Chapitre 6 - Malédiction

Notes de l’auteur : Au moment où je mets en ligne ce chapitre, on vient de passer la barre des 200 lectures sur "De la lumière à l'ombre", et je tenais à vous remercier ! Ça me fait extrêmement plaisir que vous laissiez des commentaires toujours très gentils et constructifs. Merci à vous :)

-C'est quelque chose que je ne suis pas censée dire.

-Allons, on est entre nous !, le taquina Matthew avec un sourire malicieux. Tu peux nous faire confiance, on ne dira rien à personne.

Archi lui jeta un regard agacé avant de répondre d'un ton plus sec :

-Ce n'est pas non plus un sujet dont on peut rire !

L'ambiance, qui jusque-là était légère, sembla se refroidir d'un coup. Un silence pesant s'installa, rapidement interrompu par Amanda qui se redressa brusquement.

-Je vais me coucher, annonça-t-elle d'un ton neutre.

Sans attendre de réponse, elle se leva et quitta la pièce, se dirigeant droit vers le dortoir des filles. Elle referma la porte derrière elle sans un mot ni un regard en arrière. Lya haussa un sourcil, troublée. Cette soudaine sortie au moment où Archi s'apprêtait peut-être à leur révéler un secret lui semblait... étrange.

-Elle a raison, souffla-t le blondinet après un instant. Il est tard, on devrait tous aller dormir.

-Non, Archi, tu ne peux pas nous laisser comme ça !, protesta Nathalie en croisant les bras, un air boudeur sur le visage.

Le concerné détourna les yeux, visiblement tiraillé.

-Je ne suis pas censé en parler...

-S'il te plaît..., insista Lya en battant des paupières, son regard implorant empli d'espoir.

Archi soupira longuement avant de porter une main à sa tête, se frottant nerveusement le cuir chevelu, ébouriffant au passage sa tignasse pourtant toujours impeccablement coiffée.

-Bon... d'accord. Mais je ne vous donnerai pas de détails.

Un frisson d'excitation parcourut le petit groupe. Ils trépignaient déjà, impatients d'entendre ce qu'Archi avait à leur révéler.

-Certaines familles très haut placées ont mis au point une technique leur permettant d'accéder à une infime partie de leur don sans avoir besoin de passer par les prêtres..., expliqua Archi à voix basse. Bien évidemment, cela ne leur donne pas un contrôle total sur leur pouvoir, mais juste assez pour connaître leurs prédispositions.

Un silence intrigué s'installa avant qu'Émilie ne brise la réflexion générale :

-Tu parles des hauts dignitaires de l'administration ?

Archi secoua la tête, un éclat grave dans le regard.

-Non, Émilie. Je parle de personnes encore au-dessus d'eux.

Matthew fronça les sourcils, son esprit analysant rapidement les implications d'une telle révélation.

-Au-dessus..., répéta-t-il pensivement. Attends, tu veux dire que ce sont les membres du Pouvoir Central eux-mêmes qui utilisent cette technique ?!

-Parle moins fort !, gronda immédiatement Archi en jetant un regard autour d'eux, comme s'il craignait d'être entendu. Ce que je viens de dire est un secret bien gardé... Et honnêtement, je ne sais même pas pourquoi je vous en ai parlé.

Sans un mot de plus, il se leva brusquement, le visage fermé, et se dirigea vers les dortoirs. L'équipe 16, ainsi que le reste de l'équipe 18, décidèrent de l'imiter, prenant toutefois le temps de souhaiter une bonne nuit aux autres avant de quitter la pièce.

Désormais, seuls Lya et Matthew restaient assis sur le grand canapé du salon.

-Quel fichu caractère, ce Archi... pesta le grand brun en croisant les bras.

Lya esquissa un léger sourire avant de secouer la tête.

-Il n'est pas facile à cerner, c'est vrai... Mais au fond, il a bon cœur, répliqua-t-elle d'un ton indulgent.

Ils laissairent le temps, au calme de la nuit, de s'installer, avant que Matthew reprenne la parole en chuchotant. 

-Tu penses qu'il fait partie d'une famille du PC ?

Lya haussa légèrement les épaules.

-Je n'en sais rien. Et de toute façon, ça ne changerait rien. Il est dans notre équipe maintenant.

