Chapitre 6: L'absence et le désir.

Par Théris

- Avez-vous choisi une dame de compagnie ? 

La question était tombée quelques jours après le mariage. Orel, d’un tantinet curieux essayait de voir si sa femme s’adaptait bien à son nouveau rang. Aria quant à elle, était justement en train de s’adapter aux changements. Avant, elle était traitée comme une invitée. Désormais elle en était la maîtresse des lieux. Ce qui n’était pas rien. 

 

Aria amena sa tasse de thé à ses lèvres, la coupelle en dessous avant de prendre une gorgée, préparant sa réponse à son mari. 

 

-Pas encore, mais j’ai bien quelques noms en tête. répondit-elle avec assurance, un sourire aux lèvres.

-Quels sont-ils ? Peut-être puis-je vous aider ? suggéra-t-il. 

-Eh bien…Il y a la famille Tharanis, Karyst, d’Estrelune et Kallender, cita-t-elle en posant sa tasse de thé.

Orel caressa son menton d’un air pensif, comme s’il analysait les noms qu’Aria venait de citer.

-Ce sont toutes de vieilles familles de l’Empire. Je vois que Mère vous a bien conseillée. conclua Orel avec un sourire satisfait. Vous allez les convoquer ? 

-J’y compte bien. Et votre Mère effectivement, m’a fait communiquer quelques noms avec certaines indications. Je compte bien m’en servir. 

 

Aria avait longuement trié certaines familles. Celles qu’elle avait choisies étaient des familles réputées pour leur loyauté envers la famille impériale, mais aussi pour leur ouverture d’esprit envers les autres États. 

 

-La famille Tharanis a largement contribué aux échanges commerciaux avec Lysdor, tout comme la famille Karyst avec Zakar, commença Aria. Mais je ne peux me concentrer que sur l’aspect international…Alors il me semble que la famille Kallender est un bon compromis. 

-En effet…Le fils aîné, Klaud est assez connu pour être engagé dans des actes de charité ici comme ailleurs, approuva Orel. Sa sœur pourrait vous être utile.

Aria acquiesça avant de sourire.

-Il me tarde de les rencontrer. 

Mais une personne en particulier semblait revenir: Ishta Kallender. Aria ne voulait pas s’avancer, mais elle avait un bon sentiment pour cette jeune fille dont elle ne connaissait que le nom. 

Après avoir soigneusement rédigé chaque lettre destinée aux demoiselles de chaque famille respective, elle confia la tâche de les faire parvenir. Dorian, adossé à un mur adjacent l’observait en silence, mais un certain sourire en coin sur ses lèvres. Aria le remarqua et lui rendit ce sourire. 

 

-Dorian, quel bon vent vous amène ? demanda-t-elle à son encontre.

 

Dorian haussa les épaules et la salua d’une courbette simple. 

-Je passais par là, puis j’ai vu votre Majesté Impériale. 

-Vous passiez par là ? Ou bien m’espionnez-vous ? rectifia-t-elle avec un ton amusé. 

-Je n’oserai pas. Votre mari me tuerait. 

Aria s’éclaircit la gorge à la mention de son mari. C’était encore étrange pour elle de se dire qu’elle était mariée avec l’Empereur de Geloria. Et qu’elle était Impératrice. 

 

-Vous invitez les futures demoiselles de compagnie ? 

-C’est cela. Il est temps de m’entourer convenablement…À moins que vous ne postuliez ? 

 

Dorian s’esclaffa avant de secouer la tête. 

-J’ai bien peur que les coiffures et les potins ne soient pas de mon ressort. Je préfère laisser ceci à votre future dame de compagnie. 

Aria sourit d’un air satisfait avant de réajuster un pan de sa robe pour retourner dans ses appartements, Dorian lui emboitant le pas. 

- L’Empereur vous attend dans la salle du Conseil. annonça Dorian

Aria s’immobilisa et se retourna vers Dorian d’un air surprise. 

