Chapitre 6, L'Action, la Vérité et le Verre de Rhum

Par Melau
Notes de l’auteur : Bonne lecture ! en espérant que ce chapitre vous plaise :)

Tout autour d’eux, l’espace infini s’étendait, ancestral. Le fou rire déclenché par la remarque de Richie avait eu l’avantage de détendre l’atmosphère et de délier les langues. Dans le vaisseau, plus personne ne parlait de meurtre, de police et encore moins de martiens. Loin les Grassier, loin le poison, loin la fille-morte-mais-peut-être-en-vie. Le seul vestige qui leur rappelait leur mission – désormais absente de tous les esprits – était le-tout-nouvel-insigne-qui-brille sur la poitrine de Maggie. Le pilote avait abandonné son poste. Le pilote automatique faisait tout à sa place. Richie avait alors appris le prénom de chaque personne à bord : Magalie – le lieutenant aux jambes interminables –, Léopold – le petit bonhomme aussi bizarre physiquement que mentalement qui ne manquait pas une occasion de l’emmerder –, et Grégoire – surnommé Greg, qui ne parlait quasiment jamais mais qui, quand il prenait la parole, trouvait toujours le mot parfaitement adapté à la situation. Avec ces personnes toutes différentes, venant de tout l’univers, Richard se sentait étrangement à son aise. Il savait qu’il pouvait emmerder le lieutenant jusqu’à l’énervement. Il avait bien compris que Léopold était le genre de gars qui aimait bien rire, et ce surtout aux dépends des autres. Et finalement, Richie pensait que Greg était quelqu’un de simple, qui ne se prenait pas la tête, et en qui on pouvait avoir confiance. Et dire que quelques heures plus tôt, il s’apprêtait à bouffer des lasagnes brûlées qu’il aurait fait passer avec une bière bon marché. Lui, la seule chose qui lui rappelait la Terre, c’était la tenue qu’il portait. Richie se promit de changer de fringues à la première occasion.

« Venez, venez ! »

Léopold le brigadier faisait de grands gestes à MacHolland depuis l’autre côté du vaisseau. Richard se demandait bien où il voulait qu’ils aillent, mais ne voyant plus ni Grégoire ni Magalie, il se dit qu’il devait y avoir une sorte de pièce cachée. Il n’avait pas tout à fait tort. Lorsqu’il eut rejoint le petit bonhomme, ce dernier s’abaissa dans une révérence en lui priant de passer et de pénétrer à l’intérieur. La formulation ambiguë ne fit pas sourire Richard : vu l’heure qu’il était sur la planète bleue, il aurait déjà dû « pénétrer à l’intérieur » - soyons clairs, l’intérieur d’une femme, pas d’une pièce. Et cette idée le rendait particulièrement maussade. Peut-être même qu’il se serait fait deux femmes ce soir : après tout, Jenna voulait fêter quelque chose non ? Après qu’elle se soit endormie, Richard se serait rhabillé et aurait quitté la maison, direction le bar où il aurait pu faire la fête à une petite jeune. Il s’en lécha les babines. Se rendant compte de son geste, de ses pensées, et surtout de ce qui se passait sous sa ceinture, Richard souffla un bon coup. Il n’avait aucun moyen d’épancher sa soif de plaisir, il devait se faire à cette idée. Sans se préoccuper de ce qui se passait dans son caleçon, Richie entra dans ce qu’il pensait être une petite pièce. C’était bien le cas : jusqu’à ce qu’il remarque un petit escalier et l’absence des deux autres membres de l’équipage. Richard n’attendit pas l’aval de Léopold pour grimper. Trois marches - et un désir à plat -  plus tard, l’architecte retrouvait le lieutenant et le pilote. Le brigadier, lui, ayant du mal à suivre le mouvement, se trainait tant bien que mal dans les escaliers, essoufflé. La remarque passa les lèvres de Richard comme le venin d’un serpent :

« Allez mon bœuf, tu vas pas clamser ici quand même ? Bon, au moins y aura pas de meurtre à résoudre, déclara Richard. Puis, réagissant au regard noir que lui avait lancé Léopold, il ajouta : Cause du décès ? Un cul à trainer aussi lourd que la connerie qui l’habitait. »

Derrière eux, Grégoire étouffa un éclat de rire tandis que le visage de Maggie se rembrunit. Pour elle, l’unité d’une équipe tenait à l’entente de chacun de ses membres. Le comportement de MacHolland envers son brigadier – et vice-versa – l’inquiétait. Elle ne se voyait pas faire la police entre les deux hommes-enfants alors qu’elle devait déjà être policière à plein temps pour résoudre un meurtre. Il fallait régler cette situation au plus vite, mais elle n’avait aucune idée de comment s’y prendre. Le lieutenant se racla la gorge, rappelant ainsi à l’ordre son brigadier dont le sourire mourut aussitôt. Il rejoignit le reste du groupe, se tint droit comme un I – ou un D, si on prenait en compte la proéminence du ventre qu’il se traînait – et ne fit plus le moindre bruit. La bonne humeur qui l’animait semblait avoir totalement disparu, au contraire de MacHolland qui cherchait encore à emmerder le monde.

