La nuit était tombée depuis bien longtemps. Heather devait dormir, mais mes certitudes s'envolèrent quand en m'arrêtant sur le seuil de la chambre, je la vis réveillée. Encore une nuit où elle ne trouvait pas le sommeil elle non plus.
— Quelque chose ne va pas ? lui demandai-je tout en sachant pertinemment la réponse.
— Je n'arrive pas à dormir, répliqua-t-elle, déstabilisée.
— Ce n'est rien ça.
— Je ne sais pas pourquoi... Ce n'est pas mon genre d'habitude.
Elle se releva et prit appui contre la tête de lit. Elle était désormais assise en tailleur sur le matelas. Ses traits étaient très tirés et ses cernes creusés. Son manque de sommeil était évident, en particulier sans maquillage.
— Ça arrive à tout le monde un jour ou l'autre, lançai-je comme pour la rassurer. Ça m'arrive assez régulièrement...
Malheureusement, ce n'était pas juste un jour ou l'autre, c'était pratiquement tous les jours que le sommeil était devenu mon pire ennemi, et ce, depuis des années. Comme n'importe qui, je m'étais adapté. Je savais que rien ne disparaissait.
— C'est bien la première fois que tu te mets dans la même catégorie que tout le monde, constata-t-elle.
— Plus ou moins...
Je m'assis à ses côtés, sur le lit. Elle me regarda longuement. Quelque chose semblait la gêner ou l'intriguer. Non, elle avait juste envie de me demander quelque chose dont elle ignorait quelle en serait ma réaction.
— Pourquoi tu me regardes comme ça ?
— Je peux essayer... de t'embrasser ? me demanda-t-elle, très intimidée.
— Tu n'es pas obligée de demander.
— Mais c'est bizarre sinon...
— Comme tu veux, mais tu as toujours mon autorisation.
— Tu ne devrais pas dire ça...
— En tout cas, tu as mon autorisation pour maintenant.
Elle tenta alors de m'embrasser, d'une manière très timide pendant un long instant. Ses lèvres se posèrent sur les miennes, essayant de caresser les miennes, mais c'était comme si elle évitait de me toucher au maximum. Elle semblait tellement gênée, mais c'était déjà mieux que les fois précédentes.
— Tu t'améliores, la complimentai-je sincèrement.
— Ça fait toujours bizarre quand même...
— Non, tu te fais des idées.
Elle regarda rapidement aux alentours, comme pour éviter mon regard. Visiblement, elle voulait me parler. C'était évident. Quand on ne trouvait pas le sommeil, on voulait absolument que ce désagréable moment passe le plus rapidement possible. Boire me semblait toujours la meilleure décision, au moins j'oubliais tout au fur et à mesure que les verres augmentaient.
— C'est comment de coucher la première fois ?
Je comprenais maintenant pourquoi elle avait hésité cette fois-ci. Heather était vierge. Du moins, c'était ce que je pouvais en déduire par cette simple question. Et c'était suffisant pour l'inquiéter.
— C'est particulier. Enfin, moi ça l'a été.
Elle fronça les sourcils. Elle n'osait pas demander, mais elle voulait en savoir plus. Elle semblait assez curieuse, quelque chose que j'approuvais peu chez les autres. Les gens curieux étaient mes pires ennemis, ceux qui ne survivaient que par le colportage de faits plus insensés les uns que les autres.
Son regard était de plus en plus pesant ou sa curiosité de plus en plus importante. Elle n'avait pas l'air de lâcher l'affaire. Je devrais me méfier de cette mauvaise habitude de sa part.
— Peu importe.
Son regard était de plus en plus oppressant. Elle devait s'imaginer ce qu'il ne fallait pas. Je mis tout de même court à ses pensées en prenant la parole :
— Je l'avais fait avec une femme plus âgée que moi. Elle avait de l'expérience, on peut dire ça comme ça. Mais c'était loin d'être déplaisant. Au contraire...