- Et c’est seulement maintenant que vous me le dîtes ?! couina-t-elle avant de presser le pas. 

- Ce n’était pas pressant ! répondit Dorian pour se dédouaner. 

Dans la salle du Conseil, Orel III était seul, penché sur des documents éparpillés sur l’imposante table de bois massif. L’atmosphère était silencieuse, seulement troublée par le froissement des parchemins.

Aria entra après s’être fait annoncer, droite, calme, puis le salua d’un bref signe de tête.
- Vous vouliez me voir ? demanda-t-elle avec un sourire.

Orel releva les yeux, lui rendant son sourire, puis se redressa lentement, s’appuyant contre le dossier de son fauteuil.
- Tout à fait. Je viens de m’entretenir avec les ministres. Je me demandais si cela vous intéresserait… d’assister à la prochaine séance ?

Aria haussa à peine les sourcils. La proposition n’était pas totalement inattendue. Après tout, elle était désormais Impératrice. Mais une chose était de porter le titre, une autre d’asseoir une réelle autorité.
Elle savait que la plupart des ministres restaient méfiants à son égard — peut-être même hostiles pour certains. Elle ne pouvait leur en vouloir : elle n’était ni issue de leur monde, ni formée à la politique impériale. Et pourtant, c’était à elle de les convaincre.

Un court silence s’installa, avant qu’elle ne réponde enfin, d’une voix posée :
- Je pense pouvoir y assister.

Orel hocha la tête, satisfait, croisant lentement les mains devant lui.
- Ne vous inquiétez pas, dit-il avec douceur, je serai là pour vous appuyer.

Aria baissa les yeux un instant, comme pour rassembler ses pensées.
- Ne pensez-vous pas que c’est… prématuré ? De me faire participer au Conseil des ministres ?

Un sourire en coin naquit sur les lèvres d’Orel.
- Peut-être. Mais vous avez l’étoffe de les convaincre.

Orel savait que c’était peut-être trop demander à sa femme - à peine mariée - d’entrer si tôt dans la fosse aux lions. Mais il en était convaincu : il était vital qu’elle montre à tous qu’elle était aussi indispensable que lui dans les prises de décisions.

- Quoi qu’il en soit, vous serez attendue au prochain conseil, dit-il plus doucement, sa main cherchant la sienne pour l’envelopper avec chaleur.

Aria sentit ses joues s’échauffer. Le contact de sa peau tiède — presque brûlante — sur la sienne restait un mystère auquel elle n’était pas encore habituée.

Ils étaient mariés, aux yeux de la Loi et de Dieu. Officiellement unis. Mais dans l’intimité… ils n’étaient pas encore ce qu’un couple impérial était censé être. Pas vraiment.

Elle se souvenait encore s’être préparée toute la soirée suivant la cérémonie, attendant, nerveuse, dans ses appartements, vêtue avec soin. Mais Orel lui avait simplement souhaité bonne nuit, s’était incliné, et l’avait laissée seule après un baiser sur la main.

Ne la désirait-il pas ? Dans le sens charnel du terme. Ou bien était-ce par galanterie ? Une manière de lui accorder du temps, de ne pas la brusquer ?

Elle n’en savait rien. Et cette incertitude l’étonnait plus qu’elle ne voulait l’admettre.

Aria leva les yeux vers lui et lui offrit un sourire doux, presque timide.

Pourtant… il serait mentir de prétendre qu’Orel ne l’attirait pas. Bien au contraire.

Peut-être correspondait-il — sans qu’elle ne l’ait formulé jusqu’ici — à ce qui lui plaisait chez un homme. Elle n’en était pas certaine. Ce qu’elle savait en revanche, avec une clarté nouvelle, c’est que sa bienveillance, sa retenue et cette forme de force tranquille l’avaient déjà profondément touchée. Peut-être même séduite.

