Chapitre 5 : L'enfant

Notes de l’auteur : C'est un chapitre assez délicat...
TW : relation sexuelle plus ou moins consentie

Clervie courait, mais ce n’était pas facile d’aller vite dans ce sous-bois épais. D’autant que le bébé qu’elle portait n’était pas aussi léger que sa petite taille le laissait supposer. La respiration bruyante, la jeune femme jeta un œil aux quelques étoiles qui perçaient la canopée pour être sûre qu’elle n’avait pas dévié. Ce n’était pas le moment de se perdre.

Elle n’avait jamais été très sportive, elle était déjà à bout de forces. Elle regrettait d’avoir refusé la mule que lui avait proposée Angelus.

Allez, un petit effort. Pour la prophétie.

Mais elle entendit une rumeur derrière elle. Un son sec et sourd qui se répercutait dans la forêt. Elle comprit avec un regard en arrière qu’il s’agissait d’Asha qui la poursuivait. Son cœur bondit dans sa poitrine. Comment avait-elle fait pour la rattraper si vite ? Clervie tenta d’accélérer la cadence, mais son corps n’obéit pas. C’était peine perdue, Asha se rapprochait.

Alors la soigneuse stoppa net et sortit sa serpe de sa sacoche pour darder la lame sur l’enfant. Sa poursuivante la rejoignit en quelques foulée et s’arrêta sans un mot. Elle fut frappée par la dureté du regard d’Asha. Cette flamme noire qui brûlait dans ses iris semblait vouloir la dévorer.

— Laisse-moi partir, siffla Clervie d’une voix trop tremblante. Et je n’aurai pas besoin d’infliger des cicatrices à ta fille.

— Non.

La kidnappeuse frémit. Jamais elle n’avait entendu un « non » aussi catégoriquement froid, implacable. Elle raffermit sa prise sur le manche de sa serpe et en approcha la pointe du front du bébé.

— Une entaille ou deux, ça se soigne rapidement, mais elle sera marquée à vie.

Asha ne répondit pas, elle la fixait. Ce simple fait suffisait à maintenir le rythme cardiaque de Clervie à son maximum.

— Très bien alors, je vais lui crever les yeux. Je n’ai pas besoin qu’elle voie.

— De quoi as-tu besoin ?

La voix atone de la Sylvienne sembla résonner dans la forêt. Elle contrastait beaucoup trop avec son expression emplie d’une rage froide.

— Comme si j’allais te le dire.

Clervie recula d’un pas, Asha avança alors un pieds. Elles s’immobilisèrent toutes les deux.

— Pourquoi tu veux récupérer ce bébé ? Tu ne l’a pas voulu ! Je vais bien m’en occuper, je t’assure, alors pourquoi tu veux conserver cette charge ?

— Bien t’en occuper en lui crevant les yeux ?

La colère monta, Clervie serra les dents.

— Ça, c’est si tu ne me le laisses pas partir.

— Je ne te laisserai pas partir.

— Très bien, répliqua la guérisseuse d’une voix frêle, alors dis au revoir à son œil gauche.

Avec une lenteur calculée, elle posa la lame sur la paupière fermée du bébé. Sa main tremblait. Elle prit une grande inspiration. Pour la prophétie.

Alors qu’elle s’apprêtait à entailler la peau tendre, elle surprit un mouvement. Elle serra le nourrisson contre elle, juste à temps. Asha lui faisait désormais face, son souffle brûlant balayait son visage.

— Donne-la moi, ordonna-t-elle.

Cette voix lourde écrasa le peu de sang froid qu’il restait à Clervie.

— Non ! Cet enfant est À MOI ! Tu ne peux pas comprendre, TOUTES ces années ! La prophétie, j’ai fait tout ça pour !

Sa voix partait dans les aigus, ce qu’elle disait n’avait aucun sens. Mais les paroles s’enchaînaient, se poursuivaient, se bousculaient sans qu’elle ne puisse les retenir.

— J’accomplirai sa volonté ! Le monde sera meilleur ! Toi, VAS T’EN !

Alors que les mots jaillissaient de ses lèvres, les larmes jaillissaient de ses yeux. Elle était décidément une incapable.

