Quelques jours plus tard. J’étais dans l’enclos en train de tondre les Safojons, lorsque ma mère arriva relativement énervée.
— Je peux savoir ce que tu fous ici ?
Je pivotai brièvement ma tête et vis ma mère, le visage fatigué, ses cheveux ondulés désordonnés et ses yeux animés par l’agacement.
— Maman, tu devrais être au lit. Les médecins viendront te chercher demain pour te faire passer des examens à Estajos. Tu dois te reposer. Dis-je en reprenant ma tâche.
— Ce n'est pas toi qui vas me dire quoi faire. Maintenant, retourne-toi et regarde-moi quand je te cause.
Je me tournai vers elle, décelant la colère dans son regard et dans sa voix.
— Si tu souhaites parler de papa, je suis réellement désolé de ne pas avoir pu être là. Je m'efforcerai de faire au mieux pour le remplacer à la ferme. Déclarai-je d’un air morose.
— Mais on n'a pas besoin de toi ici ! Pourquoi tu as démissionné ? Il y a des stagiaires et ton oncle qui nous aide. Tu vas donc m’accompagner à Estajos demain et tu reprendras du service avec ton équipe.
— Non maman, j'ai pris ma décision affirmai-je fermement, serrant la tondeuse pour contenir l’émotion qui montait en moi. Je vais rester ici.
— Il en est hors de question ! S’écria-t-elle en toussant violemment.
Je me précipitai pour la soutenir, mais elle repoussa ma main.
— Calme-toi, maman. Tu dois te reposer. Tu sais aussi bien que moi que c'est le mieux pour la ferme. Tonton ne pourra pas constamment être là, surtout qu'il n'a jamais su s'occuper des bêtes. Et même si les stagiaires dépannent, cela est loin d'être suffisant. Sans oublier que ton état de santé t'empêche de travailler pour le moment.
— Je ne veux rien savoir. Ton père n’aurait, en aucun cas, toléré que tu renonces à être zoologiste pour cette raison.
— Je ne comptais pas le rester indéfiniment. J'envisageais d'occuper ce poste durant une dizaine d'années, jusqu'à ce que papa et toi ne parveniez plus à gérer la ferme. À ce moment-là, j’avais déjà pris la décision de récupérer le flambeau, car cette ferme était tout pour papa et elle représente aussi beaucoup pour moi.
Je vis la douleur passer sur son visage, ma décision concernant mon avenir allait à l’encontre de la sienne et de celle de mon père et elle ne pouvait pas le concevoir.
— Elle a beau être précieuse à tes yeux, tu étais en train de vivre ton rêve, ce qui n'est pas donné à tout le monde. C'est du pur gâchis.
— Les rêves ont tous une fin et le mien s’arrête malheureusement plus tôt que prévu. L'important pour moi, c'est que la ferme puisse rester un héritage dans notre famille.
— Ce n'est pas ton rôle de penser à tout ça. Ton père souhaitait la vendre une fois que nous n'aurions plus été en état de nous en occuper. La seule chose qui comptait pour lui, c'était de vous soutenir dans vos choix, celui d'être vétérinaire pour Luna et zoologiste pour toi.
— On en reparlera après tes analyses, maman. Mais pour le moment, la ferme a besoin de moi. Et toi, tu es dans l'obligation de te reposer.
C’était bien la première fois que je voyais ma mère dans cet état. Elle savait que quoiqu’elle pourrait dire, cela ne changerait rien à mon choix et cela la rendait malade d’une autre manière qu’elle pouvait l’être. Je me serais moi-même donné des coups en me voyant lui parler ainsi, avec cet air de chien battu.
Le lendemain, ma mère fut emmenée par des médecins à la cité d’Estajos. Elle monta dans le chariot sans me regarder, se pinçant les lèvres dans une expression mêlant la colère et la résignation.
C’était avec le cœur lourd et l’esprit embrumé par un mélange de culpabilité et de tristesse que je me retrouvais avec ma sœur pour le repas de midi.
Elle mangeait en silence, son regard rivé sur son assiette, sûrement pour éviter de croiser le mien. Mimic s’était couché à mes pieds, sa tête posée sur mes chaussons.
— Cela fait depuis combien de temps que maman est malade comme ça ? Demandai-je, brisant ainsi le calme qui régnait dans la pièce.
Luna leva les yeux, rouges et fatigués.
— Depuis un ou deux mois, mais elle était quand même en forme. Seulement des problèmes de sommeil et de douleur dans les bras. Le médecin du village a prétendu que c'était psychologique, sûrement dû au fait de ton absence à la maison.
Je sentis un poids supplémentaire s’ajouter renforçant mon sentiment de culpabilité et me replongeant dans un mutisme. Mon départ avait vraiment causé du mal à ma famille, pensai-je fermement.