Ce n’était pas un feu fulgurant. Plutôt une braise lente, nourrie par chaque regard, chaque geste mesuré. Et par ce respect qu’il lui témoignait, constant, presque désarmant.

Orel se leva, brisant le contact avec lenteur pour lui accorder une révérence et baiser sa main de nouveau.
- Je vous retrouve bientôt… Mon Impératrice.

Il quitta la pièce avec la même aisance tranquille qui, désormais, la désarmait davantage qu’elle ne voulait l’admettre.

Aria resta immobile un instant, les yeux fixés sur la porte qui venait de se refermer. Sa main encore tiède là où ses lèvres s’étaient posées.

Un frisson la traversa, léger mais réel. Il venait de l’appeler son Impératrice ?

Elle se surprit à espérer que la prochaine fois… il ne s’arrêterait pas à sa main.

Le grand salon des Tharnis, habituellement réservé aux audiences privées, avait été aménagé pour l’occasion. Les hauts rideaux cramoisis tamisaient la lumière de fin d’après-midi, plongeant la pièce dans une atmosphère feutrée. Quelques bouquets de pivoines blanches, ses fleurs préférées, avaient été discrètement installés. Aria avait expressément souhaité que la rencontre ne ressemble pas à un interrogatoire. Elle voulait jauger, observer, ressentir.

Assise sur un fauteuil à haut dossier, ni trône ni simple chaise, elle était flanquée de deux dames protocolaires. Sa tenue était sobre mais raffinée : un vert impérial qui faisait ressortir la clarté de son teint. Elle avait l’allure d’une souveraine… mais son cœur battait plus vite qu’elle ne l’aurait cru.

Un officier annonça la première arrivée :

- Mademoiselle Syra Tharanis, fille de Lord Alther Tharanis.

La jeune femme entra avec grâce. Chevelure sombre tirée en chignon sévère, port altier, regard franc. Elle salua d’une courbette précise, ni trop basse ni trop froide. Aria observa son maintien, sa manière de tenir les pans de sa robe. Syra avait la prestance d’une future ambassadrice.

Puis vinrent les autres.

-Mademoiselle Elyss Karyst, du Comté d’Evrel.
- Mademoiselle Orlane d’Estrelune.
- Mademoiselle Ishta Kallender.

Chacune marqua la pièce d’une aura différente : Elyss, douce et rêveuse, semblait avoir grandi entre les livres et les serres. Orlane, vive et plus loquace que les autres, osait croiser le regard d’Aria avec une lueur de malice contenue. Ishta, enfin… attira immédiatement l’attention de l’Impératrice.

Elle était vêtue avec sobriété mais goût, sa posture empreinte d’une assurance tranquille. Ses yeux, d’un gris clair presque brumeux, semblaient lire au travers des gens. Lorsqu’elle s’inclina, ce fut avec un naturel qui n’avait rien de mécanique.

- Majesté, dit-elle d’une voix claire.

Aria eut un très léger sourire.

Après quelques échanges de courtoisie, Aria prit le temps de poser une ou deux questions à chacune, sur leurs intérêts, leur conception du rôle de dame de compagnie, sur la manière dont elles percevaient la loyauté.

Elle voulait les entendre. Pas seulement leurs mots. Leur ton. Ce qu’elles laissaient échapper entre les lignes. Elle-même était douée à cet exercice. Néanmoins c’était plutôt intéressant de voir ces jeunes filles essayer de se démarquer des autres. 

Une fois la dernière candidate sortie, Aria resta silencieuse, les mains jointes. L’atmosphère de la pièce, redevenue calme, laissa place à sa réflexion. Elle savait déjà qui elle allait choisir.

Elle tendit la main vers la liste sur le pupitre à sa droite, entoura un nom… et appela son officier.

-Faites revenir Mademoiselle Kallender. Je souhaite lui parler seule à seule.

-Oui Madame, répondit l’officier se hâtant de rappeler Ishta. 