 

« Vous vous demandez certainement ce qu’on fait ici, amorça Maggie. Eh bien, avoua-t-elle sans même laisser le temps aux garçons de répondre, j’espérais profiter de cette soirée pour qu’on apprenne tous à mieux se connaître. »

Richard aimait bien l’idée. Déjà, il les voyait boire jusqu’à plus soif, manger jusqu’à plus faim, faire la queue aux toilettes pour dégueuler le contenu entier de leur estomac, avant de recommencer encore et encore jusqu’à ce qu’ils s’endorment tous – ou tombent dans un coma éthylique, ce n’était pas impossible. Ce fut la raison pour laquelle il eut toutes les peines du monde à ne pas éclater de rire lorsque Magalie déclara :

« Action ou vérité ! »

Richard connaissait plein de manières de faire connaissance – et pas toujours catholiques, d’accord – mais jouer à action ou vérité à leurs âges, ça ne lui serait jamais venu à l’esprit. Ah, ça, non. L’architecte ne se souvenait même pas de la dernière fois où il avait entendu parler de ce soit disant jeu. Au collège ? oui, il avait bien dû faire quelques parties, et seulement dans l’espoir de pouvoir embrasser une nana. Au lycée ? peut-être bien à une soirée, mais il se souvenait bien plus du jeu de la bouteille et du fameux « sept secondes au paradis ». En deuxième année, il avait même pu peloter la fille la plus canon de tout le bahut, une certaine Serena. Il se souvenait encore du poids de ses seins incroyablement gros pour une gamine de 16 ans dans ses mains. Un très, très bon souvenir. A la fac ? Jamais de la vie ! Il avait rencontré si rapidement Jenna qu’il n’allait plus en soirée, plus de beuveries, et plus de filles à caresser dans les recoins. Même un psy de bas-étage en aurait compris son comportement une fois adulte : il voulait vivre tout ce qu’il n’avait pas eu la chance de vivre en étant plus jeune. Et il se rattrapait plutôt bien depuis quelques années… Ah, ça, oui.

« Vous… vous êtes sûre ? Ce n’est pas tout à fait, enfin… »

Léopold s’empêtrait dans ses propres mots. Il partageait bien le même avis que Richard, mais au lieu de se tenir tranquille comme il l’aurait dû, il voulut faire part de ses pensées à son lieutenant. Cette dernière le toisait de toute sa hauteur, elle attendait la suite des propos. Enfin, s’il y avait une suite un jour. Le brigadier finit par abandonner purement et simplement. Il se tut, les yeux fixés sur la pointe de ses bottines.

« Quelque chose à redire, monsieur MacHolland ? demanda le lieutenant après avoir remarqué l’air moqueur de l’architecte.

- Rien m’dame ! »

Tout en parlant – ou plutôt, tout en criant – Richard se mit aux gardes à vous, une main posée sur la tempe. Sa piètre performance énerva Maggie plus qu’elle ne la fit sourire. Elle ne s’attarda pas pour autant sur le cas de l’architecte, comptant bien en faire son affaire lors du jeu. Elle désigna la table qui était derrière eux. Richard ne l’avait pas remarqué. Alors que les trois autres s’asseyaient, MacHolland regarda tout autour de lui. Il ne s’était pas rendu compte être monté juste sous la coupole du vaisseau. Seul une fine paroi de verre le séparait désormais de l’espace noir et profond. Il posa sa main sur la vitre. A peine sa paume rentra-t-elle en contact avec la fraicheur du verre qu’un grésillement la lui fit retirer à toute vitesse.

« ZZZZZZZ »

Derrière lui, le brigadier était plié en deux de rire, se tenant la bedaine à deux mains. Richard comprit que pour la deuxième fois de la journée, il venait de se faire rouler dans la farine par Léopold. Le grésillement n’était en réalité qu’une piètre imitation faite par le garçon. Richard ne souleva pas la mesquinerie dont avait fait preuve le brigadier à son encontre. Il en ferait bientôt son affaire, lors du jeu. Finalement, peut-être que le jeu de Maggie allait être intéressant.