Cette dernière pensée l’emporta dans un tourbillon d’émotions et de souvenirs. Ces derniers glissèrent vers ce qu’elle redoutait. Elle fixa Asha, soudain muette. Qu’est-ce qu’elle avait grandi.

 

~

 

 

Clervie s’était réveillée avec des maux de ventre. Elle avait mis cela sur le compte de l’eau de la rivière. Mais en cette fin d’après-midi, alors qu’elle travaillait dans le jardin, une étrange sensation entre ses jambes l’arrêta.

Elle sentit son cœur s’emballer. Elle avait peur de comprendre. La gorge serrée, elle enfouit sa main sous sa jupe. Quelques chose de chaud et mou avait coulé. Lorsqu’elle regarda ses doigts, elle les trouva couverts d’une mélasse brune. Des larmes lui piquèrent les yeux.

Il ne faut pas que Maman sache, se dit-elle.

Elle acheva d’entretenir les culture en reniflant. Alors que le crépuscule avait rougi l’horizon, le sang avait lui rougi ses cuisses. Elle était pâle et elle tremblait. La douleur dans son bas-ventre lui donnait l’impression que ses organes se tordaient. Elle courut jusqu’à la rivière et s’y lava les jambes. Le sang s’arrêta de couler, elle se crut sauvée. Mais une voix froide retentit derrière elle.

— Je peux savoir ce que tu es en train de faire ?

Clervie se figea et tourna son regard larmoyant vers sa mère.

— Je… je me suis tachée en plantant les navets…

Flavia ne répondit rien, ses yeux bleu sombre ourlés de cernes noires la disséquaient en silence. Elle s’approcha et observa sans gêne le filet écarlate qui coulait paisiblement sur la cuisse de sa fille. Son regard devint fiévreux.

— C’est le grand jour ! s’exclama-t-elle de cette voix vibrante que Clervie détestait. Il était temps !

Flavia se tut soudain et plissa les yeux.

— J’espère que tu n’étais pas en train d’essayer de me le cacher, siffla-t-elle.

La jeune fille avait peine à retenir ses larmes.

— B… bien sûr que non…

— Alors viens, on va s’atteler aux préparatifs. On en a déjà parlé, tu dois parfaire ton pouvoir avant d’infiltrer la tribu. Je veux que tu sois de retour avec un enfant dans l’année, alors ne perdons pas de temps.

Flavia attrapa sa fille par le bras.

— Attends, Maman…

— Quoi ?

Ses yeux houleux se fixèrent sur Clervie qui déglutit sans oser parler.

— Tu ne veux pas ? Tu oses protester ? JE TE L’AI POURTANT RÉPÉTÉ !

Sa poigne se fit douloureuse.

— Alors quoi ? Ton père s’est sacrifié pour rien ?! C’était son rêve, SON RÊVE ! Le monde doit être réunifié, et pour ça il faut suivre la prophétie ! CLERVIE, REGARDE-MOI ! Je ne te laisserai pas gâcher cet espoir avec tes caprices !

C’était plus fort qu’elle, les larmes avaient débordé. Elle hocha la tête, elle avait bloquée sa respiration.

Alors que sa mère l’entraina après elle, elle expira en un sanglot râpeux.

 

~

 

Asha avait profité de cet instant de panique, elle lui avait retiré l’enfant des bras et s’apprêtait à s’enfuir.

— NON !

Clervie se jeta en avant et attrapa un des colliers de la Sylvienne dont le souffle fut coupé. Elle tira de toutes ses forces, Asha recula avec un hoquet. Elle ne pouvait rien faire avec sa fille dans les bras. Cette dernière s’était brusquement réveillée du sommeil artificiel dans lequel Clervie l’avait plongé. Elle se mit à crier, ce qui ne fit qu’aggraver la panique de la soigneuse.

— RENDS-LA MOI ! J’EN AI BESOIN !

— Lâ… che…

Asha cala le bébé contre elle et libéra une de ses mains. Elle se retourna et lança son poing. Clervie fut touché au niveau de la joue. Elle bascula en arrière tandis que la douleur jaillissait. Mais elle ne lâcha pas le collier. Elle se sentit tomber, et Asha avec elle. Elle se retrouva écrasée et sonnée. La Sylvienne gigotait sur elle.

Clervie décida de lâcher prise. Elle laissa s’échapper le collier, mais surtout, elle laissa l’inconscience latente s’emparer d’elle. Les souvenirs s’emparèrent de son esprit en rêves doux-amers.