Quelques minutes plus tard, Ishta était de retour dans les salons. Cette fois, il n’y avait qu’elles deux: Aria et Ishta.

Ishta entra avec la même assurance tranquille, déposant un léger salut, plus intime cette fois.

Aria, toujours assise, la regarda dans les yeux.

-Mademoiselle Kallender, commença-t-elle d’une voix douce mais ferme, dites-moi, qu’attendez-vous de ce rôle ?

Ishta répondit sans hésitation, son regard droit et sans détour :

- Majesté, je souhaite avant tout être une présence digne de confiance, une oreille attentive, et parfois un conseil discret. Je comprends qu’être dame de compagnie ne se limite pas à l’apparat : c’est une alliance, une loyauté qui dépasse les mots.

Aria hocha la tête, impressionnée par la maturité dans cette réponse. Elle se voyait un peu en elle.

Puis, avec une curiosité teintée d’une pointe de vulnérabilité, elle demanda :

-Et... que pensez-vous d’une impératrice venue de Lysdor ? De celle qui doit désormais régner ici, à Geloria ?

Ishta la regarda avec douceur, comme si elle pesait chaque mot avec soin.

-Votre Majesté, Lysdor et Geloria ont une histoire complexe, et certains dans la cour regardent encore avec suspicion une impératrice venue d’ailleurs. Mais pour moi, vous êtes bien plus que vos origines. Vous incarnez une force nouvelle, un espoir. Je crois que vous avez le pouvoir de réunir ces deux mondes. Et je serai là pour vous soutenir dans cette tâche. 

Aria se sentit touchée par cette franchise.

- Et vous pensez pouvoir me soutenir face aux défis que je vais rencontrer ?

Ishta esquissa un sourire subtil.

-J’ai appris que la loyauté ne se mesure pas en fonction des honneurs, mais en fonction des épreuves. Je ne prétends pas être parfaite, mais je serai toujours à vos côtés.

Aria se redressa légèrement, sentant déjà ce lien fragile se tisser.

- Alors, Mademoiselle Kallender, bienvenue auprès de moi.

Ishta inclina la tête avec respect, consciente que cette phrase était plus qu’une simple acceptation. C’était le début d’une relation qui pourrait changer leur destin à toutes deux. 

Lorsque Ishta partit, Aria se laissa tomber dans le fauteuil pour prendre une grande inspiration. Pourtant, elle ne pouvait pas se permettre de se détendre trop longtemps. Une autre visite l’attendait : celle de sa belle-mère.

Un officier annonça solennellement :

- Sa Majesté Impériale Aria.

La porte s’ouvrit, dévoilant Amarielle, l’Impératrice Mère, occupée à broder avec une concentration tranquille.

Aria s’avança d’un pas assuré, mais respectueux, avant de s’incliner avec grâce.

- Mère, salua-t-elle.

Amarielle leva les yeux et observa sa belle-fille avec un mélange d’évaluation et d’approbation contenue. Depuis le mariage, et même un peu avant, elle avait vu cette jeune femme venue de Lysdor se transformer, gagner en force et en détermination. Et, contre toute attente, cela ne lui déplaisait pas.

- Aria, que me vaut cette visite ? demanda l’Impératrice Mère, son aiguille suspendue dans l’air.

- Je souhaitais vous annoncer mon choix pour ma dame de compagnie, dit Aria avec calme. Il s’agit de Mademoiselle Ishta Kallender.

Un fin sourire traversa les lèvres d’Amarielle, à peine perceptible.

- Ishta Kallender… Un choix judicieux. Loyale, discrète, et connue pour sa fidélité à l’Empire, confirma-t-elle doucement.

Aria sentit cette approbation comme un léger souffle de chaleur.

- Je voulais aussi vous assurer que je compte bien m’entourer de personnes dignes de confiance, reprit-elle. Pour affronter ce rôle qui m’est désormais confié.