— Mais ce sont des conneries, si tu veux mon avis. Continua Luna, en plantant sa fourchette dans son assiette avec colère. Il ne savait probablement rien et a prétexté un problème psychologique pour ne pas paraître incompétent, affirma-t-elle comme pour le blamer.
— Il peut avoir raison. Et si maman n'était pas tombée malade par ma faute, elle aurait enseveli les Fungons avec sa magie de la terre. L'incendie aurait été maîtrisé et papa serait encore vivant.
Luna se leva brusquement, renversant sa chaise. Je revis dans son expression de visage, le même que celui de ma mère hier, sauf que contrairement à elle, ma petite sœur se défoula en parole.
— Au début, c'est de te faute, car tu n'étais pas là pour éteindre l’incendie. Et maintenant, tu supposes que si maman n'était pas tombée malade à cause de toi, papa serait toujours de ce monde. En fait, c'est tout le temps toi. Tu te sens mieux en te donnant le rôle de coupable ? Tu t'imagines que maman ne se sent pas responsable d'être malade au moment où l'homme de sa vie courrait à sa perte ?! Et tonton ne se reproche absolument pas le fait que ses champignons ont empoisonné son propre frère ! Quant à moi, je dormais pendant que mon père, que j'aime, sacrifiait sa vie pour les autres ! Mais je ne me sens pas fautive, peut-être ?! Tu n’es pas le centre du monde, Pragma !
Luna, avec les larmes aux yeux, sortit de la maison en claquant violemment la porte d'entrée. Mimic poussa un gémissement de compassion suite à cette scène, qui me bouleversa fortement.
Ma soeur avait raison, je n'étais pas le seul à souffrir. Et même si je le savais, je tenais à endosser moi-même cette responsabilité. Je pensais pouvoir enlever un peu de poids à la culpabilité qui reposait sur leurs épaules. Mais j'avais tort.
Trois jours plus tard, l’un de nos Kolombos nous amena le rapport des experts médicaux. Et un malheur n’arrivant jamais seule, comme on pouvait dire. J’appris que ma mère était atteinte du Muskolo, une maladie neuromusculaire la condamnant à vivre encore deux ans tout au plus, selon les estimations des médecins.
Le soir, je me rendis dans la chambre de Luna qui était allongée sur son lit, la tête dans son oreiller. Je pris une profonde inspiration avant de parler.
— Lulu, j’ai besoin de toi.
Elle se retourna, ses yeux encore rougis par ses pleurs.
— Je serai incapable de sauver maman tout seul, il faut que tu m'aides.
— Tu peux sauver maman ? Murmura-t-elle la gorge noué, mais avec un regain d’espoir dans ses yeux.
— Oui, et pour cela, j'ai besoin que tu la rejoignes à Estajos. On nous a donné un logement où elle pourra être suivie médicalement. Tu pourras veiller sur elle et te consacrer également à ta formation de vétérinaire.
— Et toi, tu vas faire quoi ?
— J'ai vu avec tonton pour former notre cousin et notre cousine, afin qu'ils puissent s'occuper de la ferme. Et la cité d’Estajos nous enverra exceptionnellement deux stagiaires de plus que d'habitude. D’ici un mois, ils devraient être capables de gérer.
— Et ensuite, tu as un plan ? Comment comptes-tu soigner la maladie de maman ?
— Pendant ma formation de zoologiste, j’ai appris que les larmes du Phénix pouvaient tout guérir. Que ce soit une blessure mortelle ou une maladie incurable.
— Le Phénix ? Tu parles de l’oiseau légendaire ? Mais tu vas faire comment pour le trouver ? Tu ne sais même pas où il est, autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
— Je vais partir pour la cité de Jase. Là-bas, il y a Biblioteko, la bibliothèque qui a la réputation d’avoir réponse à tout. Même nous à Estajos, nous n’avons pas accès à toutes leurs connaissances. Il y a de forte chance que j’obtienne des informations dont la localisation du Phénix. J'ai bien conscience que cela ne sera pas simple, et que ça risque de prendre du temps. Mais cette fois-ci, contrairement à papa, on peut agir pour sauver maman.
Luna marqua un temps d’arrêt pour me répondre :
— Pragma, désolé pour ce que j’ai pu te dire la dernière fois. Je sais que tu ne ramènes pas tout à toi, surtout que tu agis toujours pour les autres. Ça m’a juste énervé que tu prennes tout pour toi. Nous aussi, on est là…
— Merci Luna. C’est pour ça que je te demande ton aide. Le fait de savoir que tu seras auprès de maman me rassurera énormément. Ça me permettra de me concentrer pleinement sur ma mission. Et puis si je parviens à ramener le Phénix à Estajos, ce n'est pas uniquement maman que je sauverais.
