. Ce doit être parce que tu n’es plus habitué à utiliser ta magie…

Il y eut un silence étrange pendant lequel Jio observa Addal qui, lui, fuyait son regard. Ce fut le jeune homme qui le brisa.

- Vous n’êtes pas venu seulement pour voir comment j’allais. Je me trompe ?

- Non, en effet. On m’a aussi chargé de t’informer que tu commenceras ton entraînement demain.

Nouveau silence. Une question traversa soudain l’esprit de Jio. C’était une question futile, qui ferait certainement tâche dans l’atmosphère tendue qui s’était installée, mais il était trop tard. Elle occupait déjà toutes les pensées du garçon, l’obnubilait. Il avait besoin d’une réponse car il ne comprenait pas.

- Est-ce que vous êtes un peu comme… Le secrétaire de Soö ? Ou son bras droit ? Et depuis quand êtes-vous à la guilde ? Je ne vous avais jamais vu.

- Je ne suis pas le secrétaire de monsieur Soö, ni même son bras droit. Je suis son associé et je ne fais pas partie de la guilde.

- Mais alors comment…

- Ce n’est pas le sujet. Je dois partir maintenant, j’ai d’autres choses à faire. Assurez-vous d’être rétabli dans deux jours.

Sur ces mots, il se leva et se détourna du jeune patient avant de sortir de l’infirmerie. Quand la porte claqua, Jio s’assit sur son lit et observa la salle. L’endroit était vide, l’infirmière, elle-même n’avait plus fait son apparition depuis qu’elle avait installé le jeune mage d’ombres dans un lit. La voix était libre.

            Il se concentra et rejoignit le désert noir de son esprit ; l’endroit duquel il pouvait joindre chaque personne qui se trouvait sur l’autre face. Il n’eut pas besoin de chercher pour trouver le fil qui le reliait à Nethan. Il était incandescent et tremblotait, comme s’il attendait d’être utilisé. Alors Jio s’en approcha et le suivit, l’effleurant du bout des doigts. Il marchait de plus en plus vite, comme si sa vie dépendait de ce contact, et arriva bientôt en vue d’une silhouette indistincte, là-bas, au loin. Peu à peu, cette silhouette se précisa et devint celle d’une fillette d’une dizaine d’années aux cheveux blonds et aux grands yeux noisette. Elle semblait avoir une conversation avec quelqu’un. Ses lèvres remuaient et elle esquissait parfois un geste des mains, comme pour illustrer ses propos. Mais Jio ne pouvait pas voir son interlocuteur. Il n’était qu’une vague forme humaine qui se tenait en face de l’enfant. Il allait appeler Nethan mais il hésita. Elle avait l’air occupée. Ce qu’elle faisait était-il important ? Urgent ? Pouvait-il se permettre de l’interrompre ? Evidemment que oui, idiot. Il s’agit de sa sécurité ! De sa survie, peut-être. Oui. Mais après tout, ils se connaissaient à peine… Je serais toujours là. Ne valait-il pas mieux attendre ? Attendre au moins d’avoir de réels indices ? Et si elle se faisait de nouveau attaquer ? Serais-tu prêt à en assumer les responsabilités, à avouer que tu n’as pas été là alors que tu lui avais dit le contraire ? Serais-tu prêt à abandonner une autre personne, comme toutes celles que tu as déjà abandonnées ? Maz, Rosind, ce garçon de l’autre face… Tu ne serais pas un peu lâche au fond ? Tu as peur de te mettre en danger, c’est ça ?

- Tais-toi ! cria le garçon à l’intention de cette voix, ce désagréable murmure qui emplissait ses pensées de tristes vérités.

Il ne pouvait pas repartir sans avoir averti Nethan du danger qu’elle courait. Il ne pouvait pas l’abandonner, elle aussi. Et l’enfant s’était arrêtée de parler, comme si elle sentait la présence de Jio. Son regard était fixe, elle tendait l’oreille, ses mains étaient suspendues à quelques centimètres au-dessus de ses genoux. C’était le moment. Jio l’appela. Elle comprit immédiatement d’où venait cet appel. Il la vit se concentrer et se tourner vers lui. Elle le voyait. Ils étaient là, ensemble. C’était impossible mais le pouvoir de communication de Jio pouvait réaliser l’impossible. Elle sourit et le devança lorsqu’il voulut prendre la parole.

