Chapitre 6. Loupe'à la Loupa!

Par Moje
Notes de l’auteur : Chapitre 6 mis à jour

                -Prend à gauche, là.

-C’est une idée plus que stupide !

-Tais-toi et avance moins vite ! Tu vas nous faire repérer !

Serrant les dents, Arka obéit. De toute façon il était trop tard pour faire machine arrière. Depuis deux jours, elles étaient de nouveau poursuivies par les précurseurs.

Après avoir assisté à la course-poursuite du le fugitif à cheval, elles avaient finalement décidé de continuer sur leur lancée. Mais à peine arrivées au village, elles les avaient retrouvés. Leur victime était un sorcier entre deux âges, complètement exténué par la traque. Son cheval, lui, était mort d’épuisement. Les précurseurs l’avaient attaché à un arbre et s’apprêtaient à l’abattre au sabre sous l’œil indigné des villageois, qui, bien que mécontents qu’on fasse un tel sort à un malheureux, qui plus était dans leur propre village, n’intervenaient que par quelques grognements.

Ecœurée, dégoutée et indignée, Dacha n’avait pas supporté le spectacle et il avait fallut qu’elle trouve un moyen, même sans magie, de sauver son collège. Arka s’était retrouvé à faire diversion, mimant à la perfection la folie passagère, et sa nouvelle amie en avait profité pour se glisser derrière l’arbre et trancher les liens du malheureux. Avant de s’enfuir, ils avaient tous deux attendus qu’Arka ait été interceptée par les précurseurs. Agacé, leur chef l’avait souffletée puis jetée eux habitants du village en leur ordonnant de ne pas se mêler de cette histoire. Les villageois, eux, n’avait rien compris, la gamine n’étant pas des leurs, mais comme elle avait bien vite disparut personne n’avait fait d’histoire. Puis, Dacha et le sorcier s’étaient enfuis en « volant ».

-Je vous remercie, mesdemoiselles. Du fond du cœur, leur avait-il dit avant de disparaître.

Lui au moins pouvait encore utiliser la magie. Dacha fut bientôt confrontée à l’exaspération d’une course poursuite en étant privée de ces propres pouvoirs. De nombreux sorciers pouvaient les utiliser pour se cacher aux yeux de leurs poursuivants, ou bien pour courir très vite.

-C’est ce que l’on appelle couramment « voler », lui avait expliqué Dacha, alors qu’elles avaient trouvé refuge dans une cabane de pécheur, au fond d’une forêt. En bref, nous courons sans plus toucher le sol et note vitesse est décuplée.

-Ce serait pratique, en effet. Nous serions déjà à Grumeaux !

-Pas… tout à fait. La distance de vole et la vitesse dépendent de la puissance du sorcier. Je ne suis pas capable de me déplacer sur une telle distance, surtout avec un passager. C’est très éprouvant ! Mais cela nous aurait au moins permis de mettre un peu de distance entre nous et les précurseurs…

Bien vite, ces derniers avaient retrouvé leurs traces. Cinq cavaliers, toujours accompagnés d’un sorcier, souvent sous la forme d’une buse ou d’une corneille pour surveiller la terre depuis les cieux. Leur échapper n’était pas une mince affaire, et les deux femmes avaient préféré continuer à travers les bois tant pour freiner les chevaux que pour se cacher aux yeux du sorcier ennemi. Le problème était qu’ainsi Grumeaux se rapprochait beaucoup plus lentement !

-Si nous atteignons la ville, nous sommes sauvées. Les précurseurs n’oseront pas s’aventurer dans une si grande agglomération, surtout si elle est le territoire d’une organisation de sorcières. Ma sœur fait partie de la Consoeurie des Sorcières de Grenier, elle nous accueillera, avait dit Dacha.

Malheureusement pour elles, Grumeaux était encore loin, et Arka était tellement tendue qu’il lui semblait perpétuellement entendre des bruits de sabots se rapprochant au galop.