« Vous venez Richard ? »

La voix de Magalie Pierce était d’une douceur dont il ne l’aurait jamais cru capable. Ses lèvres s’étaient étirées en un sourire qui creusait ses pommettes. Les cheveux bruns du lieutenant cherchaient à s’échapper du chignon qu’elle avait réalisé à la hâte une fois qu’ils étaient rentrés au vaisseau après leur petite excursion martienne. Malgré la fatigue qui les rougissait, les yeux de la jeune femme pétillaient de malice : elle avait hâte de jouer, et ça se voyait. Derrière elle, les étoiles se prolongeaient dans l’espace infini. Richie aurait pu en avoir le souffle coupé s’il ne se sentait pas déjà à moitié mort. Pas à moitié vivant. Il se pensait avoir un pied dans la tombe, et que cette tombe n’était autre que le vaisseau spatial dans lequel il se tenait debout. Non, Richard n’avait pas la trouille. Il n’avait jamais peur de rien. Et puis, papa était un astronaute, pas vrai ? Il avait ça dans le sang.

Ça, et le mensonge.

Le jeu promettait d’être mémorable.

Mais, qui sont vos parents Richard ? Papa astronaute ou policier, à moins qu’il ne fut agent secret ou cuisinier. Et maman ? on s’en fiche un peu. Elle faisait rien d’intéressant. Professeur, un truc du genre. Elle en mettait plein dans la caboche des gamins, comme elle l’avait toujours fait avec lui. Et comme elle essayait toujours de le faire, le peu de fois où il l’avait au téléphone.

Et puis, pourquoi vous avez fait architecte ? Depuis combien de temps êtes-vous avec Jenna ? Comment vous vous êtes rencontrés ? Pourquoi vous avez cru qu’il s’agissait de l’amour de votre vie ? Pourquoi vous avez mis tant de temps avant de la tromper ? Pourquoi vous buvez ? Pourquoi vous n’avez pas commencé plutôt ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Il n’avait la réponse à aucune de ces questions. Et puis, en même temps, il savait exactement quoi leur rétorquer s’ils le menaient sur ce terrain-là. C’était un peu comme s’il s’était préparé à ce moment toute sa vie durant.

Richard n’avait jamais été aussi prêt à jouer à un jeu pour pré-pubères.  

« Alors, tu viens ? »

Cette fois, ce fut la voix de Léopold qui le ramena à la réalité. D’un hochement de tête, Richard fit signe que oui. Il s’installa entre Greg et le brigadier, faisant face à la jolie Magalie. Il fit parcourir sa langue sur ses lèvres, un geste qui se voulait d’autant plus provocateur que le lieutenant le regardait droit dans les yeux. MacHolland était prêt à en découdre.

« Vous savez tous comment on joue ?

- Oui lieutenant.  

- Nous ne sommes plus en service Léopold, fit remarquer le lieutenant, appelez-moi Magalie. Oh, et puis, tutoyons-nous. Exceptionnellement, précisa-t-elle.

- Bien, comme vous le voulez lieutenant, répondit machinalement le brigadier avant de se reprendre suite au coup d’œil étonné de Magalie, Euh, comme tu veux, Magalie. »

Un sourire bienveillant accueilli les quelques mots de Léopold. La lumière se tamisa sous la coupole, de manière à ce que les joueurs ne voient que leurs mains et le visage de la personne en face d’eux. Il n’y avait aucun bruit aux alentours : là était la magie de l’espace. Ils étaient désormais fins prêts à jouer.

Alors… Action, ou vérité ?

Chaque joueur autour de la table avait des choses à cacher. Après tout, il s’agissait du propre de l’individu, humain comme extraterrestre, de ne pas tout dévoiler à ses congénères. La vie au cœur de cet univers complexe qu’était devenu le leur n’avait fait que rendre ce phénomène plus fort : les mensonges et dissimulations étaient monnaie courante. On ne pouvait plus véritablement connaître ni ami, ni voisin, ni parent : personne. Avec cette perspective, le jeu promettait d’être très intéressant.