- Salut. Je suis contente de te voir. J’ai oublié de te remercier pour la dernière fois, quand tu m’as secourue.

- Ce n’est rien.

C’était quelque chose. Le cœur de l’adolescent s’était emballé pendant une seconde. Si bien qu’il ne pensa pas immédiatement à ce qu’il était venu faire ici. Et lorsqu’il s’en souvint, Nethan avait déjà repris la parole. D’une voix timide et irrésistible, elle lui demanda :

- Dis… Je… Enfaite, j’ai un ami qui aimerait te voir… Pour te remercier de m’avoir protégée. Il est curieux à propos de toi. Tu penses que tu pourrais… Etendre ta communication pour l’englober ? C’est possible ?

- Je… Oui, sûrement mais pourquoi… Enfin, comment, pourquoi maintenant ? C’est qui cet ami ?

- Il insiste beaucoup, et il est très gentil, je suis sûr que vous allez bien vous aimer.

- Oui mais je ne le connais pas et…

- S’il te plaît ?

Il poussa un soupir résigné. Elle avait l’air tellement mignonne, tellement sincère dans ses propos… Comment pouvait-on résister à ça ? Et puis… Si cette personne ne lui voulait pas de mal, si c’était simplement pour la remercier… Alors pourquoi pas ? Il ne courait aucun danger immédiat. Mais tu dois la prévenir ! Non. Pas encore. Elle avait l’air sereine en ce moment, et même heureuse. De quel droit irait-il gâcher ce bonheur en lui parlant de choses inquiétantes. De choses qui n’étaient même pas avérées. Non. Il n’allait rien lui dire aujourd’hui. Il allait simplement étendre sa communication pour lui faire plaisir. C’était étrange, ce désir de lui faire plaisir.

            Il fit le vide dans son esprit et demanda à Nethan de penser très fort à la personne qu’elle voulait introduire dans la conversation. Contacter deux personnes en même temps n’était pas si simple. Cela demandait de l’énergie, beaucoup de concentration, et une grande précision de la part des personnes qui communiquaient. Au début, cela ne marcha pas. Jio aurait dû s’en douter. Cela faisait trop longtemps qu’il n’avait pas essayé d’accomplir ce genre de tour de passe-passe avec son pouvoir de communication. Il sentait un filet de sueur couler le long de son front et ses mains devenaient moites. Mais au bout de quelques essais, un deuxième fil apparut à côté de celui qui reliait Jio à Nethan. Ce fut d’abord par intermittence, comme s’il clignotait. Le lien apparaissait quelques secondes puis disparaissait avant que Jio n’ait pu le saisir. Mais il réussit finalement à l’attraper et la silhouette qui se trouvait déjà près de Nethan devint un être humain. Un homme assez petit et plutôt frêle, avec des cheveux blonds en bataille et des yeux d’ambre qui observaient le mage d’ombre derrière des verres de lunettes. L’homme devait être un peu plus âgé que lui. Et lorsqu’il parla d’une voix posée, ses lèvres s’étirant en un rictus sarcastique, ses yeux n’exprimant que méfiance et froideur, Jio le reconnut.

- Salut Jio : mon vieil ami.

Il en était sûr à présent, ce garçon, il l’avait connu. C’était cet ami qu’il avait abandonné, comme tant d’autres personnes avant. Ce garçon dont il avait tant dépendu, qui était devenu son seul soutien au moment où rien n’allait, ce garçon avec lequel il avait coupé le contact, il l’avait oublié, comme un déchet. Et aujourd’hui, il était là, devant lui. Il n’avait presque pas changé.

