Chapitre 6 : Le solstice

Clervie laissa quelques sanglots lui échapper, mais le regard d’Asha la força à se contenir. Elle ne voulait pas paraître faible devant elle. Elle ne devait pas paraître faible. Elle s’autorisa plusieurs inspirations profondes pour retrouver son sang-froid. Refouler, oublier, la mémoire devait se déliter. Une fois que ce fut fait, elle para ses prunelles de mépris et de dureté.

Asha n’avait pas cessé de la fixer. Elle ne disait rien, elle attendait une réponse.

Clervie releva un peu le menton.

— Pourquoi ? Parce qu’il le fallait. Tu as été conçue dans cet unique but.

La Sylvienne n’esquissa pas un geste, mais son regard se fit plus intense encore. Elle n’invitait pas la guérisseuse à continuer, elle le lui ordonnait. Et cela, sans prononcer un mot. Clervie se sentit insignifiante face à cette volonté puissante qu’elle n’avait jamais eue. Mais elle parvint à chasser ses doutes pour reprendre d’une voix froide :

— Tu veux rendre le monde meilleur, non ? C’est bien ce que tu m’as dit quand je t’ai hébergée ? Eh bien, je te donne l’occasion parfaite de contribuer à ce rêve. Pour cela, il suffit que tu me donnes ce bébé.

Asha ne répondit pas, et son refus n’en fut que plus retentissant. Clervie serra les dents en sentant ses doigts trembler.

— Ma mère était une Porteuse, mon père était un Arsalaï. Il a reçu une prophétie de l’Esprit de la baleine bleue. Cette prophétie dit que si on croise trois fois le sang d’un Porteur et d’un Sylvien, on obtiendra un être puissant qui aura le pouvoir de changer les choses, de réunir les deux mondes sous une même bannière. Voilà pourquoi je suis née, voilà pourquoi tu es née, et voilà pourquoi Eryn est née. Elle est l’aboutissement de ces trois générations de Sang-Mêlés. C’est elle qui va changer le monde.

Asha ne prononça pas un mot, son silence était une torture. Il y avait bien quelque chose sous ses traits immobiles, quelque chose que Clervie pouvait atteindre avec son pouvoir. Mais il était dangereux de s’aventureux dans cet esprit trop acéré pour elle.

— Sache que la prophétie dit aussi qu’Eryn pourra détruire le monde. C’est pour ça qu’il faut être prudent, contrôler les choses. C’est pour ça que tu devrais me la confier.

La guérisseuse sentit sa voix se tordre légèrement. Elle savait bien que c’était inutile, et le silence de son interlocutrice le souligna sobrement. Sa respiration se fit plus saccadée. De quel droit cette gamine se permettait-elle de ne pas lui répondre ? De quel droit portait-elle sur elle un regard si sentencieux ? Les mains de Clervie se mirent à trembler.

— Tu comprends ? siffla-t-elle. Tu n’existes que pour servir ce but. Alors tu dois être digne de la vie que j’ai daigné t’accorder.

Toujours ce silence plus éloquent que mille mots. La Porteuse se sentit de nouveau perdre pieds.

— Tu es née pour ça, c’est pour ça que je t’ai abandonnée ! Je ne t’ai JAMAIS aimé, ni toi ni ton IDIOT de père !

Le voix de Clervie se brisa malgré elle, elle sentit son visage se fissurer.

Si, souffla une voix dans son esprit.

 

~

 

Clervie berçait Asha dans ses bras, les yeux plongés dans les iris bleu pâle du bébé. Ce regard avide et naïf l’hypnotisait. Elle leva une main pour agiter ses doigts au dessus du visage de sa fille tendit ses petits points boudinés. Ses lèvres s’ouvrir pour dévoiler ses gencives nues en rire mélodieux. Clervie serra Asha contre elle. Qu’elle était belle, cette petite chose.

— Salut ! lança Séla.

— Salut.

— Oh, elle est trop choupinette.

L’Arsalaï caressa la joue de la petite fille qui émit un nouveau gazouillis.

— Ça va ?

— Oui, elle a bien dormi cette nuit, du coup moi aussi.