Au cinquième jour de voyage, elles atteignirent le village d’Harveur, le sac vide et l’estomac criant famine. Il leur fallait se réapprovisionner aussi discrètement que possible, dans l’hypothèse où les précurseurs les auraient devancées pour les attendre à Harveur. Arka était donc partie acheter le pain et la viande séchée, Dacha le fromage et quelques pilduick. Elles s’étaient finalement retrouvées sous un pont au milieu de la ville, avaient enfilé leurs capes, et Dacha avait ouvert un sachet de sortilège dans le but de les rendre « moins voyantes ». Arka ne voyait, quant à elle, pas la différence, ce qui la stressait d’autant plus.

-Si nous sommes vraiment invisibles, alors pourquoi on ne doit pas attirer l’attention ? chuchota-t-elle nerveusement.

-Je n’ai jamais prétendu que nous serions invisibles, juste beaucoup plus discrètes ! C’est de la sorcellerie, pas des miracles ! lui rétorqua l’autre.

Elles réussirent malgré tout à sortir du village sans encombre, et sans croiser de cavaliers en uniforme nuit et argent. La sorcière regardait toutefois d’un mauvais œil l’oiseau qui volait dans le ciel depuis un certain temps déjà. Elle déchira le sachet d’un nouveau sortilège et en dissémina la poudre sur le chemin, derrière elles.

-Voilà pour vous ! Cela vous rendre la route moins fiable et plus hasardeuse. En route, petite Arka ! Il nous reste toujours trois jours de marche, avec les fichus détours que l’on s’apprête à prendre !

Alors que l’après-midi touchait à sa fin, elles reprirent leur route. Un léger vent s’était levé, et les nuages s’amoncelaient de façon inquiétante dans le ciel. Pendant deux longues heures, elles traversèrent des champs et des prairies, avant de retrouver le chemin. La nuit n’était pas tout à fait tombée, mais les nuages assombrissaient tellement le ciel que les oiseaux s’étaient tous mit à chanter la fin de journée.

-Il va bientôt pleuvoir. Nous devrions trouver un abri loin des sentiers.

Mais alors qu’elles marchaient depuis une demi-heure sur la terre battue du chemin, un brouillard à couper au couteau s’était levé, les forçant à rester sur le chemin si elles ne voulaient pas s’égarer. L’air devenait de plus en plus frais et la bruine trempait leurs vêtements.

Arka crut soudain entendre un léger grincement, au loin devant elles. Mais comme en tendant l’oreille elle ne perçut plus rien, elle pensa avoir rêvé. Puis, le grincement reprit, plus proche. Dacha marqua un temps d’arrêt : elle aussi l’avait entendu. Avant qu’elles n’aient prit de décision quant à l’attitude à adopter, une lueur orange perça le brouillard, à une vingtaine de mètres, branlant de gauche à droite. Le grincement s’intensifiait de secondes en secondes, laissant présager la venue d’une charrette. Les deux fugitives s’écartèrent du chemin pour se cacher dans les herbes du bas-côté limité à une dizaine de pas avant un champ de ronce infranchissable.

-Caches-toi dans le fossé ! s’exclama Dacha en tirant sa compagne de route par la cape.

Devant elles, une très étrange roulotte venait de s’arrêter. Montée sur un seul essieux, elle possédait un toit d’ardoises effritées, des murs de planches abimées ici couvertes de mousse, là couvertes d’une sorte de cuir écailleux, et partout ornée de plantes séchées, oignons, et herbes aromatiques. Les fenêtres tarabiscotées laissaient passa la lumière rougeâtre d’un feu. Mais le plus surprenant consistait encore en l’absence d’animal quel qu’il soit entre les brancards : cette cariole se déplaçait tout à fait seule.

Un mouvement à l’avant attira l’attention d’Arka. Une forme sombre se tenait sous le petit auvent qui protégeait le cocher des intempéries et venait de tourner la tête dans leur direction. Un trou dans le brouillard lui permit de mieux étudier ce qu’il lui semblait apercevoir : un immense, grêle et émacié personnage tout de noir vêtu. Tellement maigre qu’il semblait impossible que cette ligne brisée-là soit sont bras, malgré la chambrière que tenait une main sombre aux doigts crochus situé à son extrémité. Et sa tête ? Arka n’en voyait rien, à moitié cachée par son manteau à col haut et par l’ombre de son haut de forme biscornue. Une vague impression de déjà vu l’envahit. Cette forme lui rappelait beaucoup trop le pourfendeur d’Ombre qu’elle avait vu dans le train, avant que les précurseurs ne le jettent par-dessus bord.