« Action. »

Le premier tour venait de débuter. Maggie avait commencé en posant la fameuse question « Action ou vérité ? » à Léopold. Ce dernier, tout nerveux, ne cessait de triturer les plis de sa chemise toute froissée. Il avait dégluti sa réponse plus qu’il ne l’avait dite. Il appréhendait le défi que lui donnerait le lieutenant, et ça se voyait. Cette dernière l’observa de longues secondes. Elle ne prononça pas le moindre mot. Une part d’elle avait envie de lui proposer un défi sportif – rien que pour voir comment il s’en sortirait. Mais elle n’était pas ce genre de personne. D’un autre côté, elle était tentée de lui proposer un défi spécial police, comme démonter et remonter son arme en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, sauf que dans ce cas le jeu aurait été bloqué le temps que Léopold parvienne à relever le défi. N’ayant pas beaucoup d’imagination elle lui ordonna simplement :

« Dites, sans hésiter, « La colombe de Colombus compte les colonnes de Colonius ». »

MacHolland haussa les sourcils, plus étonné par la stupidité du défi que par le manque de créativité évident dont le lieutenant faisait preuve. Léopold se racla la gorge et récita :

« La colombe de Colombus … euh…

- Perdu !

- … compte les colonnes de Colo…nius ? 

- Perdu, perdu, perdu ! répéta Magalie, bien contente que malgré la nullité du défi le brigadier l’ait raté. A vous, Léopold, posez la question à notre consultant. »

Soudain plongé dans le jeu, Richard se concentra. Qu’allait-il choisir ?

« Action ou vérité ? »

Le brigadier était devenu rouge. Sa voix tremblotait sous le coup de l’émotion : il n’avait visiblement pas l’habitude de perdre aussi rapidement à un jeu pour enfant.

« Vérité. »

Le mot avait franchi la barrière des lèvres de l’architecte sans que ce dernier n’y réfléchisse nullement. Aussitôt, il essaya de changer :

« Action, plutôt. »

En face de lui, Magalie Pierce secoua énergiquement la tête. Non, c’était hors de question de le laisser faire. Les règles étaient les règles, et ils avaient tous dit les connaître. Alors, si c’était bien le cas, ils savaient tous que seule la première réponse était gardée. Pas de rattrapage possible. Pas de changement. On jouait et on assumait.

« Non, non, Richard, c’est vérité. Tu vas devoir répondre à ma question, honnêtement, ajouta le brigadier qui avait bien vite changé d’humeur.

- Je t’écoute, répondit simplement l’intéressé, déjà las de devoir jouer. Finalement, ce n’était pas si intéressant que ça.

- Lequel des 7 péchés capitaux dirige ta vie ? »

La question mûrement réfléchie valait bien le détour. Parmi toutes celles qu’il aurait pu poser, Léopold avait opté pour l’une des plus difficile. Comment choisir lequel des 7 péchés capitaux dirigeait sa vie, alors que Richard les suivait pour ainsi dire tous ? Richie les rassembla dans son esprit, préférant prendre une minute avant de répondre. Après tout, même s’ils étaient hors service, Richard était entouré de policiers, et pas n’importe lesquels, des policiers de la brigade interstellaire. Quoi qu’il put dire, Richard se mettait dans l’embarras. L’orgueil ? il n’en manquait pas, et ce n’était pas un secret. Il était le meilleur toutes activités confondues, que ce soit dans son travail ou en dehors, particulièrement dans un certain sport qui se fait à deux, dans une chambre. Ou à trois dans les toilettes d’un bar, les règles n’étaient pas fixées. On en venait donc logiquement à la luxure. C’était tellement évident, que Richard décida de ne pas en parler. La gourmandise ? Celui-là était le péché capital qui lui correspondait le moins. Oui, il aimait bien manger, surtout un bon burger avec des frites et un milkshake – dans lequel il rajoutait un petit ingrédient spécial, comme il l’appelait : une goutte de rhum, ou, à défaut, d’un bon bourbon. Pour autant, on ne pouvait pas le qualifier de gourmand. Surtout pas quand on le savait marié à une femme comme Jenna qui savait aussi bien cuisiner qu’un chien savait parler. La jalousie ? certes, à une époque il ne fallait pas qu’un homme tourne la tête pour regarder Jenna, mais c’était du passé. Aujourd’hui, c’était lui qui tournait la tête pour voir les autres femmes, non ? Venait la colère puis la paresse. Pour le premier, Richard n’allait pas mentir : il se sentait énervé toute la journée, et cet état d’esprit passait aussi bien sur ses collègues de bureau, que ses clients, que ses stagiaires, ou encore sa femme ou les thons qui le draguaient au bar. Pour le second, pouvait-on nommer paresseux un homme tel que lui qui mettait toute sa force et son énergie pour tromper sa femme ? Le dernier n’était autre que l’avarice, et s’il y en avait bien un dont il ne pouvait se targuer de faire preuve, c’était celui-ci. En quoi Richard MacHolland aurait-il pu être avare ? Si ce n’est en amour envers Jenna, évidemment. Il offrait des repas à des sans-abris tous les mois, faisait des collectes de fonds pour les plus démunis, construisait à ses frais des HLM et autres logements sociaux, donnait son argent à qui en avait le besoin, s’occupait de sa femme en dépensant sans compter. Et puis, il n’était pas avare lorsqu’il s’agissait de devoir faire plaisir à une certaine petite étudiante aux cheveux flamboyants qui l’accostait dans un bar dans le but de déplaire à papa-maman.