 

~

 

Les genoux contre sa poitrine nue, elle fixait le grand feu sur lequel se découpaient les silhouettes des danseurs. Elle devait choisir, elle devait de décider. Ça ne prendrait pas beaucoup de temps, juste quelques fois, et elle pourrait rentrer chez elle avec un nouveau Sang-Mêlé. C’était simple, elle devait juste accepter la chose en elle.

Alors pourquoi restait-elle là ?

Les mets disposés ça-et-là entre les cercles de danses avaient été dévorés. La plupart des adultes agitaient leur corps face aux flammes ou se retrouvaient déjà dans les broussailles. Elle se sentait seule, assise entre deux écuelles vides.

Clervie meurtrissait ses genoux avec ses ongles. Il fallait juste qu’elle se lève, qu’elle aille danser, qu’elle prenne un homme par la main. N’importe lequel, cela importait peu.

Allez, lève-toi, trouillarde.

Elle eut un soupir haché.

— Ça va pas ?

Clervie leva les yeux vers Séla, évitant de s’attarder sur son corps parfait. Elle se concentra plutôt sur ses prunelles ambrées. Aussitôt, elle pénétra dans son esprit et s’assura que la jeune femme ait l’impression qu’elles partageaient un Lien. C’était devenu un réflexe, à force.

Séla s’assit à ses côtés sans rien remarquer.

— Ta mémoire est revenue ?

Clervie secoua la tête. Son « amie » se pinça les lèvres.

— Tu viendras au prochain Sabbah, je suis sûre que tu pourras retrouver de quelle tribu tu viens.

La jeune fille hocha la tête en essayant d’avoir l’air enthousiaste.

— C’est ça qui te rend triste ? s’enquit Séla.

— Je… oui.

L’Arsalaï eut un sourire désolé.

— Tu ne veux pas venir danser ? Juste pour t’amuser, ça te ferait du bien.

Clervie fixa la paume tendue. C’était ce qu’il lui manquait, la volonté. Elle saisit la main de Séla en tremblant légèrement.

— Viens, souffla cette dernière de sa voix si douce.

Elle l’entraîna dans les premiers cercles, ceux des enfants. Mais très vite, l’attira vers le centre. Après tout, Clervie était une adulte. Comme l’attestait sa Marque déguisée en couleuvre, elle avait un totem. Elle avait donc effectué la cérémonie de la Maturité.

La jeune fille accrocha son regard à celui de Séla qui l’encourageait d’un sourire. Elle se refusa à regarder les hommes de tous âges dont la chose était discernable sous leur pagne de feuilles.

— Dan ! s’exclama Séla. Faut pas ralentir le rythme, voyons !

Comme pour donner l’exemple, elle se déhancha avec grâce. Personne ne dansait mieux que les Arsalaïs.

Clervie toucha le bras d’Aedan par mégarde et sentit un frisson la traverser. Elle percevait, confuse, les regards en biais qu’il lui lançait. La lumière dorée du feu ne parvenait pas à cacher le rouge des joues du jeune homme. C’était lui qui l’avait retrouvée, « perdue », à la Frontière. C’était lui, le premier homme qu’elle avait vu de sa vie. Du moins, le premier homme dont elle avait le souvenir.

Séla eut un gloussement.

— Qu’est-ce qu’il y a ? lança Clervie.

— Rien, rien.

Pourtant, l’Arsalaï lança un regard plein de sous-entendu à Aedan qui parut rougir encore plus.

Clervie déglutit et tenta de se concentrer sur la danse. C’était l’occasion, pourtant, l’occasion parfaite. Pourquoi ne pouvait-elle pas simplement accepter ce petit sacrifice ?

Elle secoua a tête et fixa son attention sur la cicatrice alambiquée qui ornait le torse de Séla. Elle savait que c’était censé représenter une faute qu’elle avait commise longtemps auparavant. Elle trouvait affreux de punir les gens ainsi.

Pas plus affreux que ce que demande Maman, souffla une voix perverse.

— Bien sur que si ! s’écria Clervie.

Séla et Aedan lui jetèrent un regard interloqué, elle rentra la tête dans les épaules.