Sa bouche s’ouvrit, son cœur se mit à battre plus vite. Sans qu’elle ne sache pourquoi, puisque la chose était immobile, elle avait peur.

La carriole resta immobile un long moment puis fini par repartir lentement, comme tiré par un vent inexistant, dans un petit bruit de crissement de roues.

-Ouf ! soupira sa compagne de route une fois qu’elles furent de nouveau seul. J’ai cru qu’il s’arrêtait pour nous !

-C’était quoi ?

La sorcière fronça ses sourcils dont perlaient les gouttes de pluie.

-On en voit, de temps en temps. C’est fait plutôt rare mais… il s’agissait d’un attelage.

Elle avait dit cela sur un ton terriblement solennel, pourtant Arka avait bien vu qu’il s’agissait d’un attelage ! Et même d’un attelage non attelé, pour être précis.

-Par « attelage », j’entends…, se reprit Dacha, habituée aux étranges lacunes de la gamine. Lorsque qu’un quidam prétend avoir croisé un attelage alors qu’il était sur le chemin, il insinue avoir croisé ce genre d’attelage. C’est une expression pour parler des alliances entre pourfendeurs et dragons.

Arka pensa que ce genre de confusion entre tout et n’importe quoi était typique des rêves, et cessa de questionner son amie. Pour autant, cette dernière continua son explication :

-Les pourfendeurs d’Ombre sont ces gens transformés en monstre à la suite d’actions si mauvaises que l’entièreté de leur corps s’est couvert de Noir. Ils sont généralement condamnés à mourir en pourrissant lentement, leur nouveau corps étant trop instable pour héberger une âme humaine. Le seul moyen d’empêcher cela est, pour le pourfendeur, de se lier à un être suffisamment puissant pour stabiliser son corps. Honnêtement, les sorciers capables de stabiliser une créature de l’Ombre se comptent sur les doigts de la main d’un lépreux.

À cause du bruit de la pluie qui s’était mise à tomber sur sa capuche de cuir, Arka n’entendait pas bien et dut se rapprocher.

-Même si cela reste exceptionnellement rare, ce sont donc majoritairement des dragons qui se lient aux pourfendeurs. Les dragons sont des êtres magiques d’une puissance que tu n’imagines même pas ! J’espère pour toi que tu n’en verras jamais sous sa forme originelle ! Par une fois j’en ai aperçu un, de bien loin, mais cela à suffit à ce que je me retrouve inconsciente. Toujours est-il qu’ils peuvent prendre la forme de ce qu’ils veulent, certains vont même jusqu’à se déguiser en humains. Mais lorsqu’ils se lient aux pourfendeurs, ils prennent souvent la forme d’attelages. Va savoir pourquoi…

Le sujet rendait la sorcière habituellement taciturne incroyablement bavarde. Pourtant, ces explications engendraient d’autres questions dans la tête de la petite voyageuse. Quant elle en fit part à Dacha, celle-ci répondit dans un haussement d’épaule que les dragons avaient leurs raisons que la Raison ignorait.

-Mais pourquoi se lier à des êtres aussi insignifiants que des pourfendeurs ? insista-t-elle.

-Rha, mais je n’en ai aucune idée, moi ! s’était agacé la sorcière. C’est ainsi et puis c’est tout : la plupart des dragons liés aux pourfendeurs se changent en cariole pour voyager ! Parfois, ils transportent des gens assez cinglés pour monter, d’autres fois des meubles contre un peu d’argent, c’est tout ce qu’il y a à savoir ! Et c’est pour qu’ils aient une chance de se lier aux dragons qu’il est normalement interdit de toucher à un pourfendeur. Personne n’a le droit de s’en prendre à eux sauf en cas d’attaque directe.

La discussion prit fin avec cette phrase.

Au début, Arka avait essayé de compter les jours, mais depuis peu elle s’était embrouillée et avait perdu le fil. Il ne lui restait plus qu’à marcher jusqu’à Grumeaux en prenant son mal en patience !

Mais alors que dans la soirée elles s’étaient arrêtées dans une maison en ruine pour tenter d’échapper à la pluie, des bruits de sabots leurs parvinrent. Le cœur d’Arka manqua un battement. Oh non ! Les précurseurs ! Sans les voir, elle savait que c’étaient eux. Dacha lui jeta un regard affolé puis l’attrapa par le bras.