— Super.

Séla balaya la nurserie du regard. Les bambins vaquaient à leurs occupations et les babillages allaient bon train. Depuis que Ealys avait eu trois ans, la jeune femme avait pleinement repris son rôle d’Arsalaï, mais elle était de corvée de visite médicale pour les petits.

— Je crois que je vais avoir du mal à les attraper, commenta-t-elle avec un sourire amusé.

Clervie eut un léger rire.

— Tu peux commencer par Asha, elle est calme ce matin.

— Je vois ça.

Séla s’accroupit face à son amie et tâta la poitrine de l’enfant qui essayait de lui attraper les mains.

— Elle est toute câline, c’est trop mignon, dit-elle, ce qui fit sourire la mère.

Elle posa une oreille sur le ventre du nourrisson et le prit pour le regarder sous toutes les coutures.

— Ma foi, rien d’anormal. Elle se porte comme un charme.

— Pourtant elle continue de pleurer, le soir.

L’Arsalaï se pinça les lèvres.

— Ça arrive chez certains bébés. C’est une réminiscence de la vie passée de l’essence qui a rejoint trop tôt la Source. Ça devrait passer d’ici quelques semaines.

Clervie reprit Asha dans ses bras, sceptique.

— Bon ! Va falloir que j’attrape les petits, moi.

Le spectacle de Séla qui poursuivait les bambins peu désireux de se soumettre au contrôle offrit une distraction plaisante à Clervie. Dès que son amie fut partie et que les cris se turent, elle s’endormit sans s’en rendre compte, allongée sur le dos. Sur sa poitrine sommeillait déjà une bouillotte vivante.

 

 

Clervie n’avait pas quitté la nurserie depuis longtemps, mais à l’occasion de la fête du solstice, elle décida de rejoindre le centre du village en laissant Asha au soin d’une autre reine. L’endroit était en ébullition, tout le monde se hâtait pour achever les préparatifs. On allumait les grands feux de joie qui grandissaient à vue d’œil et on disposait partout des mets savoureux.

Lorsque le crépuscule rougit les feuilles les arbres, les Sylviens étaient fin prêts à célébrer l’apogée de la saison chaude.

La cérémonie commença par une tirade de Moïa et une danse très codifiée du reste des Arsalaïs. Puis les membres de la tribu furent invités à danser eux-aussi, vêtus de l’habit traditionnel de cette fête qui se résumait à un pagne de tissu doré et un collier de graines de cerises.

Clervie, malgré sa fatigue, ne put résister à l’envie de se joindre aux danseurs. Elle fut très vite rejointe par Aedan.

À la lueur changeante des flammes, sa peau se parait d’or comme de ténèbres dont les ombres  mettaient en valeur sa musculature. Un aigle magnifique volait sur ses omoplates, ondulant avec une grâce sauvage. La sueur de la danse vint bientôt teinter le guerrier de minuscules étoiles éphémères. Clervie avait déjà ressenti cette chaleur étrange dans son bas-ventre en le voyant, surtout depuis la fin de sa grossesse, mais cette fois-ci, plus qu’une simple sensation ce fut un ordre impérieux qui monta de ses entrailles. Sa gorge se fit sèche et ses yeux avides. Elle hésita le temps de faire le tour des flammes. Elle se rappelait de cette première et unique fois, et cela avait tendance à la retenir.

Mais quand Aedan acheva un mouvement fiévreux et empli d’harmonie, qu’elle entraperçut ce qui se trouvait sous son pagne, elle sut que c’était le moment. Elle s’avança, toujours en rythme, et lui prit la main.

Ils émergèrent du cercle des danseurs, frissonnants et déjà brûlants. En allant vers la forêt, ils passèrent devant leur maison en construction, près de la rivière. Clervie se sentit beaucoup plus légère malgré la chaleur qui enveloppait ses sens.

Elle le guida dans un endroit calme à l’abri des regards. Les yeux du jeune guerriers étaient emplis d’espoir.

— Tu es sûre, cette fois ? s’enquit-il en tentant de contenir son enthousiasme.