Après avoir formé mon cousin et ma cousine, je partis pour la cité d’Estajos sur le dos de Skalo, notre Sevalon le plus endurant.
Une fois arrivé, je me rendis au laboratoire des zoologistes marin. En poussant la porte, l’odeur de cuir vieilli mêlé à l’encens et divers produits chimiques qui arriva à mes narines m’avait manqué.
Mr Fizzo était absent. Seule Samanta se trouvait là, penchée sur une pile de documents, concentrée sur ce qu’elle lisait. Je l’interpellai par son nom pour lui faire remarquer ma présence. Elle releva son visage encadré par ses longs cheveux roux, tout en ajustant ses lunettes.
— Pragma ?! Qu’est-ce que tu fais là ? Tu reviens chez nous finalement ? Ah, euh, désolé, mes condoléances pour ton père, j’ai appris cette terrible nouvelle, si tu as besoin de quoique ce soit n’hésite pas.
— Merci Samanta, justement j’aurais besoin d’un fusil hypodermique, je sais que c’est culotté de venir ici comme ça à l’improviste pour te demander cela, mais j’imagine que l'équipe n'en a pas laissé un, vu que tu es seule.
— Euh, non, le tien est là. On a enfin reçu la commande. Mais comme tu as démissionné et qu’on donne cette arme juste pour les missions, je ne peux pas te le passer. Dit-elle, gênée de ne pas pouvoir satisfaire ma demande.
— Oui, laisse tomber, répondis-je avec un sourire nerveux.
— Tu vas revenir chez nous du coup ?
— En fait, ma mère a le Muskolo, et je compte trouver le Phénix pour la sauver. Je me suis dit qu’exceptionnellement Mr Fizzo me prêterait un fusil hypodermique, mais il m’aurait probablement répondu la même chose que toi.
— Oh Pragma, je suis sincèrement navré pour ta mère. C’est horrible.
Samanta était décontenancée, à l’idée de pouvoir ressentir ce que je traversai. Cela se voyait à son visage, et je n’étais pas venu pour qu’elle s’apitoie sur mon sort. Je lui répondis la chose suivante pour lui montrer ma détermination malgré ma situation.
— Tu n’y es pour rien. Je sais que personne chez les zoologistes n’a trouvé le Phénix. Et ils ont même cessé toute recherche le concernant, il y a des siècles. Mais je vais tenter ma chance pour le trouver. C’est la seule solution que j’ai pour sauver ma mère.
— Non, il y a l’E… Ah non, laisse tomber.
— Il y a quoi ?
— Tiens Pragma, prends-le.
Samanta, contre toute attente, me tendit le fusil hypodermique, m’empêchant de chercher à lui demander ce qu’elle voulut me dire.
— Hein ? Mais tu es sûr ?
— Je risque probablement des remontrances de la part de Mr Fizzo, mais je te connais. Que je te prête ce fusil ou pas, tu iras quand même chercher le Phénix. Autant que tu en sois équipé.
— Merci Samanta, tu es génial et je te revaudrai ça.
— Par contre Pragma, réfléchis bien avant de partir. Tu as encore du temps pour profiter de ta mère, il ne faudrait pas le regretter si jamais tu échoues à trouver le Phénix.
Ses paroles raisonnèrent en moi, mais à mes yeux, l'essentiel était de gagner du temps avec ma mère en la sauvant que de ne plus en avoir, une fois qu’elle aura été emportée par la maladie.
— Merci vraiment pour tout, Samanta. Passe le bonjour à l’équipe.
Elle soupira, d’un air résigné mais respectant ma décision.
— Bonne chance Pragma.
Je pris des pilules nutritives qui faisaient office de repas, ainsi que le fusil hypodermique, avant de me rendre dans le logement de ma mère. Elle était dans un fauteuil roulant, en assez bonne forme tout de même, ce qui me fit esquisser un sourire.
— Tu viens enfin me voir, sale môme !
— Désolé maman, je n’ai pas eu trop le temps avec la ferme et tout.
— Je ne veux pas le savoir, viens me faire un câlin plutôt.
Ma mère se leva difficilement, et me prit dans ses bras. Malgré sa condition, je sentis sa forte étreinte, me rassurant sur son état de santé. Puis elle se rassit dans son fauteuil, pendant que je nous préparai le thé.
— Ne me parle pas du Phénix ou je ne sais quoi d’autre.
Ma mère avait lu dans mes pensées, Luna avait déjà dû lui dire ce que nous comptions faire et j’étais plutôt content de ne pas avoir à aborder le sujet.
— Ramène le thé et les biscuits et sors le Onu aussi.
Le Onu était un jeu de carte auquel on jouait souvent en famille, mon père était d’ailleurs un mauvais perdant, allant jusqu’à déchirer les cartes lorsqu’il perdait contre maman.