Elle avait chaud, trop chaud. Le feu était proche, à quelques coudées, et ses membres s’agitaient si vite. Elle avait cédé à l’appel des tambours qui résonnaient partout. Elle se dit qu’elle aurait dû prendre plus de liqueur de champignons.

Eamon, le céil de Séla, arriva alors, et se glissa dans leur cercle en se calant sur leurs mouvements. Il lança une œillade évocatrice à la mère de sa fille qui eut un léger rire. Après quelques minutes à se regarder danser, le couple quitta les cercles pour le couvert de la forêt.

Clervie fixait la silhouette de Séla qui se faisait indistincte, désespérée. Elle l’abandonnait, elle était donc seule avec Aedan. Un frisson remonta le long de son échine, elle jeta un regard nerveux au jeune Hekaour qui le lui rendit.

Le silence entre eux semblait être assourdissant malgré le tintamarre des percussions.

Aedan, attendait, visiblement fébrile. Seules les femmes donnaient leur accord. Les hommes, eux, proposaient.

Clervie transpirait, elle n’en pouvait plus. Mais elle savait que si elle quitta le cercle maintenant, elle n’arriverait plus à y entrer de nouveau. C’était sa chance. Si elle enfantait, Flavia serait contente. Elle la féliciterait.

Mais alors qu’elle était en proie à ses hésitations, Aedan abandonna. Il se glissa entre les autres danseurs et quitta les cercles, les épaules étrangement affaissées.

Clervie le regarda faire, glacée malgré la chaleur ambiante. Elle voulut crier mais rien ne sortit de sa bouche.

Elle ne sut pas ce qu’il lui donna la force de bondir à la suite du jeune homme. Elle se lança vers lui et posa une main empressé sur son bras. Il sursauta et se retourna vers elle.

De sa gorge serrée ne sortit aucun son, mais elle attrapa sa main. Raide, elle l’emmena vers la forêt. Les buissons résonnaient de soupirs, ils marchèrent longtemps avant de trouver un coin paisible.

Une rivière murmuraient à cet endroit. Loin de la lumière des feux de joie, la nuit semblait plus dense.

Clervie tournait le dos à Aedan. Elle n’arrivait pas à le regarder.

— Ça va ? dit-il.

Sa voix était tremblante. Il paraissait fragile malgré sa carrure de guerrier.

— Tu sais… on… je… enfin…

Clervie fit volte-face vers lui. Elle plaqua son corps contre le sien. Une vague de frisson la retourna, elle serra les dents autant qu’elle serra Aedan contre elle. Elle ignorait comment s’y prendre, elle savait juste qu’il fallait qu’il enfonce la chose en elle.

Alors, quand il se dégagea doucement de cette étreinte angoissée pour reculer, elle sentit ses forces s’évanouir.

— Tu… n’as pas l’air de vouloir… bafouilla-t-il… ce n’est pas grave, tu sais… je..

Non ! hurla une voix dans l’esprit de la jeune fille. Pas si près du but.

— Si, je veux, lâche-t-elle. C’est juste que je ne me souviens pas de la cérémonie de la Maturité donc je ne me rappelle plus comment faire.

Elle reprit sa respiration. Cette dernière était saccadée.

Les joues d’Aedan étaient légèrement rosées à la lumière argentée de la lune.

— Alors… heu… je vais y aller doucement…

— Oui, oui, c’est ça.

Elle resta droite, sa peau effleura celle du jeune homme. Elle attendait. Les hommes sylviens n’étaient pas habitués à prendre les devants, mais le Hekaour daigna ignorer la coutume. Il posa ses lèvres sur celle de Clervie.

Elle sentit clairement une onde se propager dans son corps, elle se força à rester immobile. Les lèvres d’Aedan se firent plus pressantes, il l’entoura de ses bras et leurs peaux se rencontrèrent de nouveau. Elle se laissa entraîner au sol tandis qu’il commençait à explorer son corps. Elle répondit faiblement, les yeux fixés sur la chose qui se métamorphosait. Une seule question l’obnubilait : quand allait-il l’introduire en elle ? Pour l’instant, il semblait occupé à la couvrir de baisers. Elle était presque paralysée.

Quand ? Quand ? Quand ? Maintenant ?