Elle hocha la tête, un sourire voluptueux flotta sur ses lèvres. Elle ouvrit ses bras et il s’empressa d’y plonger son corps.

Clervie reconnut les sensations, mais elles étaient différentes. Tout était plus envoûtant, plus transcendant, plus beau. Elle aima chacun de ses baisers, chacun de ses caresses, chacun de ses regards enflammés. Et quand elle vit la chose face à elle, elle ne la trouva pas effrayante. Au contraire, elle l’accueillit avec délice.

Dans le tourbillon qui l’emporta, un sentiment demeura souverain. Celui de l’amour qu’elle voyait se refléter dans les yeux d’Aedan.

 

Deux lunes plus tard, Clervie tomba de nouveau enceinte.

 

~

 

Asha avait frémi. Clervie tut ses paroles aiguës, souhaitant comme craignant qu’elles l’aient atteinte. La jeune mère descella alors les lèvres.

— Arrête de te mentir, dit-elle simplement.

La guérisseuse ne sut trop pourquoi, mais cette phrase lui fit l’effet d’un puissant coup. Elle en eut le souffle coupé et se figea, incapable de réagir autrement qu’en ouvrant bêtement la bouche.

Asha changea de position, son regard retomba avec une infinie douceur sur sa fille.

— Tu as ressenti ça, j’en suis sûre, souffla-t-elle à l’intention de Clervie.

Cette dernière sentit des larmes refoulées jaillir avec violence. Elle ne répondit pas et se contenta de gémir. Elle offrait un spectacle pitoyable. Elle décida de retirer cette vision pathétique à Asha et se leva en tremblant. Ses jambes semblaient trop molles pour soutenir son poids.

— Garde-la, balbutia-t-elle, garde-la. Je… ne m’en occuperai pas mieux.

Sa propre phrase amena des sanglots dans sa poitrine, elle s’essuya les yeux pour endiguer le flot de larmes, en vain. Elle se redressa tant bien que mal.

— Tu sais…

La voix d’Asha était si douce. La Sylvienne plongea ses yeux piqués d’or dans ceux de sa mère.

— Je suis contente que tu sois vivante.

Clervie se figea, avant de se déliter. Elle manqua de s’effondrer, elle se retint tant bien que mal à un arbre. Encore des larmes, mais elles avaient une saveur différente.

Asha se leva et lui prit la main. La soigneuse trouva sa peau étrangement frémissante. Son pouvoir lui souffla malgré elle que le calme de la jeune femme n’était qu’un masque.

— Tiens, dit Asha en enlevant un de ses bracelets.

Elle le posa dans la paume de Clervie qui ouvrit des yeux ronds.

— Ce n’est pas exactement la bonne pierre, toutes mes parures ont été prises par les rebelles, mais j’ai recréé du mieux que j’ai pu. Tu es une Laevi, toi aussi.

Le bracelet d’appartenance, tel que celui qu’elle avait porté pendant deux ans, épousa parfaitement son poignet. C’était un fil de lin sur lequel était accroché trois pierres, une pour la famille, une pour le clan, et une, d’une couleur spéciale, pour la tribu. Une douceur étrange berça Clervie. Elle releva la tête vers Asha, les larmes s’étaient tues.

— Merci, murmura-t-elle.

La Sylvienne haussa les épaules.

— Tu me raconteras, un jour, hein ? s’enquit-elle.

— Je… oui… si j’y arrive.

— Tu y arriveras.

Asha lui offrit un sourire rayonnant.

— Je… je vais y aller, fit Clervie. Je rentre chez moi.

Son interlocutrice hocha la tête.

— Au fait…

Elle posa son regard sur Eryn qui avait réussi à s’endormir.

— C’est un très beau nom que tu lui as donnée.

— Merci.

Qu’elle était belle, cette jeune femme qu’elle n’avait pas vu grandir. Un sourie timide se glissa les lèvres de Clervie.

— Au revoir, souffla-t-elle avant de se détourner.

— Au revoir !

La Porteuse s’en alla dans la forêt. Malgré ses jambes flageolantes et ses joues trempées, elle ne s’était pas sentie aussi bien depuis longtemps.