Elle se tut et m'écoutait attentivement. Elle n'avait pas envie de faire la moindre remarque insolente ou de me poser la moindre question. Non, elle voulait juste m'écouter. Elle voulait en savoir plus, comme n'importe qui, et évidemment, elle ne se souciait pas de savoir ce qui était vrai de ce qui ne l'était pas. Je m'en doutais. Elle était comme les autres.
— Tu ne couches pas forcément quand tu es prêt... Des fois c'est en étant le moins préparé que c'est le mieux, continuai-je plus ou moins sérieusement. Enfin bon, tu ne le sauras que par toi-même.
Elle se mordit brièvement la lèvre inférieure, mais ce geste ne semblait pas très naturel. Quelque chose lui déplaisait, mais quoi donc ? Elle ne tardait pas à me le révéler :
— C'est chiant la virginité.
— Évidemment.
— On nous rabâche toutes les conneries possibles à ce sujet, nous disant qu'il faut le bon ou qu'on ne le fait que lorsque l'on se sent prêt... Mais des fois, j'ai juste envie de m'en débarrasser... Pour me soulager d'un poids.
— Je suppose...
Elle prit une mèche de ses cheveux qu'elle enroula entre ses doigts. Elle n'avait jamais fait ça. Voilà une nouvelle de ses habitudes.
— Tu avais quel âge ? s'enquit-elle, toujours aussi curieuse.
— Seize ans, lui mentis-je.
Elle semblait plutôt surprise et pourtant, elle ignorait la vérité. Comme d'habitude.
— Ne prends pas mon cas comme un exemple, ajoutai-je d'un ton faible.
— Ce n'est pas ce que je comptais faire.
— Tant mieux alors.
Elle prit une brève inspiration et s'approcha lentement de moi pour m'embrasser passionnément, du moins, du mieux qu'elle pouvait. Je prolongeai son baiser bien plus intensément, essayant de la guider. Elle me suivait. Je lui pris sa main pour la déposer sur mon torse. Elle sembla hésitante, mais se laissa faire. Je posai ma main sur son cou. Puis nous nous arrêtâmes. Elle était haletante et totalement perturbée. Pourtant, elle s'était mieux débrouillée que jamais, elle s'adaptait à une allure exceptionnelle. J'en étais même impressionné.
— Si jamais tu as envie de coucher avec moi, dis-le-moi clairement, lâchai-je simplement.
Son regard était plongé dans le mien et elle était si hésitante à répondre. Elle avait vraiment envie de me dire quelque chose mais en était incapable.
— Sur ce, bonne nuit...
J'avais l'impression de voir une pointe de douleur et de peine dans ses yeux, mais je détournai rapidement mon regard et m'allongeai, fermant les yeux dans la foulée. Il était temps de dormir. Du moins, essayer de dormir...
*
Une autre journée tout aussi banale s'enchaîna. Toujours les mêmes affaires, les mêmes discours. Encore une journée qui ne deviendrait plus qu'un souvenir parmi tant d'autres. Rien de particulier à l'horizon. Je pouvais rentrer dès maintenant quitte à retrouver Heather. Quoique, j'étais persuadé que ça n'y changerait rien de rentrer tard. Elle devait s'y habituer.
Mes habitudes ne changeaient pas, ou du moins, n'étaient pas près de changer. J'étais retourné dans le même bar. J'hésitais encore à appeler la remplaçante de Jordana maintenant que ma maison était envahie. De toute manière, le résultat était le même, mis à part que l'un me coûtait moins.
De nouveau, j'agissais de la même manière. Une femme me remarquait, posant lourdement son regard sur moi. Comprenant qu'elle me désirait, j'allais lui faire savoir que nous avions les mêmes intentions.
Cette fois-ci, nous nous défoulions à l'arrière de sa petite berline. Elle s'agrippait à moi, prête à m'arracher la peau, à me faire saigner. Puis elle plaquait sa tête sur mon cou, je sentais sa respiration bouillonnante sur mon corps. Elle y prenait un sauvage plaisir, tout autant que moi.