Mais non, il était revenu sur ses lèvres. Il ne se contenta pas juste d’un baiser cette fois, il glissa sa langue danse sa bouche. Clervie ne répondit pas, ne fit rien, elle se laissa faire. Alors Aedan reprit sa parade, faisant danser ses lèvres sur sa peau prise de puissants frissons. Elle attendit, parvint à trouver un peu de plaisir dans ses caresses humides. Mais cela ne chassa pas son angoisse.

Aedan l’embrassa encore, mais la saveur était différente. Elle était plus pressante. Il lâcha sa bouche et enfouit le visage dans son cou avec un étrange soupir rauque.

Alors, Clervie sentit quelque chose de brûlant se glisser entre ses cuisses. Elle se tendit.

Aedan suspendit son geste et se mit à la fixer. Il dut voir la peur dans ses prunelles car il eut un mouvement de recul, balbutiant une phrase inintelligible.

La jeune fille s’obligea à le retenir d’une main qu’elle espérait voluptueuse. Elle repoussa le doute au plus profond d’elle-même et écarta les jambes. Son partenaire hocha la tête et reprit son œuvre.

La douleur perça, vite engloutie par un raz-de-marée de sensations contradictoires. Clervie ne savait pas si c’était agréable ou affreux, elle savait juste que c’était fort, très fort. Trop fort.

Une fois, deux fois, trois fois.

Ça y est, je suis enceinte ?

Mais Aedan continuait. Il émit encore ce bruit étrange, à mi-chemin entre le grognement et le gémissement. Clervie quant à elle avait la gorge bien trop serrée pour émettre le moindre son. Elle tentait de s’oublier sans y parvenir.

Enfin, le Sylvien cessa sa danse ignorante et bascula sur le côté après avoir étreint Clervie une dernière fois. Il était un peu essoufflé, mais surtout inquiet. Il cherchait le regard de la jeune fille tandis que celle-ci évitait le sien.

— Bien, réussit-elle à lâcher. Très bien.

Elle avait toujours été douée pour jouer la comédie, mais cette fois cela ne réussit pas.

— Je… je t’ai fait mal ? demanda-t-il d’une voix faible.

— Non, non.

Elle se leva difficilement, elle avait l’impression qu’il était encore en elle.

— Où… où tu vas ?

— Dormir, déclara-t-elle. Je n’y arrive pas dans la forêt.

Elle ignora son regard plein d’incompréhension et se détourna pour se diriger d’une démarche raide vers le village.

— Dé… désolé ! entendit-elle dans son dos

Elle continua son chemin. Elle pleurait.

 

~

 

 

Clervie se réveilla en sursaut. Le présent et le passé se mélangeaient dans son esprit affolé. Elle fouilla le décor d’un regard fiévreux.

— Tout va bien, entendit-elle.

Elle se figea et tourna lentement la tête vers Asha. Un feu crépitait entre elles. Clervie se hérissa en voyant le nourrisson dormir paisiblement dans les bras de sa mère.

— Qu’est-ce que tu fais ? Où sommes-nous ? cracha-t-elle.

— On a pas bougé, déclara Asha d’une voix bien trop douce. Tu t’es évanouie, je n’allais pas te laisser comme ça.

La guérisseuse ne dit rien, elle avait envie de donner une claque à cette fille trop gentille.

— Tu es stupide, siffla-t-elle au bout d’un temps.

La Sylvienne haussa les épaules, un léger sourire naquit sur ses lèvres.

— Tu m’es redevable, Clervie, lança-t-elle, tu me dois donc des explications.

L’intéressée la foudroya du regard. Sans répondre, elle tenta de se lever, mais un vertige la prit et l’amena de nouveau au sol.

— Ça va ?

Asha s’était précipitée sur elle pour la soutenir. Cette fois, Clervie eut envie de pleurer. Au lieu de ça, elle se mordit la lèvre. Elle était pitoyable.

— Ça va. Lâche-moi.

Elle remarqua alors que la main de la jeune mère qui tenait son bras tremblait. Elle leva les yeux vers son visage piqué de tache de rousseur. Mais ce fut la trace rouge de strangulation de son collier qui attira finalement son attention. Elle se sentit soudain creuse, à l’intérieur.

— Lâche-moi, répéta-t-elle d’une voix plus faible. Arrête de te préoccuper de moi alors que je t’ai fait tant de mal.

