Chapitre 6 : Échappée

Notes de l’auteur : Difficile, de poster un premier jet... Pardonnez-moi pour les fautes et les terribles répétitions probables !

La soirée se déroulait calmement. Sera était rentrée peu avant elles, et s'était mise aux fourneaux tandis que Masami allumait un feu dans le brasero. Sacha prenait des notes sur une ardoise numérique de poupée, silencieuse. Mélusine les rejoignit bientôt et attrapa une guitare parfaitement adaptée à sa taille dans les étagères. Elle se mit à jouer avec une justesse, voire un professionnalisme qui surprit Ethel.

"Toutes les fées sont conçues pour jouer de la musique", lui glissa Clo qui avait suivi son haussement de sourcils. Tout en parlant, elle illustra ses propos en attrapant une flûte qu'elle porta à ses lèvres avec grâce. Presque magiquement, la mélodie qui en sortit forma une subtile harmonie avec le son de la guitare, faisant flotter dans l'air une musique apaisante.

"Au début, on ne pouvait jouer que les morceaux pour mômes préenregistrés", précisa Sacha sans lever les yeux de son carnet. "Heureusement, Mélusine a trouvé le moyen de bidouiller le système pour qu'on puisse inclure des trucs un peu plus corrects, sinon je pense que j'aurais pas survécu ici… Elle doit être la seule à encore jouer les morceaux du set original."

Curieuse, Ethel se saisit d'une petite harpe et se concentra sur les sensations de ses doigts. Elle fit frissonner une corde sous la pulpe de son index, attendant que vienne une note, un début de mélodie, quelque chose… Strictement aucun son ne pointa le bout de sa note. Elle pinça une corde à tout hasard, qui rendit un son un peu de guingois. Mélusine la regardait d'un air intrigué et finit par interrompre sa mélodie. "C'est bizarre… Je ne t'ai pas encore fait la modif', mais tu devrais quand même être capable de jouer les morceaux de ta sélection de base…", fit elle en plongeant la main avec perplexité dans ses cheveux bouclés. C'était peut-être pour ça qu'elle n'avait pas terminé dans les rayons d'un magasin de jouets ? Si c'était le cas, elle serait ravie de se passer de ses talents musicaux. Elle reposa la harpe et se contenta d'écouter la prestation des deux autres.

Elle commençait à bailler lorsqu'elle se rendit compte que les autres ne s'apprêtaient apparemment pas du tout à aller se coucher. Masami venait de s'attacher les cheveux en une tresse serrée et finissait d'ajuster un sac-à-dos d'un rose assorti à ses cheveux. Clo avait cessé de jouer depuis un petit moment et ses yeux faisaient des aller retours anxieux entre elle et la fée qui se préparait méthodiquement. Sacha referma son carnet d'un petit claquement sec et se leva brusquement.

"Linda ? T'es prête?", lança-t-elle en direction des niches en hauteur. Dans un mouvement fluide qui fit fuser une pointe de jalousie chez Ethel, Linda surgit brusquement de l'obscurité épaisse qui s'étendait vers le haut et atterrit devant elles avec souplesse. Elle portait elle aussi un sac bien garni, et était chaudement vêtue. Elle opina du menton d'un air concentré. De toute évidence, elle était prête, même si Ethel se demandait bien à quoi. Soudain, un amas de tissu vola dans sa direction et elle ne put que tendre les bras pour réceptionner le sac que venait de lui balancer négligemment Sacha.

"Et toi, prête pour ta première mission d'échappée ? Il paraît qu'il te manque aucun morceau, alors je ne vois pas trop pourquoi on attendrait plus." Pour une fois, Ethel était bien d'accord avec elle. Elle avait hâte d'explorer plus avant la Fairy Factory. S'approprier un peu cet amas de métal, mieux comprendre ses arcanes pour mieux échapper à ce qu'on lui avait infligé. Et pourquoi pas le détruire de l'intérieur… Songea-t-elle sans oser l'exprimer à voix haute. Sacha repris son ardoise et lui expliqua brièvement en quoi consistait l'escapade de ce soir. Elle avait visé l'horaire de relève de l'équipe de nuit pour amener Linda jusqu'à la porte et lui offrir une ouverture pour s'échapper, puisque c'est ce qu'elle souhaitait. De toute évidence, cela faisait déjà quelques jours que l'opération se préparait en douceur. On lui expliqua que les planning changeaient chaque semaine, surement pour éviter toute tentative d'espionnage industriel. Ça n'avait pas dû être une mince affaire de récupérer les horaires de nuit de cette date précise.

