C’était très diffus, au début. Des brides de sensations me parvenaient, mais je ne comprenais pas ce qu’elles étaient. Puis, ces perceptions se sont affinées, et j’ai commencé à les comprendre. Il y avait ce « bip » entêtant, et le bruit de ma respiration dans un masque. Et un brouhaha feutré qui filtrait sans doute au travers d’une porte.
J’ai compris que j’étais vivante et loin du Maître. J’ai senti les larmes couler sur mes joues.
Un cauchemars m’a englouti.
~
Mes paupières s’entrouvrent à peine pour laisser les larmes s’échapper. Je ne sais pas où je trouve la force de les ouvrir.
La clarté extérieure me donne envie de les refermer aussitôt, mais je persévère.
Tout est blanc, partout.
Le sol, les murs, le plafond, les meubles, les draps de mon lit. L’immaculé martyrise ma rétine qui aspire à l’obscurité éternelle. Qui sont-ils pour décider à ma place que je dois vivre ?
À vrai dire, ce lieu aseptisé m’évoque le Paradis. Un lieu pâle, ordonné, promesse de bonheur infini. Mais pour moi le Paradis n’apporte que le malheur.
Je grimace intérieurement, j'ai l'impression que des griffes incandescentes sont platées dans mon cou.
Je perçois un mouvement à ma droite, mes iris pivotent.
Elle est presque aussi claire que le décor avec ses cheveux blond pâle, sa peau diaphane et son tailleurs gris-blanc.
Un cri veut émerger de ma gorge, mais seul un couinement en sort.
Séléné qui semblait sommeiller relève brusquement la tête. Un sourire soulagé chasse la nervosité de ses traits. À cet accueil presque chaleureux je réponds par un regard horrifié.
- Écoute… je sais que c’est difficile pour toi mais… tu dois comprendre que nous ne sommes pas ennemies. Moi et mes collègues t’avons libérée de Scipio, désormais tu ne subiras plus son joug. Il t’a fait beaucoup de mal, mais maintenant c’est fini.
Mon visage est figé dans la terreur. Je ne l’écoute pas, ses mots sont du vent.
- Je t’ai trouvée une avocate, on va essayer de réduire ta peine pour complicité d’homicide. Mais… dès que tu seras guérie on devra te transférer en prison. D’ici là tu auras vu un psychologue, on va faire notre maximum pour que tu retrouves un état mental stable.
Je hurle intérieurement, mais au dehors je ne montre presque rien. Réunissant mes forces, je tourne la tête vers la fenêtre, chassant Séléné de mon champ de vision. Le soleil plante ses rayons incendiaires dans mes pupilles qui se tassent. C’est la première fois que je le vois depuis que le Maître m’a accueillie chez lui. Ça fait deux ans.
Je ferme les yeux.
Tout est faux, cette scène n’existe pas. C’est un rêve, juste un rêve. Un cauchemar qui va s’évanouir. Je vais me réveiller et retrouver le Maître. Juste un cauchemar.
- Erika…
Je me tends. Non. Non, non, non. Je ne suis pas Erika, Erika est morte. Je suis Eri.
Je m’agite, je sens un bandage me compresser la poitrine. Un râle franchit mes lèvres.
- Erika !
Les mains de Séléné m’agrippent par les épaules, son visage inquiet me domine. Elle tente de retenir mes faibles mouvements. Je pousse un cri, me débat. Tout mon corps est agité de tremblements.
Une autre personne déboule dans la pièce, je l’entends échanger des paroles empressée avec mon bourreau.
- Rendez-moi…
Ma langue est pâteuse, mon souffle inconstant.
- Rendez-moi…
Les larmes jaillissent avec force. Je hurle.
- Rendez-moi le Maître !
Un vertige me prend, ma tête retombe sur l’oreiller. Des gens bourdonnent autour du lit.
Mes membres s’agitent, mais mes yeux, eux, ont accroché ceux de Séléné.
Le ciel de ses prunelles est plein d’angoisse, elle me supplie en silence.
Je ferme les paupières. Je dois me rappeler. Ce n’est qu’un cauchemar. Juste un cauchemar.
Je m’apaise, l’excitation autour de moi décroit.
Malgré ça, les larmes, elles, poursuivent leur inlassable chute.
~
C’est un cauchemar.
Le Maître n’a pas perdu.
C’est un cauchemar.
Le police n’est pas venue.
C’est un cauchemar.
Oui, juste un cauchemar.
Je fixe le plafond en chantonnant. Séléné est partie. Je suis seule dans ma chambre d’hôpital. J’attends de me réveiller.
Mais ce n’est pas un rêve.
Je me fige. Encore elle.
Par réflexe, je lance ma main vers la barrette, mais ma mèche chevelure est vide.