-Caches-toi dans le four, moi j’irais dans le tas de bois !

La plus jeune obtempéra immédiatement. Le four à bois constituait une cache tellement insolite que peu de personnes pensaient à regarder dedans, surtout quand l’entrée était aussi minuscule.

Pourtant, une fois à l’intérieur il y avait suffisamment de place pour s’asseoir tranquillement, et la portière des fours comportait généralement des encoches permettant de voir à l’extérieur.

Arka eut toutes les peines du monde à se glisser dans ce four-ci. L’entrée en était vraiment étroite, et l’une des poutres de la maison était tombé sur la fonte qui s’était tordue vers l’intérieur. Complètement paniquée, elle songea que si elle restait coincée les précurseurs auraient immédiatement sa peau. Alors qu’elle entendait des hommes mettre pieds à terre, elle jeta un regard aux alentours. Pas d’autre cachette pertinente. Derrière les rideaux, elle se ferait repérer tout de suite. Dans l’armoire ? Idem.

-Par ici ! fit une voix masculine à l’extérieur.

Elle eut juste le temps de se calmer un peu et de se concentrer pour entrer dans la cache. La porte de la maison s’ouvrit quand celle du four se referma.

Sept dignitaires entrèrent armés de longues et fines épées, et commencèrent à fouiller la pièce sans un mot. Tout fut retourné, l’armoire transpercée par les épées avant d’être ouverte -heureusement qu’elle n’avait pas abandonné l’idée de rentrer dans le four ! –, ce qui restait des rideaux arraché, les tapis déplacés pour voir s’il n’y avait pas de trappe en dessous. Deux hommes furent envoyés observer les alentours. Depuis la porte du four, Arka voyait presque tout.

Tout. Elle vit même trois des hommes observer le four avec un peu trop de sollicitude. La peur l’envahit et il lui sembla que le four commençait à chauffer tellement elle suait. Aussi doucement que possible, elle recula vers le fond de l’alcôve. À ses pieds gisaient plusieurs buches noircies. Elle se saisit de l’une d’entre elles et la plaça entre son visage et la porte avec le vague espoir désespéré que dans l’obscurité, si les hommes jetaient un coup d’œil à l’intérieur, ils n’y verraient que du bois brûlé. Allez-vous-en, allez-vous-en, allez-vous-en ! se répétait-elle en fermant les yeux très forts. Mais son cœur bondit dans sa poitrine quand elle entendit une main se poser sur la poignée de la porte. Ils allaient ouvrir le four !! Allez-vous-en, allez-vous-en ! Son estomac lui donnait l’impression d’être remonté jusqu’à ses lèvres, ses mains étaient parcourues de picotement. Il leur suffisait d’entrouvrir, de glisser un sabre à l’intérieur, et elle serait morte.

La porte s’ouvrit très lentement dans un grincement de fin du monde. Je… je vais mourir. Non, je… , paniqua-t-elle. Elle était complètement coincée, elle ne pouvait ni fuir ni se défendre. Non, non, ce n’est qu’un rêve, qu’un rêve, normalement dans un rêve quand ça ne va pas on peut revenir en arrière, changer quelque chose, se téléporter ailleurs, on…

-Alors qu’avons-nous là… fit l’un des hommes en se penchant pour voir à l’intérieur.

Son regard de serpent croisa celui d’Arka, dont les yeux s’embuaient de larmes. Que faire : essayer de l’assommer avec la buche ?

Non, l’entrée du four était trop étriquée, il lui faudrait la tourner et …

C’était trop tard. Il reculait déjà pour dégainer son sabre.

Sans un mot pour ses camarades, il mit sa lame au clair. Les autres en firent autant. Arka ferma les yeux, priant de toutes ses forces pour se réveiller chez elle, dans son lit. L’attente lui fut insupportable. Puis, une voix explosa.

-Bande de cinglés, allez tous au diable !!

C’était Dacha qui rugissait de rage.

Par la porte à moitié ouverte, Arka la vit. Les hommes en noir et gris l’avaient tirée de derrière le tas de bois, mais elle se débattait comme un fauve enragé.

-Qu’est-ce que vous me voulez ? Pourquoi me poursuivez-vous depuis des jours ?