Amarielle hocha la tête lentement, ses yeux pétillant d’un éclat mystérieux.

- Tu as mûri, Aria. Le pouvoir n’est pas seulement une couronne, c’est un fardeau. Mais aussi une force. Je serai là, si jamais tu as besoin de conseils.

Aria sourit, touchée par cette promesse à demi voilée.

- Merci, Mère. Cela signifie beaucoup pour moi.

Amarielle ne répondit pas tout de suite, mais posa son ouvrage pour ensuite regarder sa belle-fille. 

-Comment cela se passe-t-il avec mon fils ? s’enquit-elle

-Nous apprenons à nous connaître… C’est un équilibre fragile, mais j’ai confiance que nous y parviendrons. Orel est un homme honorable, patient.

Aria baissa légèrement les yeux, comme si elle se confiait pour la première fois vraiment. Elle n’avait personne d’autres à qui se confier…A part la mère de son mari. 

- Je… je ressens parfois un vide, une distance entre nous que je ne saurais expliquer. Ce n’est pas un manque de respect, ni d’affection, mais… Parfois j’aimerais que nos échanges soient plus proches, plus sincères, que le silence ne soit pas la seule manière de communiquer.

Elle releva la tête, le regard plus déterminé.

- Mais je sais aussi que tout cela prendra du temps. Je veux croire que cette intimité viendra, quand nous serons prêts tous les deux.

Amarielle soupira doucement, ses yeux cherchant ceux d’Aria avec une sincérité rare.

- Orel est un homme façonné par ses responsabilités, parfois c’est la distance qui protège autant qu’elle éloigne. Il ne montre pas encore tout ce qu’il ressent, mais cela ne veut pas dire qu’il ne t’aime pas. Parfois, l’affection se cache derrière les gestes les plus simples, presque imperceptibles.

Elle serra doucement la main d’Aria.

- Sois attentive à ces petits signes. Et surtout, ne perds pas patience. Le temps révélera ce que les mots taisent.

Elle se tut un moment avant de reprendre d’une voix emplie de regrets:

-Je l’ai élevé ainsi. Il était le seul héritier du trône. Je m’inquiétais de ne pas le voir marié, mais Dieu sait à quel point il m’a répété qu’il le ferait. 

Elle baissa les yeux, comme cherchant ses mots au fond d’un souvenir douloureux.

- J’ai voulu le protéger… Peut-être trop. Je pensais que la rigueur et la retenue le préserveraient des failles du monde. Mais parfois, en voulant forger un roi, on oublie de cultiver l’homme.

Amarielle releva la tête, un éclat de douceur dans le regard.

-Tu es la première à voir au-delà de ce masque. Sois patiente, Aria. Il apprendra à te laisser entrer.

Les mots de l’Impératrice Mère pesaient sur ses épaules désormais. Cette conversation l’avait tout de même soulagée, comme si, en partageant ce poids, un chemin un peu plus clair se dessinait devant elle. Aria se sentait prête à affronter les silences d’Orel, avec plus de compréhension et, peut-être, un peu plus de patience envers lui… et envers elle-même.

De son côté, Orel était de nouveau accaparé par les affaires de l’Empire, Dorian à ses côtés, un verre à la main dans ce petit office plus silencieux. 

-Ne devrais-tu pas être plutôt avec ton épouse ? suggéra Dorian. 

Orel posa doucement son verre sur la table, ses doigts serrant le cristal comme pour s’ancrer. Son regard se perdit un instant dans le vide, comme s’il cherchait à dompter un feu intérieur.
-Je préfère lui laisser de l’espace, Dorian. Chaque fois que je suis trop proche d’elle… ma concentration vacille, mes pensées se brouillent. C’est comme si elle éveillait en moi une tempête que je ne peux contrôler.

Il prit une profonde inspiration, les traits tendus.
- Je ne veux pas céder à cette tentation, pas avant d’être certain d’être à la hauteur. Mais… plus je la connais, plus je sens que ce mur que j’ai bâti autour de moi menace de s’effondrer.