Elle ricane, son ombre court sur les draps pour m’enserrer.
Je hurle et me débat. Des vertiges me prennent mais je lutte.
Disparais !
Je tombe du lit. Elle me frappe, tente de m’étrangler. J’appelle à l’aide, sentant mes forces s’amenuiser.
Un infirmier affolé déboule. J’éructe.
- La barrette !
- Quoi ?
- La barrette, donnez-moi la barrette !
Elle me tord le poignet. Cet imbécile en blouse blanche ne voit-il pas qu’elle est en train de me battre ?
- LA BARRETTE !!!
D’autres personnes débarquent, mais ma vision est brouillée. Le bruit est confus, elle a attrapé mon cou et le tente de le tordre. Le souffle coupé, je sens avec horreur mes forces s’évanouir.
Soudain, l’infirmier apparait au-dessus de moi, me tendant la barrette. Je dois rassembler toutes les miettes d’énergie qu’il me reste pour réussir à l’attraper. Aussitôt, elle faiblit. J’inspire et fixe la barrette dans mes cheveux.
Elle crie, se débat. Je souris et saisit son visage dans ma main. Mes doigts l’enserrent, son crâne explose bientôt en un jet de sang qui se dissout. Elle s’effrite et disparait.
J’ahane, on me porte délicatement dans mon lit. Les infirmiers défilent, un médecin vient m’ausculter. Puis je retrouve enfin la solitude.
~
Le soir, le cauchemar n’est toujours pas terminé.
Toc, toc.
Une infirmière entre, arborant un grand sourire.
- Si vous le voulez bien, je vais vous aider à vous lavez. Vous arrivez à marcher ?
Je la fixe sans mot dire. J’ai envie de la repousser. Finalement, je décide de me laisser faire.
Elle me soutient jusqu’à la douche qui jouxte la chambre et me fait asseoir sur un petite banc. Ma poitrine me lance, j’ai du mal à respirer.
- On ne doit pas mouiller votre bandage, alors je vais juste rincer le bas de votre corps. Vous permettez ?
Elle me déshabille, ses gestes sont comme des caresses. Son parfum flotte autour d’elle, ça sent bon.
Je sursaute quand l’eau froide vient m’arroser.
- Ah, pardon ! J’ai oublié de régler la température ! s’écrie-t-elle en rougissant.
- C’est pas grave.
Elle relève vivement la tête. On se dévisage jusqu’à ce qu’elle la baisse, embarrassée.
- Je vais quand même la réchauffer… là ça va ?
J’opine légèrement du chef, reportant mon regard sur le mur carrelé.
- Ça vous dérange si je vous savonne ?
- Je vais le faire.
Je baisse la tête pour me laver, des vertiges me prennent aussitôt, cou me lance. Je grimace.
- Vous n’êtes pas encore tout à fait remise de l’anesthésie, et puis vous ne devez pas baisser la tête. Je vais m’en occuper. Si jamais vous êtes trop gênée, dites-le moi.
Elle applique doucement le savon sur mes jambes, y traçant des arabesques de bulles.
- Puis-je faire l’entrejambe ?
Je frémis, mes joues s’enflamment.
- Malheureusement, l’hygiène de cette zone est primordiale…
Je détourne le regard et écarte les cuisses. Alors que le gant de toilette vient chatouiller mon pubis, une vision ancienne résonne.
Je vois une grande femme qui me sourit.
« Et voilà, Eri, tu es toute propre ! »
J’entends un gazouillis, de petits doigts boudinés attrapent les cheveux de la géante qui se met à rire.
L’eau chaude me sort de ma vision. Une fois rincée, l’infirmière me frictionne les jambes avec la serviette.
- Je vais maintenant laver le haut avec un linge mouillé.
Elle s’exécute, l’air paisible.
Après ça, elle me rhabille et me guide vers le lavabo. Le mouvement saccadé de la brosse à dents, malgré ses gestes précautionneux, me donne mal à la tête.
- Dé… désolée ! bafouille-t-elle alors je grimace. C’est bientôt fini.
Enfin, je peux cracher le dentifrice. Elle me faire boire de l’eau pour me rincer la bouche.
- Et voilà, la toilette est finie ! Merci pour votre patience.
Elle me raccompagne jusqu’au lit.
- Maintenant je vais changer votre bandage, ne bougez surtout pas.
Je respire enfin quand l’étau du pansement se fait moins étouffante. Mais mon cou est toujours tiraillé par des lances invisibles. Bientôt, le bandage vient de nouveau l’enfermer.
- La plaie est propre, ça devrait bien cicatriser, remarque l’infirmière avec un sourire. Sur ce, je vais vous laisser. Mais je reviens vite avec le repas, ne vous en faites pas. À tout à l’heure.