L’un des hommes, sûrement le chef s’approcha d’elle et lui attrapa le menton d’une main ferme.

-Es-tu seule ?

Dacha cracha à gauche, et l’homme fit mine de prendre ça pour un oui.

-Où est l’autre ? Vous étiez deux, si je ne m’abuse.

La sorcière lui lança un regard moqueur et plein de mépris. Mais Arka le voyait, elle puisait son assurance dans son désespoir. Est-ce que c’était elle qui était sortie du tas de bois pour faire diversion ? Arka essaya de bouger, mais la buche qu’elle avait déplacée s’était coincée contre son genou. Un sentiment de révolte s’empara d’elle. Sortir pour aider son amie et seule allié en ce monde lui était impossible !!

En même temps, elle voyait mal ce qu’elle aurait pu faire, elle, gamine sans pouvoir et sans arme, face à des hommes armés, sûrement entrainés et peut-être sorciers. Il fallait absolument que Dacha se défasse de leur emprise et fuie !!

-Partie avec l’attelage. Dommage, hein ? fit-elle d’un air acerbe.

Son insolence fut récompensée d’une monumentale baffe. Tous les muscles d’Arka s’étaient contractés en même temps au moment du choc. Cela ne démonta pas Dacha :

-Je vous repose la question : pourquoi me poursuivez-vous ?

-Nous traquons tous les criminels dans ton genre, sorciers aux mœurs louches. Trop de sang a coulé des dérives de vos pouvoirs, notre maître, le Roi des Ombres, entend mettre un terme à ces temps troubles d’ingérences de la part de Guiving. Le moment est venu de donner un peu d’ordre à ce monde sans queue ni tête, et nous entendons nous y employer !

La prisonnière explosa de rire, ce qui ne fut récompensé que par un nouveau soufflet. Arka admirait le courage de la sorcière face à cette situation sans espoir.

-Hahaha ! Vous êtes fous à lier ! Il y a toujours eu des sorciers dans la Lande, et des gens pour agir de façon étrange ! Et il y en aura toujours ! C’est ainsi que ce monde a été créé et vous êtes bien ambitieux d’entendre changer cela. Traquer les sorciers ? C’est d’un génocide dont vous parler ! Vous osez vous prétendre les « sauveurs de ce monde » ? Laisser moi rire.

-Il suffit, sorcière ! intervient un autre homme, plus jeune. La magie n’a toujours conduit qu’à une hiérarchisation injuste des hommes, plaçant les sorciers au-dessus des autres. Ceux-ci ne se sont toujours servi de leurs pouvoirs que pour imposer et contraindre les autres ! Et comme si cela ne suffisait pas, certains d’entre vous ont même été prêts à sacrifier des innocents pour accroitre leurs pouvoirs !

Faisait-il référence aux Clameurs ? Dans tous les cas, cet homme semblait éprouver une aversion terrible pour les sorciers. Que lui était-il arrivé pour qu’il puisse détester à ce point la majeure partie des habitants de la Lande ?

-Sorcière, tu t’es rendue coupable dans, la ville de Simyrens, du vol d’un livre sur une étale de marché à l’aide de la magie. Nies-tu ce fait ?

La sorcière pinça les lèvres.

-Alors c’est pour cela que vous assassinez des gens ? Pour des misérables petits larcins ?

-Elle ne nie pas, déclara un autre précurseur.

-Bien. D’après les lois édifier par le nouveau maître de la Lande, sa majesté le Roi des Ombres, je te condamne à la peine de mort pour usage abusif de la magie à l’encontre d’autrui. Une dernière volonté ?

Le cœur d’Arka cessa de battre alors que les hommes qui ne tenaient pas la sorcière levaient leurs épées sur elle. Non, cela ne pouvait pas… !

-Allez tous brûler en enfer avec votre Roi fou. Le seul maître ici est et restera à jamais Guiving.

Sur un mouvement de tête dédaigneux, les épées s’abattirent. Depuis le four, Arka avait vu la scène sans la voir. On aurait même pu dire qu’elle s’était contentée de poser ses yeux dessus sans laisser les images atteindre son cerveau. Le cri de détresse avait péri dans sa gorge avant même de s’y former.