Alors, comme à son habitude, comme si le véritable Richard MacHolland avait refait surface, celui qui la veille encore s’apprêtait à tromper sa femme et à lui mentir de la manière la plus éhontée possible, il déclara :

« Je ne sais pas quel péché dirige ma vie, mais je peux te dire lequel ne me correspond pas : l’avarice.

- Ce n’est pas du jeu ! s’exclama aussitôt Léopold.

- Par contre, continua Richard sans se préoccuper de ce que lui racontait le brigadier, je sais quel péché dirige ta vie : la gourmandise. Ce serait bien que tu ailles un peu du côté de la luxure, ça te ferait dépenser quelques calories au moins. »

La pique une fois lancée, l’architecte n’eut pas longtemps à attendre avant de voir Léopold piquer un fard. Cette fois, la couleur de son visage n’était pas due à la honte mais bien à la colère : lui qui avait emmerdé Richard toute la journée ne s’était pas attendu à se prendre le retour de flamme aussi rapidement. L’arroseur arrosé, pensa Magalie en les voyant prêts à se chamailler.

Excédé, Léopold se leva d’un mouvement si brusque qu’il faillit en renverser sa chaise. Il bouscula la table avec sa grosse bedaine et, sans laisser le temps à quiconque de réagir, disparu de la pièce en prenant la fuite par les escaliers. Les narines de Richard s’élargirent dans un mouvement qui tentait à la fois de retenir un rire tout en montrant qu’il se moquait du brigadier.

« Vous n’auriez pas dû faire ça, déclara le pilote qui prenait la parole pour la première fois depuis qu’ils étaient montés dans la coupole.

- Pourquoi ? »

Grégoire n’eut pas le temps de lui répondre que déjà Léopold gravissait les marches. Son teint n’était plus rouge : bien au contraire, sa peau était plus translucide que jamais. Chaque veine, chaque vaisseau sanguin, chaque battement du cœur qui pulsait dans sa poitrine : tout cela se voyait au premier coup d’œil. Le brigadier adressa un simple regard à Richard qui sentit aussitôt un vif choc électrique le traverser de part en part. Léopold n’avait pas eu besoin de bouger, l’architecte était encore sous son emprise. La peur s’empara de Richard, jamais il ne s’était senti aussi vulnérable qu’à cet instant exact. Soudain, la voix de Léopold vrilla dans son esprit comme s’il lui parlait à l’oreille. Pourtant, il était toujours en haut des marches, à au moins deux mètres de lui, et ne bougeait pas les lèvres.

« Tu ne peux pas te moquer de moi impunément, terrien. »

En voyant le visage de Richard se crisper, Magalie se leva. Elle tapa du poing sur la table. Le bruit eut le mérite de détourner l’attention du brigadier de Richard. Ce dernier, désormais libéré du pouvoir machiavélique de Léopold, avait posé une main sur son cœur, tout essoufflé. Avant que Maggie n’ait le temps de réagir, l’extraterrestre avait provoqué en Richard une terreur si grande et si forte que son cœur battait, battait, battait à tout rompre, jusqu’à être proche de la crise cardiaque. Un combat de regard se jouait désormais entre le lieutenant et son brigadier. Ce dernier n’osait pas utiliser son pouvoir sur sa supérieure, même si l’envie ne manquait pas. A côté de Richard, le pilote ne bougeait pas. Bien au contraire, il s’était même enfoncé un peu plus dans le dossier de sa chaise, les bras croisés sur le torse de manière à observer tranquillement la scène qui se déroulait sous ses yeux. Richard se fit la réflexion que finalement peut-être – et seulement peut-être, il ne fallait pas exagérer – qu’il s’était trompé sur le compte de ceux qui l’avaient embarqué dans cette aventure. Après ce qui lui parut un temps interminable, Léopold finit par baisser les yeux face à Magalie. Cette dernière, pas mécontente d’avoir enfin obtenu le respect qui lui était dû, lui fit signe de se rasseoir. Un seul coup d’œil vers Grégoire le fit réagir, en une seconde il s’était redressé et avait abandonné son air provocateur dans la foulée.