Elle se lève et marche vers la porte.
- Attendez.
Je suis moi-même surprise d’avoir parlé.
Elle se retourne.
- Oui ?
- Quel… quel est votre nom ?
Ma voix est à peine audible, j’ai trop crié tout à l’heure.
Elle sourit déjà, mais à ma question son visage de met à irradier de lumière.
- Je m’appelle Jasmine, ravie de vous rencontrer.
- M… moi aussi.
Un instant passe.
- Je dois malheureusement vous laissez, je reviens vite.
- Au… revoir.
Elle me confie un dernier sourire avant de se retirer.
Mes yeux se posent sur le plafond blanc.
Ce cauchemar a parfois un arrière goût de rêve.
Tu te posais des questions sur la scène de la toilette. Je ne vois aucun problème (enfin, si je le vois, j'y reviens juste après), elle permet d'introduire le personnage de l'infirmière et son caractère doux et consciencieux. C'est quelque chose que je remarque souvent dans le domaine de la censure: tu peux décapiter, éviscérer, égorger, faire jaillir des litres de sang d'un personnage, ça passera, mais ça semblera toujours plus problématique de faire apparaître un petit bout de fesse!^^
Je me permets une dernière coquille qui je semble n'a pas été remarquée jusqu'ici: Je vais vous aider à vous lavez --> laver.
On est bien d'accord ! Quand y a du gore c'est -12, mais une scène d'amour entre deux adultes consentants c'est à minima -16.... Je suis moins timide sur ces sujets-là maintenant mais c'est vrai que je craignais les réactions quand j'ai posté ce chapitre.
J'ai vu que tu avais posté plein de commentaires d'un coup, je me dis que l'histoire a vraiment dû t'emballer, ça fait plaisir ! Du coup je me suis perdue dans mes notifs et je ne réponds pas dans le bon ordre, tu m'en voudras pas XD
Dans le détail :
"Un cauchemars m’a englouti." -> cauchemar et engloutie
"Mes paupières s’entrouvrent à peine pour laisser les larmes s’échapper. Je ne sais pas où je trouve la force de les ouvrir." -> je pinaille : on pourrait croire que "les ouvrir" fait référence aux larmes, même si on se doute que c'est des paupières dont il est question
"sont platées dans mon cou."
"L’eau chaude me sort de ma vision." : le me est en trop ?
"Elle sourit déjà, mais à ma question son visage de met à irradier de lumière."' : se met à ? Plus, pourquoi un "mais" entre deux réactions positives ?
A très vite !
Merciiii (*^ω^*)
- Un cauchemars (sans « s ») m’a englouti.
- elle a attrapé mon cou et le (sans le « le ») tente de le tordre.
- (mon ? Le ?) cou me lance
- mais à ma question son visage de (se) met à irradier de lumière.
Merci pour ton com' <3
Pour le coup les scènes de torture et le côté fanatique de Eri à l'égard du Maître justifie très bien pour moi la limite à 16 plutôt que 12 XD
Le thème du combat physique entre les deux personnalités est hyper puissant c'est trop fou !
Hâte de savoir la suite (ça me tue que la barrette soit déjà de retour !! En même temps vu le titre... Très très bon titre d'ailleurs)
XD vaut mieux mettre trop que pas assez je pense
Merci <3
Je pensais que tout était fini, ca m'angoisse que ce soit pas le cas. J'ai peur que Eri fasse de la merde.
Que la prison l'attende pour complicité de meurtre m'a brisé le coeur T.T et en meme temps, bien sûr, c'est logique.
Je veux que Eri meure une fois pour toutes xD (pour une fois que c'est moi qui demande xD) que Erika reprenne le dessus définitivement et que Eri disparaissent a tout jamais. J'ai beaucoup trop peur d'elle T.T
Aussi, maintenant qu'elle est retrouvee, va-t-elle revoir ses parents? Ca pourrait aider Erika a vaincre Eri, apres tout elle a reussi a emerger dans de pires situations
Ah mais on est qu'à la moitié de l'histoire ! Je peux encore mettre plein de trucs glauques *rire maléfique*
Oui, pour le coup, ils allaient pas laisser passer. Et puis c'est important our l'intrigue
XDDD je suis pas habituée effectivement.
Réponse dans les chapitres suivants ;-)
En tout cas c'est cool que ça te plaise toujours !^^
Question : la scène où elle se fait laver, ça passe bien ? J'ai l'impression que ça arrive comme un cheveux sur la soupe x(
Brefouille, merci pour ta lecture et ton com' ! Je suis en train de murir un pavé pour le dernier chap de KEM, du coup je mets un peu de temps à commenter, désolée.
Gros bisous !