 

*

 

Ils traversèrent le col de Bergonosh en une journée. La lumière du jour peinait à passer au travers de ses parois de pierre. Keira avait rarement vu un édifice naturel aussi impressionnant. Elle peinait à imaginer la mesure des forces qui avaient sculpté l’inébranlable.

Les deux éclaireurs envoyés par Aedan rejoignirent très vite la troupe, ils annoncèrent avoir trouvé les traces du passage d’un important groupe de personnes. Le chef des Hekaours se mura dans un silence pensif. Si les humains empruntaient le col alors qu’eux-même s’en servaient pour aller au Sabbah, ils couraient un grand danger, à terme.

Cette nouvelle alourdit les épaules de Keira, heureusement, son compagnon était là pour lui remonter le moral. Il organisa une course à cheval avec quelques volontaires. La jeune fille se laissa prendre au jeu, et s’élança avec les autres participants. Un tonnerre d’échos envahit les murailles de granit. Keira gagna la course grâce à la vélocité de Zérif, mais sa joie fut de courte durée : les participants furent vivement grondés pour le peu de discrétion dont ils avaient fait preuve.

La jeune Hekaour baissa la tête face à fureur de son père. Depuis qu’elle lui avait annoncé son union prochaine, il se montrait dur avec elle. Elle détestait ce regard réprobateur qui ne la lâchait pas.

 

Malgré la beauté des parois rocheuse, elle fut soulagée de retrouver la grandeur du ciel à la sortie du col. Une plaine sauvage s’étendaient devant eux, rongée à son extrémité ouest par les champs des humains. Au loin l’océan s’étendait, mince bande grisâtre. Keira fut prise de l’envie impérieuse d’aller le voir de plus près, mais ce n’était pas le chemin qu’ils allaient emprunter. Ils devaient longer les montagnes, le plus loin possible des habitations, pour parvenir à Caracal, la plus grande forêt sacrée du continent. Caracal abritait à elle-seule les trois plus grandes tribus de Sylviens chez lesquelles se déroulaient tous les sept ans le Sabbah. Cette année, c’était Bibracte, la demeure des Ardyens, qui accueillait l’évènement. Keira lança son regard vers le nord-ouest, là où se trouvait Caracal, mais elle ne vit que la modeste forêt des Reïs, Baçhal. Elle réalisa que le chemin était encore long avant d’arriver à destination, elle se sentit un peu déçue.

En détournant le regard de l’étendue boisée, elle surprit le visage de Kurtis. Le jeune garçon ouvrait de grands yeux émerveillés face à ce paysage immense. Son expression fit revenir le sourire sur les lèvres de Keira.

— En route, nous ne devons pas trainer, annonça Aedan, arrachant les Sylviens à leur contemplation.

— J’ai trop hâte d’arriver, trépigna Oèn.

Sa compagne hocha vigoureusement la tête. Elle pressa son étalon sans même s’en apercevoir.

 

*

 

Le soleil du matin qui frappait la canopée lançait sur Daïré des morceaux de lumière vive. Elle ouvrit les yeux, éblouie. Elle grommela et changea de position. L’astre du jour avait déjà bien entamé sa course dans le ciel, elle ne devait pas tarder. Elle s’étira en bâillant, se disant qu’elle avait remarquablement bien dormi. La femme qui sommeillait encore à ses côtés n’y était sans doute pas pour rien.

Daïré contempla Aelig qui offrait au regard son corps merveilleux. Elle caressa des yeux ses paupières frémissantes ourlées de cils blonds et ses lèvres charnues, avant de s’attarder sur sa poitrine harmonieuse ornée d’un harfang. La chouette blanche tendait ses serres avant, semblant crier de fureur. Cette expression correspondait peu à la sérénité qui habitait la Hekaour endormie.

Daïré aurait pu la dévorer ainsi pendant des heures, mais elles avaient toutes deux un devoir à accomplir, alors elle secoua doucement l’épaule de sa compagne d’une nuit. Aelig cligna des yeux et se redressa.