Elle ouvrit le sac pour y jeter un oeil curieux et fut une fois de plus étonnée de l'ingéniosité déployée par les fées pour adapter le monde à leur taille. Un porte-clef lumineux avait été charcuté pour devenir une lampe de poche parfaitement apte à remplir sa petite pogne, et un fil de laine épais tenait lieu de corde, surement pour franchir certains passages compliqués. Quelques rations avaient aussi été emballées par Sera en cas de besoin. Elle referma sa malle au trésor pour écouter attentivement les explications de Sacha quant au déroulement des opérations.
Quand elles se mirent en route, il était minuit passé. Elle sentait encore la fatigue peser sur ses épaules malgré les jours de sommeil qu'elle avait accumulés, mais elle ne l'aurait laissé paraître pour rien au monde. Linda ne cessait de vérifier le contenu de son sac et de son manteau, visiblement nerveuse. Rien d'étonnant : Ethel avait été prévenue que les échappées pouvaient s'avérer dangereuses. Mieux valait ne pas se retrouver à la place des fées qui se faisaient attraper par la Fairy en train de voleter dans les couloirs…
Elle avait la sensation que jamais elle ne parviendrait à se repérer correctement dans les corridors officiels ou officieux qu'empruntait Sacha. Elle avait pourtant un bon sens de l'orientation, à l'origine, mais leurs déplacements s'effectuaient dans toutes les directions, grimpant dans les tuyauteries, rampant dans des conduits, s'introduisant dans des interstices à peine perceptibles… Elles cheminèrent comme ça une bonne heure, franchissant parfois ce qui s'apparentait fort à des gouffres métalliques en se laissant tomber sur des tuyaux qui les traversaient. Masami et Linda venaient alors en aide à Sacha et Ethel pour les sécuriser dans leur chute, puisqu'elles avaient des ailes fonctionnelles.
Au bout d'un moment, elles débouchèrent par un défaut d'un mur dans un couloir qui jouxtait la porte d'entrée principale. La seule et unique porte de sortie vers l'extérieur… Pour sécuriser les allées et venues, aucune entrée de service n'avait été pratiquée ailleurs dans le bâtiment. Et pourtant, les fées avaient cherché dans tous les recoins. Elles restèrent tapies dans l'ombre, guettant l'occasion dont aurait besoin Linda, et commencèrent les préparatifs.
Sacha et Masami sortirent de leur sac des petits récipients de plastique remplis de liquides étranges, ainsi que des morceaux de ferraille divers et variés. Elles les fixèrent à leur ceinture, prêts à être dégainés. Masami s'envola discrètement vers le plafond, et laissa bientôt descendre un fil de laine qu'elle avait sans doute -elle l'espérait du moins très fort - attaché solidement quelque part. Ethel sentit la tension monter d'un cran dans l'atmosphère. Masami resta tapie dans l'ombre du plafond, tandis que Sacha et elle commençaient leur montée laborieuse. Heureusement pour elle, Ethel était plutôt familière de ce type d'acrobaties. A peine quelques secondes après qu'elles aient atteint la poutrelle à laquelle était attachée leur point d'accroche, un pas lourd émit un tintement métallique le long du couloir. Un des employés s'apprêtait enfin à partir.