Notre acte était plus bestial que romantique. Rapide et brusque. Sans la moindre discussion ou les moindres préliminaires. Pas d'engagement, pas de sentiments, pas d'amour. Juste quelque chose de défoulatoire et presque sans intérêt.
Évidemment, celle-ci, comme toutes les autres, espérait vainement me revoir. Elle voulait revivre ce torride échange encore et encore tout en profitant probablement de mon argent. Elle me donna son numéro que je jetai bien évidemment aussitôt.
Je n'avais pas trop fait attention à la suite des évènements. Probablement juste du sexe et de l'alcool. Parce que, après tout, je n'avais aucune limite pour le sexe. Quoique, ma seule limite était mes préservatifs. J'avais toujours peu de choses sur moi : mon portable, mon portefeuille et mes préservatifs.
Je pris un dernier verre avant mon départ. Le serveur me connaissait bien. Il me connaissait davantage pour mes pourboires plutôt que pour moi-même. Comme d'habitude, l'argent est roi.
En constatant l'heure tardive et le soleil ayant déjà disparu depuis longtemps, laissant place à cette oppressante lune, il était peut-être temps de rentrer. Il y avait Heather, certes, mais elle dormait.
En voiture, ce bar me semblait proche de chez moi. Pourtant, il était situé au centre de la ville tandis que ma maison se trouvait dans la périphérie. Je n'aimais pas la foule et je préférais vivre dans une maison plutôt commune, alors que je pouvais me payer le plus grand territoire de la ville.
Désormais à l'intérieur de ma demeure, je pouvais tenter de m'endormir. J'ignorais si Heather voudrait encore me forcer la main pour que je dorme à ses côtés. De toute manière, elle dormait sûrement et ne s'en rendrait pas compte, mais à chaque fois que j'avais supposé ça. J'avais tort. Je devais m'attendre à ce qu'elle reste éveillée.
Dès que j'arrivai à côté de sa chambre, mes soupçons se confirmèrent. Elle était assise sur le lit. Elle se releva immédiatement avec beaucoup de grâce et s'approcha de moi avec un brin de sensualité quand j'entrai dans la pièce.
Son maquillage était impeccable, discret, mais modifiait son regard en profondeur. Un simple trait d'eye-liner et du mascara pour ouvrir ses yeux.
Elle portait également une robe plutôt simple, assez près du corps d'un doux beige neutre qui soulignait sa taille et un gilet marron pour couvrir ses épaules.
Ses cheveux avaient repris leurs ondulations naturelles, donnant un léger volume à sa chevelure. Celle-ci mettait ainsi en valeur son visage qui était presque carré, voire rectangulaire.
Elle afficha un sourire insouciant et ses yeux changèrent soudainement, comme s'ils tentaient de me faire passer une émotion. Une émotion dont j'ignorais la nature bien évidemment ou encore les intentions.
Je la dévisageai une dernière fois. Elle avait l'air si innocente en ce moment.
— Tu ne dors pas ?
— Je t'attendais, rétorqua-t-elle accompagnée d'un sourire malin.
En effet, sa tenue me le confirmait. Sinon elle se serait démaquillée et aurait enfilé son pyjama. C'était ce qu'elle avait toujours fait jusqu'alors.
— Tu n'aurais pas dû, lâchai-je en le pensant vraiment. Je suis rentré plutôt tard.
— Peu importe. Je voulais te voir.
— Comme tu veux, déclarai-je, assez indifférent. Tu as quelque chose à me dire ?
Elle prit une brève inspiration, comme si elle voulait se donner du courage. Tous les membres de son corps commençaient à se raidir et sa respiration devint brutalement saccadée.
— Je veux bien... coucher avec toi, avoua-t-elle, faiblement.
Elle était hésitante et déjà toute tremblante. Elle agrippa les pans de sa robe, les resserrant dans ses poings tout en plaquant ses bras contre son corps.
Elle n'était pas prête, ça se voyait. Je le sentais.
— Tu en es sûre ? m'enquis-je pour m'en assurer.
— Dans le fond, je n'en sais rien, répliqua-t-elle en évitant mon regard. Mais si je ne le fais pas...