— Il est déjà si tard… soupira-t-elle en constatant la clarté du jour.

— Eh oui.

Daïré se mit à genoux pour récupérer ses bracelets éparpillés. Elle eut du mal à différencier certains de ceux d’Aelig. Heureusement, cette dernière récupéra ses propres parures.

— Tu as beaucoup de bracelets-mémoire, remarqua l’Arsalaï.

— Et toi tu en as trop peu.

— Comment ça « trop » ? Ce mot n’a pas de sens, fit Daïré en haussant les épaules.

Les bracelets-mémoire étaient des bijoux de bois plats sur lesquels étaient gravés des souvenirs importants, contre la peau s’ils étaient négatifs, et visibles de tous s’ils étaient positifs. Ils se faisaient à la demande de leur porteur et les Arsalaïs devaient les bénir et les orner. Daïré n’aimait pas trop cette corvée, elle préférait la refiler aux cadets. Les Sylviens étaient ridicules, parfois. À force de vouloir tout immortaliser ils se retrouvaient avec des bras alourdis et perdaient de vue l’essentiel. Elle n’en avait qu’un, et il était gravé des deux côtés. Aelig savait parfaitement ce qu’il représentait. Quand elle la vit le mettre, elle ne put visiblement pas s’empêcher de demander :

— Pourquoi tu n’es pas allée au Sabbah ? Tu aurais pu le voir…

Daïré ne cacha pas son agacement. La moitié de la tribu lui avait déjà posée cette question.

— Je n’avais envie, c’est tout. Et puis il faut bien que je remplisse mon rôle, ici.

Aelig fronça les sourcils, elle la connaissait trop bien pour ne pas percevoir le mensonge, ce qui irrita un peu plus sa compagne.

— Il a choisi d’aller vivre dans une autre tribu, c’est son problème. S’il veut me voir, c’est à lui de faire le déplacement.

— Tu lui en veux, c’est ça ?

Daïré se pinça les lèvres, Aelig soupira.

— Fais comme tu veux, je veux juste que tu n’aies pas de regrets.

— C’est trop tard, de toute façon.

L’Arsalaï se leva et enfila sa robe.

— Désolée, je ne voulais pas t’énerver, entendit-elle dans son dos.

— C’est moi qui suis désolée, tu m’énerves pas. C’est lui qui m’énerve.

Aelig se leva elle-aussi. Elles traversèrent la forêt et arrivèrent au village.

— Je file, annonça Daïré.

Mais elle sentit une main la retenir.

— J’ai bien aimé, hier soir, lui confia Aelig en rougissant. Je ne suis pas trop habituée, avec les femmes… j’espère que je ne t’ai pas trop déçue…

L’Arsalaï eut une envie furieuse de l’embrasser, mais elle se retint.

— Tu rigoles ? J’ai pris mon pied, lança-t-elle avec un sourire franc. Allez, je dois vraiment y aller, salut !

— Tant mieux… à toute à l’heure !

Elles se quittèrent avec un bref salut. Daïré soupira en se dirigeant vers la hutte des Arsalaïs. Il ne fallait pas qu’elle s’emballe, elle savait qu’elle ne conquerrait jamais le cœur d’Aelig.

Elle repoussa le voile brodé qui servait de porte et entra dans l’atmosphère doucereuse de la hutte. Saoirse était agenouillée au fond du bâtiment, elle se redressa en entendant sa cadette arriver.

— Ce n’est pas trop tôt, siffla-t-elle.

— Désolée pour le retard.

— Tes batifolages ne doivent pas empiéter sur ton devoir, continua la vieille femme.

— Je sais, je m’excuse. Cette fois c’était… exceptionnel.

Saoirse s’avança vers elle, elle distinguait clairement son visage sévère malgré la pénombre.

— Tu as vingt-huit ans, il est grand temps que tu trouves un céil et que tu deviennes mère.

Daïré serra les dents et recula d’un pas.

— Ça n’a rien à voir avec mon retard, répliqua-t-elle.

Sa tante croisa les bras.

— Tu ne peux pas ignorer la volonté des Esprits plus longtemps.

