Le Maître réfléchit. Il fixe Son verre à moitié rempli de vin, mâchonnant Son repas sans l’avaler. J’ai fini mon assiette depuis longtemps, je suis censée débarrasser, mais je n’ose pas L’interrompre.
- Eri… souffle-t-Il soudain.
Je bondis presque de ma chaise.
- Oui Maître ?
Ses iris acier glissent vers moi pour s’ancrer dans mon regard, me faisant vaciller.
- Est-ce que tu mourrais pour moi ?
Elle hurle, mais seul un vague écho me parvient. Je me suis figée.
Mes doigts froissent ma robe tandis que mes lèvres lourdes daignent s’ouvrir.
- Bien sûr, Maître. Mille fois s’il le faut.
Il se fend d’un sourire âcre. Sa main vibrante vient m’ébouriffer les cheveux comme à son habitude. Mais elle cesse bientôt ce geste paternel pour descendre sur mon visage. Sa paume chaude épouse le contour de ma joue gauche, mon cœur s’emballe. Les prunelles du Maître sont intenses.
- Tu es ma plus belle création, Eri.
Je suffoque de bonheur.
- Mais j’aimerais que tu m’accordes une faveur.
- Quoi donc, Maître ? lancé-je en un sourire.
- Je voudrais que tu me laisses parler avec elle. Juste cinq minutes, pas une de plus, ni une de moins.
Mon sourire fond, je me tasse.
- Je… et si je n’arrives pas à revenir… ?
Je me mets à trembler.
- Ne t’inquiètes pas, je suis là.
Devant le regard confiant du Maître, je me détends un peu. D’une main hésitante, j’attrape la barrette et l’arrache à ma chevelure pour la poser sur la table.
Aussitôt je l’entends. Je résiste à l’envie de lutter, et me laisse envahir, refoulant plutôt ma panique.
Elle surgit.
Je foudroie Scipio du regard.
- Je n’ai rien à te dire, salopard, sifflé-je.
Il laisse échapper un ricanement.
- Cela faisait deux ans que nous n’avions pas conversé.
Je ne prends pas la peine de répondre et l’ignore.
- J’ai eu grand plaisir à t’avoir à mes côtés.
Il s’esclaffe devant mon absence de réaction. Je fixe le mur d’en face.
- Erika… dit-il plus sérieusement.
Malgré moi, mes yeux sont attirés vers les siens.
- La Erika que j’ai connu m’aurait sauté à la gorge dès qu’elle aurait repris le contrôle.
Je me tends.
Scipio affiche son ignoble sourire, le même qui m’a accompagné dans la naissance de ma folie. Il faut que j’arrête d’y penser, que j’arrête de trembler. Il ne doit pas voir ma faiblesse. - Y a-t-il des choses que tu me caches ?
- Comme si j’allais te répondre.
Il ricane de nouveau.
- Tu es savoureuse… Je n’ai jamais réussi à te faire totalement disparaître, c’est à la fois un échec et une victoire.
Je me lève, les jambes flageolantes. Je me détourne
- J’ai un entier pouvoir sur ton corps, lance-t-il dans mon dos. Si tu tentes quoi que ce soit contre moi, je demanderai à Eri de se suicider.
Je ne dis rien, je ne dois rien laisser paraître. Pour la réussite de mon plan.
J’entends sa chaise reculer, il s’est levé lui aussi.
Ses doigts fondent soudain sur moi, je ne peux retenir un cri. Un objet dur vient s’enfoncer dans mon crâne et me tire les cheveux. Je me fige alors que les mains de Scipio relâchent leur étreinte.
Je me sens glisser, je panique. Elle jaillit avec un cri de joie.
- Rendez-vous en Enfer, fait la voix grave de Scipio derrière moi.
Je m’effondre.
Je me redresse, tenant mon coude dans ma main. Je me suis faite mal.
- Vous allez bien Maître ?
- Très bien merci. Ce fut un entretien des plus instructifs.
- Vous… vous m’en voyez ravie.
