Au fur et à mesure que les semaines passaient, Davvy reprenait conscience doucement. Un jour alors que Gabrielle veillait sur lui, il lui fit part du projet qu'il mijotait depuis des jours :
"Il faut que je m'en aille d'ici, que je retourne sur la terre ferme, loin de la Cité, loin des anges.
- Mais pourquoi ? Il y avait dans sa voix une note d'inquiétude, de peur. Tu vas de mieux en mieux. Repose-toi, tu vas bientôt guérir.
- Dans mes rêves je me vois avec des humains, j'ai une famille, des amis. Je le sais ! Qu'importe ce que peux dire El. Ceci est une vérité. Ici ce ne sont que des cauchemars. J'espère les comprendre une fois seul sur terre.
- En as-tu au moins parlé à El ?
- Dès qu'il vient me voir, je replonge toujours dans le trou noir. Dans ce cauchemar sans fin. Je veux partir, sans qu'il le sache. "
Les mots étaient prononcés : ce n'était pas tant partir loin des anges que fuir El qu'il voulait. « Parfois j'ai peur de lui, même si c'est mon ami. Je connais le pouvoir qu’il a sur moi. Sur vous aussi peut-être. J'ai besoin de ton aide, Gabrielle »
Disant cela, Davy compris qu'il risquait leur amitié entre El et lui, ainsi que celle de tous les archanges, et peut-être bien plus encore. Depuis que cette idée lui était venue entre deux errements dans ses rêves, elle ne le quittait pas : « Partir ». Même au milieu de ses cauchemars sans fin, il s'y raccrochait : « Fuir ». Comme la dernière preuve qu'il était bien vivant, que toute sa vie n'était pas qu'une simulation, qu'un simple rêve, qu'il avait encore un choix à faire.
" Gabrielle, je te promets que je reviendrais. Mais j'ai besoin de comprendre, de partir loin d'ici. Ramène-moi sur terre, s'il te plaît. "
* * * * * * *
Profitant de la nuit, elle l'avait porté, et s'était envolée. Le voyage fût paisible, les vents étaient apaisés, El ne devait sûrement déjà avoir connaissance de la fuite de Davvy. Gabrielle déposa Davvy sur la première terre en vue. Aride et sèche, le paysage qui la constituait était désertique. Seule une maison était accrochée à un flanc de falaise. Gabrielle le déposa devant l'entrée. Sa voix était feutrée, effacée, quand elle fit ses fit ses adieux à Davvy.
« Je ne pense pas que les autres anges te retrouveront ici. Quand tu voudras que l'un de nous vienne te chercher, dis notre nom dans le vent. Il nous transmettra le message. »
Puis elle se propulsa d'un grand coup d'aile loin dans la nuit noire. Davvy resta longtemps dehors, bien après que Gabrielle ne fut plus visible. Il essayait de savoir, si les sons d'ailes bâtant le vent étaient réels ou si son imagination lui jouait des tours. L'aube pointa qu'il n'avait pas bougé.
* * * * * *
« Mazadta falid ahmonach »
Davvy se leva d'un coup au son de la voix, le cœur battant. A moitié endormi, il n'avait entendu personne s'approcher. Paniqué, il cherchait frénétiquement à droite et à gauche, d'où la voix provenait. Une vieille dame se tenait derrière-lui, dans la pénombre, à l'entrée de la maison.
« Désolé je ne comprends pas votre langue. » Comme la dame ne le comprenait pas non plus. Il essaya de se faire comprendre par des gestes. La veille dame ne cherchait même pas à suivre ses gestes répétées, saccadés, et farfelus. Elle semblait concentrée, à la recherche de quelques choses, de quelques savoirs enfouis dans sa mémoire. Après plusieurs minutes de silence, elle reprit de sa voix déraillée :
« Et cette veille langue, la connais-tu ? »
« Oui, bien sûr je la connais. Il s'agit de la langue des anges ? Comment la connaissez-vous ? » Trop heureux de pouvoir se faire comprendre, Davvy emmêlait les mots.