Dorian l’observa, le visage à la fois amusé et sérieux.
-Troublé à ce point ? Le grand Empereur, vulnérable face à sa propre épouse. C’est une image que j’aurais aimé voir.

Orel esquissa un sourire triste.
-Elle est bien plus que je ne l’avais imaginée. Aria… ce n’est pas seulement une impératrice ou une alliée politique. C’est un feu qui brûle doucement, une force qui pourrait soit me consumer, soit m’éclairer. J’ai peur, Dorian. Peur de perdre le contrôle.

Il s’approcha un peu, baissant la voix, comme s’il partageait un secret intime.
- Je ne veux pas être cet homme qui se laisse emporter par ses désirs avant d’être prêt. Mais parfois, c’est ce qui rend la vie… tellement plus vivante.

Dorian hocha la tête, le sourire toujours présent, mais avec une touche de gravité.
- Jouer avec le feu peut coûter cher, mon ami. Mais sans brûlure, pas de lumière. Peut-être est-il temps d’embrasser ce feu, au lieu de le fuir.

Orel resta silencieux, le poids de ses pensées palpable dans l’air. Puis, lentement, il murmura:
- Peut-être que demain, je cesserai de fuir.

Après le départ de Dorian, Orel resta un moment immobile, le regard fixé sur son verre presque vide. La pièce était silencieuse, mais dans son esprit, un tumulte grandissait.

Il ne s’était jamais attendu à ce que ce mariage bouleverse autant ses certitudes. Aria… Elle n’était pas seulement une alliée politique, ni une figure de cour à épouser pour l’image. Elle était une énigme dont il avait essayé de décoder sans y parvenir. Une force douce, et pourtant indomptable.

Il pensait la connaître, à travers les récits de sa famille, les apparences qu’elle montrait à la cour. Mais depuis quelques jours, chaque regard échangé, chaque sourire retenu ou esquissé lui ouvrait un abîme d’émotions qu’il ne maîtrisait pas.

Il craignait de se perdre dans ce feu qu’elle allumait, cette tension délicieuse et frustrante entre eux. Orel n’avait jamais été un homme d’élans désordonnés, toujours prudent, toujours calculateur. Mais avec elle, tout semblait déséquilibrer ses repères.

Il se demanda si elle ressentait la même solitude, cette distance invisible qu’ils maintenaient l’un envers l’autre, par peur ou par habitude. Il voulait être proche, vouloir l’aimer pleinement, sans retenue. Mais la peur de décevoir, de perdre le contrôle, le retenait.

Alors il souffla, posa ses mains sur la table, et se promit de ne pas laisser l’incertitude les consumer. Ils avaient un empire à gouverner… et un mariage à bâtir.

Ce soir-là, après le dîner partagé dans leur salle privée, Aria s’était retirée dans ses appartements. Elle avait pris le temps de faire relâcher ses cheveux, défait les épingles et brossé doucement les longues mèches sombres devant son miroir. La robe quittée, elle n’avait conservé qu’une robe de chambre légère, en soie ivoire, attachée à la taille.

Un coup léger fut frappé à la porte. Elle se redressa, intriguée.

-Entrez, dit-elle avec prudence.

C’était Orel. Il se tenait dans l’embrasure de la porte, plus détendu que d’ordinaire, la cravate défait, son manteau impérial laissé ailleurs.

- Je ne voulais pas dormir sans vous avoir souhaité bonne nuit, dit-il simplement.

Elle se retourna vers lui, surprise par la sincérité tranquille dans sa voix.

-C’est… aimable, répondit-elle, un peu déstabilisée. Vous pouvez entrer, si vous le souhaitez.

Il s’approcha lentement, observant la pièce, puis elle. Ses yeux s’attardèrent une seconde sur la courbe nue de son cou, sur la soie à peine froissée contre sa peau.