-Pour moi, ça changerait beaucoup de choses..., répliqua-t-il d'un ton grave.

Lya cligna des yeux. C'était rare de voir Matthew aussi sérieux. D'ordinaire, il était plus enclin à plaisanter ou à prendre les choses à la légère. Cette fois, pourtant, il semblait réellement préoccupé.

-Qu'est-ce que ça changerait pour toi ? demanda-t-elle, intriguée.

Le jeune homme détourna brièvement son regard, fixant les flammes qui crépitaient doucement dans la cheminée. Puis, il soupira et reporta son attention sur elle.

-Lya... J'ai parfois l'impression que tu ne comprends pas bien comment fonctionne notre monde.

Elle fronça légèrement les sourcils, mais il poursuivit avant qu'elle ne puisse réagir :

-Le Pouvoir Central n'est pas aussi fabuleux qu'on essaie de nous le faire croire. Ce ne sont pas des protecteurs, ni des dirigeants justes. Ils contrôlent tout, manipulent les informations, tirent les ficelles dans l'ombre... Et ceux qui les soutiennent ne valent pas mieux.

Il marqua une pause, scrutant la réaction de la jeune femme.

-Méfie-toi d'eux, ajouta-t-il d'un ton plus bas. Méfie-toi de leurs partisans.

Un silence s'installa. Tous deux restèrent absorbés par le spectacle des flammes qui dansaient doucement dans l'âtre, projetant des ombres vacillantes sur les murs de pierre.

Lya baissa la tête, songeuse. Elle n'avait jamais vraiment réfléchi à tout cela. Après tout, le Pouvoir Central n'avait jamais joué le moindre rôle dans sa vie. Depuis son enfance, elle n'avait connu que son orphelinat, perdu au fin fond d'une campagne oubliée de tous.

Elle n'avait côtoyé que ses camarades de chambrée et les encadrants, qui faisaient leur travail sans véritable attachement. Personne ne venait les voir. Personne ne s'intéressait à eux.

L'orphelinat fonctionnait seul, sans aide extérieure, sans intervention du Pouvoir Central.

-Allez ! lança Matthew avec entrain.

Il avait retrouvé sa bonne humeur habituelle, son sérieux déjà envolé. Un sourire malicieux aux lèvres, il se redressa et tendit une main vers Lya.

-Au dodo, jeune fille !

-Vas-y, toi. Moi, je vais rester encore un peu.

Matthew haussa un sourcil, amusé.

-Comme tu veux, princesse !

Dans un geste théâtral, il attrapa délicatement sa main et y déposa un baiser exagérément dramatique, comme un chevalier devant sa dame.

-Mais tâche de dormir un peu quand même, ajouta-t-il avec un clin d'œil avant de s'éclipser en direction des dortoirs.

Lya le regarda disparaître dans l'ombre de la chambre avant de reporter son attention sur la cheminée. Désormais seule, elle s'enroula autour d'un coussin, se lovant dans la chaleur réconfortante du feu.

Les flammes dansaient doucement. Leur lumière vacillante teintait son visage de reflets rougeoyants, et le silence de la pièce, seulement troublé par le crépitement du bois, l'enveloppa d'une étrange quiétude.

Peu à peu, ses paupières s'alourdirent. Son souffle devint plus lent, plus paisible.

Et, bercée par la chaleur rassurante du foyer, Lya sombra doucement dans le sommeil.

 

*****

 

-Atchoum !

Lya sursauta violemment, son cœur battant à tout rompre. Dans son sursaut, le coussin qu'elle serrait contre elle glissa de ses bras et tomba lourdement au sol. Désorientée, elle cligna plusieurs fois des yeux avant de réaliser qu'elle se trouvait toujours dans le salon, là où elle s'était endormie.

La lumière vacillante des braises rougeoyantes illuminait encore doucement la pièce. À sa gauche, installé dans le fauteuil le plus éloigné, Emrys était confortablement assis, un livre ouvert entre les mains.

-Je suis vraiment désolé, murmura-t-il avec un léger sourire. Je ne voulais pas te réveiller.

Lya étouffa un bâillement et se frotta les yeux du bout des doigts, tentant d'émerger complètement de sa léthargie.

-Ce n'est rien, assura-t-elle d'une voix encore endormie.

Elle s'étira légèrement, un frisson lui parcourant l'échine. L'air ambiant semblait plus frais qu'auparavant, signe que le feu s'éteignait lentement.

-Il est tard ?, s'inquiéta-t-elle soudain, en redressant un peu la tête.

Emrys referma doucement son livre et secoua la tête.

-Non, il est encore tôt, ne t'en fais pas.

Lya poussa un léger soupir de soulagement avant de remarquer l'épaisseur du roman qu'il tenait entre ses doigts.

-Tu as du mal à dormir ?, demanda-t-elle en l'observant attentivement.

Un éclat amusé passa dans le regard du jeune homme.

-On peut dire ça, oui. Disons que je suis insomniaque de profession ! Mais je ne suis pas le seul, à ce que je vois...

Son expression se fit plus douce, presque compréhensive.

Lya baissa les yeux. Elle hésita un instant avant d'avouer, d'une voix plus basse :

-Un peu... Je fais beaucoup de rêves... enfin, de cauchemars.

Emrys l'observa un moment, comme s'il analysait chacun de ses mots. Puis, il hocha doucement la tête.

-Je vois..., murmura-t-il simplement.

Le silence retomba, seulement troublé par les braises qui s'effritaient doucement dans l'âtre.

-Tu étais en train de lire ?

-Pas tout à fait. Tu connais les livres contées ?

-Je connais les contes de fée oui.

-Non, là, je te parle de livres contées, c'est encore autre chose, rigola-t-il. Tu veux voir ?

-Oui !

Emrys se leva doucement et vint s'asseoir tout près de Lya, réduisant la distance entre eux avec une aisance naturelle. Il posa son livre à cheval sur leurs deux jambes, son poids agréable et familier contre leurs genoux. D'un geste fluide, il l'ouvrit au hasard.

Aussitôt, une pluie de petites lumières colorées jaillit des pages, tourbillonnant dans l'air comme une nuée d'étoiles libérées d'une galaxie miniature. Les scintillements commencèrent à virevolter et à s'entrelacer, formant des images mouvantes d'une netteté fascinante. Des paysages surgissaient, puis disparaissaient au gré de la narration visuelle. Tantôt des ombres mystérieuses prenaient vie, tantôt des créatures fantastiques s'animaient sous les yeux ébahis de Lya.

Elle retenait son souffle, complètement hypnotisée par cette Voie lactée miniature qui changeait sans cesse de couleurs et de formes, sculptant un récit en apesanteur devant elle. Une histoire animée, vivante, comme elle n'en avait jamais vu.

-C'est... c'est incroyable..., murmura-t-elle, émerveillée.

À côté d'elle, Emrys ne disait rien. Il ne regardait pas le livre, mais la jeune femme, un sourire tendre étirant ses lèvres. Il semblait prendre autant de plaisir à observer sa réaction qu'à contempler la magie de l'ouvrage.

Après quelques minutes, les lumières commencèrent à faiblir, tourbillonnant une dernière fois avant de replonger dans les pages du livre. Puis, comme si rien ne s'était passé, l'ouvrage redevint parfaitement ordinaire.

Lya cligna des paupières, abasourdie.

-C'était fantastique ! s'exclama-t-elle, la voix remplie d'enthousiasme.

Emrys lui tendit alors le livre, le déposant sans cérémonie dans ses mains.

-Tiens, prends-le.

Lya le regarda avec des yeux ronds.

-Oh non ! Je ne peux pas accepter, c'est trop..., protesta-t-elle, secouant la tête.

Le jeune homme haussa les épaules, son expression toujours aussi douce.

-Ne t'inquiète pas, j'en ai d'autres. Et puis... ça t'aidera peut-être à mieux dormir. Les livres peuvent être un remède puissant, tu sais.

Son sourire était si réconfortant, si sincère, que Lya sentit son cœur se serrer. Personne ne lui avait jamais offert quoi que ce soit. Jamais. Elle serra le livre contre elle avant de se jeter spontanément au cou d'Emrys.

-Merci, Emrys !

Il se figea un instant, surpris, puis il rit doucement en lui tapotant gentiment le dos. Il ignorait à quel point ce simple geste comptait pour elle.

Après quelques secondes, il s'écarta légèrement et déclara d'un ton léger :

-Bon, il est peut-être temps d'aller dormir un peu avant que le réveil ne sonne !

Soudain, Lya se figea.

-Quelle heure est-il ? ,demanda-t-elle, la voix plus tendue.

Emrys jeta un coup d'œil à une horloge murale.

-Presque cinq heures.

-Quoi ?!

Lya bondit du canapé, son cœur battant la chamade. Elle avait complètement oublié... Son rendez-vous avec le directeur ! Elle était censée être près de l'arène à cinq heures tapantes !

Emrys la fixa, intrigué.

-Qu'est-ce qu'il y a ?

-Rien... je-je dois...

Elle chercha désespérément une excuse, balbutiant en cherchant ses mots.

-Je dois sortir pour... enfin, tu vois... pour prendre l'air !

Emrys arqua un sourcil, visiblement sceptique.

-À cette heure-ci ?

Bravo Lya, très convaincant, se fustigea la jeune femme. 

Lya commença à se décaler lentement, tel un crabe tentant de fuir sans se faire remarquer. Son sourire crispé ne quittait pas son visage alors qu'elle reculait vers la porte du dortoir des filles, tout en poursuivant maladroitement son monologue.

-Ouais, enfin... tu vois... l'air du matin, tout ça, tout ça !

Emrys croisa les bras, un sourire moqueur au coin des lèvres.

-Tout ça, tout ça ?, répéta-t-il, clairement amusé par la panique de la jeune femme. Tu dois ABSOLUMENT sortir prendre l'air, là, maintenant ?

Lya hocha frénétiquement la tête.

-Oui, voilà, c'est ça ! Besoin urgent d'oxygène matinal !

Et avant qu'il n'ait le temps d'ajouter quoi que ce soit, elle fila à toute vitesse dans la chambre, refermant la porte derrière elle avec un soupir.

À tâtons, elle récupéra des vêtements et se changea aussi discrètement que possible, retenant son souffle pour ne pas réveiller ses camarades endormies. Une fois prête, elle attrapa son sac et ressortit sur la pointe des pieds.

Elle courut dans le salon, pensant qu'Emrys s'était sûrement recouché. Mais au moment où elle s'apprêtait à enfiler ses chaussures, elle se figea net.

Il était toujours là.

Adossé nonchalamment contre le mur près de la porte d'entrée, les bras croisés, un sourire espiègle au visage.

Lya sursauta violemment.

-Tu... tu ne vas pas te recoucher ?

Emrys haussa légèrement les épaules, l'air de rien.

-Et louper le départ de la course ?

-La... la course ?, balbutia-t-elle.

Elle força un rire, espérant dissimuler son malaise.

-Ah, tu veux dire... moi, ahahah...

Il la fixait toujours avec cet air taquin, ce qui la mit encore plus mal à l'aise. Sans un mot de plus, elle attrapa son sac et se dirigea vers la porte.

À sa grande surprise, Emrys l'ouvrit pour elle avec un geste ample, tel un parfait gentleman.

-Après vous, Mademoiselle, déclara-t-il d'un ton faussement solennel, tout en ne détachant pas son regard malicieux d'elle.

Lya passa la porte, mais avant de s'éloigner, elle se retourna une dernière fois vers lui.

-Est-ce que tu pourrais...

Elle n'eut même pas le temps de finir sa phrase.

-Tu n'as pas besoin de me le demander, l'interrompit Emrys avec un sourire complice. Je ne dirai rien à personne.

Un soulagement furtif traversa le regard de Lya. Elle lui fit un simple signe de tête pour le remercier, puis s'évapora dans l'aube encore teintée de nuit, disparaissant dans le silence du matin naissant.

 

*****

 

Lya franchit l'entrée de l'arène pile à l'heure, le souffle court et une fine pellicule de sueur perlant sur son front. Elle avait couru tout le long du chemin, mais au moins, elle n'était pas en retard.

Son regard balaya rapidement l'endroit. Le directeur Talford l'attendait, une expression nerveuse sur le visage. À ses côtés, droite comme un piquet, se tenait Valma Obscuda, toujours aussi impassible et intimidante. L'attitude agitée de l'un contrastait fortement avec la froideur de l'autre.

-Lya !, s'exclama le directeur en la voyant arriver. Dépêche-toi, c'est important.

-Bonjour, monsieur le directeur. Bonjour, madame la professeure.

Elle s'inclina respectueusement, mais avant même qu'elle ne puisse achever son mouvement, la professeure la saisit fermement par le bras et l'entraîna sur le terrain d'entraînement.

Face à elles, un mannequin de combat, semblable à celui utilisé lors de l'épreuve de la veille.

-Reproduis ce que tu as fait hier, ordonna sèchement Valma.

Lya écarquilla les yeux, décontenancée.

-Quoi ? Mais... je n'ai rien fait hier. Enfin, j'ai échoué à l'épreuve...

-Je ne te pose pas de question, rétorqua la professeure d'un ton menaçant. Fais-le.

Le regard perçant de Valma Obscuda la cloua sur place. Elle n'avait pas l'air de plaisanter. Résignée et confuse, la jeune fille s'éloigna de quelques pas pour se replacer dans la même position que la veille.

Elle tenta de revivre mentalement le moment exact de l'épreuve : la tension dans ses bras, la chaleur diffuse dans son ventre, ces picotements étranges dans ses mains... et enfin, cette sensation fugace d'une énergie prête à jaillir.

Elle ferma les yeux, se concentra...

Rien.

Le mannequin demeura parfaitement immobile. Aucune explosion, aucune onde d'énergie, pas même une légère vibration.

Lya sentit un poids peser sur son estomac. Elle n'avait rien fait hier, elle en était certaine ! Alors pourquoi s'acharnait-on ainsi ?

-Vous voyez !, s'exclama-t-elle, confuse. Il ne s'est rien passé !

Mais Obscuda ne semblait pas du même avis. Son regard perçant fixait toujours le mannequin, comme si elle analysait le moindre détail.

-Venez.

Talford trottina aussitôt jusqu'à elle, et Lya, hésitante, les suivit.

-Juste ici.

Valma désigna du doigt une zone précise, au niveau du torse du mannequin.

Intrigué, le directeur ajusta ses lunettes et observa avec une attention renouvelée. Dès qu'il vit ce que montrait la professeure, son expression changea du tout au tout.

-C'est... c'est impossible ! Vous êtes sûre que ça n'y était pas avant ?

-Certainement pas.

Lya, de plus en plus perdue, osa enfin intervenir.

-Excusez-moi, mais... je ne comprends pas ce qui se passe.

-Rapproche-toi et regarde bien, lui indiqua Obscuda.

La jeune fille obéit et s'approcha prudemment du mannequin. Son regard se posa sur la zone désignée, et soudain, elle vit.

Un trou.

Un petit orifice, parfaitement rond, traversant le torse du mannequin de part en part, comme si une balle l'avait perforé avec une précision chirurgicale. L'impact n'était pas plus large qu'une pièce de monnaie, mais il était si net, si parfait...

Lya frissonna. En se penchant légèrement, elle réalisa qu'elle pouvait voir au travers, et distinguer clairement le regard sévère de sa professeure de l'autre côté.

-Qu'est-ce que c'est ?, demanda-t-elle, la gorge nouée.

-Ça, répondit Valma lentement, c'est l'une des techniques de magie de combat les plus puissantes et précises que j'aie jamais vues.

Puis elle ajouta, implacable :

-Et c'est toi qui l'as exécutée.

Lya recula d'un pas, secouant la tête. Non, ce n'était pas possible. Elle n'était pas une mage de combat. Elle ne maîtrisait même pas correctement ses premiers dons !

-Vous... vous devez faire erreur...

-Est-ce que tu te rends compte, maintenant ?, s'exclama Talford, de plus en plus fébrile.

-Calmez-vous, intervint Valma d'un ton glacial.

-Me calmer ? Vous réalisez ce que cela signifie ? Un double don, c'est un privilège. Trois dons, c'est une bénédiction. Mais quatre...

Il laissa sa phrase en suspens, mais son regard en disait long.

-Quatre, c'est... une malédiction.

Un silence pesant s'abattit sur l'arène.

Lya, paralysée, tentait de comprendre l'ampleur de la situation, mais tout lui échappait. Pourquoi cela semblait-il si grave ? Pourquoi le directeur était-il si paniqué ?

-Qu'est-ce que vous comptez faire ?, demanda enfin Valma, impassible.

Le directeur se passa une main dans sa barbe, réfléchissant intensément. Puis il prit une profonde inspiration et se retourna vers Lya, son regard désormais plus posé.

-Tu ne développeras officiellement que deux dons.

-Comment ça ?

-À partir d'aujourd'hui, tu seras enregistrée en tant que double mage : soin et construction. Pour le reste... nous le garderons sous silence, pour l'instant.

-Monsieur, protesta Valma, on ne peut pas limiter les dons d'un sorcier ! C'est contraire aux principes fondamentaux de la magie, et cette jeune fille semble particulièrement douée pour la magie de combat.

-C'est la seule solution que j'aie, trancha Talford.

Il prit une pause, puis continua d'un ton grave.

-Je demanderai au professeur Ameur de ne rien révéler sur ce qu'il a vu. Et vous, madame Obscuda, je n'ai aucun doute sur votre discrétion.

La professeure inclina la tête, acceptant silencieusement cette décision.

Puis, Talford posa enfin son regard sur Lya. Cette fois, sa voix était plus douce, mais d'autant plus sérieuse.

-Lya. Il faut que tu gardes cela pour toi. Tu m'as bien compris ? C'est extrêmement important.

La jeune fille hocha la tête mécaniquement.

-J'ai aussi besoin que tu veilles sur ton coéquipier, Archibald. Il ne doit rien dire sur ton examen de magie élémentaire. Assure-toi qu'il garde le silence.

Lya déglutit. Toute cette situation lui faisait peur. Mais le pire, c'était qu'elle ne comprenait même pas de quoi elle devait avoir peur.

-Bien. Tu peux partir maintenant, conclut le directeur.

Il se redressa et retrouva son ton habituel, bien que son agitation ne se soit pas totalement dissipée.

-Essaie de ne pas être en retard à ton premier cours.

Lya, encore sous le choc, inclina lentement la tête et s'éloigna en direction de la sortie.

Elle n'était pas sûre d'avoir tout saisi... mais une chose était certaine. Sa vie venait de prendre un tournant irréversible.

 

*****

 

Les cloches de l’école résonnèrent, annonçant officiellement le début des cours. Lya passa la porte de la salle juste à temps, encore légèrement essoufflée.

À l’intérieur, les élèves finissaient de s’installer à leurs pupitres, certains échangeant des bavardages matinaux, d’autres feuilletant déjà leurs manuels.

D’un geste enthousiaste, Matthew lui fit de grands signes pour attirer son attention.

-Lya, par ici ! Il y a une place pour toi !

Elle se fraya un chemin entre les rangées et s’installa aux côtés de son ami, qui la scrutait d’un air inquiet.

-Où est-ce que tu étais passée ? On t’a cherchée partout ce matin !

Lya balaya discrètement la salle du regard, cherchant Emrys. Ce dernier, installé juste à côté d’eux, la fixait avec amusement. Son sourire en coin était une réponse en soi : il n’avait rien dit.

Rassurée, elle reporta son attention sur Matthew et lui offrit un sourire d’excuse.

-Je n’arrivais pas à dormir, alors je suis sortie marcher… et je me suis un peu perdue.

Matthew fronça les sourcils, croisant les bras.

-Tu aurais pu laisser un mot, au moins. On s’est inquiétés.

-Désolée, souffla-t-elle. La prochaine fois, je vous préviendrai, promis.

Avant que Matthew ne puisse répliquer, une voix autoritaire coupa court à leur conversation.

-Mesdames et messieurs, ouvrez vos manuels à la page trois.

Le professeur venait d’entrer, imposant immédiatement le silence.

Lya poussa un léger soupir et ouvrit son livre, mais son esprit restait troublé. Elle aurait aimé pouvoir se concentrer sur le cours, mais plusieurs pensées lui martelaient l'esprit.

 

Le cours de géopolitique se déroula sans incident majeur, bien que l'enseignant fût plus passionné que d'habitude. Il expliqua en détails le rôle crucial des seigneurs dans l'organisation politique de Maywa. Le pays était découpé en quatre vastes régions : Palanka au Nord-Ouest, Everka au Nord-Est, Chemka au Sud-Ouest, et Sampka au Sud-Est.