Son sourire s’étire.
- Prépare-toi, Eri, demain soir nous accueillerons Séléné pour un dîner un peu spécial.
~
Le dîner spécial n’a dans la forme rien de bien différent d’un dîner normal. Mais je sais qu’en coulisses, à l’extérieur, le Maître a préparé la scène avec minutie et prudence. Il risque gros, je le sens.
Je m’affaire aux préparatifs, nerveuse. Ils sont ordinaires, ce qui me préoccupe, c’est ce qui va se passer après le dîner. Le Maître m’a dit que Séléné serait vivante, mais qu’il faudrait la soigner. Que ça va durer plusieurs jours. Qu’il utilisera ses compétences de neurochirurgien, et donc son matériel.
Ça me fait peur. Ça me rappelle ma naissance. Le Maître a dit que Séléné ne resterait pas, mais je redoute ce moment où je ne serai plus unique.
~
Ça y est, elle est arrivée. Je les entends parler au rez-de-chaussée.
Je me tasse dans mon lit, à la fois impatiente est pleine d’angoisse. Le temps s’étire et s’allonge, une heure passe dans l’attente, je ronge mes ongles jusqu’au sang.
- Eri !
La voix du Maître me fait bondir de mon lit. Je descends précipitamment au premier étage.
- Prépare-là, ordonne le Maître, fébrile.
Je hoche la tête, légèrement tremblante. Il m’ouvre la porte de sa chambre. Je découvre le corps à moitié dénudé de Séléné qui git entre des draps retournés. Il y a des traces de lutte. Une seringue est abandonnée par terre tandis qu’un filet de sang s’écoule de l’intérieur du coude de l’endormie.
Séléné m’évoque une belle au bois dormant que l’âge n’enlaidit nullement.
Le Maître me laisse, je m’affaire. Je commence par la déshabiller entièrement pour pouvoir lui enfiler des vêtements soigneusement choisis par le Maître. Son corps élégant est bientôt recouvert d’une magnifique robe blanche. Je panse la petite plaie qu’elle a au bras puis la coiffe et la maquille.
Le Maître apparait alors que je n’ai pas fini. Il me fixe faire mon travail en silence.
- Mets-lui ce ruban, dit-il en me tendant un lacet rouge.
L’objet qui m’évoque la barrette provoque en moi un pincement au cœur mais je m’exécute sans un mot.
- Bien, je vais la descendre.
La Maître se saisit de son amante comme d’une princesse, ployant légèrement sous son poids. Je le suis dans un silence crispé. Ces deux-là sont si beaux ensembles.
Le damier nous accueille au sous-sol, semblant vibrer d’impatience. La longue table est disposée comme à l’ordinaire mais elle est recouverte de draps spéciaux que le Maître m’a fournie. Seul un splendide bouquet la décore, mais aucune nourriture n’est posée dessus.
- On va d’abord l’asseoir.
J’aide le Maître à serrer les liens de Séléné sur la chaise de bois sculpté, contournant une table d’ustensiles.
- Va te mettre dans un coin, Eri, elle va se réveiller.
J’obéis, fixant les lèvres frémissantes de Séléné. Le Maître lui cache les yeux avec un bandeau le temps qu’elle retrouve l’usage de ses muscles. Lorsqu’elle se met à remuer, Il jette le bandeau par terre, d’un geste théâtrale. Il s’assoit face à son amante sur la table.
- Bienvenue dans ma pièce secrète, ma chérie.
Les yeux bleu pâle de l’intéressée balaient la scène, écarquillés.
- Qu’est-ce que je fais là ? demande-t-elle d’une voix lourde.
- À ton avis.
Les iris couleur ciel se posent sur un panel de couteaux soigneusement alignées. Elle frémit.
- J’en étais sûre, siffle-t-elle. C’est toi « Le tueur fantôme ».
Le Maître a un sourire mauvais.
- Et toi tu es l’inspectrice connue sous le nom de code « Moonlight ».
Séléné le foudroie du regard.