Asha obtempéra après s’être assurée que Clervie n’allait pas de nouveau s’évanouir. Elle reprit le bébé qu’elle avait posée avec un sourire doux. Un long silence entre tension et tendresse s’écoula.

— Elle s’appelle Eryn, finit par dire Asha.

— « Paix »… souffla la guérisseuse malgré elle.

La jeune mère se mit à la fixer avec insistance.

— Je le savais, dit-elle, tu en sais plus que tu ne veux le dire. C’est du shelka, seuls les Sylviens l’apprennent. Ce n’est même pas parlé entre nous.

Clervie détourna le regard.

— Qui es-tu ? insista son interlocutrice.

Elle ne reçut pas de réponse. La soigneuse retenait les mots qui voulaient s’échapper de ses lèvres.

Elle entendit Asha soupirer.

— Tu sais… ma mère portait ton nom… c’est étrange, hein.

Clervie sentit tous ses muscles se contracter. Elle tenta de ne rien laisser paraître, mais cette réaction ne pouvait rester invisible aux yeux inquisiteurs de la Sylvienne.

— Est-ce que… résonna sa voix emplie de questions. Serait-il possible…

— Non !

La guérisseuse s’était brusquement retournée, elle réalisa trop tard que les larmes avaient inondé ses joues. Asha la fixait, les yeux ronds. Cette échange muet déclencha un profond sanglot chez Clervie.

— Je… je suis désolé… balbutia-t-elle… Je ne voulais pas t’abandonner…

Elle se tut, elle en avait trop dit. La Sylvienne qui lui faisait face, de l’autre côté des flammes, semblait pétrifiée.

— Oublie-ça, s’il te plaît.

Asha demeura muette un long, très long moment. Elle parut enfin réussir à desceller ses lèvres. Un seul mot en sortit, chargé de tant qu’il pesait plus qu’un milliers de banalités.

— Pourquoi ?

Un sanglot monta encore dans le torse de Clervie, puissant, dévastateur. Ce simple échange charriait tout ce qu’elle avait voulu oublier. Tout ce qu’elle s’était refusée d’aimer.

 

~

 

La nurserie était un grand bâtiment à moitié ouvert sur l’extérieur. Son sol était couvert de coussins et de jouets que des enfants de zéro à sept ans manipulaient en babillant.

Clervie y pénétra pour aller retrouvé Séla, une question brûlait ses lèvres.

— Bonjour, lança-t-elle d’une voix tendue.

— Bonjour, répondit l’Arsalaï, un bambin dans les bras.

— Comment je sais si je suis enceinte ?

Séla lui jeta un œil intrigué.

— Eh bien… généralement on le voit parce qu’on arrête de saigner, mais je peux aussi faire un test.

— Fais-le, s’il te plaît !

Les sourcils de la jeune femme s’abaissèrent encore.

— Pourquoi es-tu si pressée ?

Clervie gratta le sol du pied.

— Je… je veux savoir, c’est tout.

— Mmmh.

Malgré son air sceptique Séla lui sourit.

— Dans ce cas urine dans un récipient et donne-le moi, je te le dirai demain.

— Comment ça marche ?

— C’est un peu compliqué. Une préparation à base de plantes qui change de couleur si tu es enceinte.

— Ah, d’accord…

— C’est Dan, le père ?

Clervie sursauta et eut un mouvement de recul.

— Pardon… je ne voulais pas paraître indiscrète.

— C’est… c’est personnel.

— Oui, bien sûr. Je comprends. C’est juste que… Dan, c’est un peu mon frère, tu vois. Je me sens concernée.

— Ce n’est pas lui, mentit l’infiltrée sans savoir pourquoi.

Le sourcil droit de Séla tressaillit, mais elle se contenta d’hocher la tête.

— J’ai du travail, dit-elle, j’y vais.

— Oui, je t’apporte l’urine ce soir.

— Pas de problème. Je peux te demander de garder les petits ? Normalement je ne suis pas censée travailler mais Moïa a besoin de moi pour un enchantement spécial.

— D’accord. Ça ne me dérange pas.

— Merci, tu me sauves, salut !

Clervie secoua la main sans conviction tandis que son amie s’éloignait d’un pas pressé. Une petite main toucha son mollet, elle se baissa vers Ealys, la fille de Séla.