— Tu penses ne plus voir l'occasion se présenter un autre jour ?
— Je n'en ai aucune idée. Mais je me suis dit, peu importe...
Elle commençait à perdre ses mots. Elle s'inquiétait davantage de seconde en seconde. Bien trop innocente pour passer à l'acte.
— Ne te force pas, lançai-je d'un ton ferme.
— Je veux que tu me fasses l'amour... et avant que je ne change d'avis, tenta-t-elle d'affirmer du mieux qu'elle pouvait.
— Faire l'amour ? Dis-le clairement, baiser. Pourquoi se cacher derrière des mots ?
Elle se tut. Elle ignorait vraiment de quoi elle parlait. Elle ne pouvait franchir ce cap. C'était encore bien trop compliqué pour elle. Ses sourcils se froncèrent d'inquiétude brusquement et elle détournait son regard pendant quelques secondes.
Je m'approchai d'elle. Sa respiration devenait de plus en plus rapide et brusque. Son visage changeait de couleur pour arborer un rouge écarlate. Elle s'excitait déjà.
— Tu es loin d'être prête, ajoutai-je en voyant son malaise.
— Si ! riposta-t-elle, acharnée sans totalement y croire.
— Vraiment ? L'idée de coucher avec moi te répugne quand même un peu.
Je pouvais le sentir à sa manière d'être. Elle n'avait pas envie de coucher avec moi. Je le sentais, je le voyais... Tout en elle tentait de me repousser. Elle était excitée, mais se renfermait du mieux qu'elle pouvait.
— Je t'en prie Cole... Baise-moi, couina-t-elle, dépitée.
Il y avait quelque chose de doux dans sa voix qui m'affaiblissait, qui me donnait presque envie de céder. Mais je voyais bien que ce n'était pas le bon moment.
— S'il te plaît... Fais-le... mais promets-moi de ne pas être trop violent...
— Ne t'en fais pas, je sais m'y prendre, la rassurai-je d'une tendre voix.
— Et ne sois pas déçu si je ne suis pas comme il faut...
Elle me fixait de son regard envoûtant et je pris sa mâchoire dans ma main, sans dire un mot. Elle s'attendait probablement à ce que je l'embrasse, mais même ça, il y aurait quelque chose qui sonnerait faux.
— Ne couche avec moi seulement si tu en as vraiment envie, l'avertis-je froidement.
— Mais... j'en ai envie...
— Non, tu es juste curieuse, la contredis-je sèchement. Maintenant, tu ferais mieux de dormir. Repose-toi bien Heather.
Elle sembla déçue. Sa mine s'attrista soudainement et ses sourcils prirent une étrange tournure oblique. Elle tentait de me montrer toute sa peine à travers ses yeux abattus. Mon regard restait toujours aussi glacial. Elle n'allait pas m'attendrir aussi facilement.
J'avais compris la situation. Elle prévoyait vraiment de perdre sa virginité maintenant. Elle prévoyait, mais ne le voulait pas vraiment, sinon elle aurait trouvé quelqu'un d'autre. Je voyais bien qu'elle n'était pas prête.
Sans même lui laisser le temps de répliquer ou d'argumenter un quelconque point de vue. Je quittai la pièce. Discuter davantage était inutile.
Je finis la soirée sur le canapé, espérant que mes yeux finiraient par se fermer à cause de la fatigue. Je ne me rappelais même plus de ma dernière nuit tranquille, c'était sûrement dans cette vie passée que je m'efforçais d'oublier...
En essayant de trouver le sommeil, je laissais défiler le flux de mes pensées. Pourquoi j'avais refusé de coucher avec Heather ? Qu'elle soit prête ou non, je l'aurais fait... Quoique, ça aurait pu être du viol. Ça aurait été du viol, tout simplement.
J'abandonnais soudainement le cours de mes pensées. Ce qui se passait avec elle ne devait être qu'un consentement mutuel. Enfin, ça devait l'être...
T'en fais pas, ce n'est que le début. Ca va vraiment être le bordel hihi c: