Chapitre 6- Maeve

Deux semaines. Deux longues semaines.
Deux longues semaines à scruter les clichés pris lors de ma rencontre fortuite avec cette fille. Son image hantait mes pensées, s'immisçant dans mes songes, me narguant avec son aura de mystère. Elle y jouait du piano dans mes rêves, perdue dans une mélodie que je n’ai jamais pu identifier, mais dont chaque note me lacérait. Ses doigts dansaient avec une grâce obsédante, et je ne pouvais que rester là, immobile, à la regarder ; à la photographier. La lumière caressait sa peau comme si elle lui appartenait. Puis une fois dans mon antre, j’agrandissais les clichés, traquant tout reflet dans une vitre, chaque ombre susceptible de m’avoir captée à ses côtés. Une preuve que j’existais pour elle, même par accident. Chaque détail devenait sacré : la courbe de son poignet, la manière dont ses cheveux tombaient sur sa nuque, l’ombre de ses cils sur sa joue. Je connaissais par cœur la texture de ses pulls, le grain de sa peau sur les photos surexposées. Parfois, j’avais l’impression de sentir son parfum, un mélange de fleur et de douceur alors qu’elle était pourtant loin, trop loin. Et dans d'autres images, dans d'autres visions, j’étais à ses pieds littéralement. À genoux sur le parquet froid, les mains posées sur mes cuisses, offerte. Elle ne me touchait pas, n’en avait pas besoin. Un regard suffisait à me réduire au silence. Elle n’élevait jamais la voix, et pourtant chaque mot qu’elle prononçait résonnait en moi comme un ordre gravé dans la chair. J’étais façonnée pour elle, taillée sur mesure pour deviner ses attentes, anticiper ses moindres envies, me mouler à ses absences comme à ses caprices. Elle régnait sur moi sans couronne, sans sceptre. Une souveraine muette, tout en gestes mesurés, en silences lourds de sens. Elle n’avait pas besoin de chaînes pour m’attacher : son indifférence me tenait en laisse, son regard me brûlait plus sûrement qu’un fer rouge. Chaque sourire avare, chaque frôlement accidentel devenait une récompense.
J’en vivais. J’en crevais.
J’étais sa proie, consentante, affamée, incapable de fuir. Elle, l’inévitable prédatrice, avançait sans jamais courir. Elle savait que j’étais déjà prise, depuis le premier instant. Et dans ces visions, je l’adorais autant que je la redoutais, priant pour une caresse, tremblant à l’idée qu’elle me rejette, espérant qu’elle me dévore enfin. J'avais placardé ses photos sur un mur en liège, créant un autel dédié à mon obsession. Des fils rouges les reliaient, dessinant une peinture complexe qui reflétait la folie grandissante qui s'emparait de moi. D'autres photos, plus intimes, plus révélatrices, se cachaient dans l'obscurité de ma chambre noire, attendant patiemment d'être développées. Chaque soir, je m’enfermais dedans. Là, dans le silence rougeâtre, je suspendais chaque cliché avec une minutie quasi religieuse. Le révélateur était prêt. L’éclairage calibré. Elle méritait une chapelle. Pourquoi, me direz-vous ? Je n'en avais aucune foutre idée. Tout ce que je savais, c’est qu’il fallait que j’aie ses photos à porter de main, donc je les avais placés sur ma table de nuit. Il était nécessaire que je les touche, que je les sente, que je les adore, que je m’en imprègne. Comme si ces images pouvaient combler le vide qui me rongeait, apaiser la faim insatiable qui me consumait. J'avais même réussi à identifier son parfum, une fragrance envoûtante qui mêlait la douceur florale de la pivoine à la chaleur exotique de la noix de coco et à la sensualité du bois de santal. Une odeur qui devait l'accompagner partout, qui devait flotter dans l'air comme une promesse, une invitation. Mes doigts accrochèrent les quelques photos sur le côté de mon lit. La première devant mes yeux se trouva à être celle que j’avais prise lorsqu’elle avait la tête tournait vers moi, m'attardant sur celle où elle me regardait, la tête légèrement inclinée, les yeux interrogateurs. Je me perdais dans les détails de son visage, la courbe délicate de ses lèvres, la douceur de ses traits, la profondeur de son regard. Son top blanc laissait entrevoir la naissance de ses seins, ronds et fermes, et mon regard s'attarda sur eux, imaginant leur texture sous mes doigts.
Oh, ses seins…
Son short en jean, moulant à souhait, ne laissait aucun doute sur l'absence de sous-vêtements. Je suivais la courbe de ses fesses du bout des doigts, gravant leur forme dans ma mémoire, ressentant une chaleur monté en moi.
Oh, ses fesses… Putain!
J'approchai mon visage de la photo, laissant le papier glacé effleurer mon nez. L'odeur de pivoine, de noix de coco et de bois de santal, que j'avais soigneusement vaporisée sur l'image, envahit mes narines, m'enivrant. Je fermai les yeux, aspirant profondément le parfum, je voulais ainsi goûter à sa peau, à son essence même. Je voulais m'imprégner d'elle, la posséder, ne faire plus qu'un avec elle. Ma main droite, comme animée d'une volonté propre, traça un chemin familier sur mon corps, guidée par des années d'expérience solitaire. Je traversai la barrière de mon short, réservant le même sort à ma petite culotte. Je pouvais presque sentir la finesse de sa taille sous mes doigts, la chaleur de sa peau, la douceur de ses courbes. Un désir brûlant s'empara de moi, une envie irrépressible de la toucher, de la sentir, de la goûter. Mon cœur s'emballa, mon souffle se fit court et saccadé, et une chaleur intense se propagea dans mon bas-ventre. Mais pour le moment, je devais me contenter d'une pâle copie, d'une image figée sur du papier glacé de toi, ma jolie pianiste. Frustration et impatience se mêlaient au désir, créant un cocktail explosif qui menaçait de me consumer. Je me mordis la lèvre, luttant contre l'envie de déchirer la photo, de la réduire en miettes et fermai les yeux, essayant de canaliser cette énergie brute, de la transformer en plaisir puis traçai une ligne imaginaire sur mon corps, imaginant les mains de la douce, parcourir les mêmes chemins, s'attardant sur les points sensibles, déclenchant des vagues de sensations.
Je l’imaginais, putain, ouais… je l’imaginais, elle.
Son visage à demi voilé par une mèche de cheveux, ce regard brûlant d’un désir à peine contenu, et surtout… ses doigts. Fins. Adroits. Curieux. Je les voyais glisser sur ma peau avec une lenteur calculée, attentive, presque cruelle dans sa tendresse. Elle me touchait comme on effleure un secret, comme si mon corps était une énigme qu’elle seule avait le droit de déchiffrer. Un gémissement rauque m’échappa, incontrôlable, comme arraché à mes entrailles. Mes propres doigts, fébriles, guidés par cette image obsédante, trouvèrent le chemin jusqu’à ce petit bouton de chair gonflé d’attente, entre mes cuisses moites. Je me caressai doucement, longuement, en suivant le rythme qu’elle aurait imposé, lent, délicieux, insoutenable. Chaque frôlement déclenchait une onde de chaleur, un frisson qui remontait le long de ma colonne vertébrale et s’épanouissait dans chaque parcelle de mon être. Mon bassin se cambra, affamé, suppliant presque. Je ne contrôlais plus rien. Mon souffle devenait erratique, mes hanches ondulaient au rythme de mon fantasme. C’était elle, toujours elle, dans ma tête, dans ma chair, dans chaque spasme de plaisir qui m’envahissait et me consumait. Même absente, tu parvenais à me calciner, à me faire perdre le contrôle. Son image, son parfum, tout en elle m'attirait, m'obsédait. Je savais que cette fascination était dangereuse, qu'elle risquait de me détruire, mais je ne pouvais pas, je ne voulais pas y résister. Je pinçai légèrement mon clitoris, des décharges électriques parcourant mon corps comme une onde de choc. Chaque fibre vibrait, répondant à cet appel silencieux. Je mordis ma lèvre, un gémissement étouffé s’échappant de ma gorge, tandis que l’extase menaçait de me submerger. Quand, mon corps s’abandonna à la jouissance tant attendue, je m’arquais contre le lit, me laissant encore plus affamer auparavant d’elle, de son être. Soudain un tapotement sur ma fenêtre se fit entendre, me tirant à peine de ma rêverie :
— Entre, soufflai-je, encore sous l’effet de mon orgasme.
Un sourire naquit sur mes lèvres tandis que je sentais le matelas s'enfoncer sous un poids familier , une fragrance boisée emplissant mes narines. Il sentait la forêt, ouais, il sentait le bois de santal, le cuir et le chien mouillé. Il dégageait une odeur d'escapade sur la terre humide, d’aventure et d’un peu bestial. Cette fragrance si particulière fit émerger un nouveau rictus sur mon visage.
Pétrichor.
La pluie tambourinait contre le toit de chez moi, depuis des heures maintenant, et libérait cette fragrance dans toute la pièce. Il se blottit contre moi, cherchant ma chaleur. 

— Où est Lucius ?, soufflais-je sans quitter la photo des yeux.

Je connaissais ce garçon par cœur. Je pourrais le dessiner les yeux fermés, tant j'avais imprégné ma mémoire de ses cheveux châtains, couleur d'écorce en automne, et de ses yeux bleu profond comme un ciel d'orage. Derrière mes paupières closes, je parcourais du bout des doigts les contours de son visage, me remémorant la texture de sa peau sous mes mains, la chaleur qui en émanait. Je revivais la forme de ses muscles saillants sous son t-shirt, le dessin de ses veines sur ses avant-bras puissants. Mon frère était d'une beauté sauvage et indéniable, comme un loup solitaire dans la forêt. 

— En bas. Maman le gronde parce qu'il n'a pas appelé ces derniers temps. Je l'ai esquivé pour venir te rejoindre directement, répondit-il d'un air conspirateur. 

Elias fronça les sourcils en jetant un coup d'œil au portrait que je tenais dans ma main. Je ne le voyais pas, mais je le sentais, je le connaissais par cœur. Ce froncement de sourcils, cette légère inclinaison de la tête, cette façon qu'il avait de plisser les yeux lorsqu'il était perplexe... Autant de signes qui ne trompaient pas. Il n'approuvait pas. Et je savais pourquoi. Cette photo, ce n'était pas juste une image volée, un instant capturé. C'était le reflet de mon obsession grandissante pour cette fille, cette pianiste inconnue qui hantait mes pensées depuis deux semaines. Elias, avec son intuition exacerbée, m’avait percé à jour. 

— Alors c’est elle ? questionna une voix profonde proche de la porte. 

J’inspirai légèrement, pomme, vanille et noix de muscade. Une odeur étrange et envoûtante, qui semblait mêler des notes sucrées, épicées et boisées. Lucius. Le dernier membre de notre trio. Je tournai la tête vers lui. Elias, toujours à côté de moi, enroula ses bras autour de mes hanches et les yeux plongèrent dans ceux sombres de mon frère. Il reprit, secouant un tas de papier devant lui qu’il me lança. Je me jetai dessus, m’asseyant sur le lit. Elias, silencieux, s’accrocha à mon dos. 

— Alice Heston. Très peu de choses sur elle. Aucun réseau social. Heureusement pour nous, un père dans l’immobilier qui adore faire étalage. David Heston. Notre plus grand rival. 

Alice… Un nom qui résonna dans ma tête et je m’en enivrai, le laissant glissé sur ma langue.

 — Elle étudie dans l’université de bourge au centre de la ville, continuai-je.
— Tu vis dans un manoir, ma grande. Fais-toi une raison. Tu es une bourge, pouffa Elias.

 Je levai les yeux aux ciels et pinçais son avant-bras, s'ensuivit un aïe blasé. Lucius l’ignora.

— Par ailleurs, son père nous pique beaucoup de nos collaborateurs. Je ne sais comment. Il devient presque un problème. 

Il haussa les épaules, un sourire narquois étirant ses lèvres. 

— Ceci dit, j’en sais beaucoup sur sa meilleure amie, Elina. Tu sais le genre de meuf qui prend des selfies de ce qu’elle mange. Grâce à elle, j'ai récolté un tas d’informations sur la fille. Qu'as-tu prévu pour elle ?
— Je n'en sais encore rien. Pour l'instant, elle est juste un jeu, une proie que je traque. Je la jetterai quand l'excitation de la chasse se sera dissipée, je suppose. 

Lucius hocha la tête, l'amusement brillant dans ses yeux sombres. Elias grogna dans son coin. Quand je vous dis, qu’il avait plus du loup que de l’humain. 

— C'est donc ça. Elle attise ton appétit. 

Un rictus crispa mes lèvres. Ce n'était pas aussi simple. Mais j'aimais la façon dont Lucius dépeignait la situation. Alice réveillait… une sensation en moi. Quelque chose de primitif, de viscéral, d'animal… Je ne trouvais pas les mots pour le définir. Alors, je fermai les yeux, laissant mon sourire se transformer en une grimace carnassière. Je voulais briser l'image de pureté qu'elle projetait, la salir, la corrompre. Non pas par méchanceté, mais parce que cette innocence, cette lumière qui semblait émaner d'elle, m'était insupportable. Et puis, je pourrais jouer un peu avec elle, explorer ses limites, lui faire goûter à la noirceur que je portais en moi. 

— Putain, ouais, murmurai-je, un frisson de plaisir parcourant mon échine. 

Un soupir de satisfaction s'échappa de mes lèvres. Elias, toujours silencieux, resserra son étreinte autour de moi, enfouissant son visage dans le creux de mon cou. Je sentis son souffle chaud contre ma peau et un frisson me parcourut l'échine. Non pas de plaisir, mais plutôt une vague sensation de malaise. Lucius, quant à lui, se rapprocha de nous, s'asseyant au bord du lit, ses yeux noirs fixés sur moi avec une intensité troublante. L'air crépitait d'une tension palpable, un mélange d'excitation, de danger et d'une étrange intimité. La chasse ne faisait que commencer, je sentais que cette fois-ci, les enjeux étaient différents. Et, ils le savaient. Ils me connaissaient, et plus que cela, ils partageaient cette même part d'ombre qui m'habitait. Mes mains, presque fébriles, retrouvèrent le tas de papier que Lucius m'avait lancé. Des informations sur Alice, récoltées par, je ne sais quel moyen. Son adresse, son âge, les membres de sa famille, leurs photos, son université, même quelques-uns de ses amis… Tout y était. Je me levai et rejoignis le tableau de liège accroché au mur, ignorant le léger bougonnement de mécontentement qu'Elias laissa échapper suite à ma « fugue ». Je n'en avais cure. Avec la précision d'une chirurgienne, je commençai d'épingler les informations sur Alice, les reliant entre elles par des fils rouges. Son adresse, écrite sur un petit bout de papier, fut la première chose que j'accrochai. Puis vint son âge, dix-huit ans, comme moi. Je fixai sa photo au centre du tableau, son visage doux et innocent me défiant du regard. Autour d'elle, je disposai les photos de ses deux frères, l'aîné et le cadet, leurs visages flous et distants. Aucune trace de leur mère. Je me demandai ce qui lui était arrivé. Était-elle morte ? Avait-elle abandonné sa famille ? Où était-ce juste une absence passagère ? Peu importait au fond. Ce qui comptait, c'était Alice. Je reculai d'un pas pour admirer mon chef-d'œuvre. Le tableau de liège était devenu une toile d'araignée complexe, tissée autour d'Alice, la proie au centre de ma toile. Un sourire froid étira mes lèvres. La chasse ne faisait que commencer, et j'avais toutes les cartes en main. Enfin, au centre de ce tableau d'informations, de cette cartographie de sa vie, inscrit sur un morceau de papier à l’encre rouge sang, tel un insecte attiré par la lumière fatale, s'approchant inexorablement du cœur de la toile que j'avais tissée. J’y épinglais son nom :
Alice.
Elle était à moi désormais, prisonnière de mon obsession, de mon désir de la posséder, de la consumer. 

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