PRESENT : ELIJAH

            Elijah observait le visage de l’adolescent se déformer en une expression d’horreur et de stupéfaction. Il le voyait ouvrir la bouche, la refermer, secouer la tête en reculant, murmurant des « non, c’est impossible… » tout bas. Il le regardait et se délectait de ce spectacle, de la hantise qui se lisait dans le regard de ce jeune homme. Il avait toujours ces mêmes yeux noirs et effrayants, comme deux puits sans fond. Un regard qui vous hypnotisait, assez similaire à celui de Nethan. Ses mèches de cheveux étaient plus longues qu’avant et retombaient un peu sur ses yeux. Il avait grandi, bien sûr, et avait pris du muscle. Ce n’était plus cet enfant brisé mais un homme qui se trouvait là. Un homme qui venait de voir ses convictions s’effondrer. Un homme qui venait de tomber né à né avec un fantôme tout droit sorti de son passé. Cette pensée fit sourire Elijah. Et Nethan les regardait, tour à tour, avec une lueur d’incompréhension dans le regard. Evidemment qu’elle ne pouvait pas comprendre. Comment l’aurait-elle pu ? Elle n’était pas au courant du passé commun qu’il avait entretenu avec ce garçon. Il avait hésité à lui dire, mais à quoi bon ? Elle allait bientôt le découvrir par elle-même, de toute façon. Elle était tellement perspicace… Elijah poussa un rire sans joie, eut une envie étrange de sourire, puis lança avec un ton provoquant :

- Eh bien quoi ? Tu n’es pas content de me voir ? Je croyais qu’on était amis, non ?

PASSE : ELIJAH

- Bonjour Elijah !

La voix fit sursauter le jeune garçon et le médecin lui enjoignit peu aimablement de rester immobile pendant qu’il lui faisait passer les tests. Elijah acquiesça négligemment et se concentra sur la voix. Il réussit à parvenir jusqu’à l’endroit que son ami appelait « désert noir » et distingua nettement le garçon qui l’attendait en souriant. Il était à peine plus jeune que lui mais n’en portait pas moins les traces d’une vie mouvementée. Sa joue droite était ornée d’un bleu et sa lèvre inférieure était légèrement entaillée. Elijah lui sourit gentiment et s’approcha jusqu’à n’être plus qu’à un mètre de lui.

- Tu m’as fait peur, j’ai sursauté tellement fort que le médecin a failli lâcher mon bras.

- Désolé…

- Pourquoi tu m’as contacté ?

- Il y a des mercenaires qui m’embêtent à la guilde. Je ne suis pas assez fort pour m’occuper d’eux. Je ne sais pas quoi faire Elijah.

L’enfant avait baissé les yeux et, pendant un instant, Elijah crut voir, non pas un garçonnet de onze ans, mais une vieille personne d’au moins soixante-dix ans, fatiguée par la vie. Le jeune mage d’ombres avait un immense pouvoir, mais il n’était pas invincible. Et si plusieurs personnes s’en prenaient à lui, il se trouvait souvent démuni. Et pour contrer cette situation, il n’y avait qu’un moyen.

- Les mots. argua-t-il : Jio, je ne suis pas de nature violente, mais je peux te dire que les mots peuvent être une très bonne arme.

Le petit eut une moue interrogative. Il ne comprenait pas où Elijah voulait en venir.

- Arme-toi de ton meilleur jeu d’acteur et bluffe. Mens-leur. Ton formateur, ce Allisen Soll : tu avais dit que c’était l’un des premiers membres de la guilde, non ? Eh bien dis à ces personnes que tu es entraîné par Allisen Soll, dis-leur que tu ne veux pas leur faire de mal, mais que, s’ils insistent, tu leur montreras comment Soll t’entraîne.

- Et s’ils acceptent ce défi ? S’ils continuent à m’embêter pour voir si ce que je dis est vrai ?

- Alors sers-toi de ta magie. Rends-toi tellement menaçant que personne n’osera t’embêter. Et si vraiment ça ne marche pas, tu appelles ton amie, Maz. Elle a un pouvoir de la lumière d’après ce que tu m’as dit… Elle n’est donc pas limitée par les retombées dues à l’utilisation de sa magie. N’hésite pas à lui demander de l’aide.

Le sourire revint peu à peu illuminer le visage du jeune mercenaire, accompagné d’une lueur mesquine. Il poussa un rire.

- Merci Elijah ! Toi aussi tu peux me le dire si tu as un problème !

