C'était une nouvelle voix, que je n'avais encore jamais entendue. Une voix sans émotion, claire, presque évanescente et pourtant… si impérieuse. Les lumières s'abaissèrent subitement et changèrent de couleur, plongeant le Cirque dans une atmosphère tamisée où le bleu se mêlait au rose, et cela parut même surprendre les deux Citadins en contrebas qui firent demi-tour, les yeux levés vers l'entrée par laquelle nous étions arrivés. Un brouhaha s'éleva parmi nous.
« Vous avez oublié le plus important. »
Je me retournai pour voir ce qu'ils regardaient tous. Un frisson parcourut la foule.
En haut d'un escalier, une femme toisait notre assemblée de toute sa hauteur. Regina semblait terrorisée et l'autre à ma droite ne paraissait pas très serein non plus.
Sa peau et de longs cheveux raides qui flottaient dans son dos étaient si clairs qu'ils reflétaient la lumière au point de donner l'impression d'en être la source. Une longue robe faite de voilages et d'étoffes sombres lui conférait un aspect immatériel.
Elle n'était pas très grande, mais les bijoux qui ornaient son corps, tels un carcan conçu pour ancrer cette silhouette fantomatique dans le monde physique, ainsi que la tiare alambiquée qui ornait le haut de sa tête, magnifiaient sa posture et achevaient de donner à l'entièreté de son être un caractère surnaturel.
Elle avança d'un pas vers le bord de la première marche. Elle n'eut besoin de rien d'autre pour voir notre assemblée s'asseoir d'un seul bloc. J'avais moi-même obéi par une forme d'automatisme primitif. Il n'y avait plus qu'elle, et rien d'autre qu'elle.
Elle avança encore mais son pied n'atteignit jamais la marche suivante. Elle descendit ainsi, lévitant à un bras du sol, sans le moindre effort, ses cheveux et les voilages de sa robe se confondant derrière elle en une traîne éthérée. Les deux en contrebas s'inclinèrent devant elle et ne se redressèrent qu'après un signe de tête de sa part.
Le silence solennel de tout à l'heure s'était mué en silence glacial, et le temps lui-même semblait s'être suspendu. Je sentais la terreur de Regina me contaminer progressivement. Ce sentiment qui flottait dans l'air, je le connaissais bien. Cette attitude, cette crispation, cette tétanie - cette attente du moment fatal. Ils se comportaient comme la proie sidérée qui rencontre son prédateur ultime.
Une fois en bas, l'apparition se retourna vers nous, parcourut notre assemblée du regard. Les deux autres Citadins se placèrent derrière elle, chacun d'un côté, droits comme un chien de guerre en position de garde.
« Vous n'avez pas parlé de l'accident. »
Elle ne les regardait même pas. C'était à nous, et nous seuls, qu'elle souhaitait s'adresser. Eux-mêmes ne semblaient pas savoir ce qu'elle voulait. Ils échangeaient dans son dos des regards circonspects - mais qui étaient-ils, à côté d'elle, pour oser exprimer la moindre interrogation ?
« Il y a eu un accident, oui … une Mort, parmi les vôtres. Un équipement précieux a été très endommagé. Des ressources ont été gaspillées. Un groupe entier aurait pu disparaître ce jour-là, et vous savez pourquoi ? »
C'était une question qui n'attendait pas de réponse. Elle la donna elle-même.
« Parce qu'encore une fois, les règles n'ont pas été respectées. »
Pour la première fois depuis qu'elle avait pris la parole, une émotion s'était invitée dans le ton de sa voix. Une forme d'agacement las.
« Je vais vous le dire une dernière fois. Un équipement qui est détruit, ça ne se remplace pas. Moins il y a d'équipements, moins il sera possible d'envoyer du monde récupérer des ressources. Moins il y a de ressources, moins on peut accueillir de monde. Moins on peut accueillir de monde, moins on peut récupérer de ressources - et lorsqu'il n'y aura plus assez de monde, qu'on ne pourra plus récupérer assez de ressources, alors le bouclier qui protège Citadelle, et la vie autour, tombera, et Citadelle tombera, et ce sera la fin de tout. D'ici, de dehors… et ce futur que tant d'entre vous, et avant vous, ont mis tant d'efforts à construire, n'existera plus pour personne. »
Elle marqua un silence, comme pour laisser à chacun le temps de peser le poids de ses mots. Elle n'avait pas parlé fort, malgré la technologie qui propageait sa voix. Elle n'en avait pas besoin.
« Et cela, Amisii, je ne peux le permettre. »
Elle resta immobile encore un court instant pour parcourir l'assemblée d'un regard intense.
Son attention se reporta sur un homme pas loin de moi dont, malgré la faible intensité lumineuse, je pouvais distinguer la carrure massive.
« Kiev du groupe F. »
Un faisceau lumineux venant du plafond l'illumina. L'intéressé se leva sans attendre, droit comme un i, le torse bombé, la tête droite.
Le regard de la femme s'attarda encore quelques instants sur la foule, avant de s'ancrer sur moi. Elle me fixa quelques instants qui me parurent durer une éternité, insondable, pénétrante. Je n'osai plus bouger, je respirai à peine. Elle était à plusieurs dizaines de cadavres de distance de moi et pourtant, son regard mauve-orange s'imprimait nettement dans mon esprit, comme si seuls quelques pouces nous séparaient. Je n'arrivais plus à réfléchir à rien, j'étais accrochée à ces yeux qui me dévoraient en silence. Ce fut bref, très probablement, car nul ne sembla avoir eu le temps de s'en intriguer, et, déjà, elle reportait son attention sur sa proie.