« Bien. »

La voix de Maggie Pierce était profonde et étonnement calme au vu de ce qui venait de se produire sous ses yeux. Un peu de plus et son consultant crevait là, alors que moins de 24 heures s’étaient écoulées depuis qu’il avait mis un pied dans le vaisseau. L’architecte était en vie. Le pilote avait retrouvé son sérieux. Le brigadier s’était calmé. Tout allait bien dans le meilleur des mondes, et le lieutenant comptait bien que cela reste ainsi.

« Maintenant, reprenons la partie. Richard, intima-t-elle, à vous. »

L’architecte n’osa pas contredire l’ordre. Malgré la politesse cordiale dont faisait preuve Magalie, il venait de comprendre que, non, il ne pourrait pas la chercher autant qu’il le voudrait. Le comportement qu’il aurait à ses côtés aurait des répercutions, tant bonnes que mauvaises. Ce fut donc un Richard plus calme qu’il ne l’avait jamais été et blanc comme un linge qui prit la parole :

« Grégoire, action ou vérité ?

- Vérité, répondit le pilote sans grand élan d’excitation.

- Quel était le nom de votre premier amour ? »

Le vouvoiement été revenu à la charge. Richard décida de ne pas forcer. Ce soir, tout le monde était sur les nerfs, lui compris. Ils se retrouvaient tous ensemble embarqués dans une histoire de meurtre sans l’avoir demandé. Richard entendit vaguement Grégoire lui donner sa réponse. Le jeu continuait sans lui, et il n’en avait pas grand-chose à faire. Il avait la tête ailleurs. Il se demandait ce que faisait Jenna à cet instant. Il ne se posait jamais la question lorsqu’il était au bar en train d’offrir un verre à une minette, alors pourquoi là, oui ? Parce qu’il avait failli mourir. La réponse avait fusé dans son esprit sans qu’il s’y attende. Bien sûr. Même s’il n’éprouvait plus les mêmes sentiments pour Jenna que vingt ans auparavant, elle restait sa femme. Ils étaient liés. Jusqu’à ce que la mort nous sépare. Bon, Richard espérait quand même que « Mort » était le prénom d’une jolie jeune femme. Son regard se fixa sur le lieutenant face à lui. N’aurait-elle pas pour deuxième prénom « Mort » ? Ça l’arrangerait bien.

« Richard ? C’est à vous. »

Richard joua son tour, puis posa une question à Grégoire. Après six ou sept questions chacun, Magalie mit fin à la partie. Action ou vérité, ce n’était finalement pas la meilleure manière de faire connaissance pour des adultes. Une idée lui vint alors à l’esprit. A l’une des questions posées par Léopold, sur sa boisson favorite, Richard avait répondu aimer un alcool typiquement terrien dont la fabrication s’était exportée dans l’univers tout entier. Le rhum. Sans un mot, le lieutenant se leva puis se dirigea vers l’autre côté de la coupole, là où se tenait Richard quand il observait les étoiles, une heure auparavant. Elle se baissa. Une fois accroupie, elle sortit une clé de son veston et l’enfonça dans une serrure dissimulée dans le sol. Un coup de poignet plus tard, un mécanisme tintant se mettait en marche. Au bout de quelques secondes, Magalie se redressa laissant apparaître devant elle un minibar sur lequel verres et bouteilles se côtoyaient. Sans hésiter, elle attrapa entre ses doigts fins une bouteille et quatre verres. Elle les posa sur la table, déboucha la bouteille dans laquelle il y avait un liquide ambré, en versa jusqu’à la moitié dans chaque verre. D’un geste sûr, elle poussa chaque verre vers l’un des garçons puis revissa le bouchon avant de reprendre sa place. Sans attendre, elle porta le liquide à ses lèvres et savoura les gouttes de rhum qui tombaient sur sa langue. Richard l’observa, l’œil aiguisé appuyé sur sa bouche où perlait encore l’alcool. A son tour, il but une grosse lampée de rhum, rapidement imité par Léopold et Grégoire. Tous ensemble, dans le silence, ils savourèrent leur verre d’alcool bien mérité.