- Est-ce que je vous dérange ? murmura-t-il.

-Non, souffla-t-elle.

Un silence s’installa, doux et tendu. Puis, elle ajouta, dans un souffle presque moqueur :

-Vous auriez pu frapper ainsi la nuit de nos noces.

Un sourire un peu coupable effleura ses lèvres.

- Je l’ai envisagé. Mais je ne voulais pas… m’imposer. Pas avant que vous soyez prête.

Aria baissa les yeux un instant. Puis elle s’approcha, lentement, jusqu’à ce qu’ils soient à une respiration l’un de l’autre.

- Et si je l’étais… maintenant ?

Orel la contempla longuement, comme pour être certain qu’il avait bien entendu. Puis il leva la main, très lentement, et effleura sa joue du bout des doigts.

- Alors je vous jure… que je ferai preuve de toute la patience, toute la douceur… que vous méritez.

Elle ferma les yeux sous le frisson du contact. Et cette fois, quand ses lèvres frôlèrent les siennes, elle ne recula pas.

Elle ne recula pas.
Le souffle d’Orel effleurait sa peau, aussi tiède et troublant qu’une caresse. Il restait encore là, suspendu à quelques millimètres de ses lèvres, comme s’il attendait un second consentement.

Alors, c’est elle qui s’approcha. À peine. Le contact fut léger, une simple pression douce, incertaine, mais réelle. Il répondit aussitôt, lentement, presque avec retenue, comme s’il craignait de la briser.

Leur premier vrai baiser n’était ni passionné ni emporté : il était dense, silencieux, plein d’une émotion contenue, chargée de promesses fébriles. Lorsqu’ils se séparèrent, leurs fronts restèrent collés un instant.

- Aria…, murmura-t-il.
- Oui ?

- J’ai passé des semaines à me dire qu’il fallait te laisser du temps. Que ce mariage n’était pas… ordinaire. Que tu méritais mieux qu’un homme qui s’impose sous prétexte de titres.

Elle posa une main sur son torse, là où son cœur battait fort. Sa voix était douce. Elle n’avait même pas remarqué le ton plus intime, le fait qu’il l’appelait par son prénom, qu’il avait délaissé le “vous” pour le “tu”.

- Ce mariage n’est pas ordinaire. Mais il n’est pas sans espoir non plus.

Orel posa ses mains sur ses hanches, l’attirant un peu plus près. Aria leva les yeux vers lui, troublée de sentir son propre corps réagir si vivement à ce simple rapprochement.

- Je te désire, Aria, murmura-t-il enfin, sans détour, sans artifices. Mais je ne veux pas que tu viennes à moi par devoir. Je veux que ce soit ton choix.

Elle hocha la tête. Et dans un geste mesuré, presque solennel, elle dénoua elle-même la ceinture de sa robe de chambre. La soie glissa de ses épaules et tomba lentement, révélant la douceur de sa peau, la fragilité nue d’un instant offert. Ce n’était pas un abandon. C’était une déclaration silencieuse.

Orel ne bougea pas tout de suite. Il posa simplement les mains sur ses bras nus, les remontant lentement jusqu’à ses épaules, dans une caresse attentive.

- Es-tu certaine ? demanda-t-il une dernière fois. Si je reste…Je ne partirai pas. Et je ne promets pas d’être raisonnable. 

Elle acquiesça. Et dans ses yeux, il lut à la fois la peur, l’envie, et cette confiance précieuse qu’elle lui offrait. 

-...C’est précisément ce que je souhaite, lâcha-t-elle dans un souffle plein d’audace et pourtant timide. 

Alors il l’embrassa à nouveau. Cette fois, sans distance. Le baiser fut plus profond, plus audacieux. Ses mains glissèrent dans son dos avec une lenteur fiévreuse, éveillant chaque parcelle de peau sur leur passage. Il la porta avec une facilité déconcertante jusqu’à son lit, où il la déposa avec une délicatesse presque sacrée. Leurs souffles se mêlèrent, les gestes se firent plus assurés, leurs peaux se retrouvèrent, cherchant une langue commune, faite de soupirs, de frissons, de silences brûlants. 