Le corps sans vie de Dacha tomba au sol lorsque les précurseurs en retirèrent leur épée. Les sept hommes scrutèrent encore une dernière fois la pièce avant de tourner les talons. Apparemment, celui aux yeux de serpent ne l’avait pas vue dans l’obscurité de la nuit et du four.

Arka resta pétrifier un long moment, les yeux rivés sur le corps de celle qui avait été pour elle une amie, un guide, qui lui avait apprit tant de choses sur la Lande au cours des derniers jours et ne l’avait pas abandonnée après l’épisode du train, et qui gisait maintenant dans une mare de sang. Rien qu’un rêve, elle n’a pas vraiment… exister… pensa-t-elle sans y croire. Dans ce cas, pourquoi avait-elle si mal au cœur ?

Après s’être extirpée à grandes peines du four, elle s’effondra auprès de la sorcière.

-Pourquoi… ?

Le visage, entraperçut à travers les ouvertures de la porte du four, du jeune précurseur lui revint en mémoire. Ces gens ne faisaient pas semblant. Ils étaient convaincus d’agir pour la bonne cause en éventrant des sorciers. Pour un fichu bouquin volé.

Arka essuya ses larmes d’un revers de manche couvert de suie. Elle ignorait les coutumes de la Lande, mais dans son monde, les morts étaient enterrés. Pourtant autours d’elle, il n’y avait rien qui ressembla à une pelle, ni même un quelconque outil permettant de creuser un trou. Après un rapide tour de la maison, la conclusion resta identique. Creuser avec un bâton s’avérerait trop long et fastidieux, les précurseurs auraient le temps de passer et de repasser avant qu’elle n’ait fini. De toute manière, elle n’arrivait presque pas à déplacer le corps. Mortifiée, Arka dût se résoudre à laisser son amie là où elle était. La laisser ? Mais pour aller où ? C’est tellement stupide ! s’agaça Arka. C’était elle qui nous guidait, qui avait un but. C’était chez sa sœur à elle que nous devions nous rendre !

Sa sœur. Arka baissa piteusement la tête.

-Je te dois au moins ça, va, fit-elle au corps sans vie.

D’une main hésitante, elle rabattit le capuchon sur la tête brune de la morte, puis se leva. Avec un soupir, elle se résigna à aller trouver cette fameuse sœur pour la prévenir elle-même de la mort de Dacha et des agissements des précurseurs.

Le cœur prêt à imploser de dégout, de colère, de tristesse, et de reconnaissance pour cette femme Arka reprit ce qu’elle supposait être la direction de Grumeau. Maintenant qu’elle n’avait plus de guide, tout devenait plus incertain.

La pluie battait sa cape et trempait ses collants de laine, seul endroit où le cuir enduit de cire ne la protégeait pas. Il faisait encore nuit, mais Arka se sentait incapable de fermer l’œil avant d’avoir fait cinq fois le tour de ce monde. Marcher, marcher droit devant, sans s’arrêter, c’était le seul moyen de ne pas tomber. Mais qu’est-ce que je fous là, bordel ? Pourquoi je me retrouve dans ce monde de tarés, si loin de chez moi ? Quand pourrais-je enfin me réveiller ?

 

Des heures et des heures plus tard, la luminosité semblait indiquer que le jour n’allait pas tarder à se lever. À moins que ce ne soit que l’effet de la lune derrière les nuages ? Arka n’en savait rien. Tout ce dont elle était consciente, c’était du sol boueux sous ses pieds. Seule, rien n’était plus pareil, et la détresse avait laissé place à la peur.

Dans les fourrés près d’elle, les animaux n’arrêtaient pas de bouger, et une demi-heure plutôt un cri à glacer le sang avait déchiré la nuit.

-Un blaireau, ce n’était qu’un blaireau, se répétait-elle. Ou un renard. Rien de dangereux…

La pluie avait laissé place à une petite bruine perverse qui lui inondait le visage, et le baluchon de Dacha qu’elle avait récupéré avant de partir pesait si lourd ! En plus, les abords du chemin étaient envahis par les grenouilles, et Arka avait écrasé l’une d’entre elles pas inadvertance, ce qui l’avait profondément dégouté. Fatiguée de pleurer et de marcher, elle hésita à s’asseoir dans l’herbe trempée du bas-côté. Cinq fois le tour du monde, avait-elle pensé ? Voilà qui était une idée tout à fait stupide, elle qui était à peine capable de parcourir quelques kilomètres sans se sentir exténuée.