- Ne t’en fais pas pour ça. On est amis, non ?

Et Jio coupa la communication. Elijah l’aimait bien, ce garçon. Il s’identifiait un peu à lui.

PRESENT : ELIJAH

- Qu’est-ce que tu fais ici ?! s’exclama Jio dont la panique faisait trembler la voix : Pourquoi est-ce que tu es dans la communication ?!

- Tu étais d’accord pour m’y intégrer, non ? Mais c’est moi qui devrais te demander ce que tu fais ici, à jouer les sauveurs de demoiselles.

Cette pensée faisait enrager Elijah. De quel droit cet homme, ce monstre, osait-il protéger Nethan ? De quel droit contactait-il son amie ?

- Pourquoi tu es venu exactement ? Pourquoi Neth, pourquoi mon amie, à moi ? Tu as l’intention de devenir comme sa famille puis de la laisser tomber comme un vulgaire déchet ? De l’abandonner comme tu l’as fait avec moi il y a quatre ans ?

- Ne dis pas ça.

- C’est la vérité pourtant, non ? Tu nies avoir subitement cessé de me contacter ? Tu nies m’avoir ignoré lorsque j’ai hurlé ton nom dans ma tête, tu nies avoir rompu le lien spécial que tu avais construit pour que même moi je puisse de contacter ? Pitié Jio, ne joue pas la comédie. Arrête de mentir, pour une fois.

- Je ne voulais pas. Je ne pouvais pas garder le contact ! On m’a tellement surveillé après ma première tentative de fuite… Ils auraient tout de suite vu que quelque chose n’allait pas.

- Tu es vraiment pitoyable. J’avais espéré que tu me présenterais des excuses mais c’était trop demander, hein ?

- Qu’est-ce que… commença Jio.

Mais Elijah ne lui laissa pas le temps de terminer. Il ne voulait pas entendre ses excuses ou ses justifications. Il avait juste voulu lui dire ce qu’il avait sur le cœur. Il retenait cette rancœur en lui depuis tellement longtemps… Et même maintenant, sa colère contre ce jeune homme restait vive. Il n’avait pas envie de choquer Nethan. Alors avant de sortir de la communication, il se retourna et, adressant un regard dédaigneux à son ancien ami, il lâcha sa dernière phrase, comme une sentence :

- Je ne peux pas t’empêcher de contacter Nethan, et crois-moi, je le ferais, si je le pouvais. Mais avise-toi une seule fois de lui faire du mal, et je te promets que je trouverai le moyen de te rendre la pareille. Je n’ai aucune confiance en toi Jio. Je ne suis plus ton ami.

Et il s’en alla de la communication.

PRESENT : JIO

            Jio ne savait pas ce qu’il ressentait. Il oscillait entre la colère contre Elijah de ne pas l’avoir laissé s’expliquait, et un infime sentiment de culpabilité. Il aurait voulu rattraper le jeune homme, le retenir, et il aurait pu, s’il l’avait voulu. Mais il n’en avait pas le droit. Après tout, Elijah avait raison. Il n’était qu’un menteur, un lâche. Même Maz l’avait dit. Il avait toujours préféré fuir, toujours privilégié sa sécurité à ses amis. Toujours. Il ne sentit pas la petite main de Nethan se glisser dans la sienne car c’était impossible : ils n’étaient pas sur la même face. Ils n’étaient pas réellement ensemble. Mais il sentit que la fillette lui portait un regard intense. Alors il leva les yeux vers elle. Son visage était confus. Les reflets s’accumulaient dans ses grands yeux et elle semblait au bord des larmes. Ses lèvres restaient entrouvertes, les mots qu’elle voulait prononcer suspendus à ses lèvres. Jio se ressaisit soudain. Il n’était pas venu pour ruminer son passé, il n’était pas venu pour se disputer avec Elijah. Il était venu pour Nethan. Pour la prévenir. Il s’agenouilla et parla alors très vite car il sentait ses forces s’amenuiser depuis tout à l’heure et ne savait pas s’il pourrait tenir encore longtemps la communication.