Le reste se déroula comme un murmure entre deux âmes qui s’étaient longtemps frôlées sans oser se toucher. Deux personnes qui ne s’étaient jamais avouées l’une à l’autre. 

Cette nuit-là, ils n’étaient plus l’Empereur et l’Impératrice.
Ils n’étaient plus les représentants d’un Empire.
Ils étaient simplement Orel et Aria. Et ce fut suffisant.

La lumière pâle du matin filtrait à travers les voilages diaphanes, baignant la chambre d’une clarté paisible. Le feu dans l’âtre s’était éteint depuis longtemps, ne laissant que la chaleur diffuse des draps encore froissés.

Aria ouvrit lentement les yeux, le souffle encore bercé par le sommeil. Pendant un instant, elle ne bougea pas, savourant cette étrange sensation : celle d’un matin différent. D’un matin où rien ne pressait, où le silence n’était pas pesant, mais doux. Apaisant. Mais surtout, un matin où elle n’était pas seule.

À côté d’elle, Orel était déjà éveillé.

Il la regardait.

Sans rien dire. Sans la troubler. Il l’observait comme s’il essayait de graver chaque détail d’elle dans sa mémoire. Ses cheveux en désordre, son épaule découverte, la courbe paisible de son visage endormi. Quand elle croisa son regard, il ne détourna pas les yeux.

- Bonjour…, souffla-t-elle dans un murmure encore embrumé.

- Bonjour, répondit-il de cette voix grave, rauque du matin, qu’elle n’avait encore jamais entendue aussi proche.

Elle esquissa un sourire, un peu timide. Lui aussi.

- Tu es resté, dit-elle, comme une constatation. Pas une question.

Il hocha doucement la tête, se redressant légèrement sur un coude, le drap glissant de son épaule musclée. 

- Je n’allais pas partir. Pas après ça.

Aria détourna un instant le regard, son sourire s’élargissant malgré elle. Elle sentait encore la trace de ses mains sur sa peau. Non pas en geste, mais en mémoire.

- Tu n’as pas froid ? murmura-t-il, visiblement inquiet de son bien-être.

- Non. Il fait chaud ici.

Il tendit la main, effleurant ses cheveux en arrière, avant de la laisser glisser doucement sur sa joue. Ce simple geste lui noua la gorge.

- Tu regrettes ? demanda-t-il soudain, apeuré d’avoir peut-être gâcher cet instant crucial. 

Elle fronça légèrement les sourcils, comme surprise par la question.

- Non. Et toi ?

Orel baissa les yeux un instant, puis revint plonger son regard dans le sien, plus tendre qu’elle ne l’avait jamais vu.

- J’aurais voulu avoir le courage de te rejoindre plus tôt. De te montrer que je te désire.

Elle tendit la main à son tour et noua ses doigts dans les siens.

- Tu es là maintenant. C’est tout ce qui compte.

Ils restèrent ainsi un moment, liés par le silence, par ce calme inhabituel qui s’était tissé entre eux. Rien ne semblait devoir les interrompre. Pas de conseillers, pas d’officiers, pas de cérémonies.

Rien que ce matin volé.

Alors, doucement, elle se rapprocha, glissa son visage contre le creux de son épaule, son front contre sa clavicule.

Et dans cette étreinte simple, évidente, ils se rendormirent un peu. Le reste pouvait attendre. 

Plus proches. Enfin.

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adelys1778
Posté le 13/07/2025
Oh my god !!!! QUEL CHAPITRE ! Mon petit coeur a explosé !! C'était vraiment super plaisant à lire et j'attends la suite toujours avec impatience ! Continue comme ça, tu as une fan (exaltée ahaha) !
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