« Comme personne n'écoute les paroles, puisque les mots glissent sur vous, vous ne me laissez pas d'autre choix que de vous montrer. Regardez bien, Amisii, ce qu'il adviendra de celses qui ne respectent pas les règles. »
Il se mit à léviter à presque un cadavre au-dessus de nos têtes. Il se tortillait en gémissant mais ses mouvements donnaient l'impression qu'il était entravé et muselé par des cordes invisibles. La suite dégénéra rapidement.
« Kiev du groupe F, tu as tenté d'utiliser l'équipement de mission pour modifier ton Asnav et t'arroger des droits que tu ne mérites pas. »
Il flotta jusqu'aux pieds de l'apparition et s'effondra, raide. Elle le regarda à peine.
« Rivière ! »
Les lumières vacillèrent, nous plongeant dans le noir un court instant, et lorsqu'elles se rallumèrent, un nouveau Citadin se tenait sur la scène. Il nous tournait le dos, mais je le reconnus immédiatement.
Lui. L'ombre qui avait chassé les fantômes lors de mon arrivée. Celui qui s'était disputé ensuite avec celui qui m'avait donné mon Asnav et qui avait disparu. Il se tenait là, en bas, dans une posture fière, en silence. A eux deux, êtres suprêmes de Citadelle, ils éclipsaient le reste du monde.
Il souleva le cadavre sans aucun effort et le balança sur son épaule.
La femme s'adressa une dernière fois à nous :
« J'espère que cette fois vous ferez attention. Les règles sont essentielles à la survie. Si d'une manière ou d'une autre vous les enfreignez, je le saurai. »
Le dénommé Rivière lui tendit son bras libre. Elle vint s'y accrocher avec grâce en nous toisant une dernière fois, sans aucune émotion sur le visage. Les lumières vacillèrent à nouveau et lorsque tout revint à la normale, ils avaient disparu.
Bien bien, je ne sais que penser de ce chapitre !
On entre dans une autre dimension du dystopique, celle qui se rapporte au pouvoir sans limite sur la vie des autres. Mais cette "femme" (je ne sais même pas si on peut la qualifier ainsi, surtout) je me demande si elle est surtout là pour apporter la terreur, et si non, quel est son rôle dans tout ça.
Pour la scène d'exécution de Kiev, j'ai trouvé la transition un peu abrupte ("La suite dégénéra rapidement."). Je ne sais pas si cette remarque est utile en fait. Elle n'y serait pas, elle ne m'aurait pas manqué. L'exécution est assez silencieuse, on ressent un côté anodin de la part de cette femme, aussi ça casse un peu "l'ambiance" parce que dégénérer est un mot assez fort, on imagine la cohue.
Bref sinon le chapitre est vivant dans son ensemble, je m'interroge évidemment sur le coup de tonnerre ressenti par Lille et le pourquoi est-elle la seule à avoir ressenti quoi que ce soit.
Quelques remarques :
"Deux Citadins, debout, parés de belles tenues, d'or, de pièces précieuses et de technologie" -> je comprends que la technologie importe au bidonville, cependant, j'ai plus de mal de trouver l'intérêt de l'or ou de belles tenues. Ils vivent au jour le jour, alors en quoi est-ce important ?
"Les deux autres Citadins" -> pourquoi "autre" ?
Coquille :
" rien à voir ceux qui ambiançaient" -> manque avec"
À bientôt ! :)
Je vais retirer la phrase si elle donne un effet de cohue, et c'est vrai que ''show, don't tell''. Mon but était surtout d'avoir une scène d'introduction marquante pour ce personnage, qui est le personnage le plus important de l'histoire. C'est un personnage dont je veux vraiment arriver à faire ressortir le côté ''dans son propre monde avec ses propres règles'', qui déplace la limite entre le réel et le surnaturel et interroge sur la portée de la technologie, c'est la science qui conquiert petit à petit le paranormal et élargit les frontières du réel. C'est un personnage parfois impulsif, mais jamais gratuitement. Elle a un but et tout ce qui se met en travers de son chemin est rayé de l'existence. Les mots que tu emploies pour la décrire me vont 😁 pour la phrase c'était pour donner un avant goût du fait que une situation ''normale'' prend presque systématiquement des proportions titanesques dès qu'Elle est dans les parages. mais je pense qu'effectivement ne pas l'induire mais le montrer et le laisser simplement ressentir au lecteur serait plus efficace. D'ailleurs c'est un peu pareil pour Rivière (le gars qui apparaît a la fin etvque Lille avait déjà aperçu au chap3). Les deux jouent clairement pas dans la même cour que les autres que Lille a pu voir jusqu'à maintenant. Le prochain chapitre donnera plus de détails sur la vision qu'en ont les autres Vermines et l'organisation hiérarchique de Citadelle :)
Pour le prochain demi chapitre je préviens c'est un premier jet j'ai déjà identifié plein de trucs que je vais retoucher 😅.
Pour ''les deux autres'' c'est parce que Lille considère la femme comme une Citadine au même titre que les deux qui étaient présents au moment de distribuer les tablettes (Mumbai et Armenia).
Pour le coup de tonnerre et les ressentis de Lille, je pense qu'elle aussi voudrait savoir 😁. Mais promis à un moment tout sera dénoué !
Bref je vais retravailler tout ça merci encore 😊
J'attends que tu aies mis l'autre partie pour le chapitre suivant, je préfère lire un chapitre entier ^^
À bientôt !