La dame se contenta de secouer négativement la tête. Et d'un geste l'invita à rentrer chez elle. Si de l'extérieur cela ressemblait à une maison, à l'intérieur rien n'était moins sûr. Le plafond était à peine plus haut que Davvy. Les murs étaient réalisés à partir d'un mélange chaotique de pierre, de chaux, et de bois. La hutte n'était constituée que de deux pièces trop petites. La première, occupée par deux chèvres. Un âtre et un matelas de paille constituait le seul mobilier de la seconde pièce.
La différence était flagrante avec la Cité volante. Dans la cité, même les plus simples des matériaux étaient taillés avec harmonie, laissant passer la lumière de tous les côtés. Dans la maison les pierres n'étaient pas taillées. Mal positionnés des renforcements obligeait à se courber en quatre pour atteindre le feu. Les murs laissaient passer de multiples courants d'air, mais seules deux misérables fenêtres permettaient d'éclairer la maison. La maison elle-même était source de chaos, de mouvements. Les volets claquaient dès la moindre brise. Il arrivait que des pierres, tombant de la falaise, fasse voler en éclat telle ou telle partie du toit. La seule richesse de la maison était ce puit situé à proximité, plus en aval. L'eau y était claire et fraîche.
* * * * * * *
Avec le temps Davvy apprit que la langue qu'elle parlait n'était pas la langue des anges, mais une très vielles langue, oubliée de tous. Les différences étant minimes avec la langue des anges, ils réussirent à se comprendre. Elle s'appelait Sayida, et avait toujours vécu ici, ses propres enfants étant parti depuis longtemps à la grande ville.
Avec pour seule compagnie Sayida, le temps s'écoulait lentement. Mais ici, il coulait vraiment, et n'était pas figé. Au lieu de parcourir les vents, Davvy s'occupait dorénavant de rechercher les plantes que la veille dame lui avait montré. Elle même gérait les deux repas du jour, et allait de temps en temps au marché vendre quelques fruits sauvages dans la ville voisine. Parfois le soir elle chantait des chansons d'une voix mélancolique. Ces soirs-là, sans rien comprendre des paroles, Davvy pleurait en silence.
Cette vie-là dura des mois. Des mois qu’il n’oublia pas, qui restèrent profondément marqués dans ses souvenirs. Davvy s'aperçut un jour qu'il avait grandi. Sa tunique – dernier souvenir de la Cité – devenait trop petite. Sayida l'avait fait travailler à un potager. Bêchant la terre aride, matin et soir, tirant l'eau du puits, Davvy sentait que ses muscles se développaient également.
Un jour revenant du marché, Sayida l’informa de ce qui se passait en ville : « Ils te cherchent. Ils étaient là à la ville, annonçant à tous qu’ils recherchaient un enfant maudit. "L'enfant du diable" qu'ils disaient. Ah, c’est qu’il a un bon dos le diable »
Elle ne trahissait ni anxiété, ni peur, comme si ces nouvelles n'étaient qu'un simple commérage. Elle continuât :
« Elle aussi était là, elle te cherchait avec les autres.
- Elle ? Qui donc elle ?
- L'ange venue te déposer. Elle a indiqué que tous les croyants se devaient de leur donner les informations qu'ils avaient à ton sujet. Elle était très convaincante. Je ne sais pourquoi elle ne t'a pas livré.
- Que vas-tu faire ? »
Elle rentra dans la maison, déposer la viande achetée près du feu, avant de poursuivre :
« Avant leur arrivé, les gens priaient Dieu, maintenant ils prient les Anges. C'est plus facile à prier, on les voit. Si on voit on sait qu'il existe, on ne peut donc pas y croire. Croire nécessite qu'il y ait un doute. Moi je préfère encore croire et prier Dieu. » Sans un mot de plus elle continua de préparer le diner, s’activant au foyer.
Après cette discussion, Davvy fit plus attention au moindre mouvement dans les airs. Mais à part quelques oiseaux, rien ne semblait perturber les cieux. Il continuât alors ses travaux, s'occupant dorénavant de réparer la maison, bricolant les fuites du toit, bouchant les trous des murs. Ses bricolages ne rendaient pas la maison plus harmonieuse, mais au moins était-il ravi d'y améliorer le confort. Une façon de remercier Sayida pour son accueil.
