CHAPITRE 6

Par Smi

Il n’avait pas fallu trois semaines pour boucler les formalités du divorce; Catherine entendait bien conserver leur maison d’architecte et la garde des enfants. Son avocat et conseiller avait fait un travail remarquable et très professionnel tant sur le timing des opérations que sur le fond de l’affaire.

Ce dernier ne s’était pas contenté des éléments comptables chiffrés de  MBA que lui avait remis Martial concernant les comptes des trois dernières années établis par un cabinet d’expertise comptable.

Il avait lui-même missionné un cabinet d’audit pour évaluer la valeur commerciale du cabinet d’architecte. Et ce dernier avait mis en évidence la montée en gamme de la cité Girondine sous l’impulsion de son dernier maire. Ce dernier, candidat aux élections présidentielles, avait voulu sa pyramide du Louvre à lui et avait crée la cité du vin, véritable réussite qui attirait plus de 450 000 visiteurs par ans.

Des programmes très ambitieux étaient d’ores et déjà lancés sur la métropole et de multiples cabinets d’architectes étaient force de propositions. De nouveaux équipements importants étaient attendus dans les années à venir avec à chaque fois des choix architecturaux forts dont le nouveau pont sur la Garonne.

Fort de ces éléments irréfutables, le spécialiste en divorce avait vu les choses différemment du professionnel des chiffres.

Pour des raisons qui remontaient à la création de leur affaire et dont aucun des deux ne se souvenait à ce jour, la répartition des parts de MBA avait été faite à l’époque sur la base de 60 % du capital  pour Martial et 40 % pour Damien.

De tout temps, les deux amis avaient fonctionné comme s’ils étaient à égalité de droit dans cette affaire, tant au niveau des rémunérations que des décisions à prendre. Aucun des deux ne signait une affaire nouvelle sans l’accord préalable de l’autre. Aucun investissements ou embauches n’étaient réalisés sans un accord de principe des deux amis.

Grâce à ce mode de fonctionnement équitable, aucun différent professionnel n’avait terni leur collaboration ces vingt dernières années.

Cependant, les perspectives d’avenir  des deux amis commençaient à diverger. Peut être la lassitude commençait-elle à se faire sentir dans leur quotidien professionnel et chacun pouvait espérer une nouvelle vie à l’approche de la cinquantaine.

Minoritaire, Damien savait parfaitement que toute objection ou proposition qu’il ferait sur l’avenir du cabinet  serait in fine sanctionnée par la majorité au capital de son ami. 

« Ma cliente réclame une participation dans l’affaire MBA afin d’équilibrer ses avoirs immobiliers »

La phrase avait été lâchée froidement sur un ton monocorde comme un juge aurait pu une prononcer une sentence de prison à perpétuité sans appel.

Un silence absolu se fit dans la grande salle de réunion de l’étude Delviac.  Seul le plancher de bois émit un craquement, comme pour imposer solennellement les dires de l’avocat.

Autour de la table rectangulaire de style Louis XV, les invités avaient été appelé à prendre place quelques minutes plus tôt pour une première entrevue de séparation. Damien, en qualité d’associé de MBA avait également été convié.

Me Delviac s’était assis en bout de table pour présider et mener les discussions comme il avait l’habitude de le faire dans les cas familiaux les plus difficiles à traiter.

« Je vous en prie, Maître, développez » furent les mots timides du notaire après quelques secondes de stupéfaction, lui aussi pris au dépourvu.

Manifestement, l’avocat de la demanderesse avait soigneusement préparé son dossier et la facture de ses honoraires au pourcentage par la même occasion. Nul doute que ce dernier avait fait son calcul et savait dans qu’elle limite une proposition de participation au capital serait acceptable. Comme par magie, quatre exemplaires de sa proposition détaillée venaient déjà de prendre place sur la table face à lui et à ses interlocuteurs.

Me Delviac échangea un regard interrogateur avec ses deux voisins de droite, regard qui en disait long sur son incapacité à reprendre la main. Il fallait laisser l’attaquant avancer ses pions, ne pas perdre son sang froid et ne pas réagir précipitamment. Damien et Martial se retournèrent  l’un vers l’autre, l’un affichant un haussement de sourcil et l’autre une moue désabusée.

Sûr de son effet de surprise, le spécialiste en divorce commença à exposer ses arguments.

Au lieu de réclamer une soulte financière  pour compenser la valeur de leur résidence conservée par Catherine avec les 60 % de la valeur de MBA conservés par Martial, Catherine préférait un équilibrage via une prise de participation dans la société de son mari.

L’argumentation avait été aussi précise que rapide; l’homme de loi avait fait échec et mat en deux coups seulement. Amateur de jeu d’échec, ce dernier se réjouissait intérieurement d’avoir aussi facilement fait le mat du sot, ou mat du lion, cela dépendait de quel côté on regardait l’échiquier.

Martial, quand à lui, restait hébété et ne vit pas le léger sourire qui s’affichait sur le visage de son associé.

Après avoir adressé un léger signe de la tête au maître des lieux qui l’invita à poursuivre, l’avocat se tourna vers Martial en signe de défis et comme pour lui donner le coup de grâce :

 « Votre participation au capital de MBA passera de 60 % à 45 %, celle de madame sera de 15 %  et celle de votre associé restera inchangée à 40 % »

La messe était dite, fin de l’office.

Malgré les arguments avancés par Me Delviac dans la demi-heure qui suivit, rien ne parvint à contrecarrer  les arguments d’une telle proposition. En effet, le cabinet MBA était victime de son propre succès ; les belles affaires conclues ces dernières années et les récompenses obtenues attestaient d’une notoriété certaine.

Les deux associés pouvaient s’enorgueillir d’avoir obtenu des places d’honneur dans les plus prestigieux concours que sont la Grande Médaille d’Or et le Prix de l’Equerre d’Argent.

Le document que Martial avait sous les yeux affichait une valorisation de sa propre agence qu’il en resta muet. Il n’aurait pas  les moyens financiers de payer la soulte de manière immédiate ; il faudrait demander un étalement à son ex épouse, et l’affaire n’était donc pas gagnée.

Dans un état presque second, Martial répondit aux questions suivantes par de simples mouvements de tête quasi mécaniques.  A aucun moment son associé ne vint à sa rescousse de quelque manière que ce soit.

Tel un boxeur après un KO, Martial était dans les cordes  quand la réunion prit fin ; à peine se vit il signer les compromis de séparation et de cession des parts.

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