« Désolé de t’avoir agressé. »

Une nouvelle fois, la voix de Léopold avait percé dans l’esprit de Richard sans que celui-ci ne s’y attendit. Pour seule réponse, Richie leva son verre en direction du brigadier qui fit de même. Les parois se rencontrèrent. Le choc provoqua un tintement singulier qui fit naître un sourire sur tous les visages autour de la table. Dehors, dans l’espace, la nuit se profilait à l’infini. Eux, à l’intérieur de ce vaisseau, ils allaient bien en profiter. Magalie déclara soudainement :

« Et si on allait fêter ça ? »

Quelques minutes plus tard, Grégoire posait le vaisseau sur le parking d’une boite de nuit branchée – au beau milieu de nulle part selon Richard – et les quatre verres s’entrechoquaient une nouvelle fois dans un tintement qui signifiait que désormais, quoi qu’il put arriver, leur amitié était scellée.

Aucun d’entre eux ne s’attendait à ce qui allait pourtant se passer.

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Alice_Lath
Posté le 21/10/2020
Brrr, je trouve décidément Richard très caricatural dans sa manière d'être, il manque de cette espèce de raffinement dans la perversion, c'est bizarre haha, avec toutes ses conquêtes, je l'aurais imaginé plus... imaginatif ? Il fait un peu pataud quand on connaît son statut haha.
Sinon, je me demande où Maggie est allée piocher une idée pareille pour le jeu hahaha ils sont mims à faire des soirées de lycéens, entre jeux à boire, bouteille dans le placard de papa et soirée boîte de nuit. Par contre, je sens que Maggie risque d'avoir du mal à se faire respecter par la suite si elle commence par gérer son équipe comme ça :/
Melau
Posté le 22/10/2020
Re ! Je retravaillerai le caractère de Richard, j'ai travaillé sur l'idée que "les apparences sont trompeuses", mais manifestement, ça ne fonctionne pas x)
Ah puis Maggie... apparemment, elle était contrariée de ne pas pouvoir faire la fête ce soir-là ! C'est sûr que ça risque d'être compliqué par la suite, je te laisse le découvrir ;)
J'espère que l'histoire dans son ensemble te plait malgré les points que tu relèves.
En tous cas, merci encore pour tes commentaires constructifs :)
haroldthelord
Posté le 02/10/2020
Salut,

Très bon chapitre à part le manque de classe des souvenirs de Machollande mais je crois que je commence à m'y faire.
J'adore cette phrase : La colombe de Colombus compte les colonnes de Colonius

Amusant : Richard espérait quand même que « Mort » était le prénom d’une jolie jeune femme.

Pour finir une bonne soirée avec des gars un peu énervés, boire un verre de rhum je ne crois pas que cela soit une bonne idée, mais j'attend la suite.
Melau
Posté le 02/10/2020
Coucou !

Merci pour ton commentaire déjà :) Eh oui, le "manque de classe" comme tu dis est central dans cette histoire. MacHolland, c'est l'archétype de l'homme ingrat qui ne mâche pas ses mots !

L'homme n'est pas toujours logique, la bonne idée ne rime pas avec l'humain :)

Rendez-vous au prochain chapitre alors !
Bc1960
Posté le 01/10/2020
J'aime le passage des sept pêchers capitaux . Ce chapitre est divertissant, il se passe toujours quelque chose. Donne envi de lire la suite. J'attens avec impatience ton prochain chapitre
Melau
Posté le 01/10/2020
Merci beaucoup pour ton commentaire ! j'espère que la suite te plaira, rendez-vous en fin de semaine pour le découvrir !
Le Saltimbanque
Posté le 01/10/2020
BEST. CHAPTER. EVER.
Un quasi sans-faute du début à la fin, et je vais essayer d'expliquer pourquoi.

I/ Les interactions entre les personnages.
Venant juste après un chapitre dans lequel je me plaignais que les policiers n'avaient que trop peu d'échanges, là, mon dieu, j'ai été servi !
C'est vraiment hyper divertissant, il ne se passe pas deux secondes sans qu'il se passe quelque chose, que cela soit un dialogue ciselé, une caractérisation de personnage ou un conflit intéressant. Vraiment, on ne peut pas s'ennuyer.
Mention spéciale à la réconciliation entre Leopold et Richard. C'est sobre, efficace, comme deux mecs le ferait après une dispute de ce genre (enfin je crois, je n'ai jamais assisté à un dispute de ce genre en vrai...). Tu as évité la sur explication, et c'est très cool.
Avec tout cela, l'enquête policière n'avance pas du tout, mais cette fois-ci j'en avais vraiment rien à faire. C'est déjà hyper fun à lire, et on a l'impression qu'il se passe plein de choses. Et aussi c'est lié à mon prochain point d'argument...