Chacune de ces régions était gouvernée par un roi, lequel recevait ses instructions directement du Pouvoir Central. Le PC, son administration, son armée, ainsi que l'ESSM, étaient tous situés, symboliquement et géographiquement, au centre de Maywa, à la frontière des quatre régions. Cette position stratégique leur permettait de maintenir un contrôle direct sur l'ensemble du pays.

Les seigneurs, théoriquement des serviteurs fidèles du PC, étaient nommés par ce dernier pour diriger les différentes régions. Cependant, comme l'expliquait l'enseignant, la réalité était bien plus complexe. Les intérêts des seigneurs étaient parfois en décalage avec ceux du Pouvoir Central, et des tensions sous-jacentes étaient courantes, minant la loyauté affichée.

Après trois heures d'exposé dense, la sonnerie retentit, signalant la fin du cours. Les élèves rangèrent rapidement leurs affaires, impatients d'être libérés.

Mais alors que Lya se levait pour quitter la classe, elle sentit une prise ferme sur son bras. Avant qu’elle n’ait pu réagir, elle fut entraînée dans un couloir sombre, loin des regards. 

-Archi !, s'écria Lya, le cœur encore battant. Tu m'as vraiment fait peur.

-Désolé, je voulais juste être discret. Alors, raconte-moi.

-Raconter quoi ?

-Ne fais pas l'innocente ! Le rendez-vous avec le directeur, qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Lya sentit une légère nervosité la saisir et se mit à triturer ses doigts, cherchant ses mots.

-Rien de spécial... Il pense que ça serait mieux que je me concentre uniquement sur deux de mes trois dons.

-Quoi ?! Sérieusement ?!

-Oui, il trouve que travailler trois magies en même temps serait... contre-productif, tenta-t-elle de le convaincre en évitant son regard.

-C’est absurde, surtout venant de lui.

Lya fit une pause, observant Archi, un air confus sur le visage.

-Venant de lui ?

-Eh bien, Monsieur Talford est un triple mage… Tu ne le savais pas ?, demanda-t-il, surpris.

Lya se figea un instant, déglutissant en essayant de garder son calme. Non, elle n’avait absolument pas idée de cette histoire. Mais elle n'allait pas se laisser déstabiliser si facilement.

-Ah oui, bien sûr que je le sais ! D’ailleurs, c’est justement pour ça qu’il est le mieux placé pour me conseiller, répondit-elle en forçant un sourire.

Archi la regarda intensément, un soupçon de méfiance dans ses yeux.

-C’est vraiment étrange tout ça... Tu ne me caches rien, n’est-ce pas ?

Lya sentit son cœur s’emballer. Elle n'aimait pas mentir, mais là, elle n’avait pas d’autre choix. L’école, sa place, tout était en jeu.

-N-non, bien sûr que non, balbutia-t-elle.

Les deux restèrent quelques secondes à se dévisager, comme si Archi tentait de sonder la sincérité de ses paroles. Lya, de son côté, sentait son souffle devenir plus court, son cœur tambourinant dans sa poitrine.

Finalement, Archi soupira, mais son regard restait suspicieux.

-Très bien, d’accord. Mais… tu sais, tu peux toujours tout me dire, hein ?

Lya hocha la tête précipitamment, tentant de calmer son esprit tourmenté.

-Par contre, je préférais que tu ne parles pas de tout ça aux autres. J’ai un peu peur que ça fasse naître des jalousies, des ragots… tu vois le genre.

Il la fixa un instant avec une expression indéchiffrable.

-D’accord, si tu ne veux pas que j’en parle, je ne dirai rien. Mais ça ne me plaît pas, tu sais.

Lya souffla légèrement, soulagée, mais ce soulagement fut éphémère. Dans quelle histoire s’était-elle embarquée ? 

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M.A.Frogerais
Posté le 21/02/2025
beaucoup d'émotion dans se chapitre, je me sent happé par l'histoire même si il y aura encore beaucoup de travaille pour amélioré la forme avec un peu plus de sensation qui sont pourtant très bien exécuté dans le dernier passage. c'est dommage de ne pas avoir cette qualité incroyable sur le reste du récit ( pour les émotions)
en dehors de sa, je n'ai repéré qu'une répétition sur le mots "lèvre", je pensait de conseillé de passer par "visage" mais tu la déjà remit plus bas, alors c'est raté.
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