Alors qu’elle s’était arrêtée en plein milieu du chemin, trop épuisée pour réussir à faire la part entre sa peur des animaux dans les fourrés et la souffrance de la plante de ses pieds, un drôle de grincement derrière elle la fit se retourner, sur le qui-vive. À cause de l’obscurité et de la bruine, elle ne voyait strictement rien. Même les animaux des bords de chemin s’étaient tus pour observer l’obscurité. Arka plissa les yeux, et le grincement se fit à nouveau entendre. Puis une lueur, très faible et orange, perça l’écran de gouttelettes. Il s’agissait là d’un halo pâle, oscillant de droite à gauche au gré de son avancée. L’estomac d’Arka se noua instantanément. L’attelage !

Aussi vite que le lui permirent ses pieds glissants dans la boue, elle se réfugia sur le bas-côté, en prenant bien garde de n’écraser d’autre grenouille. Seulement elle fut vite arrêtée : à peine cinq mètres d’herbes hautes séparaient le chemin de taillis de ronce impénétrables. Si les dignitaires poursuivaient toujours l’attelage, ils la verraient immanquablement ! Va-t’en, va-t’en, va-t’en, pensa-t-elle lorsque l’attelage arriva à sa hauteur. Mais comme la première fois, celui-ci s’arrêta. Le cœur d’Arka manqua de se décrocher quand elle vit que l’étrange cocher la regardait de ses deux yeux blancs.

Tous deux se dévisagèrent jusqu’à ce qu’un claquement sec fasse sursauter la jeune fille. La porte arrière venait de s’ouvrir. Comme personne n’en descendait, les mots de Dacha ressurgirent du néant dans la tête d’Arka. « Parfois, ils transportent des gens assez cinglés pour monter ». Elle ne se sentait pas cinglée. Juste… incroyablement lasse et désespérée. Peut-être que si elle montait le pourfendeur voudrait bien la déposer à Grumeaux ?

Avec un haussement d’épaule, elle décida que c’était la meilleure chose à faire. De toute façon, je n’ai rien à perdre ! se dit-elle.

Alors, timidement, elle s’approcha du cocher et sortit la carte du baluchon de Dacha.

-Bonsoir, murmura-t-elle, impressionnée par la stature de la créature.

L’étrange individu ne répondit pas mais ses yeux ne cessaient de la fixer. Flippant. Un instant elle hésita à rebrousser chemin.

-Je… je souhaiterais me rendre à Grumeau, articula-t-elle. C’est… cette ville-là.

Elle lui montra le point indiqué « Grumeau » sur la carte, au cas où il ne sache pas.

Le pourfendeur ne broncha pas. C’était très déconcertant d’essayer de parler avec quelqu’un qui ne montrait aucun signe de compréhension !

Comme la jeune manante devant lui ne bougeait pas d’un pouce et qu’elle le mettait mal à l’aise, à le regarder comme s’il venait de la sauver d’une sombre et laborieuse errance, il finit par lui désigner l’arrière de la cariole du bout de son fouet.

-… Merci !

Avec méfiance, Arka contourna l’attelage. Sa face arrière était percée d’une porte de bois et un escalier de deux marches permettait de monter. La fuyarde huma l’air avec suspicion, mais celui-ci ne charriait que des fragrances de bois brûlé et d’herbes séchées. Par la porte ouverte, la rumeur d’un feu de cheminée lui parvint.

-Bon bha…, murmura-t-elle pour elle seule. En avant !

Uniquement éclairé par le feu dans l’âtre, l’intérieur était bien plus grand que ne le présageait l’extérieur, et ne comportait pour seul mobilier qu’un tapis moelleux, une grande malle ornée d’une farandole de feuilles de lierre peintes et de deux commodes. Quelques étagères suspendues aux murs étaient couvertes de livres, boites rondes, bocaux au contenus incertains et objets étranges. Du reste, il y faisait chaud et sec.

-Quel étrange intérieur…, songea Arka à voix haute.