II/...Les personnages
Magalie a la classe, mais est à la fois clairement inexpérimentée (action ou vérité, sérieusement ?). On sent toute sa tension à essayer de maintenir la cohérence de son équipe, à éviter les conflits.
Leopold, wow, je ne m'attendais pas à ça. Tellement de choses à dire. Il est le mélange parfait entre la victime un peu ridicule et en même le mec le plus dangereux dans la pièce. Son design est génial (un gros à la peau transparente !) et lui donne une présence folle. Et il y a encore plein de choses qui m'intéressent sur lui : on ne sait rien de son passé, jusqu'à où peuvent aller ses pouvoirs, on soupçonne un léger racisme quand il traite Richard de "terrien"...
Enfin, Greg. J'ADORE cette archétype de personnage : taiseux, mais qui va à l'essentiel et ne se casse pas la tête à aider les autres. On dirait qu'il sort d'un western. Il y a une aura de mystère et de classe qui l'entoure (quand il regarde sans bouger d'un air tranquille la dispute, j'ai vraiment eu des frissons).

III/ Mother fucking Richard MacHolland !
Alors lui, il est de retour, et quel retour. Bon, je sais qu'il compte dans la mention "personnage", mais franchement il mérite une partie à lui tout seul.
Après le chapitre précédent où j'ai été très déçu par sa connerie, là, il rigole plus.
Déjà, grâce à lui on peut carrément faire un top 10 des meilleures répliques de ce chapitre. Ce type est une mitrailleuse verbale extrêmement dangereuse, tout en évitant un peu la caricature du gros gamin immature (par exemple, il se calme un peu après la confrontation avec Leopold, et ça fait très "vrai").
Avec lui la truculence de ton écriture est au top dans ce chapitre, surpassant tous les autres. C'est vraiment miraculeux. Normalement je déteste quand on reste trop dans les monologues intérieurs des personnages, mais avec Richard à chaque fois c'est un délice.
Et mon dieu sa réflexion sur ses 7 péchés capitaux... Chaque phrase est ciselée, chaque réplique accompagne ou retourne parfaitement la précédente, tout en préparant la suivante. Je vais me rappeler de ce moment, c'est sûr.

IV/ Les défauts
Bon allez, quelques inconvénients, sinon c'est pas drôle !
Je pipote à nouveau sur certains moments de répétition et de lourdeur. Par exemple, le passage ou Richard essaie de se souvenir de la dernière fois où i la joué action ou vérité mériterait d'être réduit.
Le cliffhanger de fin de chapitre, peut-être le moins bon de toute la série. Il arrive de nul part, ne donne aucune attente sur la suite (que peut-on craindre pour les personnages ? Littéralement tout peut arriver), et fait vraiment artificiel. Pour moi tu peux carrément enlever cette dernière phrase, elle n'apporte rien au texte.

Donc voilà, j'ai pris mon pied comme jamais. J'attends la suite avec impatience.
Melau
Posté le 01/10/2020
Re ! alors si c'est un bon chapitre, le commentaire est encore meilleur ! merci de prendre autant de temps pour me donner ton point de vue sur le texte et me montrer ce qui est bon comme mauvais !

Je savais que tu allais faire un point sur les interactions entre personnages ! Toi qui voulais plus de Richard / Léopold, on y est ! encore désolée pour le fait que l'enquête n'avance pas, et ce sera encore le cas au prochain chapitre, mais les relations des personnages c'est vraiment ma base de travail (doublement prévenu comme ça !).

Tu as mis l'idée parfaite sur Grégoire : le gars sorti d'un western. Et c'est totalement ça ! Moi qui cherchais comment le définir, tu as résolu le problème !

Ravie que le passage des péchés capitaux t'ait plu ! étonnement (pour moi) le paragraphe est bien apprécié, j'avais vraiment peur qu'il soit trop long, trop en dehors du récit. Ton commentaire me rassure pas mal à ce sujet (alors merci).

Je retiens pour tes deux points négatifs. Promis, j'essaierai de faire au mieux pour que les phrases de fin de chapitre soient meilleures.

EN TOUS CAS : très contente que ce chapitre t'ai réconcilié avec le texte ! et la suite arrive très vite, sûrement en fin de semaine (si les cours ne me prennent pas tout mon temps libre d'ici là, donc je ne promets rien...)

Encore merci !
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