- C’est exact. Celle qui va causer ta perte.
- Ça m’étonnerait, ce n’est pas pour rien que tu es ici.
- Me tuer ne fera que renforcer les soupçons sur toi.
- Mais je ne compte pas te tuer.
Elle tremble, recule légèrement.
-Tu vas devenir mienne.
Séléné est décontenancée, elle se tortille pour tenter d’échapper à ses liens.
- Tu ne m’auras pas !
Un rire s’extrait des entrailles du maître, me faisant frissonner.
- Ma chère, vois-tu cette charmante jeune femme ?
Il me pointe du doigt.
- Elle était la personne la plus déterminée qu’il m’ait été donné de rencontrer. Et pourtant, regarde ce que j’en ai fait. Tu ne résisteras pas plus qu’elle !
Il jubile.
- Mais trêve de bavardages inutiles. Laisse-moi pénétrer ton âme.
Il saisit bistouri et s’approche de sa prisonnière qui se débat sur sa chaise. De grosses gouttes de sueur sont apparues sur son visage d’albâtre. Ses iris transformées en orage lancent des éclairs qui ne semblent pas toucher le Maître. Au contraire, ils font croître son excitation.
La lame bondit vers la peau de Séléné, y traçant une entaille fine et sinueuse. La victime pousse un cri, le Maître éclate de rire. Il y a un instant de silence alors qu’Il examine le corps de la captive pour décider où la découper.
Soudain, alors qu’Il arme son prochain coup, la victime se met à rigoler. Le Maître se fige. Leur visage sont à quelques centimètres l’un de l’autre. Je me tends, pendue au sourire goguenard de Séléné.
- Tu es fini, souffle-t-elle.
À cet instant précis, la porte vole et une masse pénètre dans la pièce. J’ai le temps d’apercevoir le canon d’une arme avant qu’une voix tonitruante ne crie :
- Police ! Plus un geste !
Les traits du Maître se disloquent. Ses sourcils plongent vers Ses yeux devenus noirs tandis que Ses lèvres disparaissent dans les plis de Sa mâchoires serrée, révélant des dent blanches à l’aspect de crocs.
Dos aux policiers qui déboulent dans la salle, le Maître lance son bras vers Séléné. La lame fuse vers la carotide mais un coup de feu retentit.
Le Maître crie, recule, la main réduite à l’état de chaire meurtries. Le bistouri émet un son clair en frappant le sol.
Je me précipite vers le Maître, mais le Raid l’entoure. Des canons se pointent vers moi et des ordres claquent.
Un homme au visage à peine visibles derrière son casque vient libérer Séléné. Cette dernière se dresse devant le Maître courbé, qui se tient la main.
- Je te conseille de te rendre, nous t’abattrons si tu tentes quoi que ce soit.
Le regard du déchu est intense, il broie la silhouette de son amante. Tout son corps tremble de rage.
- Maître !
Je m’avance malgré les canons. Mon cœur paniqué pulse dans mes tempes, les larmes dévalent mes joues. Mes muscles sont tendus à se rompre et ma tête est sur le point d’exploser. Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible. La Maître est tout-puissant, Il ne peut pas perdre, Il va trouver quelque chose c’est sûr… Mais le doute en moi fait croître mon angoisse.
Mon monde s’effondre.
Le Maître fait volte-face vers moi, me percutant de sa rage.
- Eri, meurs ! crie-t-il.
Mon corps devient soudain pierre. Je le fixe, interloquée.
- Non !
Séléné fonce vers moi. Ses yeux clairs me supplient.
Je réunis toute ma force et bondis en avant. Les larmes coulent abondamment, elles sont chaudes et rassurantes.
Elle hurle en moi alors que j’attrape le bistouri tombé au sol.
Des mains se tendent pour m’empêcher de commettre l’irréparable, mais je suis plus rapide. La lame fend la peau tendre de mon cou.
Je sens des mains m’attraper les bras, elles me retiennent.
Mais c’est trop tard.