Au moment où il passait à leur portée, Sacha, Masami et Ethel lancèrent tous les projectiles à leur disposition loin derrière lui. Les produits préparés par Mélusine produisirent une pluie d'étincelles pailletées nimbées de fumée, alors que la ferraille provoquait un boucan de tous les diables. L'immense humain entièrement revêtu d'une combinaison en matière plastique indéfinissable stoppa net son avancée pour se retourner brusquement vers la source du bruit. Il se précipita en jurant vers les adorables paillettes qui le narguaient majestueusement, tandis que Linda s'élançait vers sa liberté, toutes ailes dehors. Un sourire s'esquissa sur le visage d'Ethel. Cette échappée facétieuse lui paraissait être un magnifique pied-de-nez à leur condition de fées. Ne manquaient plus que les cocktails molotov à paillettes, mais elle était certaine que c'était dans les cordes de Mélusine. Elle s'apprêtait à lancer discrètement une boutade à Sacha quand elle s'aperçut de l'expression catastrophée de cette dernière.

Les traits de son visage s'étaient entièrement décomposés. Une main se referma sur l'estomac d'Ethel alors que son regard se tournait lentement vers la porte d'entrée. Elle s'était bien ouverte vers la nuit d'encre piquetée de néons de l'extérieur, et l'employé de la Fairy qui devait sortir lui tournait pleinement le dos. Pourtant, quelque chose jurait affreusement dans ce tableau. Un autre ouvrier s'apprêtait à franchir la porte, très exactement 11 minutes en avance sur le planning millimétré que Masami et Sacha avaient établi. Le tableau se figea dans la rétine pailletée d'Ethel. Pendant quelques secondes, le monde s'arrêta de tourner. Linda était en plein vol, au beau milieu de l'embrasure de la porte. Ses ailes déployées dans les airs émettaient une lueur qu'on ne pouvait pas manquer. Pendant un instant qui sembla durer une éternité, Ethel crut pourtant que l'ouvrier n'allait pas remarquer sa présence. Elle retint son souffle alors que Linda continuait sa course vers la sortie à pleine vitesse, emplie d'une énergie désespérée. Sa gorge se serra à l'étouffer lorsque la main immense de la silhouette blanche se leva et se referma brusquement sur la petite fée. Il n'y eut aucune transition, aucune lutte, aucune émotion particulière exprimée par l'employé, et c'était encore plus terrible à voir. Il serra simplement sa main qui englobait le visage entier de Linda jusqu'à ce que sa tête s'écrase comme un vieux morceau de papier aluminium compressé. Ses jambes cessèrent de s'agiter frénétiquement, et ce fut fini. Il glissa la fée dans une des multiples poches à fermeture éclair située sur le devant de sa combinaison, libellée "déchets organiques", puis, continua sa route comme s'il ne s'était rien passé de notable. Ethel se laissa tomber sur la poutre silencieusement, vide de toute émotion. L'employé numéro 1 franchit à son tour la porte qui se referma derrière lui. Sacha serra les lèvres et amorça la descente sur le fil. Comme prise dans les fils gluants d'un très mauvais rêve, Ethel la suivit. Elle faillit tomber à plusieurs reprises tant l'image de la poigne se resserrant sans pitié sur la tête de Linda s'imposait sans cesse dans son esprit, recouvrant son champ de vision tout entier. Sacha craqua une allumette pour consumer le fil de laine qu'elle avait recouvert d'alcool en redescendant, méthodiquement, le regard fixe. Ethel sentait que la même image la rongeait. Sans un mot, Masami les rejoignit et elles disparurent dans l'interstice du mur qui les avait amenées ici. Ses jambes tremblaient lorsqu'elle parcourut en toute hâte le chemin inverse aux côtés des deux fées. Lorsqu'elles parvinrent au village, un échange de regard suffit à Sera et Mélusine pour comprendre ce qui était arrivé.
"Une chance sur trois", rappela Mélusine, on ne peut plus laconique. Clo eut ce soubresaut que Ethel commençait à reconnaître. Celui que son corps amorçait lorsque ses canaux lacrymaux torturés refusaient d'apporter à son esprit le soulagement que les larmes auraient pu lui prodiguer. Sera fit chauffer un breuvage odorant qui pouvait s'apparenter à du thé. Ethel eut la sensation que c'était un rituel atrocement régulier, au village.
Ce fut Clo qui rompit enfin le grand silence. "Partir, c'est un choix qui est tout sauf facile. Moi, c'est autant par lâcheté que par attachement pour notre petite tribu que je reste ici"
Sacha hocha la tête "On change de procédure à chaque fois, pour mettre toutes les chances de notre côté et ne pas leur laisser le temps de s'habituer. Mais ça reste toujours un pari. Toujours. C'était bien que tu vois ça avant de prendre ta décision."
Ethel resta muette. Ainsi, c'était bien un spectacle régulier. Pourrait-elle s'y habituer un jour ? Le voulait-elle ? Là encore, il semblait bien qu'on ne lui laisserait pas le loisir de faire un choix. Elle s'endormit ce soir-là avec l'image de la main gigantesque de l'employé de l'usine solidement vissée derrière ses paupières closes. Cela ne l'empêcha pas de sombrer dans un sommeil sans fond.