— Et surtout prépare-toi à prendre une raclée.
Étrangement, alors que je redoutais de rendre visite à ma mère avant mon départ, ça me fit énormément de bien de la voir avec son peps et son entrain habituels. Cette force qu'elle possédait, à travers son humeur enthousiaste, me redonna de l’énergie et remonta mon moral.
— Une raclée ?! Mais tu perds tout le temps à ce jeu.
— Ça, c’était avant d’être une handicapée.
Effectivement, ma mère me battit trois fois de suite, alors que je n’avais jamais perdu contre elle jusqu’à aujourd’hui. Alors que je demandais encore une revanche, la porte d’entrée s’ouvrit.
— Pragma ! Tu es venu ?!
— Bah oui, je n’allais pas partir avant de vous avoir vus. Et toi, tu reviens de ton stage de vétérinaire ? Ça se passe bien ?
— Impeccable, tu passes au moins la nuit ici ?
— Bien sûr, je partirai à l’aube demain matin. Je vous enverrai un Kolombos une fois arrivé à la cité de Jase. Cela devrait probablement me prendre une bonne semaine.
— Pragma, tu veux cette troisième revanche ou tu as compris qui c’est la patronne ?
— Ne t’emballe pas, ça fait longtemps que je n’avais pas joué, prépare-toi à perdre cette fois.
— Eh, attendez-moi, je veux jouer aussi.
Je profitai de ma mère et de ma sœur au maximum jusqu’au soir.
Le lendemain matin, le soleil se levai à peine et je regardai ma mère dormir paisiblement.
— Tiens bon, maman, je reviendrais le plus vite possible, chuchotai-je.
C'est ainsi que je galopai en m’éloignant de la cité d’Estajos pour me rendre à celle de Jase, sur mon fidèle Sevalon, Skalo, avec la conviction de parvenir à mes fins.
Luna qui envoie son frère balader parce qu’il prend tout sur lui a entièrement raison. Il est dramatique et triste, centré sur lui-même et pour le coup c’est bien ! Ce sont encore des points qui font de lui un être de l’eau, très différent d’Akao. En temps normal, c’est pénible, mais là, ça dessine bien le personnage !
Et voilà, j’ai rattrapé mon retard. La suite, la suite !
Ça me fait bien plaisir que tu aies pris le temps de tout enchaîné d'un coup.
Oui, Luna lui a remis les idées en place pour son plus grand bien.
Qu'as tu pensé de la mère de Pragma ?
Dès demain matin, le chapitre 7 avec la dernière protagoniste de l'histoire. :)
J'espère que tu apprécieras le personnage. :)
Merci encore et bonne journée à toi :)
J’ai lu le commentaire de Raza et je me suis dit que je n’étais pas du tout d’accord avec la réflexion sur le médecin. Au contraire, ça me parait affreusement crédible. Ton monde n’ètant pas exempt de machisme, ça n’a rien de bizarre comme situation. C’est assez fréquent dans la vie réelle.
Plus gênant, le niveau de langage qui a soudainement baissé. C'estvpossible d'être vulgaire, mais ici çavfait un peu artificiel.
Attention, les dialogues précédents étaient bien vivant, icibon a parfois une impression de ping pong.
Enfin,
"Le médecin du village a prétendu que c'était psychologique, sûrement dû au fait de ton absence à la maison."
Je n'achète pas du tout que le médecin puisse dire ça comme ça, même pour se couvrir.
Bon courage et merci pour le partage!
Dans le chapitre précédent, on apprend qu'un Majestro peut utiliser non seulement sa magie avec son corps, mais aussi avec son environnement.
La mère de Pragma en fait l'utilisation dans le chapitre 4. En posant sa main au sol, elle peut modeler celui-ci à sa guise, selon son niveau de concentration.
C'est pour ça cette raison que dans ce chapitre, Pragma déclare que sa mère aurait pu éteindre l'incendie au niveau des champignons. Elle aurait modelé le sol afin de recouvrir les Fungons de terre.
Concernant la vulgarité, c'est la façon dont s'exprime la mère de Pragma, surtout quand elle est énervée. Elle tient cela de ses années à l'armée.
J'ai déjà assisté personnellement à ce cas de figure concernant un médecin généraliste.
Dans ce chapitre, c'est un médecin du village qui établit ce diagnostic, car il n'a pas d'idée précise à quoi est dû le manque de sommeil de la mère de Pragma ainsi que les douleurs qu'elle peut parfois ressentir à son bras.
Merci encore d'exprimer votre point de vue, je reverrai les dialogues concernant ce chapitre, qui sont bien plus nombreux que dans les précédents.
C'est peut-être aussi pour ça que vous avez senti une différence avec les chapitres précédents.