Où que porte son regard, presque que du bois, pas de table ni de chaise, nulle part où dormir à part le tapis. La carriole se remit en branle, Arka décida d’étendre ses vêtements gorgés d’eau devant la cheminée. Cela la gênait un peu de se retrouver en sous-vêtements sous sa cape alors que le cocher était par définition un individu louche mais… Non, se reprit-elle. Louche avait été un terme employé pour désigner les sorciers comme Dacha. L’injustice lui affaissa les épaules. Finalement il n’y avait pas que dans son monde que les gens différents étaient jugés à l’emporte-pièce. Elle se résolu à ne plus tirer de conclusion hâtive et à ne pas se permettre la moindre remarque sur le cocher qui l’avait accueilli.

Un léger claquement réveilla Arka. Allongée sur le tapis, elle s’était recroquevillée dans sa cape, devant la cheminée. Elle battit des paupières et mit un moment à se souvenir du pourquoi du comment elle était arrivée là. À l’autre bout de la pièce, une inquiétante ombre noire incroyablement grande et terriblement mince la scrutait de ses yeux blancs. Instinctivement, Arka senti le danger et se replia sur elle-même dans un coin sombre.

La créature ne sembla pas lui apporter plus d’attention que cela. Se détournant, elle s’attarda sur les vêtements au sol et attrapa la robe humide par la manche, fit mine de la soulever puis renonça comme s’il s’agissait d’un rebus immonde. Arka eut un peu honte.

Puis le pourfendeur se mit à fourrager dans les tiroirs de l’une des commodes. Avec des airs indécis, il tira plusieurs vêtements qu’il examina rapidement avant de trouver son bonheur : une grande couverture en patchwork. Puis il remua encore le contenu du tiroir qui devait contenir beaucoup plus de bazar que sa taille ne donnait à penser. Finalement, il dégota une chemise claire, une paire de chaussettes et une longue jupe. Alors qu’Arka se demandait ce qu’il pouvait bien fabriquer, il s’approcha d’elle à grands pas.

Sentant qu’elle était devenue l’objet de son attention, elle se ramassa dans une position défensive. Pourtant loin de l’attaquer, le pourfendeur vint très aimablement lui tendre les vêtements et la couverture.

-C’est… heu, vraiment pour moi ? demanda-t-elle d’une toute petite voix.

L’allure à la fois imposante et étriquée de la créature l’inquiétait, mais comme celle-ci faisait mine de hocher la tête, elle tendit les bras, à la fois reconnaissante et méfiante. Au moment, où ses doigts touchèrent les vêtements, la créature porta vivement l’une de ses mains squelettiques à son front. Le geste brusque effraya Arka qui recula en lâchant les habits et se cogna contre le mur derrière elle. Il lui fallut quelques secondes avant d’ouvrir les yeux mais lorsqu’elle s’y risqua, le pourfendeur s’était jeté sur elle.

Avant qu’elle n’ait pu esquisser le moindre geste de fuite, il lui avait saisit l’avant-bras, et avec beaucoup de douceur, l’avait remise sur ses pieds. De l’air aussi contrit que le lui permettait son visage rond, il posa son autre main à l’arrière du crâne d’Arka, puis la lâcha pour ramasser le linge et le lui tendre une nouvelle fois. Quant cela fut fait, il désigna du doigt le feu. Deux sortes de filaments de flamme sortaient de la cheminée et avaient rampés jusqu’à ses vêtements. L’un d’eux avait attiré le collant de laine qui se consumait à présent dans de joyeux crépitements, tandis que l’autre s’emparait posément de la robe. Devant la scène, Arka ne put s’empêcher d’éclater de rire.

 

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MLdlG
Posté le 20/04/2018
Hey, salut,
Oh, je suis touchée par ces remerciements en fin de chapitre ! :) de rien, c'est avec grand plaisir.
Je n'ai pas fait de relecture othographique cette fois-ci, je me suis contentée de me laisser embarquer par l'histoire.  Et c'était chouette ! J'ai passé un bon moment de lecture : je ne m'attendais pas à ça, et c'est très mystérieux.
J'ai hâte de lire la suite.
Bonne écriture, à très vite.
PS : je suis présente sur le forum PA, si tu veux me contacter par ce biais, je pourrais te proposer mes corrections par là ou par mail, ça prendra moins de place que sur les commentaires ;)
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