Davvy essayait chaque jour de comprendre un peu plus ce qu'il était, qui il était. Chaque matin des brides de ses cauchemars se transformait pour reprendre la place qui était la leur : un souvenir. Il gagnait ainsi, un jour, une semaine puis un mois de souvenirs, de passé. Sayida restait souvent auprès de lui, quand il ressassait ses cauchemars. Sans parler, sans un geste, une simple présence humaine.
* * * * * * *
Sayida le secouait énergétiquement par les épaules, elle parlait calmement mais sa voix avait un ton d'urgence. Toujours embrumé de son sommeil, Davvy ne comprenait pas ce qu'elle disait. L'aube pointait à peine, d'habitude Sayida le laissait toujours dormir. Il se força à se concentrer, pour écouter la vielle femme.
« Ils arrivent, ils sont nombreux. Prépare-toi ».
Il vit alors par la fenêtre, au loin, ce qui aurait pu être un grand groupe d'oiseau. Mais là, maintenant, il devait s'agir d'un groupe d'anges. Venus pour lui.
« Dépêche, prépare-toi » répéta-t-elle.
Mais rien ne pourrait le cacher des anges. La terre était aride et sèche. Ni forêts ni grotte ne pouvait le cacher. Il courrait bien trop lentement, par rapport aux anges qui volaient. Davvy se résigna donc à la rencontre. Puisque rien ne pouvait le préparer à l'inévitable, il fit comme chaque matin, tout d'abord aller chercher de l'eau du puits. A peine était-il revenu avec les deux seaux remplis, qu'ils étaient arrivés devant la maison.
Il y avait une trentaine d'ange, menés par Gabrielle et Ratziel. Ils étaient équipés d'armes en tout genre : épées, hallebardes, cimeterres. Épée à la main, Gabrielle s’avança vers lui.
« Enfin nous te trouvons, suppôt de Satan. Après tout ce temps à te chercher, te voilà à nous. Viens donc affronter la Lumière du ciel.
- Gabrielle, ne me reconnais tu pas ? Je suis Davvy.
- Ah que si je sais reconnaître le fils du Diable. »
Arme au clair elle s’avançait vers lui, volant à près de deux mètres du sol. Davvy n'avait nul-part ou s'enfuir. Même la maison n'aurait pas tenu longtemps face aux anges.
« Arrête Gabrielle, je suis ton ami. C'est toi qui m’as amené ici, sur ma demande. J'ai vécu avec vous dans la Cité volante. J'ai vécu dans le sanctuaire du Livre. »
Mais rien dans le regard de Gabrielle n'indiqua quelle le reconnaissait. D'un coup elle se mit à foncer sur lui, l'épée prête à la couper en deux.
Sans force, abasourdis par son amie, Davvy ne tenta rien. Il se contenta d'un simple murmure :
« Souviens-toi, Gabrielle »
A ces mots, un doute passa sur le visage de Gabrielle. L'épée dériva entailla le bras de Davvy, au lieu de le couper en deux. La douleur le sortit de son état d’effarement. Il profita de l'hésitation de Gabrielle pour s'en fuir de quelques pas. Il commença alors à crier ses souvenirs de la Cité des Anges, avec les quatre archanges.
« Tous les six nous avons affronté tous les vents. Nous avons même conduit la cité en plein milieu des ouragans. L'un d'eux s'est même arrêté avant de s’effondrer dans l'océan. Nous sommes passés au-dessus de tous les sommets, et posés en plein milieu de l’arctique. Toutes les baleines nous ont saluées. »
Mais déjà Gabrielle s'était remise, et de nouveaux fonçait vers lui, s’apprêtant à le décapiter d'un geste clair et précis.