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Edouard PArle
Posté le 05/01/2022
Coucou !
Aïe, aïe pas cool la fin. C'était si sympa et chou jusque là^^ Au moins Ethel est prévenue, ça ne va pas être facile de s'en sortir.
"Et pourquoi pas le détruire de l'intérieur…" premières velléités de rebellions sérieuses, j'apprécie (=
"qui se faisaient attraper par la Fairy" ce serait intéressant, rien que pouvoir mettre des noms ou un visage sur cette mystérieuse organisation (et sur son ou ses chefs)
Mes remarques :
"toute tentative d'espionnage industrielle." j'accorderai plutôt avec espionnage ?
"une bonne heure comme ça," -> ainsi ?
Un plaisir,
A bientôt !
Marlène Goos
Posté le 08/01/2022
Toi qui voulait de l'action... :p Ahah oui, c'était un peu mon chapitre "ce monde est dur" ^^ Après coup, je me dis que je n'ai peut être pas tout à fait développé assez le personnage de Linda, vu que dans ma tête elle était destinée à mourir depuis le début... ?
Edouard PArle
Posté le 08/01/2022
C'est clair qu'il y a de l'action et ça ne me déplaît pas (=
"je me dis que je n'ai peut être pas tout à fait développé assez le personnage de Linda, vu que dans ma tête elle était destinée à mourir depuis le début... ?" Ah ouais ? Moi je fais souvent l'inverse, je développe au maximum les persos qui sont destinés à mourir, c'est mon petit côté sadique ^^
Marlène Goos
Posté le 08/01/2022
Ça peut m'arriver O:) Mais là je savais que je voulais qu'elle nous quitte très rapidement dans l'histoire, d'où le fait que je l'ai moins fait, et je pense qu'on s'y attache peu du coup. Enfin, c'était surtout pour illustrer une partie de l'univers donc ça n'est peut être pas trop grave...
Edouard PArle
Posté le 08/01/2022
je vois ce que tu veux dire (= en effet, si elle à une fonction illustrative ce n'est pas dramatique qu'on ne s'y attache pas^^
Poppy Bernard
Posté le 10/12/2021
Nooooon, Linda ! Si proche du but !
Encore une fois je salue le texte, pour un premier jet il n'est franchement pas répétitif et la plume est toujours de qualité (une petite coquille toutefois (ou un oubli?), dans les dernières lignes : "Elle s'endormit ce soir-là avec l'image main gigantesque de l'employé"
J'aime beaucoup la sororité qui existe dans leur groupe ; elles se soutiennent qu'importe le choix ( c'est d'ailleurs bien exprimé par Clo), ça fait plaisir !
Marlène Goos
Posté le 04/01/2022
Ahah quand je poste j'ai tellement tout le temps l'impression qu'il va y avoir des formulations atroces ! Mais bon, c'est le jeu que j'ai choisi :p Merci d'être si réceptive à ma plume ^.^ J'adore vraiment ton récit aussi, et je fais des émules autour de moi !
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