— Maman… va où ? demanda la fillette, pas encore à l’aise avec les mots.

— Elle revient, ne t’inquiète pas. Je vais m’occuper de vous en attendant. Ça te va ?

Ealys hocha vigoureusement la tête. Malgré ses angoisses, la jeune femme se sentit fondre de l’intérieur face à ce sourie innocent.

— Je suis la cheffe ! s’écria une voix haute perchée.

La nounou leva les yeux vers un un amoncellement de jouets sur lequel Artis, quatre ans, se dressait fièrement, armée d’un bâton.

— C’est moi qui va chasser !

Près d’elle, Oanell, à peine plus âgée, tenta de la bousculer.

— Nan, c’est moi !

Cela déclencha une bagarre entre les deux prétendantes. Clervie se précipita vers elles, manquant de renverser Oèn qui s’aventurait prudemment sur ses deux pieds.

Les bambins nécessitaient tant d’attention, la tête lui tournait. Mais dans le même temps, le souvenir de la veille se fit moins pesant. Elle parvint ainsi à patienter jusqu’au soir.

 

Quand elle apporta l’échantillon à Séla, ses mains était tremblantes. Elle attendit devant la hutte des Arsalaïs, elle n’avait pas le droit d’y pénétrer d’elle-même.

— Ah, tu es là.

Son amie émergea avec un sourire.

— J’ai déjà préparé, ça devrait être court. Donne-moi ça.

Dans les mains de la Sylvienne, l’écuelle cessa de tressauter.

— Attends, je reviens tout de suite.

Figée devant l’entrée de la bâtisse, Clervie ressentit plus fort la froideur de cette soirée d’automne.

Enfin, Séla revint.

— Effectivement ! s’exclama-t-elle. Tu es enceinte ! Tu as eu une bonne intuition. Et, mais…

Elle rattrapa Clervie dont les jambes avait cédé.

— Ça va pas ?

— Je…

Un sanglot interrompit sa phrase.

— Assieds-toi et respire. Désolée t’avoir été si directe, je ne savais pas que cela te ferait tant d’effet.

Clervie essaya ses larmes.

— Ça va, ça va. Je… je vais aller marcher un peu.

Séla hocha la tête, la mine inquiète.

— Tu veux que je t’accompagne ?

— Non merci.

Clervie se détourna, sentant le regard de l’Arsalaï sur ses épaules. Ce ne fut que quand elle fut hors de portée d’oreilles qu’elle laissa les pleurs l’engloutirent. Elle marcha sans but, la forêt restait la même, de toute façon. Mais elle avait oublié à quel point les Sylviens aimaient se retrouver seul dans les bois.

— Clervie ?

Elle sursauta et fit volte-face. Aedan émergea de la pénombre, la considérant avec anxiété.

— Tu ne vas pas bien ? C’est… c’est à cause de moi… ?

— Non, non. Enfin…

Elle se surprit à penser à l’avenir. Flavia lui avait dit qu’il valait mieux qu’elle accouche parmi les Sylviens pour garantir la santé du bébé. Mais ceux-ci n’accepteraient pas qu’elle donne la vie sans avoir désigné de père officiel.

— Aedan, déclara-t-elle d’une voix blanche, je suis enceinte.

Il frémit, eut un léger mouvement de recul.

— De…

— Pas de toi.

Encore ce mensonge, elle ne comprenait pas pourquoi elle disait ça.

Il sembla chercher ses mots. Ses prunelles ne savaient pas où se poser.

— Écoute, finit-il par lâcher, sache que… que je te soutiens… je veux dire… je voudrais… j’accepterai de me dévouer à tes enfants si… tu le souhaites…

C’est alors ses joues rosissaient, que son regard hésitait, que ses lèvres bafouillaient, que Clervie le trouva beau. Et plus encore, elle fut frappée par le sentiment qu’il portait à elle à demi-mots. Jamais personne n’avait été ainsi avec elle.

— Je te choisis, déclara-t-elle. Je te choisis pour élever mes enfants. Tu seras mon céil.

Aedan sursauta et parvint enfin à plonger ses iris dans ceux de la jeune fille. Elle y vit le bonheur et la dévotion. Comment pouvait-il l’aimer autant alors qu’ils se connaissaient à peine ?

Il s’inclina bien plus bas que le voulait la coutume.