« Nous avons visités tous les vieux sanctuaires : des pyramides d’Égypte au temple de Bangkok. Les cités mayas n'ont plus de secrets vus le nombre de fois que nous les avons visités. »
Au dernier moment, trois anges interposèrent leurs épées, bloquant l'avancée de Gabrielle. Dès lors se fut une véritable bataille entre les anges. Davvy impuissant, continuait de réciter tous ses souvenirs de sa vie passé avec les anges, depuis son arrivé jusqu'à sa fuite aidée par Gabrielle. Les anges se battaient entre eux, changeant sans cesse de camp en fonction du poids qu’avaient les mots de Davvy sur eux. Par ses mots ils les forçaient à se rappeler, à se souvenir. Ceux qui se souvenaient le défendaient, et dès qu'ils oubliaient ils recommençaient à l'attaquer, défendu alors par d'autres. Seuls Gabrielle et Ratziel étaient insensibles à ces souvenirs. La bataille dura des heures, sans qu'aucun des camps, sans cesse mouvants, ne prenne l'avantage.
Il ne lui restait plus qu'un souvenir, la grande fête du Sephiroth. Celle où tous les anges l'avaient acclamé. Mais plutôt que de l'évoquer comme un simple morceau de son passé, il choisit de l'affirmer haut et fort. Après tout n'était-ce pas El, lui-même, qui l'avait proclamé.
« Je suis le Maphteach, hurla-t-il pour se faire entendre de tous. Je suis la clé qui vous ouvrira les portes de ce monde ! Il est écrit dans le livre "Seul le Maphteach pourra ouvrir les portes". Et c'est moi le Maphteach, Davvy. »
Dès les premiers mots les anges s'étaient arrêtés net, en plein combat, les armes tendus pointant les uns vers les autres. Ils étaient devenus immobiles, telles des statues. Puis Gabrielle bougea, lentement, suivi par Ratziel, et tous s'assirent, s'abreuvant aux paroles de Davvy, retrouvant leurs souvenirs enfuis.
Alors dans l'ensemble ce chapitre est excellent, j'aime beaucoup le fait que les anges l'aient oublié et le traquent et qu'il fasse appel à leurs souvenirs pour qu'ils ne le tue pas.
J'ai quelques remarques à faire quand même :
Peut-être un peu trop brusque la fuite à cause d'El alors que ce dernier avait toujours été présenté positivement. Après il suffit d'évoquer un peu plus la peur de Davvy à son encontre dans les précédents chapitres pour que ça passe naturellement.
Peut-être couper en plusieurs chapitres, par exemple l'annonce du départ à la fin d'un chapitre puis le récit dans un autre parce-que ça fait beaucoup à la fois alors que l'histoire prenait jusque là son temps.
Après dans l'ensemble j'aime beaucoup le retour sur terre et ce chapitre en général qui me rend très curieux.
Quelques fautes:
"A moitié endormie, il n'avait entendu personne s'approcher." -> endormi
"mais une très vielles langue, oublié de tous." -> mais une très vieille langue, oubliée de tous.
« Avant leurs arrivés, les gens priaient Dieu," -> leur(s) arrivée(s)
Merci pour le commentaire.
Concernant le changement très rapide, et mettre en place un peu plus tot une 'peur' de El; c'est un point que je réfléchis depuis quelques temps. Et je le ferais très certainement.
Il est vrai que je voulais un peu accélérer les choses, mais la rupture est peut-être un peu brutale. et l'idée de séparer le départ et le reste en 2 chapitres, me parait une bonne idée. Merci
Ravi que cela te plaise que la suite te plaise quand même (malgré ma réponse à ton dernier commentaire)
Merci pour les coquilles.
Davvy qui décide de retourner sur Terre et de fuir El -je n'avais pas remarqué la peur qu'il éprouvait pour l'ange-, sa rencontre avec Sayida, les mois qu'il a passé là-bas et enfin, cet affrontement avec les anges.
Je suis vraiment étonnée qu'ils le traitent comme le fils de Satan et que même Gabrielle ait oublié qui il était, c'est étrange !
Concernant la peur de El, j'ai essayé de montrer l'emprise qu'il avait, principalement dans le chapitre précédent, mais renforceraient certainement ce point.
Ah l'oubli ! C'est un point compliqué d'expliquer tout en gardant un point de vue assez proche du personnage - qui lui oublie...
Je donne quelques explications sur ces oubli, ou en tout cas une trame temporelle linéaire. Tu me diras si cela parait compréhensible, et répond aux questions le concernant.