— Qu’est-ce qu’on doit faire aujourd’hui ? Trier les parchemins, non ?

— Ne m’ignore pas !

Daïré sentit la rage embraser son corps.

— Je…

— Qu’est-ce qu’il se passe, ici ?

Les deux femmes se tournèrent vers Moïa qui venait d’entrer dans la hutte.

— Cessez de nous déshonorer en vous répandant ainsi dans la demeure des Esprits, lança-t-elle.

Saoirse sembla vouloir ajouter quelque chose mais elle finit par hocher la tête.

— Il faut trier les parchemins, oui, Oanell devait le faire avant de partir pour le Sabbah, mais elle a « oublié ».

— Daïré, tu peux t’en charger ? s’enquit Moïa.

— Oui, c’est bon.

La jeune femme inspira profondément pour éteindre les braises de son cœur. Elle se détourna de sa tante pour aller remplir sa tâche. Le regard de ses aînées pesait lourd sur ses épaules. Elle refoula ses pensées au profit de sa corvée.

 

En rangeant, Daïré retrouvera de vieux parchemins de tissu qui devait avoir plus d’une soixantaine d’année. Elle ne put s’empêcher de les parcourir, elle n’avait pas encore eu l’occasion de les lire. Celui-ci était un registre des naissances. Elle ne connaissait pas la plupart des noms qui y étaient mentionnés, mais celui de Mosha lui sauta aux yeux. C’était le vrai nom de Moïa. Elle eut un vague sourire, elle-même avait du mal à se rappeler le temps où on ne l’appelait pas par sa fonction.

 

Le soleil était au zénith quand elle eut fini. Elle sortit goûter l’air doux. La saison chaude approchait, ils fêteraient bientôt le solstice. Elle était impatiente à l’idée de pouvoir voir Aelig danser.

Elle rejoignit le centre du village où se déroulait le repas. Il y avait ici majoritairement des Teacs, la plupart des Hekaours étaient partis en patrouille. Mais Aelig entrainait la nouvelle génération non loin et mangeait donc au village.

— Salut ! lui lança Daïré.

— Salut, tu as bien travaillé ?

Elle s’assit au côtés de la jeune femme et attrapa un pain fourré aux bleuets qu’elle entama avec enthousiasme.

— Tu parles, j’ai fait que du rangement.

— Salut les filles !

Baharn les rejoignit, une écuelle de fruits bouillis à la main.

— Tu es déjà revenu de la chasse, toi ?

— J’ai eu de la chance, on a trouvé une biche blessée.

— Blessée par quoi ?

Le jeune homme haussa ses larges épaules.

— Je ne sais pas, elle a dû trébucher et s’écorcher sur un buisson d’aubépine. Ça arrive, parfois.

Daïré sentit son pouls s’accélérer. Le pisteur parut remarquer son air inquiet et fronça les sourcils.

— Quelque chose ne va pas ?

— Une biche blessée… c’est un signe.

Les deux Hekaours se figèrent. La jeune femme sentait le Silh s’intensifier.

— Un… un signe de quoi ? demanda Baharn.

— Je ne sais pas, mais j’ai un mauvais pressentiment.

Daïré avala le reste de son pain et se leva.

— Où est cette biche ?

— On vient juste de la ramener, elle va être préparée pour ce soir…

— Je veux la voir.

— Je t’accompagne, annonça Aelig.

— Non, reste manger.

Daïré se détourna, elle sentait une anxiété étrange imbiber tout son être sans qu’elle ne puisse en déterminer la provenance. Elle courut presque jusqu’à la réserve, un bâtiment à moitié enseveli. Elle trouva l’animal suspendu par les pattes non loin de l’entrée. Une longue et large plaie zébrait son flanc. On aurait presque dit la marque d’une lame. La jeune femme caressa la blessure. Le Silh s’agitait, elle sentit un flux parcourir ses doigts.

— Que fais-tu ?

Daïré sursauta et se retourna pour voir Moïa approcher.

— Tu m’as fait peur, Ma.

— Je suis désolée, ce n’était pas mon intention. Je suis venue car j’ai senti une perturbation dans le Monde Invisible.