— Merci, souffla-t-il.

Prise d’un élan qu’elle n’avait jamais connue, Clervie l’enlaça.

Tout devint plus doux.

 

Ils célèbrent l’union une lune plus tard.

À chaque jour qui passait, Clervie sentait quelque chose grandir en elle, et ce n’était pas seulement son enfant.

Le temps passa si vite.

Une nuit d’été, la poche des eaux se rompit.

Ce fut long et douloureux. Mais ils étaient là, lui et Séla. Leur présence fut plus salvatrice que tous les soins que les Arsalaïs lui prodiguaient.

Elle crut mourir, elle donna la vie.

Elle aurait dû quitter la tribu, à cet instant-là. Rejoindre sa mère qui l’attendait. Elle était venue pour ça.

Mais il y a Aedan, Séla.

Et Asha.

 

Clervie ne partit pas.

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Guimauv_royale
Posté le 11/07/2021
Coquilles

- Sa poursuivante la rejoignit en quelques foulée (foulées)
- Asha avança alors un pieds. (Pied)
- — Ça, c’est si tu ne me le (“le” est en trop) laisses pas partir.
- Clervie fut touché (touchée) au niveau de la joue.
- elle devait de (se) décider.
- les hommes de tous âges (tout âge)
- Mais elle savait que si elle quitta (quittait) le cercle
- et posa une main empressé(e) sur son bras.
- Une rivière murmuraient (murmurait) à cet endroit.
- vers son visage piqué de tache (taches) de rousseur.
- Elle reprit le bébé qu’elle avait posée (posé)
- Cette (Cet)échange muet déclencha un profond sanglot
- — Je… je suis désolé… (désolée, c’est Clervie qui parle)
- chargé de tant qu’il pesait plus qu’un milliers (millier) de banalités.
- la jeune femme se sentit fondre de l’intérieur face à ce sourie (sourire) innocent.
- La nounou leva les yeux vers un un (1 “un” est en trop) amoncellement
- ses mains était tremblantes (étaient)
- Désolée t’avoir (d’avoir) été si directe,
- Clervie essaya (essuya) ses larmes.
- C’est alors (que) ses joues rosissaient,
- Mais il y a (avait) Aedan, Séla.
AudreyLys
Posté le 12/07/2021
Merci :3
_HP_
Posté le 15/04/2021
Hello !

Je m'en suis doutée dès qu'elle a dit que Asha avait beaucoup grandi, mais... Quoi ??? 😱😂
C'est génial comme retournement de situation, vraiment ! Même si, comme dit Alice, c'est encore pire quand on voit ce qu'elle a fait à Asha après... 😳
Sinon j'aime bien les petits flashbacks de l'adolescence de Clervie ^^
Et j'ai ri, quand Séla a dit qu'elle voyait Aedan comme un frère xD
J'ai beaucoup aimé ce chapitre !
AudreyLys
Posté le 15/04/2021
Hey (*´꒳`*)
Merci ! Les plot twist c’est toujours un peu compliqué à gérer du coup je suis contente si ça t’a convaincue !
Ah bon pourquoi ça t’as fait rire ? X)
<3 <3
_HP_
Posté le 15/04/2021
Ca m'a fait rire parce qu'au final quelques années plus tard ils se marieront x) (ou alors je mélange tous les persos xD)
AudreyLys
Posté le 16/04/2021
Hah oui c'est bien eux, mais c'est plus par un concours de circonstance que par leur volonté x)
Alice_Lath
Posté le 23/05/2020
Ooooh, oooooooh, oooooooooh, whaaaat, alors là je suis mindfucked de ouf, c'est génial comme retournement haha, purée, je m'y attendais pas deux secondes. En même temps, ça excuse rien du côté des méfaits de Clervie, au contraire, ça ne fait que les aggraver encore plus. Comment elle a osé faire ça? Je me le demande. Mais du coup, ça veut dire que les sang-mêlés peuvent avoir des tatouages eux-aussi, ça c'est intéressant. Et Asha n'a pas eu de marques. Enfin, beaucoup de questions, j'ai hâte d'en savoir plus héhéhé
AudreyLys
Posté le 23/05/2020
Je suis tellement soulagée que ce plot twist te plaise, j'avais peur que ce soit tiré par les cheveux !
Merci <3
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