Je m’effondre au milieu d’un monde tournoyant. Ma seule certitude est le regard fier du Maître posé sur moi.
Je souris béatement.
Le décor se dissout, les sensations aussi.
Je ferme les yeux.
Je pensais qu'avec sa capture on aurait un aperçu du processus de lavage de cerveau mais j'ai plutôt l'impression qu'il cherchait à la tuer.
J'oubliais, on a aussi l'information que je cherchais depuis quelques chapitres: le temps de captivité d'Eri.
Mais Scipio a-t-il prévu le coup? Quand il demandait à Eri si elle pouvait mourir pour lui? Quand il donnait rendez-vous en Enfer à Erika?
Je suis très contente que cette histoire de plaise, elle change beaucoup à ce moment-là donc j'espère que ça te plaira quand même ! Merciiiii
Si je peux (enfin !) me permettre une remarque un peu plus constructive que dans mes commentaires précédents : j'ai trouvé que les répliques de Séléné étaient un chouïa "classiques", un peu comme dans les séries policières : "tu ne m'auras jamais", etc. Peut-être essayer de leur donner un peu plus de saveur... ?
"Je… et si je n’arrives pas"-> arrive
"Ne t’inquiètes pas," - inquiète
"la Erika que j'ai connu" -> connue
"Prépares-là" -> Prépare la
"Sa mâchoires serrée, révélant des dent blanches à l’aspect de crocs." -> serrées et dents
"Un homme au visage à peine visibles" -> visible
"Je réunis toute ma force" -> toutes mes forces ? Parce que pas la peine de réunir une unité ?
A très vite ! ;-)
C’est une très bonne remarque concernant Séléné, j’ai un peu de mal avec ce perso qui a peu de place dans les lignes tout en était presque omniprésente. Je devrais sûrement revoir sa caractérisation tu as raison
Et merci pour les coquilles !
- Il ne doit pas voir ma faiblesse. (Ici tu n’a pas sauté de ligne) - Y a-t-il des choses que tu me caches ?
- Je me détourne (.)
- Prépare-là (la ?) , ordonne le Maître, fébrile.
- la main réduite à l’état de chaire (chair) meurtries (sans « s »)
- Un homme au visage à peine visibles (sans « s »)
Merci pour ton gentil com'
Woaaaaaaaaa !
Séléné <3<3<3 j'ai eu peur pour elle purée quand Eri l'attaque ! et ensuite j'ai fait que rager : mais pourquoi cette GOURDASSE est revenue dans la maison alors qu'elle avait reconnu la gamine disparue ? n'importe qui de sensé aurait prévenu la police enfin !
Je les voyait déja, Eri et elle se partager les taches ménagères en se battant pour l'affection du maitre... et j'étais dégoutée !
et puis... tadaaaaaaaaaaa ! elle avait prévu le coup ! HOURRA POUR SELENE !
Quand a Eri... bon... j'espère qu'elle va survivre, et réapprendre à redevenir elle même, retrouver sa famille, se reconstruire... mais si elle meurt vraiment ça va pas me traumatiser (chui méchante) avec le maitre arrêté et Séléné qui s'en sort, l'équilibre est plutôt positif meme si elle meurt (surtout qu'elle n'est pas elle même. Si elle peut pas reprendre le dessus il faut mieux qu'elle survive pas, j'imagine)(je voudrais bien quand meme qu'elle survive j'avoue :-()
si c'est pas la fin, j'ai un peu peur d'avoir crié victoire trop vite et que l'affreux s'échappe :x
Eri est sans doute pas le perso le plus attachant que j'ai créé XD mais je vais essayer de ne pas prendre ça pour une permission de mettre atrocement fin à ses jours ;-)
Et non, on est à la moitié de l'histoire, à peu près. Donc c'est pas la fin...
Enfin la police ! Mais qu'est-ce qui va se passer ensuite ? Le Maître est-il un savant fou ? Eri une frankensteinette ?
T'as vraiment du talent !
Trop, trop, trooooop hâte de lire la suite !!