— Baharn a trouvé cette biche blessée ce matin… je crois que c’est un signe.

Lorsque les yeux de Moïa se posèrent sur le cadavre, Daïré la vit se tendre.

— Ma ?

Les jambes de la vieille femme tremblèrent.

— C’est effectivement un signe, dit-elle d’une voix anormalement chevrotante. Un malheur approche.

Elle paraissait soudain plus menue.

— Viens, allons méditer. Il faut démêler ceci.

Daïré saisit la main squelettique qu’elle lui tendait. Le contact de cette peau parcheminée fit naître une nouvelle angoisse. Elle jeta un dernier regard à l’animal.

La biche était le totem de Moïa.

 

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Guimauv_royale
Posté le 23/07/2021
Coquilles

1-
- Je ne t’ai JAMAIS aimé, (aimée, Clervie parle d’Asha)
- Elle leva une main pour agiter ses doigts au dessus du visage de sa fille (qui ?) tendit ses petits points boudinés.
- Ses lèvres s’ouvrir (souvrirent)
- pour dévoiler ses gencives nues (un ?) en rire mélodieux.
- Mais quand Aedan acheva un mouvement fiévreux et empli d’harmonie, qu’elle (“qu” est en trop) entraperçut
- Les yeux du jeune guerriers (guerrier)
- Un sourie (sourire) timide se glissa les lèvres de Clervie.
- La jeune Hekaour baissa la tête face à (la) fureur
- Malgré la beauté des parois rocheuse, (rocheuses)
- Une plaine sauvage s’étendaient (s’étendait) devant eux,
2-
- Daïré contempla Aelig qui offrait au (à son ?) regard son corps merveilleux.
- Elle eut du mal à différencier certains (j’aurais plutôt mis l”es siens” non ?)de ceux d’Aelig.
- Daïré retrouvera (retrouva) de vieux parchemins de tissu


Remarques

1- (dans la 1ère partie tu répètes beaucoup de fois, tu le dis de manière différentes mais globalement c’est ça : “Asha ne dit pas un mot, son silence était lourd/voulait dire beaucoup”)
2- Au loin l’océan s’étendait, (tu as déjà dit “s’étandait la phrase juste avant du coup ça rend moche)
AudreyLys
Posté le 24/07/2021
ok merci !
_HP_
Posté le 15/04/2021
Hi !

J'aime beaucoup Moïa, je suis triste 🥺😢 Je savais déjà qu'il allait se passer un truc quand elle a dit adieu à Kurtis, mais là... Le suspense grimpe 😅 (et en parlant de Kurtis, d'ailleurs, j'ai hâte de voir l'histoire avec son totem et tout !)
La fin de la discussion entre Asha et Clervie est touchante, on sent qu'elles sont un peu heureuses de s'être retrouvées, même dans ces circonstances. J'ai hâte de voir l'évolution ^^
Encore un chapitre super <3
AudreyLys
Posté le 15/04/2021
Contente que ça te plaise toujours, merci pour tes com’ ╰(*´︶`*)╯♡
Alice_Lath
Posté le 23/05/2020
Brrr, la flippe, d'un coup la tension grimpe. Et ouais, hâte qu'ils arrêtent de mettre la pression sur toutes les femmes de ce bouquin pour être mères, merde! Y'a qu'Adhara qui échappe à cette pression, c'est fou. Et à la fin, ce mauvais signe, évidemment va y avoir une couille dans le potage, j'espère juste que Moïa aura la mort digne qu'elle mérite. Parce qu'elle a carrément les tripes pour ça. Et Clervie, jlaime toujours pas mais je compatis un poil plus avec elle. N'empêche, son karma reste fortement négatif, c'est une tarée d'avoir fait ça, zut!
AudreyLys
Posté le 23/05/2020
Tu crois que c’est un message subliminal destiné à ma mère 🤔😂
Je suis contente que tu aimes le perso de Moïa, je pensais qu’elle n’était pas attachante^^
Bravo, t’es à jour sur DE 🎉 !! À moi de l’être sur Accalmie maintenant !
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