- Nethan, écoute-moi très attentivement. Je sais que tu dois avoir des questions, que tu ne dois pas comprendre ce qu’il s’est passé, et je te promets que je te raconterai ça, mais pas maintenant. Maintenant, tu dois écouter et comprendre ce que je vais te dire. Tu te rappelles la personne qui t’avait attaquée ? (elle hocha la tête) J’ai essayé de savoir qui cela pouvait être. Je n’ai pas trouvé, mais je connais cette façon d’utiliser un pouvoir de l’esprit. Je ne me rappelle plus qui utilise sa magie comme ça, mais je promets de trouver son identité. Tout ce que je peux te dire pour l’instant, c’est que cette personne est dangereuse. Elle essaiera sûrement de t’attaquer de nouveau. Si c’est le cas, essaies de crier, comme tu las fait la dernière fois. D’accord ? D’ici un jour ou deux, j’aurai construit un lien qui te permettra de me contacter plus facilement. N’hésite surtout pas à l’utiliser !

- Mais je…

- Ne t’inquiète pas ! Et puis… Elijah te protègera. Euh… Je dois y aller maintenant. Au revoir, Nethan.

Il eut l’impression de fuir, en quittant la fillette si soudainement. Mais ce n’était pas pour toujours. Non. Il n’était plus comme avant. Cette fois, il n’abandonnerait pas la personne qui avait besoin de lui.

PRESENT : ELIJAH

            - Quelle relation entretiens-tu avec Jio ? demanda Nethan d’un ton ferme lorsqu’elle eut quitté la communication.

Elle était tout à fait déterminée à obtenir une réponse, Elijah le voyait, aussi n’essaya-t-il même pas de protester.

- C’était un ami. fit-il vaguement.

- Oh. Alors insulter un ami c’est ta façon de lui dire bonjour ? De lui souhaiter la bienvenue ?

- Mais qu’est-ce que…

- Tu lui es tombé dessus. Il n’a même pas pu se justifier !

Elle le défendait ? Elle le défendait ?! Lui ! Elijah n’en revenait pas. Il était en train de se faire réprimander par une fillette de dix ans. La fillette en question n’en avait visiblement pas terminé car elle reprit parole.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé, là, exactement ? Pourquoi vous vous êtes disputés ? Pourquoi tu m’as dit que tu voulais le remercier alors que tu ne l’as pas fait ? Tu savais que ce serait lui ?

- J’en étais presque sûr.

- Qui est cette personne par apport à toi ?! Tu as l’air de la détester et de l’adorer en même temps ! Dis-moi comment c’est possible ! Dis-moi comment tu as su qui c’était…

- Je… C’est un ami que j’ai eu il y a quelques années. Je l’ai beaucoup aimé. Et je l’ai aussi énormément détesté. J’avais des soupçons quant à son identité depuis le moment même où tu m’as décrit ton premier contact avec lui.

- Mais pourquoi tu n’as rien dit ?!

Elle élevait la voix et le jeune homme ne l’avait jamais vue comme ça. La porte de leur chambre était entrouverte et Elijah vit quelqu’un s’arrêter quelques secondes pour écouter ce remue-ménage intéressant.

- Je n’étais pas sûr de mes conclusions ! Je ne pouvais pas risquer de te dire un truc faux !

- Vous êtes exactement pareils, tous les deux. Vous voulez protéger ceux qui vous sont chers, et au final vous mentez, vous cachez des choses, vous jouez la comédie. Puis vous vous disputez pour savoir qui a abandonné qui, qui mérite d’être mon ami. Mais tu sais quoi ? Entre toi et Jio, je serais incapable de dire qui ressemble le plus à un enfant. Alors même que je connais à peine Jio et que je te connais depuis plus de deux ans. Parfois, j’ai vraiment l’impression d’être un adulte dans un monde d’enfant.

Elle se détourna et sortit de la pièce. Et ce faisant, elle n’avait pas l’air d’une enfant de dix ans, mais bel et bien d’une adulte. Elijah était remonté contre Jio. Mais alors pourquoi avait-il un goût amer dans la bouche ? Pourquoi avait-il l’impression qu’il avait fait quelque chose de mal ?